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Chronique Internet Janvier 2010 de Jérôme Pellistrandi

Voici la chronique de Janvier 2010 écrite par Jérôme Pellistrandi. Mille mercis à lui.

L’année 2010 a dramatiquement mal débuté avec l’Afghanistan où les pertes de l’OTAN sont désormais quotidiennes et le séisme meurtrier en Haïti. Plusieurs points communs caractérisent ces deux théâtres pourtant très distincts mais pour lesquels les armées françaises sont largement sollicitées. Le premier est l’urgence humanitaire et c’est bien la possession de tout le spectre des outils militaires qui fait la différence entre les pays qui se portent au secours surtout si les infrastructures d’accueil sont défaillantes. Le deuxième tient à la capacité de projection stratégique désormais incontournable si un pays veut avoir une crédibilité militaire. A cet égard, les Etats-Unis ont vite compris l’intérêt politique à se porter massivement au secours de la malheureuse population haïtienne. Au moins, cette intervention massive devrait redorer le blason de l’hyper-puissance bien fragilisée depuis quelques années. A l’efficacité américaine –parfois critiquée- contraste la quasi-absence de l’Union européenne sur l’île des Caraïbes.

De fait, 2010 se présente comme une année de fortes turbulences et risque d’être décisive pour de nombreux dossiers internationaux. Tout d’abord, le centre de gravité du Monde a basculé vers l’Asie. La Chine est désormais devenue la deuxième puissance économique de la planète devant le Japon, même si le PIB par habitant reste encore très en retrait de celui des pays dits développés . Il serait fastidieux ici de donner tous les chiffres. Soulignons seulement trois faits très significatifs de cette évolution : l’échec de la conférence de Copenhague sur le changement climatique où Pékin, avec d’autres partenaires dont Washington, n’a pas cherché une solution de compromis, l’exécution d’un citoyen britannique condamné à mort pour trafic de drogue et sans que Londres ne parvienne à infléchir le gouvernement chinois –sous le règne de l’Impératrice Victoria, l’escadre aurait été envoyée pour protester-. Aujourd’hui les intérêts économiques sont trop importants pour se mettre à dos l’Empire du Milieu. Enfin, les cyber-attaques contre Google et révélées ces derniers jours, sont partis de Chine, traduisant d’une part le niveau de compétence des informaticiens chinois mais également le fait que la cyber-guerre est devenue un outil supplémentaire dans les arsenaux de certains pays.

Par contraste, l’Union européenne, malgré ou à cause du Traité de Lisbonne, s’efface peu à peu de la scène internationale. Copenhague en a été l’illustration, Haïti l’a confirmée et les premières déclarations de la nouvelle Haute Représentante pour les affaires étrangères semblent indiquer que l’OTAN répond très bien aux besoins opérationnels des Européens et qu’il n’y a donc pas besoin de doter l’UE de nouveaux outils militaires. A cet égard, l’enjeu de l’avion de transport militaire A 400M sera décisif et illustre malgré lui toute la complexité du projet européen dans le domaine de la défense. Alors que le premier prototype poursuit ses essais en vol avec déjà une dizaine d’heures effectuées, les incertitudes sur la poursuite du programme ne sont pas encore levées et janvier aura été marqué par de nombreuses réunions et déclarations souvent contradictoires tant chez le constructeur EADS que par les états clients de l’avionneur. L’arrêt de l’A 400M serait dramatique à tout point de vue et en particulier pour notre armée de l’air confrontée au vieillissement accéléré des Transall. Au mieux, le premier A 400M arriverait à Orléans en 2013. D’ici là, il faudra faire tenir les C 160 et trouver des solutions palliatives, par nature coûteuses.

Pendant ce temps-là, l’avion de Boeing, le C17 connaît de nouveaux succès à l’exportation avec les Emirats Arabes Unis qui ont commandé 6 exemplaires dont les deux premiers seront livrés dès 2011 et l’Inde qui souhaiterait en acquérir une dizaine.

Les choix qui seront faits pour l’A 400M dans les semaines à venir auront des répercussions pour les cinquante années à venir en termes de logique comptable, budgétaire, industrielle, opérationnelle, stratégique et politique. Les choix sont donc difficiles et 2010, à travers le programme de l’A 400M sera un tournant majeur pour l’Europe de la défense avec soit sa consolidation, soit son abandon.

D’ici l’été, les élections au Royaume-Uni auront également un impact majeur pour la défense britannique mais ne seront pas aussi sans conséquence pour les partenaires de Londres dont la France. Le coût des engagements en Irak puis en Afghanistan ont obéré pour plusieurs années les capacités budgétaires : plusieurs dossiers majeurs seront donc à suivre avec la plus grande attention d’autant plus qu’ils pourront avoir des impacts sur notre propre politique de défense. C’est ainsi que le programme des porte-avions CVF pourrait être revu à la baisse. Si pour le premier navire, le HMS Queen Elizabeth, la construction est bien entamée, il n’est pas exclu que le deuxième CVF Prince of Wales voit ses spécifications réduites pour n’être qu’un simple porte-hélicoptères. Il n’en demeure pas moins que les CVF deviennent peu à peu une réalité avec déjà 1,25 milliards d’euros dépensés. De même, le débat est engagé autour du renouvellement des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE). L’hypothèse d’une réduction de la flotte de 4 à 3 SNLE est toujours à l’étude de même qu’un retard de cinq ans du programme permettant alors d’être en phase avec les projets équivalents américains. Enfin, certains experts préconisent que la Royal Air Force diminue de moitié la flotte de ses futurs avions de combat F 35 (de 140 à 70 exemplaires). Dans tous les cas, la convergence technologique vers le modèle américain sera poursuivie, laissant peu de place aux projets européens structurants. Au final, certaines études préconisent encore de nouvelles réductions des effectifs d’ici 2016, de l’ordre de 20%, afin de pouvoir financer les projets futurs. L’Army pourrait ainsi passer de 97 formations du type régiment ou bataillon à 79 et la Navy de 57 bâtiments de combat principaux à 46.

Pour la France, ce début d’année voit la poursuite des efforts pour la modernisation de la marine avec la remise de la frégate anti-aérienne Chevalier Paul, deuxième et dernière de la classe Horizon. La première frégate de nouvelle génération, la FREMM Aquitaine, devrait être mise à l’eau au cours du printemps et sera admise au service en 2012. Les onze FREMM devraient être opérationnelles d’ici 2022. A Saint Nazaire, l’assemblage du troisième Bâtiment de Projection et de Commandement (BPC) le Dixmude, a débuté le 20 janvier. Ce BPC a été commandé par anticipation grâce au plan de relance de l’économie. Malgré cela, le plan de charge de Saint Nazaire est dramatiquement vide et d’ici mai, hormis le BPC, il n’y aura plus de navires en construction. Le problème est majeur avec des conséquences stratégiques inéluctables en cas de fermeture des chantiers car cela signifierait la fin de la capacité nationale à construire de grands navires complexes dont les bâtiments de guerre de gros tonnage puisque DCNS Brest n’en a plus les moyens industriels. Une des pistes évoquées reste la vente de BPC à la Russie.

L’armée de terre, quant à elle, est confrontée à une année extrêmement difficile et complexe avec la conduite du gros des restructurations décidées depuis 2008 et la poursuite des engagements opérationnels notamment en Afghanistan. Heureusement, deux théâtres sont en véritable décroissance avec la Côte d’Ivoire et surtout le Kosovo, où depuis le début de ce mois de janvier, le dispositif français, dans le cadre de celui de l’OTAN, est en cours d’allégement. C’est ainsi que le site de Plana a été rétrocédé aux autorités locales. De 1500 militaires, les effectifs sont passés à 800.

Le théâtre afghan est celui de l’engagement total, sans aucun répit dans l’intensité des combats. Il est exigeant pour nos soldats avec un taux de pertes au feu que l’armée de terre n’avait plus connu depuis 1995 et le siège de Sarajevo. Il est également exigeant pour nos armements et il faut souligner que les efforts en termes de nouveaux équipements commencent à payer, après des années de retard liées à la montée en puissance de la professionnalisation, avec leur déploiement en Opex. C’est ainsi que les trois hélicoptères Tigre déployés à Kaboul depuis l’été dernier, effectuent chacun environ trente heures de vol chaque mois en appui des forces terrestres. Le bataillon « hélico » avec ses 11 appareils est devenu un outil essentiel pour la Task Force Lafayette. En 2009, les premiers Petits Véhicules Polyvalents (PVP) ont été engagés au Liban. En 2010, ce sera le tour du VBCI qui devrait également être déployé sur un théâtre extérieur. La nouvelle monture de l’infanterie mécanisée confirme ainsi sa maturité technique et donc son potentiel à l’exportation. C’est ainsi que l’Espagne a manifesté son intérêt pour le VBCI produit par Nexter qui vient de créer une Joint Venture avec l’industrie espagnole et dont le siège social sera installé à Barcelone. Madrid envisagerait même un premier déploiement des véhicules de ce programme dès 2014.

2010 pourrait justement être une année décisive pour Nexter, lointain héritier de nos arsenaux avec une offre d’achat par Panhard. La consolidation des industries de l’armement terrestre français est en effet indispensable d’autant plus que leurs homologues d’Allemagne sont également en pleine phase de restructuration : Rheinmetall, spécialiste de l’armement et Man, producteur de poids lourds viennent de constituer ce mois-ci une filière commune pour produire des matériels terrestres. Nexter aura également la lourde charge de participer à la préparation de la succession du Famas et toutes les hypothèses sont possibles dont l’acquisition d’une arme non conçue en France. Les débats seront autant techniques que passionnants et passionnés. Dans tous les cas, Nexter reste un industriel crédible capable d’obtenir des succès à l’exportation comme vient de le prouver un contrat passé par la Colombie pour l’achat de 20 canons tractés de 105 mm LG1. Ce canon, bien que non déployé par notre armée de terre, équipe désormais six pays, témoignant du maintien de nos compétences dans le domaine de l’artillerie.

Ce début d’année est donc particulièrement dense avec deux rendez-vous majeurs dans les prochains jours à suivre avec la plus grande attention. Il y a les négociations en cours autour de l’avenir du programme A 400M. Il y aura le 28 janvier la conférence internationale de Londres sur l’Afghanistan. Les enjeux seront décisifs !

Jérôme Pellistrandi

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