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"L’Otan et l’Europe" par le général Beaufre

Ce petit livre m’a été signalé par l’amiral Dufourcq. Il a été publié en 1966, au moment de la rupture : on pourrait n’y voir qu’un intérêt historique, une curiosité d’archive : il est au contraire beaucoup plus intéressant que cela, et mérite une relecture contemporaine, d’autant qu’il est court (235 p.). On y apprécie une langue limpide, où les acronymes sont rares et séparés par des points : rendez-vous compte, on écrit encore l’O.T.A.N., comme dans Le Monde, autrefois….. Pas de sigles, donc pas de technocratisme, donc pas de jargon…. (souvenez-vous en, candidats aux concours où l’on vous demande de bien écrire !).

S’il y a des considérations stratégiques éclairantes sur les rapports entre guerre « classique » et guerre nucléaire, sur les rapports entre dissuasion et sa mise en œuvre militaire, sur l’effet des évolutions techniques du début des années soixante sur les doctrines, si on apprécie les aperçus sur le fonctionnement de l’Otan à ses débuts ou au cours des années 1950, par un témoin de l’intérieur, l’essentiel n’est pas là. Il est dans les développements articulant la question de l’alliance avec celle de l’Europe.

En effet, Beaufre me semble être le premier, dès le début de 1966, à élever le débat au niveau européen : on commence tout juste d’y parvenir aujourd’hui et de se débarrasser de l’ennuyeux, sempiternel, stérile et vain débat de la relation France-Otan, dont on a eu encore les dernières scories ce printemps, avec de faux enfants de chœur qui récitaient avec application le catéchisme de leur enfance.

Beaufre voit tout de suite l’essentiel, avec une prescience qui force l’admiration : il faut que l’alliance soit le moyen d’articuler la rive européenne et la rive américaine. S’il défend concrètement l’idée suggérée par Kennedy d’un « pilier européen de l’alliance », en fait un caucus européen, si cette proposition n’avait pas de chance d’aboutir à l’époque, si elle paraît impraticable en l’état aujourd’hui, on retiendra surtout les principes qui la sous-tendent et qui sont énoncés en préalable, puis en conclusion. La chapitre VIII retient ici l’attention.

« A mon sens, l’Union européenne signalons que l’auteur écrit en ... est la condition préalable d’une réunion avec les Etats-Unis, d’où la nécessité d’œuvrer dès maintenant dans la direction de l’Union européenne, de profiter de la réforme de l’Otan pour en poser les fondements politico-militaires » (p 18).

« D’une façon générale, les Européens préfèrent maintenir la dissuasion à son maximum par la menace d’une catastrophe totale plutôt que d’ouvrir la perspective d’une guerre limitée » (p. 104) : le raisonnement vaut plus que jamais la peine d’être repris de nos jours, compte tenu des circonstances nouvelles (voir notamment la conférence d’E. de Durand).

« Actuellement, la stratégie de dissuasion ne repose plus que très peu sur la valeur du dispositif de défense, mais essentiellement sur une manœuvre du temps de paix effectuée avant toutes hostilités et consistant à manipuler et à valoriser la menace d’avoir recours aux armes nucléaires » (p. 110) : la dissuasion n’est-elle pas, au niveau stratégique, ce que les PSYOPS sont au niveau opératif ?

« Le mobile profond d’une union européenne, c’est la désir de sauvegarder la civilisation traditionnelle de l’Europe ». « Ce que l’Europe souhaite confusément, c’est de pouvoir trouver et conserver une formule originale, adaptée au monde moderne mais aussi à la diversité européenne, donc différente du productivisme américain comme du socialisme soviétique et mieux à la mesure de l’homme » (p. 157).

Cette dernière phrase rassemble en peu de mots la hauteur de vue du penseur. Le reste du livre est du même acabit. Indispensable.

Général Beaufre, "L'O.T.A.N. et l'Europe", Calman-Lévy, 2ème trimestre 1966

O. Kempf

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