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Clausewitz (IV, 4) : l’engagement en général (suite du IV, 3)

Ce chapitre fait suite au précédent, et vient, d’une certaine façon, corriger les « excès » de ce dernier.

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1/ Il s’agit en effet de « donner d’autres objectifs qui peuvent accompagner la destruction des forces ennemies et même passer au premier plan ». (p. 240). Mais Clausewitz revient d’abord à ses présupposés : « Qu’entend-on par destruction des forces de l’ennemi ? Amoindrir ses forces en proportion plus qu’il n’amoindrit les nôtres ». (..) « Comme objectif, nous n’incluons que le gain direct acquis au cours du processus de destruction mutuelle, car ce gain est absolu ».

2/ Or, « dans l’engagement, les deux camps n’essuient pas que des pertes physiques : les forces morales sont ébranlées, brisées, ruinées. On perd non seulement des hommes, des chevaux et des armes, mais plus encore l’ordre, le courage, la confiance, la cohésion et le plan » (p. 241). Pour CVC, il s’agit encore de « destruction ». C’est porter loin la notion. Celle d’ascendant paraît mieux convenir. Surtout, on comprend la pertinence de ce discours, surtout dans les conflits modernes, où l’on emploiera d’autres mots (coercition, maîtrise de la violence, opérations psychologiques, ..) pour décrire la même chose : le moral. Remarquons en passant que CVC ne voit ici que le moral de la troupe, quand aujourd’hui, il y a une continuité entre le moral de la troupe et celui de la population, et qu’on cherche surtout à atteindre ce dernier. En Afghanistan, l’Otan veut « win hearts and minds », quand les talibans visent (avec succès) l’opinion occidentale (vous avez la montre, nous avons le temps).

3/ Viennent ensuite une série de considérations qui contrebalancent la notion de rapport de force physique qui constituait, souvenez-vous en, l’argument premier de la victoire selon Clausewitz. Il apparaît que le moral prend une importance éminente. « Si, en cours d’engagement, le rapport des pertes physiques est difficile à estimer, le rapport des forces morales ne l’est pas. On en possède deux indices. Le premier est la perte de terrain, l’autre la supériorité des réserves fraîches ». Plus loin, « la décision de battre en retraite tient d’habitude surtout au terrain concédé et à la chute du moral » (p. 242). « Dans l’engagement, le facteur moral est la cause primordiale de la décision ». « C’est cet instant que le vainqueur doit exploiter pour consolider ses gains par la destruction physique des forces. La perte des forces physiques est irrémédiables, alors que le moral peut être graduellement restauré chez l’adversaire, l’ordre ramené et le courage raffermi » (p. 242 et 243).

4/ Toutefois, cette remontée du moral n’est valable qu’à de petits échelons, pas aux grands : « cela peut valoir même pour l’armée entière, mais rarement ou jamais pour le gouvernement et pour l’Etat que sert cette armée. A ce niveau, on juge la situation avec plus d’objectivité, et d’un point de vue plus élevé ».

5/ Le maître livre alors un certain nombre de considérations sur l’engagement. Citons notamment : « c’est vaincre doublement que de vaincre du faible au fort, une supériorité d’ordre général en ressort dont le vaincu sait qu’il doit en craindre la rencontre » (p. 244). Le but de l’engagement « affecte les dispositions prises pour l’engagement, en particulier celles qui ont trait à la sécurité de nos arrières et à l’attaque des arrières de l’adversaire. C’est de ces dispositions que dépendra directement le nombre des prisonniers et de canons pris )à l’adversaire », et donc, la matérialisation de la victoire.. Dès lors, « pas une unité qui ne se jette dans la mêlée sans penser à ses arrières, et dans la plupart des cas, sans rechercher ceux de l’ennemi » (p. 245).

6/ CVC termine ce chapitre en évoquant la victoire. « Examinons maintenant le concept général de victoire. Nous y trouvons trois éléments : 1/ infliger des pertes physiques supérieures à l’adversaire ; 2/ affaiblir son moral ; 3/ le lui faire ouvertement admettre, sous la forme de l’abandon de ses plans ». Et plus loin : « dans bien des cas, l’abandon du combat est la seule preuve tangible de la victoire » (p. 246). Mais on a atteint là la « volonté » de l’adversaire. A lire cette dernière réflexion, on constate toutefois que les talibans sont aujourd’hui fort clausewitziens, ne trouvez-vous pas ?

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 8 novembre 2009, 21:49 par Jean-Pierre Gambotti

Dans ces chapitres sur l’engagement la notion de forces morales est tout fait centrale. Car le raisonnement de Clausewitz est le suivant (Benoit Durieux) : « au cours de l’engagement la différence des pertes physiques est rarement significative ; la différence se fait au cours de la retraite ce qui démontre l’importance de la destruction des forces morales. C’est l’affaiblissement de celles-ci qui provoque la retraite… » En conséquence dans cette confrontation des forces physiques et morales, ce sont les forces morales qui permettent la décision. Et c’est l’abandon de la volonté de combattre chez l’adversaire qui donne la victoire.
Clausewitz apporte dans ce débat sur l’engagement la dimension psychologique et la théorise pour la première fois. Mais on ne peut pas lire ces chapitres un peu désincarnés sans penser à Ardant du Picq, qui, lui, a réintroduit l’homme et sa psyché dans le combat, cet homme qui n’est capable « que d’une quantité donnée de terreur », qui connait cet envahissement permanent dans le combat « de l’émotion, de la peur et de la terreur » et de leur paroxysme la panique. Ardant du Picq n’est pas le sujet, mais en ce jour de commémoration, il faut apprécier ce qu’il a défini comme le « rang », ce mécanisme de groupe « liant le regard des autres à l’amour-propre personnel » et que certains historiens de la Grande Guerre voient comme la motivation profonde de nos soldats au moment de l’assaut : c’est d’abord pour leurs camarades, pour le groupe, qu’ils acceptaient de partir à la mort.
Pour en revenir un peu scolairement à Clausewitz, j’ajouterai que cette prise d’ascendant sur l’adversaire peut correspondre au point culminant de la bataille, ce moment de l’engagement qui voit l’initiative changer de camp. Cette notion de point culminant n’est pas très prisée dans nos centres d’opérations bien qu’il ait une existence opérationnelle réelle. Mais pour les analystes extérieurs c’est un bon angle d'attaque pour tenter de comprendre les opérations.
Très cordialement
Jean-Pierre gambotti

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