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E7 grec : paradoxes économiques

La lecture du supplément économie du Monde (Journal que je lis avec le plus grand sérieux, même si je badine dessus, voir ici), donne matière à penser.

1/ Tout d’abord, car il précise en deux articles la notion de « pays émergent ». J’ai déjà évoqué l’avènement de cette catégorie comme nouveau « 2ème monde », ainsi que les sigles qui pouvaient être portés (BASIC). L’intérêt ici tient à la notion de groupe « E7 » : ces 7 pays ne se réduisent pas aux seuls Chine, Inde et Brésil, mais incluent aussi les autres pays qui suivent la même trajectoire, même s’ils sont moins visibles. Or, il faut bien constater :

  • le poids « économique » de ce groupe ;
  • son manque de visibilité (qui ne devrait pas durer) ;
  • son absence de coordination politique, qui est au fond le trait le plus marquant et amène à plusieurs commentaires.

2/ On peut en effet interpréter cette anarchie douce de différentes façons :

  • expression normale de l’individualisme national (l’individualisme méthodologique de la souveraineté illimitée, à la base du système westphalien)
  • expression normale d’un individualisme économique et concurrentiel (l’individualisme méthodologique de l’homo economicus, transposé dans l’ordre macro-économique à l’économie internationale, Ricardo et théorème HOS, etc…)
  • la faiblesse des instruments de convergence internationale : curieusement, alors que les commentateurs ne cessent de les appeler de leurs vœux, ou de remarquer leur avènement (Union Européenne, OMC, TPI, …), on a l’impression d’une méfiance envers les « structures » institutionnelles : l’échec de la conférence de Copenhague ou les maigres effets du G20 en sont le signe. C’est une conséquence de la mondialisation dans l’ordre économique, et probablement de la « planétisation », pratique contemporaine de la société internationale. La dérégulation a été assimilée. Dès lors, pourquoi « construire » des organisations ou conjonctions, alors que l’humeur est à la déconstruction : on remarquera au passage la profonde convergence entre la « déconstruction » des structuralistes des années 1960 et la dérégulation des ultra-libéraux des années 1980-1990.
  • La faiblesse des volontés politiques (des dirigeants), s’intéressant au court-terme plutôt que de s’installer dans le long terme, à rebours de ce qui existait autrefois.

3/ La conclusion pourrait être la suivante : une sorte d’anarchie internationale, l’ordre n’appartenant plus qu’au domaine de l’analyse et non à celui de l’action. Ce qui veut dire que si le géopolitologue ou l’économiste catégorise (les pays émergents : BASIC, E7), cela ne signifie pas forcément une traduction effective de ces catégories dans l’ordre international. On privilégie l’informel, les structures souples (ASEAN), les coalitions de circonstance. Du rumsfeldisme dans l’ordre économique : c’est l’intérêt qui fait la coalition.

3 bis/ A noter au passage une inversion de la notion de représentation : elle servait jusqu'à présent à désigner des identifications symboliques et politiques populairesz, venant de la base, de l'intérieur ; elles seraient désormais le fait ld'agents "extérieurs" (les observateurs) qui cherchent à donner un sens (une intellection) au monde grâce à leur "catégorisation" : tiers-monde, BRIC, G20, BASIC, E7, ... Cela serait d'ailleurs une des expressions de la planétisation à l'œuvre. Je suis un peu confus, je le sais, n'hésitez pas à critiquer ce paragraphe (et les autres aussi, bien sûr)

4/ L’autre information tient à la persistance de la zone euro. Le cas de la Grèce est le plus aigu. L’ampleur du déficit et de l’endettement impose une politique de rigueur. Chacun comprend qu’il n’est pas admissible que la Grèce sorte de la zone euro. Mais en conséquence, il faudra bien que la collectivité euro s’immisce dans les affaires grecques. Comme le fait remarquer M. Wolf, cela reviendrait à inverser les postulats couramment admis : on pensait qu’il fallait une union politique avant le gouvernement économique. Les circonstances vont peut-être forcer, à l’inverse, un gouvernement économique (comprendre, une direction supranationale à la place des autorités nationales qui n’en peuvent mais) précédant un gouvernement politique. La persistance cette année de la crise économique aurait alors des conséquences géopolitiques incroyables, et contradictoires avec la tendance informelle décrite dans les premiers paragraphes… Mais on n’en est pas à un paradoxe près ! Et surtout, il ne serait pas anormal que l’Europe soit à l’avant-garde des évolutions à venir, celle de l’inéluctable « organisation » de l’espace mondial, aujourd'hui plus informel que chaotique..

5/ On m’opposera les tendances centrifuges actuelles, et la renationalisation des politiques en cours, dont on a vu un merveilleux exemple à Copenhague. Certes. Mais qu’on me comprenne bien : du jour où l’on rompra le tabou (de l'autonomie des politiques budgétaires, donc économiques), bien évidemment au détriment du maillon le plus faible (ici, la Grèce), le phénomène contagieux s’étendra du plus faible vers le moins faible. Il y a là une possibilité qu’il faut garder à l’esprit. Elle est lourde de sens.

O. Kempf

Références :

Commentaires

1. Le mardi 26 janvier 2010, 21:39 par VonMeisten

L'Etat Westphalien agonise. Mais qui lui succédera ? Personne, tout simplement.
Ne revenons-nous pas vers un système géo-politique vaguement moyen-ageux, ou l'Etat existe, avec une souveraineté géographique et politique limité, et plus ou moins de liens de vassalités/rivalités/concurrences/sous-traitance envers d'autres structures de pouvoir (mercenaires, entreprises, corporations, groupes religieux) ?
EGEA : tiens, von Meinstein est de retour : cela faisait tellement longtemps ! quel plaisir de vous relire, cher ami. Passez nous voir plus souvent !
Pour répondre à la question : oui, on a déjà pronostiqué cette néo-féodalité (un bouquin d'Alain Minc d'il y a dix ou quinze ans). Il reste que la féodalité (j'appelle tout de suite à l'aide Stéphane MAntoux, notre agrégé, et les autres historiens) était justement un système politique TRES organisé. Il faut relire l'ancêtre Jacques Heers, le premeir défenseur du Moyen-Âge. Attention donc à l'image gothique et romantique d'un Moyen-Age de chaos, ténébreux et "Dungeons and dragons" (tuss, faut que je fasse gaffe à mon anglais). La conlusion est alors limpide : l'apparente anarhcie s'organisera, mais selon des règles non-institutionnelles. Enfin, je crois ! Ce qui correspond, finalement, à la description que vous faites. Enfin, je crois ..... lol !

2. Le mardi 26 janvier 2010, 21:39 par

Pour suivre von Meinstein, je me souviens d'un sujet fort intéressant posé au concours de l'Ecole Supérieure de Guerre il y a quelques années, avant que ce soit le CID : "quelles furent les caractéristiques du XX°siècle ?"
Il fallait donc comparer aux siècles passés mais aussi à ce que l'on peut imaginer de l'avenir. Mon hypothèse sur ces caractéristiques : le pétrole et les Etats totalitaires.

Par ailleurs, cher Monsieur Kempf, vous écrivez à juste raison "il ne serait pas anormal que l’Europe soit à l’avant-garde des évolutions à venir". D'autant moins anormal que c'est une vieille habitude : l'Europe a toujours été à l’avant-garde des évolutions, depuis au moins cinq mille ans.

3. Le mardi 26 janvier 2010, 21:39 par VonMeisten

Oui, je reviendrais plus souvent. Comme disait Guy Lux, EGEA, c'est mon dada.
Et oui, le Moyen-Age est souvent très différent de l'image d'Epinal commune. Les avis d'historiens divergent aussi parfois.
Me retrouver à faire du Alain Minc, et bien c'est très surprenant !

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