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"L'Europe et l'avenir du monde" de Michel Foucher

Michel Foucher est un des géopolitologues français les plus en vue. Auteur d'un indispensable "Fronts et frontières" il y a vingt ans, il a dirigé le Conseil d'analyse et de prévision du Quai d'Orsay et enseigne aujourd'hui à l'ENS.

J'avais rendu compte l'an dernier de son précédent opus, "l'obsession des frontières" (voir ici). On se souvient que les deux derniers chapitres de cet ouvrage traitaient de l'Europe : celle-ci au cœur de son dernier livre, "L'Europe et l'avenir du monde" chez Odile Jacob.

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1/ Le style est plus agréable, moins jargonnant : le livre a été mieux relu. L'homme parle un peu de soi, de ses rencontres, ce qui laisse entrevoir une pointe de fatuité de l'homme qui a réussi. Il répète par ailleurs un peu ce qui était écrit dans l'ouvrage précédent, au point que la première impression n'est pas fameuse..... Il faut cependant poursuivre, car le propos s'affine pour devenir très intéressant. On appréciera par exemple les pages où il expose "l'Europe vue d'ailleurs".

2/ En effet, j'ai tiré beaucoup d'éléments du billet d'hier de ce livre, et je tenais à lui en rendre la paternité : preuve que le vieux lion a encore des griffes....

3/ Mais surtout, ce livre vient en parfait contrepoint de la polémique lancée par JD Merchet sur l'innocuité de la défense européenne (voir mon compte-rendu). Celui-ci exposait une impossibilité de l'Europe à construire une démarche politique, lorsqu'on touche à son essence. On en lira d'ailleurs les commentaires, deux positifs, l'un en discordance, signe que la thèse fait polémique. Foucher, lui, s'essaye à produire une "géopolitique raisonnable", concrète, bien loin des idéaux-types de la nation et de la fédération. Il admet donc le cadre politique existant, et les tentatives de construire, petit pas par petit pas, cet OPNI (objet politique non identifié) qu'est l'Union.

4/ Il pose donc deux questions, qui méritent qu'on y réponde : celle des frontières, et celle de l'intérêt.

5/ Frontières : revenant sur la question des frontières européennes, je le trouve d'une certaine façon moins net qu'il y a deux ans. En effet, il était alors plus net dans la dénonciation de l'attitude européenne consistant à dévaluer la frontière extérieure. Le propos est ici moins tranché, et la conclusion n'apparaît pas clairement. Or, il faut être logique : pour qu'il y ait une géopolitique européenne, il faut que celle-ci soit constituée, et donc définie, et donc délimitée. C'est partial (et, au sens propre, partiel), mais c'est le seul moyen d'inscrire cette Europe dans la durée. A défaut, c'est encourager un impérialisme mou qui se conclura par l'échec, car "tout empire périra". A l'époque, MF suggérait une fixation temporaire. Il faut s'y tenir.

6/ MF passe ensuite à une question très souvent occultée, celle de l'intérêt européen. IL faut bien constater que la stratégie de sécurité européenne n'en dit pas grand chose. On assiste alors à une tentative de détermination de cet intérêt (p. 106 sqq.). L'effort est louable. Malheureusement, ce qui suit est un peu confus, et surtout relève des pieuses recommandations qu'on trouve dans les rapports de haut-fonctionnaires. Pas inintéressant, mais on touche là aux limites du propos : comment être "du système" et pouvoir en énoncer les intérêts avec la brutalité et les aspérités que nécessite, souvent, la géopolitique ? On arrive alors à de bons sentiments, tout à fait estimables par ailleurs : "Agir comme centre de pouvoir", "solidarité" et "conscience de soi", selon les trois catégories de la conclusion.

7/ En fait, tout est dit dans les verbes employés : "agir" et "avoir conscience" supposent une unité et une évidence qui sont justement problématiques.

8/ Ainsi, un livre intéressant, utile, plein de remarques pertinentes et d'aperçus roboratifs, mais dont le ton général souffre un peu du point de vue adopté par l'auteur, à mon avis pas assez distant de son sujet.

O. Kempf

Réf :

  • sur la frontière de l'Europe, lire mon billet
  • Sur les limites de la théorie de l'élargissement pacifiant, lire celui-ci.
  • sur la conscience européenne : ce billet
  • sur la fatigue des élargissements : ce billet
  • sur la géopolitique involontaire de l'Europe : ce billet.

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