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Agora : à voir absolument !

J'ai été voir mercredi ce film, "Agora", et j'en suis sorti enthousiasmé, emballé, conscient d'avoir vu un chef d'œuvre, qui restera comme un des grands films de la décennie. Eh ! oui : tant que ça !

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1/ On est tout d'abord emballé par la reconstitution de la ville d'Alexandrie, au IVème siècle après JC : ce miracle de l'imagerie de synthèse moderne permet une illustration mobile saisissante de vérité. C'est de nos jours fort commun, et on ne s'en étonne plus : cela constitue d'ailleurs le seul "effet spécial" de ce non-péplum. En clair, on n'est pas abreuvé des prouesses techniques comme dans Pearl Harbour ou il faut sauver le soldat Ryan : on a enfin le sentiment d'un réalisateur qui ne se laisse pas abuser par la technologie (reproche qu'on pouvait faire à Cameron pour Avatar...). Il y a un sentiment un peu magique à se promener dans la fameuse "bibliothèque", cette merveille du monde qui fait forcément rêver tout lecteur : parce qu'elle est le symbole de la bibliothèque idéale, et qu'elle est chargé du mythe onirique de l'histoire.

2/ Voici pour les aspects formels : signalons toutefois que les scènes de violence sont assez rapidement ellipsées (pardonnez-moi ce néologisme, mais l'ellipse tient un rôle important dans ce film), grâce à une ascension de la caméra qui permet de voir les choses "de haut", et d'observer ces déchainements comme nous observons les agissements d'une fourmilière : volonté là encore de ne pas se complaire dans la vision et de forcer à élever le regard, et donc l'esprit. Ce qui éloigne des habituelles scènes complaisantes de violence, montrées dans leur réalité crue soi-disant pour mieux la dénoncer (discours mille fois entendu, et de moins en moins convaincant : nous savons tous qu'il s'agit de voyeurisme). Élever le regard, donc, et l'esprit.

3/ Car c'est d'abord un film "spirituel", sur l'esprit et ses multiples dimensions : celle de l'intelligence, mais aussi celle de la foi.

4/ Là encore, profonde originalité du film qui refuse tous les clichés : ce sont les chrétiens qui sont ici les "agresseurs" : à ceci près qu'on n'assiste pas à la dénonciation convenue du catholicisme, complice de la colonisation ou autres fadaises bien pensantes de ce genre : il s'agit en fait, ici, de se mettre dans la peau de l'autre, et de voir que les mouvements collectifs peuvent être dangereux. En effet, on est - j'ai été - un peu désorienté par la représentation de cette agressivité "chrétienne" dans un lieu -Alexandrie - qui constitue, pour la période considérée, un sommet de l'occident, dans toutes ses dimensions : romaine, grecque, et donc juive et occidentale (sans compter la dimension égyptienne, assimilée ici au paganisme de l'époque). Qu'il soit ici précisé qu'au-delà du christianisme, l'auteur cherche à dépeindre les prises de pouvoir (d'ailleurs, ce sont les "païens" qui prennent l'initiative de la violence, et les juifs attaqués savent riposter dans le même registre). Ce n'est pas, malgré ce qui pourrait paraître au premier abord, une critique du christianisme. Le spectateur fera sans peine la conversion avec le monde contemporain. A l'époque, remarquons-le, les chrétiens affranchissaient les esclaves.

5/ Le film est au cœur de bien des thématiques : celle du libre-choix individuel face à la norme collective ; celle du conflit entre la légitimité et le nombre dans la prise puis l'exercice du pouvoir : celle des rapports entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux ; celle de la philosophie par rapport à la fois ; celle de la simple foi par rapport au fanatisme (avec des considérations sur le gouvernement d'église) ; celle de la recherche scientifique comme moyen de la connaissance ; ...

6/ des figures : oui, et d'abord celle de l'héroïne, Hypathie (Rachel Weisz), cette mathématicienne qui s'isole de la cité pour mener ses recherches astronomiques. Et celles de ses admirateurs (le préfet, l'évêque de Cyrène, Davius l'esclave) comme des autres (le chef des parabolani, sorte de terroristes locaux, ou l'évêque Cyrille) ou celle du père (Michael Lonsdale) : ce nombre de personnages qui jouent un rôle permet d'augmenter les variations du nuancier, et d'éviter la caricature.

7/ un peplum ? même pas ! un film intello ? pas vraiment, ce n'est pas de l'art et essai, il n'y a pas de ralenti qui dure trois plombes ou des silences interminables, on comprend ce qui se passe : en fait, un film intelligent, pas intello ! de l'émotion ? oui, clairement, avec jusque ce qu'il faut d'action et de grandes scènes pour que ce soit spectaculaire.

8 / et la géopolitique ? le passage de témoin entre la civilisation gréco-romaine et la civilisation chrétienne, vous ne trouvez pas que c'est géopolitique, vous ?

O. Kempf

Références Bande annonce : ici Autres critiques : celle-ci. et ici. La critique de Stéphane Mantoux (historicoblog) :

Reproduction d'un entretien de l'auteur : A PROPOS D'AGORA (2010)

« C'est difficile de dire l'effet que produit ce film et d'anticiper la réaction du public ou des critiques, car ce n'est pas vraiment un péplum : c'en est un certes, mais c'est aussi un film sur l'astronomie et sur une femme. Il y a plusieurs niveaux de lecture. Pour moi, c'est un film difficile à classer.

Un péplum...

« J'ai regardé beaucoup de péplum, pour m'imprégner de cet art du travelling qu'il y a dans ces films. C'est la seule chose que j'ai retenue, j'ai complètement oublié les autres caractéristiques du péplum... Je voulais pouvoir reproduire ces travellings, et pour cela j'ai du donner des indications très précises sur l'endroit où l'on placerait la caméra. Bien sûr, quelques films m'ont particulièrement inspiré, comme Ben Hur, Spartacus, et j'ai préféré éviter les mouvements au ralenti, comme il y en a dans 300, car ils sont parfois ridicules... »

Un film sur l'astronomie...

« Je suis passionné par l'astronomie, et j'a beaucoup étudié le sujet. On se rend compte à quel point elle a changé la vie des hommes : c'est grâce à des gens comme Galilée ou Einstein que nous savons dans quel monde nous vivions aujourd'hui. Je voulais parler de cette passion pour l'astronomie. Bien sûr, je ne suis pas capable de trouver des réponses quand je regarde le ciel, mais au moins je suis capable de me poser des questions depuis quelques années. »

Un film sur la religion...

« Le problème avec la religion se pose dès que l'on arrête de dialoguer avec l'autre. Je crois au pouvoir de la raison et du dialogue. Je me rappelle d'un des premiers tests avec un acteur : il était très chrétien et voulait savoir ce si le film serait une offense au christianisme. Je ne voulais évidemment pas faire un film anti-chrétien. Dans Agora, il y a des chrétiens, des musulmans, des palestiniens... Le film n'attaque pas une religion mais critique des hommes qui se tuent entre eux pour imposer leurs idées. »

Commentaires

1. Le vendredi 8 janvier 2010, 22:23 par

Excellent film en effet, mes conclusions sont pour la plupart similaires aux tiennes.

Assurément à voir.

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