Règles d'engagement : aussi anodines qu'il y paraît ?

En lisant ce matin l'excellent article de J.-M. Baillat, je m'interrogeais sur la notion de "règle d'engagement". Autrefois, on parlait de "règles d'ouverture du feu" : cela suffisait. Puis il y a eu ce glissement. Sémantique ? pas seulement.

1/ Au début, on croit qu'il ne s'agit que de la traduction des ROEs, et que c'est la même chose, simple conséquence des missions internationales (ONU, OTAN, UE, ...). Et puis on s'aperçoit que c'est un tout petit peu plus compliqué. En fait, beaucoup plus compliqué.

2/ Ces RE résultent de trois types de démarches : il y a d'abord des règles de comportement, d'éthique militaire : elles reflètent les "codes du soldat" qui existe dans chaque nation. Il y a ensuite des règles d'ouverture du feu, (ROF), traditionnelles. Et puis il y a l'entre-deux, ces règles de "démonstration de force" où l'on ne veut pas ne rien faire sans pour autant aller jusqu'à tirer.

3/ Allons plus loin : les ROE constituent un instrument essentiel, si on y regarde attentivement, de l'action fondée sur les effets (pour faire simple, l'EBAO) au lieu d'une approche traditionnelle fondée sur les moyens (le rapport de force).

4/ Ce n'est pas tout. Car les RE interviennent dans un cadre international : il y a donc des négociations pour les établir ; entre membres de la coalition ; avec le gouvernement qui accueille la force (SOFA). Les RE sont donc non seulement un outil militaire, mais un outil diplomatique : l'effet n'est pas seulement militaire, il est aussi environnemental (au sens d'environnement de la force).

5/ Bien sûr, se pose aussitôt la question de la qualité du compromis : c'est toute la question des caveat (restrictions d'emploi) qui sont nationales et plus ou moins ouvertement affichées. En fait, des entailles au compromis.

6/ Les RE, c'est également un paravent juridique, un outil de légalisation de l'action. C'est du jus in bello qui dépasse de loin le cadre du droit des conflits armés. Toute action risque en effet d'être jugée pénalement, en confrontation des critères définis par les RE. D'ailleurs, cela favorise une tendance très lourde : il n'y a plus aujourd'hui en Afghanistan d'action américaine qui ne soit filmée : à la fois pour permettre au C2 de donner à distance les ordres (et on est là dans le micro commandement, qui contredit les RE préalablement définies) mais aussi de justifier, si besoin est, l'action à l'issue (dans un cadre de Retex, voire pénal).

7/ Cela pose enfin la question en retour de l'action nationale, et de l'intervention du politique, à distance, dans la définition des ses objectifs et des limites qu'il donne à l'action militaire. Remarquons d'ailleurs que ces RE sont tellement compliquées que cela encourage indirectement l'emploi de SMP, démembrements de l'action d'Etat, parce qu'elles sont moins contraintes par ces RE.

Non, décidément, cette question des RE est loin d'être anodine : elle recouvre en fait toutes les problématiques de l'action moderne des forces au combat. Il est tellement riche que ce pourrait être un excellent sujet de CID, ne trouvez-vous pas ? Ce serait bien, également, que les centres de doctrine s'intéressassent (amusant imparfait du subjonctif, non?) à la question....

O. Kempf

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