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Yémen : ne pas se laisser abuser par la géopolitique

Les événements récents au Yémen laissent le géopolitologue sur sa réserve. Cependant, beaucoup ont dégainé l’attirail et démontré tous les ressorts de la crise. Eh ! pourtant…. ;

Carte du Yemen (c'est la meilleure carte que j'ai pu trouver)

Quelles sont les thèses en présence ?

1/ Tout d’abord, la rébellion Houthi seraient l’incarnation d’un schisme (et d’un chiisme) zaïdiste, variante locale du chiisme. Aussitôt, on sort la grande artillerie, l’opposition entre chiites et sunnites, et l’instrumentalisation possible par l’Iran, statue du Commandeur de la déstabilisation régionale. Oui, mais… mais cela fait des années qu’on soupçonne ce lien pan-chiite, et on ne l’a jamais démontré au Yémen.

2/ Autre explication en vogue : la rébellion serait l’incarnation locale d’une sorte d’al-qaidisme insidieux, qui sous couvert d’on ne sait quoi, permettrait à l’internationale terroriste de faire le pont géographique entre un foyer pakistano-afghan et un foyer est-africain, de la Corne (Somalie) au Soudan. Oui, mais…. mais aucune revendication islamiste ne se fait jour dans le conflit en cours.

3/ Dernière explication, la classique opposition entre le sud et le nord, un pays réunifié facticement mais jamais réuni, avec toutes les causes sociales et politiques (et krypto marxistes) qui vont avec…. Oui, mais… mais ce n’est pas entre les deux régions.

4/ Ainsi, toutes les clefs usuelles du géopolitologue tournent à vide. En plus, il n’y a pas de pétrole là-bas, pas de pirates qui menacent le trafic et prennent de paisibles plaisanciers en otage, pas de… : rien. Pas d’enjeu, en fait. Aden ne fait plus rêver depuis Rimbaud et Conrad. Donc, tout le monde s’en fiche. Ce qui arrange bien le géopolitologue. Mais ne répond pas à son ambition explicative….

5/ Alors ? alors un article de l’IHT donne un embryon de solution : en fait, juste une querelle interne, un conflit entre centre et périphérie, un pouvoir central voulant se légitimer grâce à la répression d’un mouvement dissident (le tyranneau local voulant imposer son fils à la succession, le pouvoir militaire s’y refusant : la guerre forçant à l’union sacrée) ; ledit mouvement étant organisé lui-même autour d’une famille et n’ayant jamais donné une liste claire de revendications…. En claire, une réaction provinciale aux excès (armés) de la férule de la capitale.

6/ Du coup, une autre rébellion sécessionniste a éclaté dans le sud. Et pour le coup, la dimension politico-religieuse risque d’intervenir et de se coller aux conflit en cours, selon une logique d’identification (et donc de simplification) à laquelle les conflits modernes nous ont habitués. Vous verrez, si les choses empirent (euh ! il y a déjà 150.000 réfugiés autour de Saada), nos géopolitologues vous expliqueront le zaydisme, al Qaida, le golfe d’Aden, le pétrole, tout ça, tout ça….

Ce qu’on appelle une prophétie auto-réalisatrice…… ça n’existe pas qu’en économie : en géopolitique aussi !

O. Kempf

Références :

  • sur les affrontements dans le nord : ici et ici
  • Sur les affrontements dans le sud : ici
  • sur les procès de Saana qui s'ouvrent hier : ici

Commentaires

1. Le mardi 27 octobre 2009, 19:45 par AH

Une prophétie auto-réalisatrice ?... Il y a de fortes chances car :
1. le Yémen, avec son pouvoir central "faible" ("failli...") et la diversité des querelles existantes (tribales essentiellement), est un terrain de jeu idéal pour puissances régionales concurrentes (Arabie Saoudite et Iran)... Idéal pour se mesurer sans véritablement ouvrir les hostilités (un remake de la Guerre froide à l'échelle du Moyen-Orient ?)
2. le pouvoir central du Yémen a intérêt à dramatiser la situation ou la laisser se dégrader... Les Américains ne sont-ils pas prêts à verser des dollars dès qu'il s'agit de lutter contre le terrorisme ? Là, la version Al-Qaeda aurait meilleure presse que celle du "simple" affrontement politico-religieux...

2. Le mardi 27 octobre 2009, 19:45 par

Je ne suis pas géopolitologue mais je pense que la "prophétie" est déjà en cours de réalisation depuis longtemps.
Le Yémen est en train de concentrer de nombreux maux qui datent de nombreuses années :
- la faiblesse de l'Etat (combats récurrents depuis des années)
- la pauvreté généralisée (35% de la population sous le seuil de pauvreté, 40% de chômage, 1.100$ de PIB/ha/an)
- le faible développement humain de la population
- la baisse de la production de pétrole
- la baisse des réserves d'eau potable (une bonne partie est utilisé pour l'irrigation du qat)
- dans le sud, la présence d'Al-Qaïda qui regroupe des éléments fuyant l'Arabie saoudite, à la suite des nouvelles mesures antiterroristes
- dans le nord, la rébellion Houthi (qui demande la restauration de l'imamat zaidite, sans sécession)
- arrivée de réfugiés en provenance de Somalie et 150.000 réfugiés internes provenant de Saada
- le crime organisé et la délinquance, etc.
(http://carnegieendowment.org/public...)

Malgré cela, il reste quand même quelques enjeux :
- la stabilité d'un Etat aux portes de l'Arabie Saoudite (où il y a beaucoup de pétrole)
- le détroit de Bab El Mandeb (1.500 à 2.000 navires par mois dont beaucoup de pétroliers)
- le gaz naturel (exploité par Total http://www.total.com/fr/press/press...)

A la lecture d'agences de presses arabes et iraniennes, il me semble que le Yémen est déjà le théâtre d'un grand jeu entre puissances qui instrumentalisent, plus ou moins, des revendications claniques et la pauvreté face à l'État central faible. Un classique des guerres civiles.

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