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Hillary la bridgeuse annonce les enchères

La géopolitique est souvent une jeupolitique. Mais j'avais parlé des échecs et du go, je n'avais pas pensé au bridge. Or, les négociations internationales ressemblent aussi au bridge : des règles très codées, avec des sous-entendus audibles par les seuls initiés, plusieurs tours d'annonce avant que le jeu commence, en un certain nombre de tours qui sont autant d'affrontements (des batailles), à travers lesquels on doit parvenir à son "contrat", autrement dit son but de guerre.

Il fallait donc l'écouter cet après-midi à l'école militaire. C'était "the place to be", comme on dit en anglais et peut-être aussi en globish. Car Mme Clinton vient de nous montrer qu'elle jouait au bridge.

Tout d'abord, répondons au deux questions d'hier. Pourquoi aujourd'hui ? pourquoi Paris ?

1/ Pourquoi aujourd'hui ? parce que la semaine prochaine aura lieu la conférence sur la sécurité de Munich, le Davos de la sécurité, la Wehrkunde. Je vous ai déjà dit que c'était un des trucs à suivre, avec par exemple le discours aux ambassadeurs (voir ici ou, à propos de la dernière, quelques CR ici, ici et ici). Et comme ça traîne avec la Russie (le traité START n'est toujours pas signé), ce sera l'occasion pour chacun d'afficher la couleur. Surtout que c'est là que Poutine qui avait jeté le trouble en 2007, lors d'un discours prononcé qui lançait le réveil russe européen. Mais je m'en suis suffisamment expliqué, n'est-ce pas? Bref, comme ça lambine, lancer les enchères une semaine avant permet de prendre l'opinion à témoin, et d'obliger les Russes à répondre avec une contre-proposition. Tovarichi, à vous de jouer : qui aurons nous? Medvedev? Poutine ? Primakov ? Rien ne va plus, les jeux sont faits, il vous reste une semaine pour peaufiner votre réponse.

2/ Pourquoi Paris ? Parce que la Russie a l'habitude de jouer les vieilles puissances, et ne croit pas au processus d'Union. Du coup, elle a des favoris avec qui elle peut dialogue, plus qu'avec d'autres. Et en Europe, ils sont deux : Berlin et Paris. Mais comme la semaine prochaine c'est en Allemagne, il est logique que cette semaine ce soit à Paris : CQFD. Accessoirement, c'est une politesse faite à son excellence notre président, ça ne coûte pas grand chose et ça fera plaisir.

Mais au fait, mon ami, au fait : qu'a-t-elle dit ? vous nous faites languir, très cher, et vos artifices causent nos tourments... Cessez donc vos afféteries !

3/ Après quelques passages obligés sur l'amitié franco-américaine (1776, la WWI, la jeune Hillary jeune fille au pair dans le VII° ardt, vous voyez le genre), elle affirme tout un tas de gentillesses sur l'Europe, on aurait dit du Victoria Nuland dernière période (cf. mon article dans la RDN en avril 2008) : l'Europe est aujourd'hui réunie, c'est un modèle de transformation et de réconciliation),... Mais il reste des choses à faire : avec l'"Eurasie", et en terme de développement économique, sans compter les nouveaux dangers (terrorisme global, cyber et nuc, changement climatique, mafias, ..). Bref, il faut affirmer quelques principes.

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4/ Mais tout d'abord, l'Amérique entend les inquiétudes du côté de l'Europe : Obama serait trop occupé ailleurs et se désintéresserait de l'Europe. Mais celle-ci demeure la pierre d'angle et l'Europe partage toutes nos valeurs. Bref, 1er message : le rift transatlantique ne s'accroît pas, et les US demeurent "committed" en Europe. On a le droit d'y croire. Le significatif tient surtout au besoin de l'affirmer : autrefois, ces choses là allaient sans dire. Mais il faut dire qu'avec Obama, on a eu l'impression que c'était le cadet de ses soucis. Mme Clinton est plus européiste, de ce point de vue. On verra à l'usage, qu'on me permette de ne pas être totalement convaincu.

Vient alors l'énoncé d'un certain nombre de principes: au fond, ils s'adressent tous à la Russie.

  1. Souveraineté et intégrité territoriale : en clair, Abkhazie et Ossétie, on n'accepte pas, et en plus, depuis le sommet OSCE d'Istamboul en 1999, chaque pays a le droit d'entrer dans l'alliance de son choix.
  2. La sécurité en Europe doit être indivisible : il n'y a plus d'est/ouest, de jeune ou vieille Europe, d'Otan/ non Otan, mais une seule Europe qui inclut la Russie. La sécurité ne peut être un jeu à somme nulle, et il faut répondre à la proposition Medvedev, en utilisant les principes (Helsinki, acte fondateur) et les outils (OSCE, COR). Il y a plein de choses où nous avons des intérêts communs : Iran, Afghanistan, Corée, Start,... il faut faire plus dans trois domaines, qui peuvent être discutées dans le COR (Conseil Otan Russie) : Défense anti-missile, contre-narcotique, et Afghanistan. On comprend : le COR devient le lieu de négociations avec la Russie, tant pis pour l'UE. Rappelons que les réunions du COR avaient été temporairement suspendues à la suite de la guerre avec la Géorgie. L'offre plaira-t-elle aux Russes ? car au fond, il n'y a là rien de bien nouveau sous le soleil... Juste l'offre plus claire qu'avant d'intégrer les Russes à la DAM, sous-entendu : technologiquement, et financièrement;
  3. Nous maintiendrons notre engagement dans l'article 5 de l'Otan : ce passage n'est pas destiné à la Russie, malgré les apparences, mais aux pays de l'est qui y tiennent comme à la prunelle de leurs yeux, et voient d'un très mauvais œil les ouvertures faites à Moscou. Elle affirme, de façon très nette (d'autant plus que la probabilité est faible) "l'attaque contre l'un est une attaque contre tous". On maintiendra nos troupes en Europe. Et la DAM accroitra la sécurité du continent. Il y a là un raisonnement intéressant : la garantie de l'alliance tient bien sûr dans l'article 5, mais aussi dans la DAM. Le couplage autrefois nucléaire doit dorénavant se faire par la DAM....
  4. transparence de nos conversations avec l'EUrope Il faut des visites de sites, et des observations d'exercices. Bref, il faut revitaliser le traité FCE, dont la Russie s'est retirée il y a deux ans.
  5. liberté de vivre à l'abri des forces de destruction nucléaire. Il est ici intéressant de remarquer qu'HC n'a pas mentionné le mot d'ADM (WMD) dans son discours, mais s'est cantonné au nucléaire. Pourtant, c'était les Américains qui en leur temps avaient introduit la notion d'ADM. Le retour à une pureté sémantique est significatif (l'affaire d'Irak est passée par là). Nous sommes prêts à signer un nouveau START, mais les menaces sont accrues. Suit alors la pétition de principe obamienne (réduction des arsenaux) et l'énoncé des rendez-vous que les lecteurs de ce blog connaissent bien : un sommet de la sécurité nucléaire en avril à Washington, le TNP, le CTBT, le cut-off, la NPR à paraître... On appuie les efforts de M. Sarkozy contre l'Iran. Bref, rien de bien nouveau.
  6. droits des individus : tout un topo sur le développement , la démocratie, les DH. Nous supportons le partenariat de l'UE avec son voisinage (tiens, c'est cocasse, il n'y a pas eu d'appel à l'entrée de la Turquie dans l'UE, cette fois-ci). Il faut donc renforcer les capacités de l'OSCE, en matière de sécurité (mécanisme de prévention des conflits, négociations en cas de crise énergétique ou environnementale). ''Là est peut-être la vraie offre

'' Cinq questions ont été posées :

  • Par le Gal (2S) Perruche, ex chef de l'EMUE : quid de la complémentarité UE/ Otan ? HC tire des bords, dit qu'il faut tout ça tout ça, et que la révision du concept stratégique de l'Otan doit être l'occasion, ah que ah que... (c'est vrai que parmi les séminaires préparatoires, on n'a pas entendu beaucoup parlé d'UE, hein !)
  • Un thésard pose la question du global NATO (sans prononcer l'expression, d'ailleurs) : c'est Ivo Daalder, qui devait être content.HC répond par un constat : la réticence de certains alliés à aller au-delà des imites géographiques. D'où, comment coopérer à travers les distances ? de ce point de vue, la FIAS est une expérience fondamentale. Puis re un petit couplet sur la cyber sécurité, la sécurité énergétique, et sur la réaction aux catastrophes.
  • Michel Foucher pose la question du meilleur cadre pour traiter avec la Chine : HC répond que c'est un mix de tous les instruments, et qu'il faut surtout que la Chine comprenne qu'elle a des intérêts globaux, et que d'ailleurs un Iran nucléaire menacerait tout le golfe d'où la chine tire son pétrole. Curieusement, plein de journalistes n'ont retenu que cette déclaration tout à fait marginale dans l'intervention. Mais c'était simple, donc ils ont dû le comprendre..... car au fond, ce n'est pas très significatif, elle ne venait pas parler de ça....

5/ Qu'en conclure ? que sur le fond, la ligne est à l'intégration de la Russie dans le système de sécurité euro-atlantique. Qu'il faut pour cela utiliser les outils : le COR (DAM, Afghanistan), l'OSCE, les négociations internationales (TNP) ou bilatérales (START) et surtout discuter des choses qui fâchent : la sécurité énergétique et le cyber : tiens : pourquoi ces deux domaines avec les Russses ?

Les annonces sont faites. A vous de répondre, messieurs les Russes.

O. Kempf

Références :

Commentaires

1. Le vendredi 29 janvier 2010, 21:48 par

Merci pour ce billet fort complet.
(On dirait que les drapeaux américains, vraiment froissés, ne sortent pas souvent du placard. Quel symbole...)

2. Le vendredi 29 janvier 2010, 21:48 par oodbae

Je sais que ca n'apporte rien au débat mais j'aime bien le ton légèrement impertinent de votre billet.

EGEA : je vous en remercie. J'espère surtout que cette impertinence vous paraît pertinente.

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