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CR de la conférence sur les dirigeables

A la suite d'un billet qui signalait cette table ronde, Yves Cadiou a assisté à la conférence sur les dirigeables, organisée par "participation et progrès", et nous adresse ce compte-rendu : Egéa aura au moins servi à cela....

Quant à moi, qui n'y suis pas allé, ce CR synthétique m'a appris des choses insoupçonnées...

Merci Yves Cadiou, et merci P&P

Cher Monsieur Kempf,

Ici même le 31 janvier vous avez annoncé la table ronde sur "Des dirigeables, demain, pour la Défense et la Sécurité Nationale" organisée par le club de réflexion "Participation et progrès" au musée de l'air, au Bourget. Je vous avais alors promis de vous adresser mes notes et réflexions d’auditeur. Voici.

Je ne reviens pas sur les thèmes abordés ni sur les orateurs que vous aviez annoncés . Pour vous rendre compte de cette table ronde, permettez-moi de commencer par la sortie : content d’être venu parce que la séance était conforme à ce que j’en attendais. Je ne connaissais aux dirigeables rien de plus que les données que l’on peut trouver partout. Ici, plusieurs orateurs passionnés, convaincus et convaincants, ont démontré que la vieille image, souvent défavorable que nous avons tous du dirigeable (fragile, dangereux, peu maniable, cher…) doit être actualisée à la suite des progrès considérables rendus possibles par l’utilisation de l’hélium, gaz neutre qui remplace l’hydrogène inflammable, par les nouveaux « textiles » artificiels qui composent les enveloppes, par l’informatique qui permet une navigation précise.

Votre serviteur se doutait un peu de ce qui précède et c’est pourquoi il était venu assister à cette table ronde : le ballon dirigeable est un engin d’avenir. Voici quelques notes prises par le profane que je suis, en m’excusant d’avance auprès des spécialistes.

Les utilisations possibles du ballon sont multiples et elles n’ont pas toutes été évoquées lors de cette table ronde. Elles se classent en deux domaines, auxquels correspondent deux types d’engin : le transport lourd mais économique sur des distances qui peuvent être longues ou courtes, l’observation de longue durée. Dans ce deuxième cas, l’on utilise des ballons placés en vol stationnaire dans la stratosphère, entre dix-huit et vingt-deux kilomètres d’altitude où le vent est toujours faible. L’engin n’est pas nécessairement habité. Il fabrique son électricité par des capteurs solaires, ses moteurs électriques gérés par ordinateur lui permettent de stationner précisément à l’endroit qui lui a été assigné. Ceci ressemble à de la science fiction mais c’est pourtant réalisable dès maintenant, toutes les techniques étant au point actuellement.

Ces engins ne coûtent pas plus cher en investissement que les aéronefs « classiques » (avions, hélicoptères) et le prix de l’heure de vol est infiniment moins élevé, grâce à la poussée d’Archimède. Leur autonomie dépasse largement celle de tous les autres engins volants.

La fragilité : c’est désormais du passé. La résistance aux impacts de balle et aux éclats (par attaque terrestre ou aérienne) est un paradoxe qu’il faut connaître, et ce n’est pas de la théorie : l’Armée de l’Air française et la Royal Air Force britannique ont dû, il y a quelques années, abattre un ballon-sonde de la Météo qui dérivait vers une direction non souhaitée : cette opération a duré plusieurs heures, le ballon refusant obstinément de descendre. C’est que la pression intérieure n’est pas supérieure à la pression atmosphérique environnante et que, de ce fait, le ballon n’explose pas comme on l’imagine (il n’y a pas d’effet baudruche), les fuites de gaz sont minimes et l’engin continue de voler. Ajoutons que par ailleurs les dirigeables sont à la fois peu détectables au radar et qu’ils sont peu vulnérables aux missiles autoguidés par infrarouge parce que les moteurs électriques ne laissent qu’une faible signature thermique.

Bref, amis lecteurs, si vous avez des préjugés contre les ballons dirigeables (préjugés probablement créés par le souvenir d’accidents spectaculaires d’une autre époque) il est temps que vous révisiez vos données car nous avons ici une voie d’avenir qui nous est accessible et qu’il serait regrettable de négliger.

Voilà, cher Monsieur Kempf, la conclusion que je tire de cette séance où j’allais sans trop d’idées préconçues ni beaucoup de connaissances mais où la conviction et la qualité des intervenants captait l’attention et invitait à en savoir plus sur cet engin inattendu qui serait certainement utile dans nos équipements.

Yves Cadiou

Commentaires

1. Le samedi 20 février 2010, 22:19 par Nono

Bonjour,

J'ai moi aussi assisté à cette conférence. Mon point de vue: intéressante pour faire l'état de l'art en la matière, mais malheureusement quelques travers bien français:
- critiques récurrentes sur lEtat qui n'aurait pas les connaissances suffisantes en matière de dirigeable car l'expertise s'est perdue: je suis désolé, mais un dirigeable, ça vole, comme un avion ou un hélicoptère, il y a quelques règles de base qui restent,
- critiques récurrentes sur l'absence de soutien de l'Etat parce qu'il ne peut pas subventionner à plus de 50%: pourquoi l'Etat devrait subventionner plus que ça? On touche là le principal problème en France (à mon sens): l'absence d'investissement privé et l'attente que l'Etat règle tout. Comme le faisait remarquer un des participant, le coût de développement/certification du Zeppelin NT, un des rares modèles de dirigeable en service, est de 300 M€. Manifestement, aucun des projets en France n'a certes envergure financière ou n'a réussi à rassembler un tel tour de table. Pourquoi toujours compter uniquement sur les subventions?
- Personnellement, je resterai modeste sur certains usages revendiqués (soutien en COIN) ou certaines qualités avancées (furtivité IR peut-être, mais radar non: un vrai avion furtif a une SER plus petite que celle d'un oiseau)
- je ne sais pas si Yves Cadiou est resté jusqu'à la fin, mais l'intervention finale de l'Onera valait le coup: souvent, les projets de dirigeables manquent de bon sens, et surtout d'un marché, alors que justement il existe des missions pour lesquelles les dirigeables sont très adaptés.
- Pour tempérer mes bémols, je dirai que manifestement le dirigeable a certains usages très intéressants, essentiellement grâce à sa très grande autonomie possible (plus facilement atteignable qu'avec un drone MALE/HALE "classique" à voilure fixe). Mais pour l'instant, on manque de budgets pour ça....

Cordialement,

Nono
EGEA : merci de ce point de vue complémentaire

2. Le samedi 20 février 2010, 22:19 par

Bien sûr « Nono » a raison quand il évoque l’aspect financier. C’est un aspect essentiel mais je n’en ai pas parlé dans mon CR parce que ça ne concerne pas spécifiquement les dirigeables : la question financière et notamment le financement des études amont est un problème lourd (on excusera mon jeu de mots, en parlant des moins-lourds-que-l’air) qui concerne tous les équipements militaires.

Pour tous les équipements militaires et pas seulement les dirigeables, l’on voit que dans les cas où les Armées sont susceptibles d’être parmi les nombreux utilisateurs intéressés, le ministère de la Défense est sollicité pour financer le projet. C’est ce que l’on a pu constater encore ici lorsque les intervenants ont parlé de financement.

C’est une vieille habitude qu’il faudrait changer car c’est de l’argent public pris indument sur le budget du ministère de la Défense pour des utilisations sans rapport avec la Défense Nationale et parfois au profit d’intérêts privés.
Il y a un siècle, le Ministère de la Guerre n’a pas subventionné les recherches sur la toute nouvelle technologie de la voiture automobile au motif que l’on pourrait faire la manœuvre des Taxis de la Marne. En 1911, lorsque Foch a déclaré « l’aviation c’est bon pour le sport mais ça ne vaudra jamais rien pour la guerre », peut-être avait-il en tête cette question du financement qu’une déclaration différente aurait automatiquement impliquée.
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Examinons maintenant, parce qu’en ces temps de réformes il faudrait avoir le courage de s’en inspirer pour les Armées, les procédures d’un autre ministère qui achète des équipements spécifiques. Le ministère de l’Intérieur, lorsqu’il a besoin d’avions bombardiers d’eau, lance un appel d’offres international et achète du matériel au meilleur rapport qualité-prix, livrable sans délai d’études. Lorsqu’un SDIS (service départemental d’incendie et de secours) a besoin de renouveler ses FPT (fourgon pompe-tonne), il lance un appel d’offre européen conformément au code des marchés publics puis achète lui aussi du matériel livrable dans les délais correspondant à ses besoins et au meilleur rapport qualité-prix. Depuis une dizaine d’années, les SDIS groupent leurs commandes pour faire des économies d’échelle (oups, celui-ci m’a échappé !).
Le ministère de l’Intérieur, Service protection civile, n’est pas chargé de promouvoir l’industrie française des matériels d’incendie : il laisse les industriels jouer normalement le jeu de la concurrence.

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Au contraire pour les Armées, une telle efficacité administrative au profit de l’efficacité opérationnelle n’est pas possible au ministère de la Défense parce qu’on a une DGA dont la mission est de « préparer les capacités technologiques et industrielles », de « contribuer activement à la politique industrielle pour le développement des entreprises françaises de défense ».

Au cours de cette conférence sur les dirigeables, les prétendues rigidités du CMP (code des marchés publics) évoquées par certains participants ne sont que des rigidités dans l’interprétation qui en est faite : le ministère de l’Intérieur applique le même CMP, sans rigidité.

En matière d’équipement des Armées, surtout lorsque l’équipement n’est pas spécifiquement militaire, le ministère de la Défense ferait bien de s’inspirer des méthodes du ministère de l’Intérieur : le dirigeable sera utile pour la surveillance des feux de forêt et pour la surveillance des grands rassemblements de personnes. Pourtant personne ne demande au ministère de l’intérieur d’en financer les études et expérimentations.

Le transport lourd peut intéresser beaucoup de clients, pas seulement les services publics. Quelques idées : passagers sur des lignes touristiques à la belle saison (Scandinavie en juillet, Cap Horn en janvier, le transfert d’un site à l’autre n’est pas cher compte tenu du prix modique de l’heure de vol) ; les éléments de la fusée Ariane directement de Normandie où ils sont construits en Guyane où ils sont assemblés sur le pas de tir (le dirigeable permet de s’affranchir des trajets routiers et des manutentions portuaires). Les dirigeables stratosphériques stationnaires peuvent intéresser les opérateurs de téléphonie mobile. Beaucoup d’entreprises peuvent être clientes.

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Par conséquent j’ai préféré ne pas mentionner la partie financement évoquée lors de la conférence car c’est un autre sujet. Si le projet est bon (comme je le crois) il trouvera des financements normaux. Le Gouvernement pourra alors, au titre de la Défense Nationale, imposer que ces engins présentent telles et telles caractéristiques complémentaires qu’il financera pour pouvoir convenir, sur réquisition, à une utilisation pour le soutien aux Armées.

3. Le samedi 20 février 2010, 22:19 par Nono

Merci monsieur Cadiou de vos remarques.

Personnellement, je n'avais pas pris les "plaintes" sur le manque de financement étatique comme spécifiquement dirigées contre le ministère de la Défense, mais contre l'Etat dans son ensemble. Personne n'a demandé à l'Intérieur de financer un dirigeable pour les missions de surveillance, mais bizarrement, c'est fou le nombre de fabricants de mini-drones qui se lancent sur le marché de la "sécurité" au sens large (missions de police). Pour ce qui est de l'intérêt des dirigeables, le sujet a été amplement débattu, il est juste dommage que les limites techniques incontournables (comment éviter à un dirigeable transportant une charge de 50T de se retrouver "satellisé" quand il dépose sa charge? La poussée d'Archimède représente 50T de poussée verticale, soit ce qui suffit à propulser un avion de ligne long courrier) ait été à peine abordée faute de temps.

Et je me garderai bien de comparer les politiques d'achat des polices et pompiers comparées à celle du ministère de la Défense: on n'est pas tout à fait dans les mêmes niveaux de budget (très loin même), ni de concurrence. Le CMP est le même, certes, mais l'idée de "promouvoir l'industrie française" existe partout: jusqu'à présent, les voitures de police sont essentiellement des voitures françaises, et c'est justement la gendarmerie (dépendant entièrement du ministère de la Défense à l'époque) qui a fait "scandale" en achetant des Ford il y a quelques années. Et à l'étranger, c'est pareil: c'est fou le nombre de BMW ou Mercedes dans la police allemande, de Fiat en Italie,.... Sans compter que tout spécifiques qu'ils soient, le marché est tout de meêm un peu plus étendu que celui de la plupart des équipements militaires...

4. Le samedi 20 février 2010, 22:19 par

Très intéressantes remarques de « Nono », à la fois pour ses objections techniques et lorsqu’il se refuse à « comparer les politiques d'achat des polices et pompiers comparées à celle du ministère de la Défense : on n'est pas tout à fait dans les mêmes niveaux de budget ».

Cette remarque-ci résulte d’une méconnaissance trop généralement répandue sur le fonctionnement et le financement de la Protection civile. Rappelons d’abord que les Commissariats et les Gendarmeries sont financés par les collectivités locales, ce qui n’est pas le cas des Armées, entièrement financées par l’Etat. De ce fait les budgets « Intérieur » et « Armées » sont difficilement comparables.

En ce qui concerne plus précisément le budget des Pompiers, le système est intéressant à connaître mais méconnu de ceux qui ne l’ont pas pratiqué. En France deux-cent cinquante mille pompiers civils et leur matériel font partie de la Défense au sens de l’ordonnance de 1959 mais le Livre Blanc a esquivé cet aspect des choses : le LB a limité son étude aux Armées grâce à l’ambiguïté de l’appellation du ministère de la Défense.

Celle-ci date de 1969, avec à l’époque le projet de confier à M. Michel Debré une responsabilité de Défense interministérielle, militaire, civile, économique. C’était dans la logique de l’ordonnance de 1959 et à ce moment-là des esprits éclairés voyaient venir la crise pétrolière qui s’est produite en 1973.

Mais le projet de ministère interministériel n’a pas été suivi d’effet, se heurtant probablement à trop de « chapelles ». Le ministère des Armées a conservé indument son appellation « Défense ».

Contrairement à ce qu’écrit Nono l’équipement des Armées et celui des Pompiers se situent dans les mêmes niveaux de budget mais les Pompiers, que je connais bien, n’aiment pas beaucoup que l’on s’intéresse à leurs dépenses autrement que pour voter le budget qu’ils imposent aux collectivités locales sur la base des directives du ministère de l’Intérieur. Le budget des pompiers passe inaperçu au niveau de l’Etat parce qu’il est « dilué » entre une centaine de services départementaux (SDIS) financés par les collectivités territoriales. Ceci se fait en contradiction avec l’article 72 de la Constitution et en dépit des protestations trop discrètes des élus locaux. Le budget total des SDIS n’a fait, à ma connaissance, l’objet d’aucune étude ni même d’une simple addition, mais l’on est bien dans les mêmes niveaux de budget.

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Pour revenir au sujet et en ce qui concerne les objections techniques contre le dirigeable, j’ai un peu cherché sur internet parce que ces objections ne me semblent pas fondées. L’idée de développer le dirigeable subit des oppositions assez comparables à celles que rencontrait une autre rétro-innovation, le tramway dans les années soixante-dix : "c'est dépassé", "ça marchera jamais", "on ne pourra pas développer le vélo en ville si on met des rails" et tous les arguments créaticides qui s'épanouissent habituellement face aux projets innovants. Au XIX° siècle, au moment des premiers chemins de fer, de doctes commentateurs avaient prédit, arguments scientifiques à l’appui, que l’organisme humain ne pourrait pas supporter des vitesses supérieures à 60 km/h. Plus récemment, le téléphone portable allait développer le cancer de l’oreille. Le tramway, malgré les oppositions qu’il a rencontrées naguère, a suivi son bonhomme de chemin et l’on constate aujourd'hui que toutes les villes s'équipent, ou veulent s'équiper, de tramway. Il suffit que quelqu’un ait le courage de commencer.

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Ici, Nono prétend que le dirigeable est incapable de transporter des charges lourdes parce qu'il bondirait vers le haut après avoir largué sa charge.

J’aimerais qu’un technicien qualifié réponde à cette question mais pour ma part j'imagine que l'on peut équilibrer l'engin en recomprimant de l'hélium dans des bouteilles afin de diminuer le volume et donc la poussée d'Archimède. Rappelons à titre de comparaison qu’une simple petite bouteille de plongeur amateur contient l’équivalent de 2m² d’air atmosphérique : il doit donc être assez facile de diminuer la « flottabilité » d’un dirigeable en recomprimant l’hélium au moment où l’engin dépose sa charge. L’énergie électrique nécessaire à la recompression de l’hélium est fournie par le secteur parce que l’engin est au sol.

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Ne « tuons » pas le ballon dirigeable avant d’avoir essayé. Comme pour les Taxis de la Marne et comme je l’écrivais dans ma précédente intervention, son utilisation sera civile et privée avant d’être militaire mais l’on aurait tort de s’en désintéresser pour la Défense.

5. Le samedi 20 février 2010, 22:19 par Nono

Merci à Yves Cadiou pour ses précisions sur le fonctionnement des achats de matériels dans les SDIS.

Pour ce qui est des dirigeables, je ne dis pas que c'est impossible, je dis juste qu'il y a quelques problèmes techniques à résoudre, et qui pour l'instant ne l'ont pas été. La recompression d'hélium, j'y avais pensé, mais la question qui tue ensuite: ça prend combien de temps? Le le compresseur pèse combien? Enfin bref, tout ça pour dire que même pour voler, il faut savoir garder un minimul les pieds sur terre! :-)

égéa:  que voici un débat harmonieux, qui a permis des positions différentes, qui finalement ont toutes deux progressé : rien que pour cela, ce séminaire a été utile. Merci à vous deux, et vivent les blogs

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