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Les mots de la géopolitique du monde

Les mots utilisés pour décrire le monde ne sont pas anodins. Ils portent la plupart du temps une représentation géopolitique.

photo_mondialisation.gif (image venant de www.marrakech-ville.com)

1/ Nous pensons immédiatement au mot "mondialisation". Il est d'ailleurs curieux de noter que l'anglais retient "globalisation" ou "globalization" qui renvoie à l'objet, le globe et sa dimension sphérique : le français parle du monde, plus général et conceptuel.

2/ Le "monde bipolaire" a eu plusieurs successeurs directs : "unipolaire", "hyperpuissance", "multipolaire", entre la fin des années 1990 et le début des années 2000.

3/ "emerging markets" (marchés émergents) que tout le monde emploie sans réfléchir, date de 1981, quand Antoine van Agtmael le propose chez Bankers trust : cela remplace avantageusement "tiers-monde", tellement vieillot et famélique quand "nouveaux pays industrialisés" sonne trop l'analyse géographique.

4 Mais les crises de la fin des années 1990 (Mexique 1994, Asie du sud-est en 1997, Russie en 1998) font planer une menace sur ce groupe d'émergents. Comment le recycler ? en inventant les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), même s'il y a loin entre une économie de rente pétrolière et une croissance dopée au yuan sous-évalué. Le concept de BRIC date de 2001.

5/ Un des derniers à la mode est le "chindia", afin de montrer que tout se joue en Asie. D'ailleurs, n'est-ce pas, chacun sait qu'il y a un "déplacement du centre de gravité vers l'Asie".... C'est "indiscutable", tant ça appartient aux mantras dont on ne discute pas. Du coup, chacun y va de son néologisme, Eurabie, Arasie, etc....

6/ Cela suffit-il ? non, bien sûr, puisqu'il y a eu l'éclatement de la bulle financière. La solution? un nouveau mot. Par exemple G 20, alfa et oméga de tous les discours contemporains sur la gestion du monde..... Même si un Brzezinski invente le G2, dans le Financial Time de janvier 2009. Les deux ? Chine et Amérique, la "chimérique chinamérique" (Michel Foucher)...

Cette petite recension illustre à quel point les mots utilisés par les média ne sont pas aussi neutres qu'il y paraissent, et méritent d'être questionnés....

O. Kempf

Commentaires

1. Le jeudi 6 août 2009, 17:51 par

On peut voir aussi le changement terminologique entre la période des années 1980-1990 marquée par l'idée du "développement" (entendu comme le seul développement économique) comme solution aux différentes crises et instabilités (qu'elles soient économiques bien entendu, mais aussi politiques et sociales) à la notion de "développement durable" qui prône aujourd'hui dans les média, les discours politiques mais aussi les discours scientifiques (le concept introduisant, en plus de la dimension économique, l'idée de durabilité, c'est-à-dire de penser le développement non seulement pour agir sur le présent, mais également pour les générations futures.

Au final, le concept a rapidement été utilisé pour ne désigner que des intérêts et des actions concernant l'écologie (par exemple, la "ville durable" est devenue synonyme de "ville écologique", ce qui est assez réducteur au vu des premiers objectifs de définition du concept de "développement durable"). L'emploi du terme dans les média n'a-t-il pas fortement influencé cette acceptation très restreinte du concept de "développement durable" ? En tout cas, il est certain qu'il n'est plus politiquement correct de parler de seul "développement" (encore plus au moment de la crise économique mondiale : l'image d'une mondialisation associée à la seule idée d'économie mondialisée qui illustre ce billet est particulièrement illustrative des représentations, en partie "formatées" par les média, que nous avons de la "mondialisation" qui pourtant, en soi, n'est ni bonne ni mauvaise).

Les mots utilisés par les médias sont aussi représentatifs d'une certaine émotion que l'on attribue aux phénomènes et aux lieux. Ainsi, dans les années 1990, tous les média parlaient unanimement des "Balkans", de la "région balkanique", alors que ce mot semble aujourd'hui de plus en plus banni dans les discours officiels, dans les média également : remplacé par le plus politiquement correct "Europe du Sud-Est". Comme si l'émotion accordée à un mot pouvait changer la donne si on le remplace par un autre, plus "neutre"...

Il s'agit là plus d'interrogations que de réelles réflexions...

EGEA : non, réflexions en marche et en construction, pensées partielles....

2. Le jeudi 6 août 2009, 17:51 par

Totalement d’accord avec Olivier Kempf qui, de plus, lance une réflexion utile et, me semble-t-il, nouvelle. Ce qui est nouveau, et c’est même d’avant-garde alors que ce devrait être un réflexe culturel basique, c’est de s’interroger sur la correspondance entre les mots et les concepts. L'on se souvient sans doute de quelques interrogations isolées, mais c'était pour rire : « plus blanc que blanc, m’sieur Omo, c’est quoi comme couleur ? »
S’interroger publiquement sur de fausses évidences est une attitude méritoire, au vrai sens du mot, en cette époque où l'habitude est au superficiel, à l’effet d’annonce, au slogan, au mensonge en définitive.
La liste est longue dans l’actualité : après ceux qui sont déjà mentionnés ici, il faut ajouter notamment le « terrorisme » (qui est terrorisé ?), ou encore « l’obscurantisme » (?), contre lesquels lutte un « occident » qui a succédé au « monde libre » de naguère. Ces schémas simplistes, fondés sur des mots que l’on analyse insuffisamment, ne conviennent qu’à la paresse intellectuelle dont parle par ailleurs le Général Delort, président de La Saint-Cyrienne( http://www.saint-cyr.org/cyr-5500.p... ).
Heureusement la paresse intellectuelle est destinée à céder parce qu'elle rencontre quelques sérieuses réticences.

3. Le jeudi 6 août 2009, 17:51 par Pierre AGERON

Je souscris totalement àux remarques de Bénédicte.
J'ajouterai que le français garde les 2 termes de globalisation et de Mondialisation mais dans des sens différents selon les auteurs.
J. Lévy, à la suite de Dollfus voit dans la Mondialisation l'émergence du Monde comme lieu, ie comme "échelle pertinente des échanges" (cf Ch introductif de l'Invention du Monde, Presses de Sc.Po); la globalisation ne serait réservé qu'à la sphère économique.
Laurent Carroué, lui, est plus proche du sens de la langue anglaise : globalisation= prise de conscience de la finitude de nos ressources, plus précisément "processus et phénomènes d'interactions entre les milieux naturels (sic) et les actions humaines qui affectent le fonctionnement du globe terrestre et exigent des réponses coordonnées à l'échelle planétaire"--> idéologie du DD ( Géographie de la mondialisation, Armand Colin, p.4)
Carroué inverse les définitions couramment admise puisque la Mondialisation, c'est pour lui "le processus historique de l'extension du capitalisme dans l'espace géo mondial" op. cit. p.3

Les définitions sont donc des postures épistémologiques, académiques (IEP vs Paris VIII), géopolitiques?

EGEA : de mémoire (à vérifier), J Lévy est professeur à la fac de Reims. Ce sont donc des universitaires qui parlent.

4. Le jeudi 6 août 2009, 17:51 par Pierre AGERON

Jacques Lévy est désormais professeur à l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne où il dirige le laboratoire Choros et est chargé de cours à Sciences Po Paris où il a fait sa thèse de géographie politique sur "l'espace légitime". Source : L'Invention du Monde, p.388

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