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Conflictualité aujourd'hui : guerre asymétrique ou guerre majeure ? par Etienne de Durand

Ce soir, le club "Participation et progrès" organisait sa conférence de rentrée. J'apprécie ce lieu de débat, qui est plus neutre et moins institutionnel que bien d'autres, et où les échanges sont de bonne qualité. On y vient pour écouter, pas pour se faire voir... Je vous en reparlerai.

Ce fut Etienne de Durand qui la prononça (sujet en titre). Idée maîtresse : l'opposition entre conflit asymétrique et guerre majeure est une confusion, qui pollue la compréhension au lieu de la favoriser (même si l'opposition est utilisée par tout un tas d'institutions qui recherche à augmenter leurs budgets).

D'où un plan en deux parties deux sous-parties (l'auteur est passé par les meilleures écoles, on apprécie la fluidité du raisonnement et la clarté de la démonstration) :

I Une opposition qui n'a pas lieu d'être

A/ On confond guerre totale (intérêts vitaux) et guerre classique (industrielle et technologique, recherchant la victoire décisive)

B/ Le conflit asymétrique marque d'abord le déséquilibre des enjeux, plus que la différence des moyens engagés : pour l'un, l'enjeu est vital (il disparait s'il perd) quand pour l'autre,l'enjeu est marginal (puisqu'il peut partir). Csq : intensité des conflits, alors que guerre locale.

II Conséquences : pas de choix simple

A/ Modèle d'armée : aucune spécialisation possible, il faut tout le spectre et de la technologie tout au long du spectre : on ne peut plus échanger de l'effectif contre de la technologie, ce qu'on fait depuis la fin de la guerre froide.

B/ Équipements : il faut abandonner la logique de guerre froide avec des programmes de Long terme, alors qu'aujourd'hui on a besoin de programmes montés en six mois (achats d'urgence opérationnelle). IL y a une opposition entre CT et LT, le LT n'étant d'ailleurs pas provoqué uniquement par des contraintes industrielles (DGA, BITD, ..) mais par le code des marchés publics.

Conclu : il faut augmenter les budgets d'équipement.

Je lui pose deux questions : 1/ ce qu'il pense théoriquement de la guerre au sein des populations, présentée par d'aucuns comme l'alfa et l'oméga 2/ pour augmenter les crédits (couvrir à la fois g. asymétrique et g. classique), il faut justifier d'une guerre totale, donc d'intérêts vitaux : lesquels ? Il répond : 1/ Pas eu le temps d'en parler, pas fondamental, ne croit pas beaucoup à l'action des civils en zone d'opération, puisqu'elles sont ultra intenses 2/ Ben oui, c'est le problème...

Autres remarques au cours du débat : Galula est dans une logique de guerre totale, ce qui le distingue de Lyautey et Galliéni : ceux-ci savaient que le soutien politique était aléatoire; Galula et Trinquier veulent trouver une contre-cause à la cause adverse. Le général Le Borgne insiste : la seule guerre morale est une guerre totale : elle seule justifie la mort, de soi, de l'autre (cet argument-là réveillera un débat que j'ai avec Stent). EdD répond : pas d'accord mon général, avec Aron et Kissinger, je pense que la guerre limitée est morale, puisqu'au final elle permet moins de morts.

Au fond, l'IM d' EdD : plus qu'entre asymétrique et majeure, la vraie opposition aujourd'hui réside entre guerre totale et guerre limitée. Il faut réapprendre la guerre limitée.

Pour le reste, sachez qu'Etienne de Durand avec qui j'ai longuement parlé à l'issue lit régulièrement EGéA, et qu'on a plein de projets, tout ça tout ça. On en reparlera....

Bref, une excellente soirée, de bon niveau, avec une vraie valeur ajoutée : vous avez raté qq chose.

O. Kempf

Références : on lira les articles publiés sur AGS à la suite du thème du mois de septembre : grande guerre contre guerre au sein des populations.

Commentaires

1. Le jeudi 29 octobre 2009, 21:30 par

Lors de mon intervention à Newport au mois de septembre, j'ai justement tenté de mettre en perspective Lyautey, Galliéni, Galula and co. Un de mes axes historiques a montré que la "guerre révolutionnaire" et ses avatars contemporains (de la guerre d'Algérie) était une rupture parce que:

  • PRIMO: elle considère non seulement que l'action militaire est politique par essence (ce qui va de soi) mais aussi que les militaires ont toute latitude pour combattre par, pour et au sein de la société elle-même puisque toute politique serait violente par nature.
  • SECUNDO; par l'idée qu'elle se fait des causes de la violence, qui pour elle n'est que subversive. Dit plus simplement, les penseurs contemporains de la guerre d'Indochine et de la guerre d'Algérie qui sont influencés par la guerre froide autant que par le caractère total de la Seconde Guerre Mondiale (je pense notamment à l'idée d'affrontement entre les idéologies) estiment que les militaires doivent encadrer la société en miroir de ce que sont supposés faire les communistes.... Il s'agit bien d'un affrontement total que l'historien Michael McClintock a d'ailleurs baptisé le "totalitarisme tactique"...Dans celui-ci, la population, voire la société toute entière, est une arme, plus qu'un enjeu d'influence et de légitimité comme nous le serinent (à tort ou à raison) les penseurs de la contre-insurrection....

Tout ceci pour dire que la notion de "guerre limitée" est absente de la doctrine de contre-insurrection dès lors que celle-ci méconnaît la multiplicité des acteurs et de leurs motivations, des dynamiques et de leurs interactions, des enjeux stratégiques ou opératifs. A contrario, parler de "stabilisation" est peut-être moins technique dans les termes que COIN, mais est en réalité moralement plus juste. L'impératif qui en découle est en effet de stabiliser... non de contrer ou de détruire un ennemi, ou un mode d'action de cet ennemi.
NB: à noter que les doctrines françaises de guerre irrégulière ont toujours eu cette tendance à se décliner sur un mode politique (=de fin): "pacification", "guerre révolutionnaire", "stabilisation", alors que nos camarades d'outre-atlantique se voilent souvent la face en n'abordant la chose que comme si il s'agissait d'un problème technique (=de moyens)

2. Le jeudi 29 octobre 2009, 21:30 par Jean-Pierre Gambotti

« Quand le désordre atteint le langage, tout tourne au désastre », je ne me lasse pas de citer cette formule de Karl Jaspers, cette incitation à fréquenter les glossaires, pour nous qui traitons d’un domaine dans lequel les mots portent l’action et la violence. Puisque je n’ai pas assisté à la conférence d’Etienne de Durand, je ne me permettrai certainement pas la moindre remarque sur sa thèse, mais je voudrais faire part de ma réserve sur le procédé qui consiste à construire une argumentation en choisissant le sens des mots.

Il faudrait que les stratégistes acceptent le fait qu’il existe un corpus relatif aux opérations et que l’asymétrie par exemple est définie dans la PIA 00.200. L’idée que « le conflit asymétrique marque d’abord le déséquilibre des enjeux, plus que la différence des moyens engagés, car pour l’un, l’enjeu est vital (il disparait, s’il perd), quand pour l’autre, l’enjeu est marginal (puisqu’il peut partir) », est trop globalisante, car elle serait valable dans toutes les situations de guerre de conquête symétrique et dissymétrique : le pays envahi disparait toujours s’il perd et le pays envahisseur peut toujours partir puisque le rapport de forces lui est favorable. En fait la définition de l’asymétrie est inclusive -ou additive, pas exclusive : « la guerre asymétrique est le type de conflit dans lequel il y a disparité totale d’ordre et de nature des buts de guerre, des moyens et des modes opératoires. » Tous ces facteurs doivent coexister, en privilégier ou en déduire un seul et « tout est dépeuplé » !
S’attachant ainsi à la sémantique, je ne pense pas qu’on puisse accepter l’idée que « la vraie opposition réside aujourd’hui entre guerre totale et guerre limitée. » Car dans les guerres actuelles, pour des causes qu’il nous sera nécessaire de définir, analyser et tenter de maitriser, les buts, les moyens et les modes opératoires, subissent l’influence d’un facteur à présent prépondérant, pesant, perturbateur, sur-influent, la population. Et lorsqu’on introduit la population avec tous ses effets dans la guerre limitée et la guerre totale, c’est le sens lui-même qui est atteint et ces guerres transformées dans leur essence. Ainsi, si nous assistons actuellement à un changement de paradigme, c’est à la population qu’il faut l’imputer. Aux populations.
Très cordialement.

EGEA : la notion de population me laisse dubitatif, j'y reviendrai. J'espère qu'EdD vous lira, et vous répondra
Jean-Pierre Gambotti

3. Le jeudi 29 octobre 2009, 21:30 par

"pour l'un, l'enjeu est vital (il disparait s'il perd) quand pour l'autre,l'enjeu est marginal (puisqu'il peut partir)"

Au risque de pinailler, cela n'est vrai que si le conflit se déroule hors du territoire du camp "conventionnel". Dans le cas contraire, on peut avoir Cuba, le Cambodge...

4. Le jeudi 29 octobre 2009, 21:30 par Jean-Pierre Gambotti

Pour répondre court et efficace sur l'importance de la population, relire:
-Contre-insurrection:Théorie et pratique,Galula, "Lois et principes de la guerre de CI", je ne cite que le libellé de la 1° loi: "Le soutien de la population est aussi nécessaire pour la CI que pour les insurgés".
-le rapport d'étape de la TF Korrigan en Kapisa, des insurgés dans la population, comme des poissons dans l'eau .
Et s'interroger demain sur l'influence de l'opinion publique américaine sur le choix minimum d'Obama.

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