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Stratégie systémique

C'est plus qu'un signe : une nouvelle pensée stratégique apparaît, différente de celle qu'on nous sert depuis dix ans.

1/ En effet, pour "expliquer" ce qui se passe depuis le 11 septembre, on nous a expliqué d'abord "la guerre asymétrique", puis la guerre "au sein des populations" puis la "guerre contre insurrectionnelle", ou COIN. A chaque fois, cela déferlait des Etats-Unis, par vagues successives refoulant la vieille RMA des années 1990.

2/ Chacun s'est donc mis à lire R. Smith et Galula, voire Galliéni et Mao. au moins, on paraît cultivé. Je n'en ai lu aucun des quatre et professe donc une inculture crasse en la matière (voir billet). Pour tout vous dire : ils m'ennuient.

3/ Aussi est-ce avec un intérêt non dissimulé que j'écoute avec attention cette pensée système qui point : C'est JP Gambotti qui nous en a le premier parlé, en faisant découvrir Bertalanffy. C'était un peu intellectuel pour moi. Heureusement, de jeunes auteurs pensent à mes vieux neurones et m'expliquent un epu plus concrètement les choses : il y a Christophe Richard qui nous parle de la bataille (on lira d'ailluers l'excellent billet de JP Gambotti qui précise les choseset remet en cause la dictature du FT 01), ou Hervé Pierre, dans le dernier DSI, qui explique "les limites de l'approche linéaire en contre rébellion" : voici des textes à lire absolument (ainsi que ceux de Nicolas Delors et d'Olivier Hubac et, encore, de Ch. Richard: Joseph, tu nous as fait là un DSI de première bourre, mille bravos)

4/ Il faut faire le point des doctrines hétéro-COIN : cela me semble de salubrité publique. J'ai interviewé un jeune auteur sur le sujet (voir ici).

5/ Je me permettrais juste une remarque dans ce débat : certains présentent Clausewitz comme le premier auteur systémique. S'il s'agit de dire que c'est le premier à avoir pensé des interactions entre le guerrier et le non guerrier (politique, opinion), je veux bien. Il reste que CVC demeure l'apôtre du rapport de force, et donc d'une compréhension "linéaire" de la bataille : cela ne me paraît pas tout à fait systémique, non ?

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 21 février 2010, 19:58 par JH

Merci m'sieur ;o) A vrai dire, on a commencé y'a quelques temps, en revenant d'abord sur les travaux de Shimon Naveh et son application de la théorie du système à l'art opératif. Benoist a embrayé et maintenant, c'est la folie ;o)

Plus sérieusement, sur CVC, je pense qu'il faut distinguer "rapport de force" et (non)linéarité; les deux évoluent sur deux plans différents. On peut la jouer non linéaire et être adepte du rapport de force (Mao, Guevara) et être linéaire en rejetant le rapport de force (dans une certaine mesure, Brossolet).

D'ailleurs, Beyerchen, Chris Wasinski et d'autres ont bien mis en évidence le fait que tonton Carl était sans doute un des premiers penseurs de la théorie du chaos (et donc du non linéaire - le chaos pouvant être ordonnancé en théorie, au contraire de l'anarchie, qui ne procède d'aucun ordre, aucune rationalité). Là, je me permet de renvoyer à un chapitre d'ouvrage que j'avais écrit en 2004 pour "Au risque du chaos" et évoquant ces question dans le cadre de ce qu'on appelait alors du "néo-clausewitzianisme".

L'ouvrage de Motte et Bardiès (Dir.) sur le colloque de Coët consacré à Carl allait aussi dans le même sens. Et je pense que Benoît Durieux ne nous contredira pas, et pas uniquement parceque CVC cherche à penser l'incertain ou le brouillard de la guerre...

Tout cel, selon moi, va dans un sens : celui des engagements hybrides avec un renouveau des formes de la techno-guérilla, non seulement au plan des groupes subétatiques mais aussi au niveau étatique. Une série d'exemples, chinois ou iraniens, m'y incitent. Mais bon,j'ai déjà pas mal écris sur le sujet ;o) Sur ce, je retourne à mes sous-marins ;o)
Egéa : salut Joseph, merci de tes commetnaires : Benoît, j'espère que de tes perms tu suis le débat et que tu vas réagir, toi aussi ?

2. Le dimanche 21 février 2010, 19:58 par Laurent

Discussion passionnante et tout à fait bienvenue ! J'oserais dire qu'il était temps... Mais je passerai pour un cuistre. Toutefois, que l'on me permette de rappeler que cette pensée systémique était l'un des fondements des théories soviétiques de l'art opératif, et ce dès les années 20 !! C'est donc dans cette direction qu'il convient (aussi) d'aller. Il ne s'agit bien sûr pas de copier l'Armée rouge (qui avait ses pathologies par ailleurs), ni de se préparer à des guerres mécanisées lourdes à coup de divisions blindées, mais de s'inspirer, de s'imprégner de ces penseurs-là. N'en déplaise aux conservateurs et aux philistins de tous poils :

  • - les militaires allemands des 2 guerres mondiales qui n'ont décidément rien compris à rien ;
  • - la cohorte encore bien vivante de leurs admirateurs béats (et pas toujours naïfs) ;
  • - les pseudo-théoriciens crispés qui ne veulent pas admettre jusqu'à l'existence d'un niveau opératif (il est vrai que, pour eux, la production intellectuelle de l'humanité s'arrête quelque part entre 1850 et 1890, et ce dans tous les domaines, pas uniquement le militaire ; car après vient le règne de la pensée "judéo-marxo-américano-décadente") ;
  • - ceux qui ne veulent rien entendre sur cette affaire car il est hors de question d'admettre que quelque chose de génial ait pu sortir de chez les "Rouges" ;
  • - ceux qui sont incapables de voir plus loin que le bout de leur nez (et de leur cerveau d'adolescent "qui aime la bagarre"), et pour lesquels l'art de la guerre commence et s'arrête à la tactique (dans le meilleur des cas) ou au "professionnalisme" militaire (certes indispensable, mais qui ne constitue qu'une petite partie des domaines d'excellence à maîtriser) ;
  • - la catégorie - très proche de la précédente - des "adolescents boutonneux", cette fois, pour lesquels tout est une question de technologie, en d'autres termes, les "idiots utiles" des industriels ;
  • - à l'autre bout du spectre, la catégorie des authentiques cuistres, snobs, suffisants et méprisants, pour lesquels l'art de la guerre commence et s'arrête aux questions diplomatico-stratégiques ("science-poteux" et autres mauvais spécialistes des relations internationales) ;
  • - l'establishment militaire américain, qui ne fonctionne que par "modes" et s'avère donc incapable de creuser à fond une piste intellectuelle, même quand elle est bonne et que c'est eux-mêmes qui l'ont mise en lumière (ce sont eux à qui l'on doit la redécouverte des théoriciens soviétiques de l'art opératif, mais ils l'ont déjà laissé tombé sans l'avoir véritablement exploitée ; ce sont eux qui ont lancé l'excellente idée de "RMA", mais qui se sont avérés incapables de transformer l'essai et d'en faire un authentique concept, d'où son abandon, exactement comme un gamin impatient qui jette - après l'avoir cassé - un jouet dont il ne parvenait pas à comprendre le fonctionnement ou l'intérêt) ;

Je m'arrête là. Je pourrais continuer encore longtemps ma "target designation".
Toujours est-il que, s'il convient en effet de se pencher avec attention sur la pensée systémique, alors il faut reconnaître qu'il convient également d'étudier ces glorieux précurseurs. Après tout, cela nous ferait peut-être gagner du temps et nous éviterait peut-être aussi de réinventer l'eau chaude ?

3. Le dimanche 21 février 2010, 19:58 par Jean-Pierre Gambotti

Bien que Foch nous ait exhortés à « Penser la guerre » il y a plus d’un siècle, nous continuons à nous complaire dans le rôle du traineur de sabre génial, supposant que dans la contingence l’intuition vient aux grands capitaines et qu’il n’est point nécessaire de s’oxyder les neurones avec des méthodes de conception des opérations abstruses. Ainsi la guerre change une nouvelle fois de forme et nous tentons de gérer son exponentielle complexité avec un outil de la linéarité !
 J’ai relu avec beaucoup d’attention mon billet « Bertalanffy versus Clausewitz ? » et, permettez-moi cette vanité, j’estime qu’il est d’une criante actualité. En google-lisant même superficiellement sur la systémique et la stratégie, le nombre d’études sur le sujet, et certaines très proches de mes idées, montre le besoin chez les opérationnels d’outre-Atlantique notamment, d’un outil de conception plus adapté aux guerres actuelles. Contrairement aux thèses développées par les critiques les plus virulents, la systémique n’est pas le produit d’une complexification de la méthode cartésienne, mais au contraire le Discours de la méthode.., n’est qu’un cas particulier de la non-linéarité.
Comment refuser d’admettre aujourd’hui qu’un théâtre d’engagement est un système de systèmes PMESII en interrelations, et que son approche ne peut être qu’holistique ? Clausewitz déjà avait ressenti la nécessité de considérer le phénomène dans sa totalité et je vous renvoie à Guerre et Politique selon Clausewitz, d’Eric Weil http://www.persee.fr, qui cite CVC « La guerre ne peut pas suivre ses propres lois, mais doit être regardée comme partie d’un autre tout –et ce tout est la politique… » (Livre VIII Chapitre 6b). Mais je ne voudrais pas affaiblir mon argumentation par trop peu d’exemples, de la trinité à la polarité dans toute son œuvre, Clausewitz traite de la guerre en pré-systémicien.

Mais revenons sur deux de vos remarques provocatrices destinées à inciter le lecteur à la relance !
Auparavant votre titre. Il ne s’agit pas pour moi de « Stratégie systémique » mais de la nécessité en s’appuyant sur la systémique d’élaborer un « outil d’aide à la conception stratégique », j’y reviens immédiatement.
Car sur l’intellectualisme de la démarche, je plaide coupable, mais point trop. Comment expliquer plus simplement l’approche système qui par nature traite de la complexité ? Je vais tenter de faire appel à vos souvenirs en rappelant que dans une annexe du GOP existe un schéma montrant le cheminement d’une opération-type, c'est-à-dire le tracé des lignes d’opérations militaires du CdG ami jusqu’au CdG ennemi et aux EFR militaire et politique, … pour faire court. Cette représentation des opérations est faite dans un plan qui laisse découvrir des plans parallèles nommés, diplomatique, économique…Ce schéma est plein de sens, puisqu’il explique que pour atteindre l’EFR politique, des entreprises –ou manœuvres- autres que militaires sont menées concomitamment et parallèlement. J’insiste sur le « parallèlement » qui montre que nous sommes dans une démarche linéaire, il n’y pas d’interrelations formalisées entre les domaines. D’évidence ce schéma est inadapté aux guerres actuelles qui par nature concernent et combinent tous les PMESII. Ainsi les lignes d’opérations de chacun des domaines ne sont plus dans des plans parallèles mais traversent le faisceau de plans, se combinent entre elles, rendant les points décisifs de nature PMESII multiple. Nous sommes dans un espace d’interrelations complexes, d’interactions et de rétroactions, dans un système de systèmes.
Pour terminer avec votre remarque sur Clausewitz et la linéarité, vous pouvez constater que son approche de la bataille et de la guerre est bien contraire à cette idée, puisqu’en permanence et systématiquement ( ?) dans ses raisonnements il pose le problème de la rétroaction, l’action de l’effet sur la cause, un des fondements de la systémique !
Ai-je été moins abscons ?
Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

égéa : ah ! mes remarques à l'emporte pièce suscitent un débat piquant, et j'en suis heureux. Revenons à la GOP, que j'ai pratiquée et même vaguement enseignée, autrefois, du côté de la Bavière, lors d'un séminaire Midex pour ceux à qui ça dit quelque chose.
Oui, je me souviens parfaitement des lignes d'opération qui vont d'un CDG à un autre, avec EFR, points décisifs etc, plans de manoeuvre (qu'il faut faire et qu'on fait rarement), etc... Beau comme l'antique, on arrivait même à formaliser et, horresco referens, à "modéliser" puisque tel était mon job. Mais il faut bien convenir que si on évoquait, pour la forme, les autres plans, (diplo, politique, économique, ..) personne ne les étudiait vraiment. Quant à les tracer ou, mieux encore, les écrire... ! Ne rêvez pas.
Me dire qu'il faut donc non seulement les décrire mais qui plus est tracer des lignes d'opérations multiplanaires (puisqu'aussi bien, si j'ai bien compris votre démonstration pédagogique, le non-linéaire dont on nous parle revient à du multi-plan), j'en reste ébaubi... et un peu défait : car qui va décrire les autres plans ? et qui arbitrera les "sauts" d'un plan à un autre ?
Oui, je sais, il y a les MNE's (multinational experiments), et d'une certaine façon c'en est l'objet. Mais on voit peu de choses sortir, m'apparaît-il : ou alors, qu'un participant à ces MNE témoigne et vienne apporter la pierre à notre débat.
Disons le tout net : chacun voit bien la nécessité d'un interagence, selon le vocable américain qui décrit, platement, notre interministériel... à ceci près que je ne vois pas beaucoup les énarques des autres ministères s'intéresser à la chose (en temps de paix) et qu'il faut bien que ceux que ça intéresse (stratèges et stratégistes) le fassent à leur place.
Dès lors, cher mon général (puisque vous acceptez cet affectueux surnom, qui plus est correct, m'avez vous dit un jour), faut-il que nous écrivions ces lignes d'opération à leur place ? cela légitime plus que jamais l'intérêt du stratège, clausewitzien ou non, pour la politique et pour l'économie....
Mais je crois avoir suffisamment plaidé cette chose dans ces colonnes pour ne pas insister, encore une fois, au risque de vous lasser..
Chacun ses marottes !
Très cordialement,
O. Kempf

4. Le dimanche 21 février 2010, 19:58 par Jean-Pierre Gambotti

Faut-il qu’il soit des guerres comme des affaires plus communes de la Cité, que l’on connaisse les solutions pour résoudre les crises mais que l’on préfère la recette Queuille ? Sur les Théâtres d’engagement actuels se déroulent de vraies guerres et les stratégies à mener sont nécessairement globales ou totales, au sens des bons penseurs de la guerre. Et ce n’est pas sur ce site que je rappellerais que si la responsabilité de la guerre est l’attribut de Prince, c’est parce que Le Ziel et le Zweck , le but et la finalité de la guerre, ressortissent respectivement au militaire et au politique, et que s’ils doivent être distincts ils n’en sont pas moins symbiotiques. Notons que le Prince aujourd’hui, est « chef des armées » chez certain, « commandant en chef » chez l’autre ! La solution ne se trouve plus dans la stratégie dilatoire de Queuille, elle est par essence dans la Politique et ce faisant dans l’application d’une stratégie de ce niveau, totale ou globale. Ainsi penser et conduire la guerre en s’exonérant des « plans parallèles », pour reprendre l’image du GOP, c’est méconnaître le Ziel et le Zweck , je ne peux imaginer que les guerres soient considérées comme si peu sérieuses par le politique qu’il ne les laisse qu’aux militaires. Mais encore est-il nécessaire pour les co-responsables de la guerre et responsables des domaines PMESII, qu’ils s’emparent de la Stratégie et considèrent que c’est essentiellement leur métier, pas uniquement celui du soldat. Je ne doute pas que le Prince les pousse dans cette révolution plus que culturelle, puisqu’il s’agit de nos intérêts vitaux.
Pour revenir à nos états-majors, je ne suis pas aussi péremptoire que vous quant à l’absence de spécialistes pour traiter des « plans parallèles » PMESII. Ce que nous connaissons de la stratégie actuelle en Afghanistan me laisse supposer que l’approche est bien globale. Mais l’est-elle suffisamment ? Le retex politico-militaire de l’opération Mushtarak pourra peut-être nous éclairer.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti
PS : Excellente prestation sur France 24, le podcast est toujours valide !

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