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Prépa CID : souveraineté et responsabilité

Sujet : "la gouvernance de la société des hommes au XXI° siècle : du principe de la souveraineté au principe de la responsabilité partagée ?"

Encore une fois, un sujet mêlant philosophie politique, relations internationales et évolution sociales. Désolé de le répéter : il faut décidément que vous vous cogniez un manuel de relations internationales (et pas seulement historique, mais aussi théorique, type Aron ou Roche), un autre de philosophie politique, un autre de droit constitutionnel.... ça déplait à certains, je le sais, mais c'est ainsi : il faut réfléchir au pouvoir. Or, il a deux formes, une intérieure et une extérieure....

C'est d 'ailleurs un des ressorts du sujet. Autant le thème est classique, autant l'intitulé est tarabiscoté. Pourquoi cette première phrase ? pourquoi ce "gouvernance", mot à la mode est finalement peu pratique ? pourquoi préciser "sociétés des hommes"? parce que gouvernance de société aurait immédiatement fait penser à un de voir d'éco ? Surtout, l'essentiel du sujet est dans la deuxième proposition, sous la forme d'un sujet : de A à B.

Devant ces sujets binaires, on évite bien sûr un Grand I : A, Grand II : B. Ici, la forme en trois parties permet de s'en sortir. Mais le sujet introduit une évolution : il faut faire attention à ce que son traitement soit lui aussi dynamique. Or, dans un plan en trois parties, cela risque alors d'être "tableau initial" / "facteurs d'évolutions"/ "solutions" : Correct, mais la 1ère est trop statique. Il faut donc soit un deux parties, soit un trois parties qui introduise du dynamisme dans la première partie, par exemple en soulignant en I/B la fragilité du système. C'est le parti qui est ici retenu.

Pour le reste, la copie est très solide, mécanique même. Les définitions en introduction sont un peu lourdes, mais renvoient à la lourdeur de l'intitulé du sujet (pas facile de faire du Mozart avec une partition de Wagner, hein?). D'ailleurs, il y a un embryon de problématique dès l'annonce du sujet, signe (maladroit) d'une volonté de recentrage. On remarquera le soin des transitions, à la limite trop marquées : mais on commence là à être vraiment exigeant. Bref, une copie qui devrait obtenir la moyenne....

DU PRINCIPE DE LA SOUVERAINETÉ AU PRINCIPE DE LA RESPONSABILITÉ PARTAGÉE

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Le prochain sommet de Copenhague, qui traitera de la réduction des émissions carboniques, paraît symboliser une nouvelle forme de gouvernance : en effet, la négociation est mondiale, et elle a surtout pour objet un problème mondial dont chaque Etat est, peu ou prou, responsable. Cela marque-t-il le passage d’un principe de souveraineté à un principe de responsabilité partagée ? Oui, même si cela reste à préciser.

La gouvernance désigne l’ensemble des principes de fonctionnement et des procédés d’une organisation afin de satisfaire son projet ou ses aspirations. Quant aux humains, s’ils se sont toujours regroupés dans des sociétés, la nouveauté du XXIe siècle tient à la prise de conscience d’une société commune. La souveraineté constitue l’expression de la domination d’une population et d’un territoire donné. Enfin, la responsabilité consiste à assumer les conséquences d’une action, qu’on en soit directement ou non l’auteur.

La gouvernance a longtemps été déterminée par la seule dévolution du pouvoir politique : en ce sens, la gouvernance se réduisait au gouvernement (politique, économique et social) des sociétés. L’évolution du monde pousse à la création d’une société mondiale : le gouvernement ne suffit plus, il faut donc inventer une gouvernance adaptée, qui repose sur un autre principe. Ce passage ne va pas sans difficulté.

Ainsi, le principe de souveraineté est dominant mais fragilisé (I). De plus, des crises brutales accélèrent sa remise en cause (II). Dès lors, le développement d’un principe de responsabilité partagée paraît inéluctable, même s’il doit être précisé (III).

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Le principe de souveraineté est dominant, mais fragilisé par des bouleversements récents.

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Il est dominant parce qu’il est très ancien, et à cause de son universalité.

Ancien, il l’est incontestablement : en effet, quelle que soit la source de la dévolution du pouvoir, celui-ci exerce une souveraineté. L’origine peut être sacrée (souveraineté divine, royale ou absolue) ou laïque (souveraineté populaire ou nationale) : son expression est toujours l’Etat (qui détient le monopole de la violence légitime, selon le constat de Weber). Cette souveraineté est toutefois fondée sur la limite. En effet, la frontière de l’Etat exprime doublement la souveraineté : elle sépare de l’extérieur (souveraineté externe) et elle définit et identifie à l’intérieur (souveraineté interne). La frontière permet la coexistence d’une société internationale (selon le modèle westphalien) et de sociétés intérieures où s’organisait la vie collective.

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Le principe de souveraineté est également universel, selon deux types extrêmes. La souveraineté peut en effet s’articuler autour d’une logique de projet : il s’agira le plus souvent d’un projet d’édification nationale, dans le but de faire coïncider une nation et un Etat. Cette logique est dynamique et assez souvent conflictuelle. Elle est fréquente en Occident (France, Etats-Unis, Russie). Elle peut également s’articuler autour d’une logique d’organisation : l’Etat se rassemble autour de structures sociales communes et fortes. Si l’Allemagne peut correspondre à une telle structure, elle se retrouve surtout en Orient. Par exemple, le modèle chinois est fondé sur la famille élargie, à la source de solidarités structurantes.

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L’ancienneté et l’universalité de la souveraineté sont le signe, au-delà des nuances, d’une profonde stabilité. Or, celle-ci n’est plus aussi évidente.

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En effet, d’amples évolutions fragilisent le principe de souveraineté.

Deux bouleversements sont très significatifs. La mondialisation économique et financière constitue le premier. Elle est fondée sur la primauté donnée à la rationalité économique (anticipations rationnelles, homo economicus, perfection des marchés) à la suite de l’épuisement des idéologies. Elle est permise par un cadre réglementaire (dérégulation) et des évolutions techniques (innovation logistique) et financières (marchés à terme, titrisation). Surtout, elle va de pair avec le second bouleversement, celui des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) : toute information devient universelle et instantanée : cela marque la fin du monopole de l’information (2 milliards d’hommes, soit un tiers de l’humanité, ont accès à Internet). Cette révolution non seulement affranchit des barrières, mais relativise les pouvoirs qui étaient autrefois fondés sur la détention de l’information.

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Ces deux bouleversements fragilisent le principe de souveraineté. En effet, les logiques de projets touchent à leurs fins : la France a accompli son projet national en 1918 et n’a pas trouvé de projet de substitution. Touchant à ses limites, elle voit dans le même temps celles-ci se dissoudre par l’abaissement des frontières de tout ordre. Les logiques organisationnelles sont également affectées, puisque l’individualisme devient le modèle dominant. Il est même encouragé : en poursuivant la politique de l’enfant unique, la Chine dissout la force du lien familial, à la base de sa structure sociale. Les organisations collectives, structurées par la souveraineté, ont donc leurs fondements attaqués.

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Il est logique, dés lors, que le principe même de souveraineté soit remis en cause.

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La remise en cause de la souveraineté est sensible depuis quelques années : les crises récentes aggravent cette tendance.

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Le principe de souveraineté est affecté par la situation chaotique du moment, et par des mouvements de contournement.

Mondialisation et révolution de l’information, par leur brusquerie, conduisent à une situation qu’on peut qualifier de chaotique. En effet, elle conjugue un mouvement d’universalisation et un mouvement de fractionnement.

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L’universalisation tient au développement d’une culture commune et de références partagées, ainsi qu’à une pratique répandue de la technologie : plus que de modernisation, il s’agit d’une occidentalisation du monde (S. Latouche). Contrairement à ce qui est souvent affirmé, cela ne gomme pas les particularités locales : mais les pouvoirs locaux (souverains) n’ont plus le monopole de la norme sociale. Force est de constater l’échec inéluctable des pays voulant contrôler ce mouvement (Birmanie et, dans une moindre mesure, Chine et Iran). Le fractionnement constitue l’autre réaction possible : face à une mondialisation aussi puissante qu’inquiétante, des groupes se resserrent autour de valeurs connues et rassurantes. Ce phénomène explique en partie des mouvements aussi divers que la ligue du Nord en Italie, le mouvement flamand en Belgique ou le fondamentalisme musulman, le retour à l’islam étant perçu comme une garantie contre l’irruption de la modernité. La souveraineté est donc affectée profondément par ces bouleversements.

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Dans le même temps, les seules adaptations efficaces au nouvel environnement corrodent le principe de souveraineté. En effet, tous les phénomènes adaptatifs sont fondés sur les mêmes ressorts : réseau, individualisme et objectifs limités. Ainsi, le terrorisme, les mafias, les pirateries, les Etats faillis, la criminalité organisée, les paradis fiscaux constituent, dans leur diversité, autant de systèmes réticulaires qui sont très adaptés à la mondialisation et à la révolution de l’information. Surtout, ces phénomènes sont tous fondés sur le contournement du système étatique. Ils ont certes tous plus ou moins déjà existé. Ce qui frappe aujourd’hui vient de leur virulence, de leur expression et de leur simultanéité. La situation chaotique s’accompagne donc de phénomènes qui remettent en cause le principe de souveraineté. Il ne s’agissait toutefois que de tendances, elles étaient continues.

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Or, les crises récentes constituent des discontinuités majeures. Il s’agit de la crise financière, et de la crise écologique.

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La crise financière est due à une artificialisation croissante des mécanismes de couverture du risque. La faillite, le 15 septembre 2008, de la banque Lehman Brothers en est le symbole. Cette crise résulte des excès du double mouvement de mondialisation économique et financière et de révolution des NTIC. Elle est la conséquence d’un long processus de dérégulation, qui poussait au retrait de l’Etat de l’économie. Or, on ne peut pas dire que les choses aient beaucoup changé. Certes, les Etats ont débloqué d’énormes sommes pour garantir l’équilibre des systèmes financiers : mais ce retour de l’Etat n’est qu’apparent, et malgré les déclarations du G20, le système n’a pas été amendé.

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La crise écologique est urgente, elle aussi. S’il faut rester circonspect devant la nouvelle conformité de pensée propagée par les médias (Al Gore, Y. Arthus-Bertrand, N. Hulot), un consensus scientifique s’établit pour constater l’amplitude et la rapidité du réchauffement climatique, également universel (les Anglo-Saxons évoquent le « global warning »). La grande difficulté tient à l’attribution des responsabilités, et donc des coûts afférents : la pollution étant une conséquence du modèle de développement pratiqué par les sociétés modernes, qui doit réparer ? L’Etat, expression de la souveraineté, est fondé sur des limites : il est donc limité lorsque de nouveaux défis les transgressent et dépassent ses bornes. Ainsi, qu’il s’agisse de phénomènes continus ou de rupture, le principe de souveraineté paraît profondément remis en cause. L’intensité et la brusquerie de cette situation favorisent l’émergence d’un nouveau principe.

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Le principe de responsabilité partagée semble répondre au besoin, même si ses modalités de mise en œuvre doivent être précisées.

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Puisque la souveraineté ne peut être dissoute, il faut l’aménager : de là vient le principe de responsabilité partagée.

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La souveraineté semblant inadaptée, on peut songer à la dissoudre. Ce peut être par le bas. Il s’agit du mythe de la « souveraineté individuelle », prônée par certains libéraux radicaux. Or, ne leur en déplaise, l’Etat ne peut se résoudre à l’administration. L’Etat, même dans un système libéral, est nécessaire pour assurer un ordre public. Enfin, comment une souveraineté individuelle traiterait-elle plus efficacement les désordres financier et écologique ? On peut alors penser à une dissolution par le haut. C’est le mythe de la « paix universelle », idéal kantien d’un gouvernement mondial qui dépasserait les contingences. S’il constitue un objectif, cet idéal paraît peu atteignable à court terme compte tenu de la prégnance des données géographiques, historiques, culturelles et politiques, mais aussi de l’urgence des bouleversements du moment.

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La souveraineté ne peut être dissoute : il faut l’aménager.

Cet aménagement constitue la responsabilité partagée : son établissement est en cours. On en discerne les prémices dans le système proto-onusien (Société des Nations) et onusien (ONU, Fonds Monétaire International, Banque Mondiale,…) au XXe siècle. Toutefois, il peine à conserver une efficacité réelle. Dans l’après-guerre froide, de nouveaux instruments de souveraineté partagée ont été inventés : l’Union Européenne (dans une logique régionale mais de compétence élargie), l’Organisation Mondiale du Commerce (compétence limitée à l’ordre commercial) ou le Tribunal Pénal International (compétence pénale limitée). Il s’agit d’autant de démarches de partage d’une certaine souveraineté, mais dont les succès sont lents à bâtir. L’urgence actuelle favorise l’émergence de nouvelles instances, moins structurées et plus souples, en réaction aux crises du moment. Le G20 qui rassemble les vingt premières économies de la planète se veut à la fois légitime (tous les continents sont représentés) et efficace (nombre restreint de participants). La conférence de Copenhague annonce un accord généralisé sur u problème mondial, avec l’adoption de mesures restrictives et l’invention d’un mécanisme de déversement financier.

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Ainsi, le principe de responsabilité partagée semble progresser et aménager le principe de souveraineté.Il reste toutefois à être précisé.

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En effet, des difficultés demeurent quant à la notion de responsabilité ; de même, la question du partage est cruciale. La notion de responsabilité partagée pose deux difficultés. La première tient à la coexistence avec le principe de souveraineté. En effet, celui-ci demeure, on l’a vu. Dès lors, y a-t-il opposition et contradiction entre les deux ? Ne s’agit-il que d’une simple superposition ? La souplesse du nouveau principe contraste avec la rigidité de la souveraineté. A mesure que cette dernière s’assouplit, il faudra structurer la responsabilité partagée, avec des institutions. Car il s’agit de répondre à la deuxième difficulté, celle de la légitimité. En effet, on est responsable devant un juge : devant qui le nouveau système qui s’établit sera-t-il responsable ? L’humanité ? L’opinion publique mondiale ? Or, le principe de la souveraineté conserve, encore aujourd’hui, le monopole de la légitimité. Cette institution de la responsabilité partagée est donc nécessaire, pour lui donner de la légitimité. Cela pose la question du partage.

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L’expérience européenne est ici très éclairante, car elle constitue un prototype local de cette responsabilité partagée. L’Union Européenne met en effet en œuvre de multiples transferts de souveraineté entre les Etats membres et la communauté. Cela favorise l’apprentissage d’une négociation permanente pour atteindre des compromis, dont la responsabilité est partagée. En ce sens, le mot partage ne signifie pas division, au sens d’une moitié de responsabilité, et par voie de conséquence une moitié d’irresponsabilité ; il signifie au contraire une addition, puisque ayant décidé à deux, les deux sont désormais responsables. Il reste que ce processus de transaction est long, technique, spécialisé : autant de défauts aux yeux des médias qui contribuent à l’établissement de la légitimité. L’expérience européenne, avant-garde de cette responsabilité partagée, illustre les difficultés qu’il y a à l’établir.

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Conclusion Longtemps dominant et principalement déterminé par la dimension politique, le principe de souveraineté a été fragilisé par deux bouleversements rapides : la mondialisation et la révolution technologique de l’information. Cela établit une situation chaotique, où des crises profondes et durables accélèrent la remise en cause du principe de souveraineté. Pour l’aménager, le principe de responsabilité partagée paraît pertinent, même s’il reste encore imprécis. Là réside le risque : l’établissement de ce partage de responsabilité demande d’être appris. Cette pratique demande du temps, alors que la situation nécessite des réponses urgentes. Cette discordance ouvre la possibilité d’échecs localisés, qui se traduisent par des raidissements de souveraineté (guerres, nationalismes, autoritarismes). Le risque est réel et doit inciter chacun à contribuer à l’établissement de la responsabilité partagée, qui n’est pas le contraire de la souveraineté mais son aménagement et, un jour, son dépassement.

Commentaires

1. Le mercredi 4 novembre 2009, 20:19 par Sébastien JOZAN

Je lis très régulièrement vos posts qui alimentent ma réflexion (eh ! oui comme beaucoup d'autres je suis en préparation du CID ...), et surtout je suis avide de trouver les bons outils. Aussi, pourriez-vous me conseiller en matière de manuels que vous évoquez :
- Relations internationales
- Philo politique
- Droit constitutionnel
- ...

D'avance merci mille fois du temps que vous accordez aux ex-barons de leurs UE qui sont aujourd'hui rattrapés par leurs études !

S. JOZAN

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