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Qu’est-ce que la guerre asymétrique ? (plan exposé)

Une jeune étudiante de la catho, en deuxième année de fac, m'a demandé conseil pour préparer un exposé de RI. Son sujet : les guerres asymétriques. Un lecteur d'égéa a tous les éléments de connaissance pour répondre à un tel sujet. Donc, j'ai sauté sur l'occasion : en effet, cela permet de montrer ce qu'est un plan détaillé, valable pour l'oral ou l'écrit.

Pour l'oral : il est peut-être trop précis (je l'ai fait en 3/4h, alors qu'on a usuellement 1/2 h de temps de préparation) : les détails des puces ne sont donc pas exigibles pour une colle orale de dix minutes (mon étudiante pouvait étendre son exposé à 20 minutes). En revanche, on aperçoit qu'on a les deux parties, les deux sous-parties, les paragraphes principaux, ainsi que les annonces principales. Pour un plan sciences po, on a la matière pour 10 minutes précises, si on ôte les puces.

Le niveau de détail est celui qu'on attend d'un plan détaillé pour une copie à l'écrit : il faudrait ensuite rédiger introduction et conclusion au brouillon, avant de commencer la réaction. Si on compte les 3/4h évoqués ci-dessus, le 1/4H de recherche préalable, la 1/2h de pré-rédaction des bouts, nous voici à 1h30, qui laissent 2H30 pour la rédaction : vous avez donc largement le temps de calligraphier et de peser vos mots, sachant qu'il s'agit de produire entre huit et dix pages. Avec de l'aisance, on rédige plus vite, et le rab est dédié à la recherche et la réflexion.

L'introduction est découpée classiquement, selon la règle des trois entonnoirs : Accroche, énoncé du sujet, définition des termes, cadre historico-géographique, problématique, Annonce du plan. De même la conclusion suit l"articulation reprise/ouverture (je ferme j'ouvre).

Bien sûr, ceux qui ne s'intéressent pas à la forme mais au sujet peuvent critiquer mon propos sur la guerre asymétrique : car cela devrait aussi intéresser les lecteurs d'égéa qui ne préparent aucun examen.

O. Kempf

Introduction

  • Accroche : offensive de Majrah en Afghanistan : des forces occidentales, lourdement armées, s’attaquent à quelques dizaines de talibans, faiblement armés d’armes individuelles
  • Sujet :
  • Déf : Guerre asymétrique = guerre non conventionnelle, entre des adversaires n’ayant pas le même niveau d’équipement et utilisant des techniques de combat différentes du rapport de force quantitatif
  • Limites : A existé dans l’histoire, cf. l’invention du mot « guérilla » = petite guerre ne espagnol, apparu pendant la Guerre d’Espagne contre Napoléon. Le concept de « petite guerre » n’est donc pas aussi nouveau qu’il y paraît. Toutefois, il y a des nouveautés propres à la situation contemporaine qu’il s’agira de déceler.
  • Problématique : S’agit-il d’une forme pérenne de la guerre, ou d’une adaptation temporaire des modes de combat, susceptible d’évolutions ?
  • Annonce Plan : Ainsi, la guerre s’est transformée, passant d’une symétrie à une asymétrie (I) ; pour autant, cette guerre asymétrique est-elle indépassable ? (II)

I De la symétrie à l’asymétrie de la guerre

La guerre était symétrique (A) ; cette situation a pris fin avec la guerre froide (B).

A Une guerre symétrique

1/ La densification des conflits au XX° siècle

  • Révolution de l‘art de la guerre fin XVIII°, Napoléon et le combat interarme
  • Clausewitz : rapport de force et centre de gravité
  • Guerre civile américaine (première guerre industrielle), guerre de 1870 (train et mobilité)
  • 1GM : guerre totale (Luddendorf, etc), la guerre n’est plus seulement affaire de professionnels, elle engage toute la nation
  • 2GM : guerre blindée mécanisée, couple aviation-char (De Gaulle, Lidell Hart, ..), plus de la moitié des victimes sont civiles !

2/ L’adaptation de la guerre froide

  • Le fait nucléaire : l’ascension aux extrêmes clausewitzienne aboutit à l’anéantissement réciproque
  • Cf. doctrines successives : représailles massives, destruction mutuelle assurée, riposte graduée, contrôle des armements
  • Mais la bipolarité organise un duopole (URSS US) qui entraîne la symétrie
  • Il faut quelque chose entre le tout ou rien : d’où armements « conventionnels » (chars, avions, artillerie) qui s’inscrivent dans cette symétrie, et permettent de préparer l’escalade pour éviter d’aller dans l’échange nucléaire (cf. Raymond Aron, « Paix et guerre entre les nations » et « penser la guerre Clausewitz »)

B La fin de la symétrie

1/ Fin du monde bipolaire

  • Ecroulement URSS et PAVA : l’organisation du monde est bouleversée
  • Les hésitations : monde unipolaire (US, puissance dominante : Fukuyama, « Le dernier homme ou la fin de l’histoire ») ou multipolaire (Hubert Védrine, Evgueni Primakov : « Un monde sans la Russie ? ») ?
  • Les balbutiements de la gouvernance mondiale dans les années 1990 : Système ONU, « opérations de maintien de la paix » plus ou moins réussies (Bosnie, Cambodge, Somalie), ingérence humanitaire (B. Kouchner et M. Bettati)
  • La tentation de l’interventionnisme : l’Otan au Kossovo, la GB en Sierra Leone, France (opération Licorne) en Côte d’Ivoire
  • La croyance en la technologie : la révolution informatique apporte une Révolution dans les affaires militaires (RAM) qui assure plus encore la domination des puissants

2/ Attentats du 11 septembre et leurs suites

  • Attentats à partir de rien : la vieille logique « gros contre gros » tombe à bas, l’ennemi n’est pas un Etat, mais un groupuscule terroriste, inorganisé et réticulaire : il y a eu contournement stratégique, surprise stratégique, par une démarche « asymétrique »
  • Guerre d’Irak 2003 : faire tomber Saddam Hussein n’est pas le problème, mais contrôler l’éruption des insurgés (Al Qaida en Irak) est terriblement compliqué : on n’y arrive qu’à partir de 2007
  • Afghanistan : les talibans tombent en deux mois (décembre 2001), mais l’insurrection reprend de la vigueur et grossit à partir de 2006 : aujourd’hui, l’Occident n’est-il pas en train de perdre la guerre ? cela validerait la posture asymétrique

II Peut-on dépasser la guerre asymétrique ?

Tout d’abord, cette notion de guerre asymétrique recouvre-t-elle tout le champ des conflits contemporains ? (A). Surtout, constitue-t-elle l’état terminal de la guerre, ou y aura-t-il de nouvelles formes ? (B).

A Comment nommer la guerre asymétrique ?

1/ Guerre au sein des populations

  • Ruppert Smith, V. Desportes (trouve les réf)
  • La population est à la fois le milieu et l’enjeu (opinion) de la guerre
  • Il faut donc « gagner les cœurs et les esprits », d’où logiques « contre-insurrectionnelles » (COIN : COunter INsurgency)
  • Des succès : Gal. Petraeus en Irak, cf. tentative Gal Mc Chrystal en Afghanistan

2/ Guerre bâtarde

  • cf Bouquin A. de La Grange et JM Balencie
  • la suprématie technique occidentale ne suffit plus : les technologies sont accessibles à bas prix (cf. Hezbollah au sud-Liban 2006), les insurgés jouent la communication (attentats suicide marquent aussi bien leurs populations que les nôtres, cf. aussi émotion quant à la notion de bavure)

D’où : Guerre irrégulière

B La guerre asymétrique, la dernière des guerres ?

Soit pour, soit contre

1/ La guerre conventionnelle n’est plus crédible

  • le monde est en voie de pacification : le monde est plat (Th. Friedman,), mondialisation, ...
  • juridicisation (jus ad bello, jus in bello), la norme internationale prend de plus en plus de place
  • Ces situations de contournement de la guerre sont donc celles du monde moderne, et demeureront pérennes.

2/ Attention aux surprises stratégiques

  • La guerre asymétrique a surpris en ce début de XXI° siècle, car moyen de contourner la puissance reconnue de l’adversaire : pas de raison que ça ne se reproduise pas
  • Emergence de la Chine, réarmement prononcé de l’Asie : attention à ne pas tout voir au travers de nos lunettes d’Européens pacifiés
  • Fait nucléaire : il était organisé et contrôlé dans un cadre bilatéral, celui-ci n’existe plus alors que prolifération (cas iranien) : le tabou nucléaire risque de ne pas durer
  • Fait environnemental : la biosphère devient un enjeu par elle-même, cf. géopolitique des ressources, possibilité de guerres de l’environnement (cf. JP Gambotti, La guerre qui vient, RDN, mars 2010)

Conclusion

  • Reprise des principales articulations de l’exposé (On redit IA, IB, II A II B : je vous ai dit que je l’ai dit)
  • La guerre asymétrique occupe donc les esprits de tous les stratèges actuels : attention toutefois à une double myopie : l’une chronologique (c’est la guerre qu’on observe depuis dix ans, ce qui ne signifie pas que c’est pertinent pour le siècle à venir) et l’autre culturelle (c’est notre guerre, celle qui nous pose problème). Le renouveau du fait nucléaire (cf. toutes les négociations de désarmement de cette année : conférence de Washington, TNP, négo START, cas iranien…) et la montée en puissance de la question environnementale sont des facteurs de très longue portée, d’autant que la crise fragilise la scène mondiale
  • Ouverture : Ce n’est pas pour autant qu’il faut ignorer la guerre asymétrique, ou irrégulière : elle demeurera encore longtemps dans le champ de la guerre, parce qu’elle est complexe, et qu’elle correspond bien à un monde épais (François Heisbourg, « L’épaisseur du monde »)

Commentaires

1. Le mardi 16 mars 2010, 10:31 par

Bonjour
Je n'ai rien à ajouter au plan ... qui m'apprend déjà beaucoup.
Mais une simple question: la piraterie actuelle n'est-elle pas elle aussi une forme de guerre asymétrique ("pauvres" contre "riches"?)
Cordialement

égéa: oui, vous avez raison. Mais en dix quinze minutes, on ne peut pas tout dire ! votre remarque illustre bien pourtant qu'il n'y a pas de corrigé, et que "ce qui vient" peut contribuer à  une bonne réponse alternative...

2. Le mardi 16 mars 2010, 10:31 par Thierry

Olivier, je ne suis pas tout à fait d'accord avec ta définition d'une guerre asymétrique en intro. La non-conventionnalité que tu y attaches est spécifique de la compréhension américaine, selon laquelle une guerre est conventionnelle ou asymétrique...Nous avons plus de finesse...mais bon, c'est juste pour ouvrir le débat sur un sujet magistralement traité.

égéa : magistralement.... faut pas charrier. C'est toute la question des définitions en intro : elles sont toujours discutables. Le but d'une déf consiste justement à être à la fois assez juste pur être dans le sujet, et en même temps assez complexe pour tenir la problématique qui s'annonce un peu plus loin. Toutefois, ces subtilités sont plus importantes à l'écrit qu'à l'oral, où on est plus tolérant. A l'écrit, il faut chiader la définition.

3. Le mardi 16 mars 2010, 10:31 par Christophe Richard

Bonsoir,
Il me semble que le terme d'asymétrie est apparu assez tôt, juste après la guerre du Vietnam pour expliquer comment la puissance américaine avait pu échouer... il a par la suite été repris pour engerber les opérations de "basse et moyenne" intensité dans la QDR de 1997. Les opérations autres que la guerre comme disaient à l'époque les américains...

Mais qu'exprime-t-il au fond?

  • 1- Que la guerre est un phénomène politique et que les état n'en ont pas le monopole. (La belle affaire, le mode d'organisation qu'est l'état moderne n'est pas si vieux et abouti pour qu'on puisse le croire éternel et indépassable)
  • 2- Que la technologie est à la fois une source de dyssimétrie et un facteur égalisateur. (Après-tout, si l'artillerie a sans doutes sa part dans l'avènement des états modernes, c'est un arquebusier qui a tué Bayard... )
  • 3- Qu'on peut se battre durement pour autre-chose que le pouvoir politique (Gallieni et Lyautey affrontaient au Tonkin des bandes de centaines de "pirates" mieux armés que leurs soldats, le terme de pirate n'est pas anodin, puisqu'il traduisait clairement qu'il s'agissait d'un phénomène de nature économique plutôt que politique)
  • 4- La stratégie consiste souvent à exploiter les potentiels de situation en jouant de forces irrégulières (voir le concept de Compound Warfare et celui de guerre hors limite)c'est d'ailleurs le cas dans la pluspart des guerres...

Ce n'est pas le fait que la guerre puisse revêtir des formes irrégulières (au sens juridique et stratégique) qui est une nouveauté, c'est que nous avons du mal à y répondre.

Bref, le concept d'asymétrie n'a pas d'autre sens que de renvoyer les pays occidentaux à leur rapport à la guerre. Or, a trop se focaliser sur lui on risque de se retrouver dans la position de l'idiot qui regarde le doigt du sage en train d'essayer de lui montrer la lune...
Le vieux précepte de Clausewitz est plus que jamais vérifié, à la guerre chaque adversaire fait la loi de l'autre...

Cordialement.

égéa : ils sont forts, les lecteurs d'égéa.....!

4. Le mardi 16 mars 2010, 10:31 par

ne pourrait-on pas dire plus simplement que la guerre asymétrique c'est la réponse du "faible" au "fort".Le pouvoir de nuisance du "faible" neutralisant temporairement la supériorité du "fort" jusqu'à ce que ce dernier trouve la parade. le "faible" recherchant d'autres moyens de nuisance..etc.
Bref le "fort" n'est pas celui que l'on croit et inversement.

5. Le mardi 16 mars 2010, 10:31 par

Remarques de second ordre (histoire de dire que je chipote un peu):

Sur le fond, j'ai une réserve quant à l'antériorité de la symétrie sur l'asymétrie (l'histoire ne commence pas avec les guerres napoléoniennes).

De plus l'aspect non occidento-centré est évoqué brièvement, mais la guerre symétrique, finalement un peu héritée de la passion européenne (grecque) pour le choc, n'est-elle pas une vision réductrice de ce qu'est la guerre vue par, exemple pris au hasard, un Sun Zi ?

Par ailleurs, sur la définition en elle-même, l'aspect "entre des adversaires n’ayant pas le même niveau d’équipement" formulé tel quel peut entretenir une confusion avec la dissymétrie.

Il est tard, j'ai plein d'autres remarques qui viendront bientôt...

6. Le mardi 16 mars 2010, 10:31 par boris friak

En matière de guerre l'asymétrie n'est-elle pas la règle ? La recherche permanente d'un rapport de force favorable en est une des illustrations. La recherche de la supériorité technologique en est une autre. Le combat symétrique ne vaut que pour la "guerre stylisée", c'est à dire les duels (paire de pistolets, les tournois chevalersesques et les sports de combat).

La nouveauté et le paradoxe des guerres asymétriques récentes est l'avantage, au moins temporaire, que procure un rapport de force défavorable. (Déjà théorisé par Jean de La Fontaine !).

Boris Friak
égéa : la question est classique/ On y répond classiquement par la distinction entre dissymétrie (recherche justement du rapport de force) et asymétrie (approche indirecte, petite guerre, ..). Cela suffit-il à clore le débat ? je ne sais

7. Le mardi 16 mars 2010, 10:31 par claire

tous les états aujourd'hui se veulent être vu sur la scène internationale or le système international c'est une réunion d'acteurs de "fort".

l'asymétrie c'est cette arme usée par le faible pour se faire voir aussi bien sur le plan régional qu'international

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