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La bascule turque : un néo-ottomanisme ?

La récente décision turque d'annuler un exercice qui intégrerait l'aviation israélienne marque une évolution dont on discernait les signes depuis plusieurs mois.

carte-turquie.jpg

1/ Plusieurs facteurs contribuent à cette évolution. Ils sont d'abord extérieurs :

  • la démarche vers l'Europe se heurte à l'hostilité déclarée de la France, et masquée de l'Allemagne (les récentes déclarations d'un administrateur de la Bundesbank viennent de le révéler, d'autant que la CDU vient de gagner les élections) : à force de dire à la Turquie qu'il faut attendre, celle-ci se sent encline à penser à autre chose ;
  • l'affaiblissement des États-Unis, d'autant qu'un contentieux s'était établi au moment de la gouvernance Bush. L'arrivée d'Obama, plus ouvert vers l'islam, favorise d'ailleurs le retournement turc ;
  • l'affaiblissement russe, réel malgré les rodomontades de Moscou, allège la pression au nord (voir billet) ;

2/ Ils sont ensuite intérieurs :

  • il ne s'agit pas seulement d'un gouvernement "islamo-démocrate", prêt donc à relativiser énormément de choses
  • il s'agit aussi et principalement de l'affaiblissement durable du kémalisme, considéré dans les faits comme l'héritage du passé et non, ce qu'il prétendait constituer, un facteur de modernisation.

3/ Dès lors, on observe un double mouvement. Le premier marque une désoccidentalisation (désolé pour ce néologisme) :

  • moins d'efforts pour se rapprocher des canons européens, avec une sorte de fatalisme : on ne renâcle même pas quand l'inauguration récente de l'année turque en France ne donne pas lieu à des fastes protocolaires qu'on a vu accorder çà d'autres nations
  • séparation dans les faits d'avec Israël : autrefois, les deux pays étaient les parias du Proche Orient, ce qui les rapprochaient, d'autant plus qu'Israël était considéré comme le bras armée de l'occident, à la fois européen et américain. Mais si on se libère de ces deux parrains, on peut abandonner le filleul....

4/ Et en contrepoint, une orientalisation (re-excuses) :

  • rapprochement avec la Syrie et l'Iran
  • souplesse à propos de la question kurde, aussi bien à l'intérieur qu'au nord de l'Irak
  • rapprochement avec l'Arménie (voir billet)

Il s'agit d'autant de gestes, incroyables il y a seulement cinq ans.

5/ Ils servent en plus un double discours :

  • envers l'occident : "nous suivons l'ouverture obamienne, c'est vous qui renouez avec la Syrie, et vous ne cessez de nous dire d'être plus souple avec les Kurdes et les Arméniens : dont acte"
  • envers le proche-orient : "au fond, je suis un oriental comme vous, et nous nous connaissons depuis tellement longtemps qu'il faut bien constater que nous avons tout pour nous entendre".

Gagnant des deux côtés, et très habile.

En fait, il faut bien constater un néo-ottomanisme de la Turquie : c'est le sens profond des changements qui se déroulent sous nos yeux.

La pierre de touche de la bascule réside à Chypre : selon le résultat des négociations, la Turquie décidera de quel côté elle penche vraiment. C'est peut-être pour cela qu'on n'entend plus parler de l'île d'Artémis, alors que 2008 avait ouvert des perspectives intéressantes...

O. Kempf

Commentaires

1. Le mercredi 14 octobre 2009, 21:50 par AH

Alliances... Désalliances avec Israël...
Votre réflexion sur l'article de Laurent Zecchini m'a rappelé un article du Monde diplomatique paru en début d'année : « Quand Israël et l’Iran s’alliaient discrètement » par Alastair Crooke (www.monde-diplomatique.fr/2009/02/CROOKE/16771). En voici un passage :
« Ben Gourion voulait convaincre Washington que son pays représentait un atout stratégique au Proche-Orient. Mais le président américain Dwight Eisenhower (1953-1961) préféra ignorer ces prétentions, convaincu que les Etats-Unis étaient mieux à même de défendre leurs intérêts sans l’aide israélienne.
En réponse à ces rebuffades, le numéro un israélien élabora le concept d’« alliances périphériques ». Celles-ci visaient à contrebalancer le poids des Etats arabes en se rapprochant de l’Iran, de la Turquie et de l’Ethiopie. Il entendait ainsi renforcer la capacité dissuasive de son pays, réduire son isolement et inciter la diplomatie américaine à le percevoir comme un « atout ».
Parallèlement à cette doctrine, Ben Gourion développa une autre idée : celle de l’« alliance des minorités ». Pensant non seulement aux Turcs et aux Perses, mais aussi aux Juifs, aux Kurdes, aux Druzes, aux chrétiens maronites du Liban, etc., il prétendait que la majorité de la population proche-orientale n’était pas arabe. Il fallait donc encourager le désir d’autonomie nationale et créer des îlots d’alliés dans un océan de nationalisme arabe. »
Cela me suggère les réflexions suivantes :
1.comme vous le soulignez, l'affaiblissement de la pression des Etats-Unis, avec l'arrivée d'Obama, « libère » les relations régionales au Moyen-Orient, en remodelant des alliances qui pouvaient paraître contre-nature. Après la fin de l'alliance, peu connue, entre l'Iran et Israël, la Turquie se désengage prudemment de ses liens avec Israël ; l'allié semble peu fréquentable (bombardement sur Gaza) et en désaveu (refus du gel de la colonisation en Cisjordanie).
2.une autre possibilité: si Israël perd son allié turc dans la région, elle se retrouvera extrêmement isolée. Ne peut-on y voir une stratégie cachée des Etats-Unis visant à pousser Israël à céder le pas sur le dossier palestinien ?
Donc, comme dans le cas de l'alliance Iran-Israël, on aurait deux types de lecture des événements : un jeu sur l'échiquier régional et un autre sur l'échiquier mondial... s'entremêlant...

EGéA : votre deuxième point est intéressant : possible, mais à condition qu'il y ait connivence amériano-turque : or, celle-ci me semble affaiblie. L'affaiblissement américain ne date pas d'Obama, mais de Bush...

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