L'Allemagne et la guerre

Ainsi, une opération de "guerre" provoque des remous politiques incroyables en Allemagne.

1/ Rappel des faits : Le 4 septembre, l'OTAN avait bombardé, à la demande du colonel allemand Georg Klein, deux camions-citernes dérobés par les talibans près de Kunduz (lieu de la PRT allemande, et "capitale" de la zone nord où se trouvent les forces allemandes dans le cadre de la FIAS). Il s'avère qu'il y avait des civils, car l'attaque a été déclenchée tardivement, quand les talibans (ou la plupart d'entre eux) avaient visiblement déguerpi. Là est le double problème :

  • avoir ouvert le feu alors qu'on n'avait pas la garantie qu'il n'y avait aucun civil
  • avoir prétendu qu'il n'y avait pas de victimes civiles, alors qu'on savait qu'il y en avait

Autrement dit, cela met en jeu à la fois les conditions de l'action, et le commentaire de l'action, ce qui est en soi symptomatique. L'affaire est relancée hier (26 novembre) par un quotidien qui insiste sur le deuxième point.

2/ Conséquences : tout d'abord, l'affaire provoque la démission hier du chef d'état-major de l'armée, Wolfgang Schneiderhan, et du secrétaire d'État à la défense, Peter Wichert. Et aujourd'hui, du ministre de la défense de l'époque, Franz Josef Jung.

3/ Contexte : il est doublement brûlant :

  • à l'intérieur : parce qu'il y a actuellement débat au parlement sur le maintien de la Bundeswehr en Afghanistan.
  • à l'extérieur : parce que l'on sait désormais que B. Obama va décider d'un mini surge (je reviendrai sur la question, bien sûr), en réponse à la demande du Gal McChrystal, mais qu'il va demander aux alliés de participer à l'effort. La question commence d'agiter les chancelleries (voir ici), et l'on susurre que les responsables allemands pensaient faire passer le plafond des troupes de 4500 hommes à 6500 hommes.

4/ Commentaires :

  • cela pose encore une fois la question des règles d'engagement, et de leur ambiguïtés : on ne sait toujours pas s'il s'agit de règles de comportement (vision apparemment allemande) ou de règles d'ouverture du feu (vision américaine). A n'en pas douter, cette ambiguïté traduit le malaise "occidental" face aux conflits modernes.
  • là est en effet la deuxième leçon : parler de conflit revient à éviter de clarifier les choses. Les Allemands refusent de parler, à propos de l'Afghanistan, de "guerre". Il y a certes une part nationale (la Bundeswehr peut-elle participer à une guerre à l'extérieur de son territoire?) : en ce sens, elle témoigne de la persistance de la conscience allemande de l'histoire. Il ne faut pas forcément s'en plaindre.
  • toutefois, au-delà du particularisme allemand, je dénote quelque chose qui est commun à notre analyse (ou plutôt, à notre difficulté d'analyse) des expressions contemporaines des conflits. En effet, on a longtemps parlé de "gestion de crise". Nombreux continuent d'utiliser la notion. Puis on est passé au conflit asymétrique. Puis à la guerre bâtarde, ou guerre au sein des populations, ou guerre irrégulière (terme que j'ai tendance à utiliser) : à chaque fois, l'utilisation du mot "guerre" auquel on accole des qualificatifs. Cette difficulté me paraît partagée par l'ensemble des contemporains, des modernes (pour éviter le mot d'occidental).
  • là intervient la dimension médiatique, ou plus exactement celle de l'opinion publique. depuis Clausewitz, on sait qu'une guerre doit être populaire pour être menée. C'est pour cela qu'une guerre entraîne, quasi systématiquement, des phénomènes de médiatisation qui tendent à dériver vers la propagande. Et donc la fabrication de l'ennemi. Alors, la fin justifie le sacrifice des vies.
  • Or, dans le refus actuel du mot de guerre, il y a aussi une sorte de garde-fou inconscient, plus prégnant d'ailleurs en Europe qu'en Amérique : éviter de se laisser entraîner dans ce mouvement. Cela explique ce que certains appellent "rôle de la morale dans la guerre" et qui est non de la morale (ou du moins pas entièrement) mais fondamentalement de la prudence.
  • Mais cela passe aussi par l'absence d'efficacité : car s'il s'agit de petite guerre, c'est bien d'une guerre qu'il s'agit quand même. Et donc, d'un affrontement des volontés. La prudence choisie par certains entraîne mécaniquement la défaite. Il faut risquer pour gagner.

C'est pourquoi il faut être prudent à propos de ce qui se passe en Allemagne : la chose n'est pas un simple pacifisme, qui constituerait une lecture trop historisante de la situation. Au-delà du pacifisme néo-kantien, il y a aussi un malaise envers cette guerre qui n'entre pas dans les catégories. Or, la France n'est pas forcément indemne de ce genre de réaction : les sondages montrent un net effritement du soutien à notre propre engagement en Afghanistan.

La réaction allemande est peut-être plus partagée qu'on ne le croit. Ce qui ne facilite pas le soutien à M. Obama....

O. Kempf

Références :

  • sur les démissions allemandes : ici.
  • Sur l'isolationnisme allemand : ici

Haut de page