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Peut-on parler d'un monde turc ? par F Rioux

Un nouveau thème du mois vient de s'ouvrir sur AGS : Peuples en armes. Nous y reviendrons, bien sûr. Pour autant, il y a encore plein de choses à dire de l'ancien thème sur la Turquie. C'est ainsi que je suis très heureux de proposer ce texte de F. Roux : elle est professeure de géographie en Khâgne. Voici le traitement du sujet qu'elle a donné à ses élèves.Elle est bien entendu extrêmement insatisfaite,jugeant le travail digne du panier, d'autant qu'elle "ne sait rien des Karakalpaks " ce qui semble, on en conviendra, absolument essentiel au sujet (;-))).

Sur la forme, le lecteur découvrira un plan en trois parties et une très longue introduction. Sur le fond, tout y est, bien sûr. Merci Mme Rioux de cette contribution. Et pour se détendre, on ira lire quelques turqueries sur AGS.

O. Kempf



PEUT-ON PARLER D UN « MONDE TURC » ?

D.S. KHÄGNE 2009-10.( 5 heures . )

Proposition corrigé Françoise Riou - Lycée Michelet Vanves .

« Les Turcs ont toujours avancé d’Orient en Occident »1

La Turquie moderne, dt la frontière occidentale s’arrête à la rive occidentale du Bosphore (Thrace orientale) et aux limites orientales du plateau anatolien, candidate à l’entrée dans l’UE, hérite dans sa langue et dans sa mémoire (avec ou sans le consentement officiel) de cultures et de formations politiques très anciennes , datant d’un temps où les autres peuples appelaient turques les tribus migrant des piémonts altaîens par vagues, souvent destructrices, parfois constructrices d’empires (les Türuks), vers l’Ouest sans fin des steppes centre - asiatiques.

A partir du XIème siècle, les Turcs (ou Türks, pour ne pas confondre avec l’appartenance à l’Etat -Nation actuel de la Turquie)arrivent en Anatolie, par l’Iran, l’Azerbaïdjan, le Caucase : Seldjoukides (déjà présents par le sultanat de Roum), Mongols et derrière ces hordes2, des tribus de Turcomans, alliés des Seldjoukides ou chassés par eux d’Iran, vers l’ Empire Byzantin, ou encore Türks supplétifs des armées mongoles au XIIIème siècle, ont laissé leurs empreintes dans l’Empire ottoman, fondé en Anatolie par les Osmanlis (Ottomans), détenteurs d’un petit émirat turc que l’affaiblissement mongol laisse s’étendre.

C’est une partie de cet héritage que la Turquie kémaliste fondée en 1923 a tant valorisé, par le biais d’une histoire officielle et d’un enseignement scolaire (à une époque où il s’est de plus en plus largement diffusé) montrant les sociétés turques du passé lointain, avant leur arrivée en Anatolie, comme porteuses, déjà, des vertus sur lesquelles se fondait l’Etat moderne 3: l’Etat, élaboré par les Turcs « Célestes » des VII-VIIIèmes siècles , et l’Islam, apporté par les Seldjoukides , qui ont enlevé l’Anatolie aux Byzantins à partir de 1071. L’avancée dans la modernité, sens donné à la rupture avec l’Empire ottoman, s’est faite par l’invocation d’une turcité pure - celle des Turcs venus d’Asie centrale - et d’une turcité musulmane, et dont la construction kémaliste réalise et achève l’aventure, grâce à MK , héritier direct des grands hommes de cette épopée (Bilge Kaghan et le sultan Alp Arslan) .

Cette Turquie moderne occupe pour autant un territoire qui fut le noyau de toutes ces nombreuses constructions politiques antérieures, parfois immenses , parfois émiettées ou réduites, depuis l’Empire romain d’orient jusqu’à l’ Empire ottoman, dont la destruction lors de la 1ère Guerre mondiale donne naissance, par le combat, à la Turquie de MK. Cet Empire s’est étendu pendant des siècles en gouvernant bien des peuples, Grecs, Grecs pontiques, Arméniens, Arabes, Slaves des Balkans et de Crimée, Caucasiens, Kurdes, tous autres, et tous déjà présents lorsque vinrent les Türks d’Asie centrale. Sur cette rencontre extraordinaire dans l’histoire , les Turcs osmanlis, bâtissent un Empire Devlet-i Rum : romain , donc occidental, et son expansion l’a mené vers l’ouest de l’Anatolie., en Europe. Les terres d’au-delà de la Caspienne, en Asie centrale, peuplées des descendants turcophones d’autres vagues venus des régions des lacs Baïkal et Balkach, qu’ils aient été turquisés par contact et/ou domination, qu’ils aient été turcs toujours –ce qui semble difficile à déterminer parfois, comme en Turquie il est difficile de savoir qui est « turc » de toujours et qui est turc parce que sa famille, bosniaque, bulgare, tatare, meshkète, ou même tcherkesse est venue s’y réfugier - intéressaient peu l’Empire ottoman . Les émirats et khanats ouzbeks (fondés fin XVème au SE et Sud de la Mer d’Aral) en étaient séparées par la distance, par les langues, par les chiites persans , par leur inclusion dans l’Empire russe au XIXème siècle. C’était vers un Occident à conquérir, ou dont se défendre au bout du compte, que le l’Empire s’est tourné pendant des siècles. MK a radicalisé en rupture, dans les années 20, la faiblesse de ces relations avec les Türks ; cela n’empêchait pas, en même temps, la prise de conscience4, dans le monde turcophone, d’une proximité des cultures, des langues., à défaut de celle des territoires. Au demeurant, l’Anatolie ottomane puis turque a accueilli des Turco-tatars et Caucasiens que repoussait l’avancée et les méthodes de l’Empire russo-soviétique en expansion. Ceux-là , et leur intellectuels, portaient un rêve panturquiste , et croyaient à l’existence d’un « monde turc » , bien au-delà de la Mer Noire, du Caucase, de l’Oural- sur l’autre versant du monde dont l’Anatolie paraît le centre : un versant dissymétrique , traversé de fractures, aux faciès multiples .

Donc lorsque la République de Turquie forme, dès 1991, la section türk dünyasi = « monde turc » du ministère des Affaires étrangères de Turquie, animée par des panturquistes convaincus, elle s’adresse moins à l’immense espace des peuples turcophones dispersés en Eurasie, qu’aux Etats nouvellement indépendants d’Asie centrale, républiques « musulmanes » (on disait ainsi) et turcophones ex-soviétiques ; si une partie des turcophones , ceux de Russie, et ceux de Chine, échappe à cette entreprise, derrière des frontières encore interdites , leur existence, parfois instrumentalisée par les hommes politiques turcs (Monsieur Erdogan accuse les Chinois de « génocide » en été 2009, lors de la répression des émeutes au Xinjiang) donne une impression d’empire continental, alors que tant de distances spatiales et historiques les séparent.

Ce monde turc est une question géographique et politique , alors que les liens culturels et linguistiques semblent admis, et que la Turquie travaille à les matérialiser depuis quelques années, avec un bonheur inégal ; on ne saurait le penser comme une ethnie dispersée par les aléas de l’histoire , ni comme une aire homogène de locuteurs d’une langue unique ; ils ne constituent pas à grande échelle de continuité spatiale , mais un archipel de groupes inégaux en nombres et en statuts politiques, dont certains ébauchent en ce moment –depuis la fin de l’Empire russo-soviétique et son recul territorial - des Etats - Nations, en Asie moyenne , d’autres sont des minorités dans des Etats hellénophones, slavophones, iranophones, chinois.5 Une active politique de liens culturels, universitaires , et si possible économiques occupe les institutions de la République de Turquie qui s’adressent au Turkestan russe de jadis, auquel cette ambition joint l’Azerbaïdjan caucasien et caspien, ainsi qu’ un projet à l’avenir incertain d’élaboration d’une langue partagée avec des peuples centre-asiatiques très éloignés à tous égards : ortak türkçe, pour une intégration à terme .

Finalement, hommes d’affaire turcs et même nationalistes purs et durs se mettent au russe, qui reste, bon gré mal gré, langue d’administration et de communication pour les élites d’Asie centrale : certains turcophones ne se comprennent pas sans difficulté, et les responsables politiques sont encore issus du moule soviétique. Le rêve de cet empire « dormant » évoqué un jour6 par le même MK qui ferma les frontières et les ambitions de la Turquie moderne au panturquisme, est donc encore une utopie. Pourtant, il est vivace, donc influent, dans les représentations du monde proposées aux écoliers turcs – force des cartes à petite échelle, qui montrent les Turcs de l’Europe Occidentale jusqu’à la Chine occidentale, de l’Adriatique au Xinjiang …

Ainsi la Turquie oscille-t-elle tjrs, entre l’ambition moderne de l’homogénéité , superposition du territoire, de la société , de l’Etat souverain et de l’appartenance (= langue , religion , ethnie), qui en fait à elle seule le « monde turc » par excellence , turquisé en dépit (en rupture affirmée) d’un héritage pourtant multiple et profond, et cet héritage - même : ottoman et turkmène pré-ottoman , perse et asiatique, méditerranéen et chrétien, déposé par les flux séculaires de peuples mouvants, arrivés (les Türks d’avant les Turcs) ou chassés (les Grecs, les Arméniens, les Chrétiens d’Orient), ou parfois même turquisés.

Ce patrimoine parfois renié, multiple et lourd, sous-tend le projet national lgtps enfermé dans le refuge7 anatolien, et rend la Turquie unique, en sa position de charnière de deux mondes qui ont fait l’essentiel de l’histoire des civilisations8 ; assumé, selon les besoins et les opportunités géopolitiques et politiques, dans sa dimension ottomane (au Moyen orient, au Caucase) et dans sa dimension turque et turcomane, il lui permet aussi de forger une ambition de puissance régionale. Elle tente donc d’investir le champ laissé par le retrait russe dans les anciennes marges centre - asiatiques de l’Empire tsariste et soviétique : le Turkestan russe.

Ces ambitions défendent une turcité qui émanerait de toute turcophonie (si elle se superpose à l’islam sunnite), alors même que la turcophonie, multiple, dépasse de loin l’Anatolie –fait incontestable, que l’historiographie et le discours identitaire reprennent et refaçonnent . L’histoire de la prise par l ‘armée d’Attila9 de la partie nord de Chypre, atteste de cette ambition, tenace en certains points, plus diplomatique en Asie centrale10, du nationalisme turc sur un vaste « monde turc ». S’y mélangent au demeurant les restes de l’Empire ottoman (Chypre, fondamentale dans cette topographie vue de Turquie, la Thrace occidentale, et les Balkans musulmans ou les musulmans des Balkans) et ceux de l’expansion ancienne, aux Turkestans occidental et oriental, au Caucase, en Russie, mais aussi au nord de l’Afghanistan, en Iran… de groupes venus à long terme de la matrice lointaine de l’Orkhon, parlant des langues turques, qui ont côtoyé, combattu et/ou assimilé d’autres peuples, tout en subissant leur influence : iraniens, mongols, chinois…

Ce lien de la langue et de l’histoire , même dans la distance et la rugosité opposées par les divergences écrites et orales , par les frontières, fait l’objet d’une conscience constamment revitalisée , qui surlégitime le foyer et la référence du « monde turc » : la République de Turquie seul Etat turc au monde. L’existence de ce « monde turc », fracturé, complexe et pourtant turcophone d’un bout à l’autre, même sans toujours se comprendre – ils y travaillent – se conçoit dans un prisme kémaliste , nationaliste , d’une Turquie née hors du naufrage d’un grand empire , et ancrée en même temps dans un double langage de la turcité purifiée, accordée aux Turcs du dedans et à ceux du dehors (malgré leurs différences et le nationalisme en construction des RAC11) , et de l’ottomanisme longtemps récusé, aujourd’hui rémanent.

Cette ambition peut fonctionner comme avatar d’ un universalisme géographique et politique jamais effacé des représentations que l’Etat turc moderne, malgré le repli des débuts, et les nationalistes se font de la destinée de la République : l’ héritière d’un Empire (et siège du Califat)qui rassemblait symboliquement tous les vrais musulmans et en créait de nouveaux , toujours vers l’Ouest ; l’héritière aussi de l’essence de la turcité : une langue pure de ses influences, et moderne par son alphabet , un islam sunnite défendu par des confréries soufies vivantes dans toutes les sociétés de türks musulmans, et accueillante aux pratiques lointaines du shamanisme asiatique,. En Turquie, le pouvoir politique s’appuie ainsi sur les passés de 3 aires géographiques : l’Asie intérieure, le Proche-Orient, et l’Anatolie – il manque peut-être l’Europe à cette liste , mais la légitimité de l’Etat turc actuel ne peut guère reposer sur la valorisation du passé européen – et sur la référence, alternative mais non exclusive, à toutes les aventures politiques qui ont précédé la République de 1923 à nos jours . La géographie est donc un enjeu fondamental en Turquie, et le discours sur le monde y renvoie à une vision très largement eurasiatique, organisée par une turcité reconstruite ex post , reliant la multiplicité et l’extériorité de l’histoire des « Turcs »12 comme une continuité allant de soi (alors qu’une distance historique, géographique immense sépare l’Anatolie ottomane et les Türks d’Asie centrale ) socle de la toute jeune (encore) Nation et de ses ambitions et européennes, et asiatiques .

Ainsi ce « monde turc » est-il, selon les enjeux et selon les faits, turcophone, mais pas seulement ; musulman, mais pas seulement, minoritaire ou majoritaire, fragmenté, séparé par des frontières dont certaines ont été fort étanches (en URSS, en Chine occidentale) et relié par des flux toujours recommencés depuis au moins 12 siècles, vers l’Ouest, vers la Mer Noire et la Méditerranée. Foyers de peuples dispersés par les conflits et les migrations entre empires et civilisations, sous autorités allogènes , étendues des Etats constitués par le XXème siècle autour des bords mouvants de la Russie et des débris ottomans , amorce de diaspora en Europe et en Amérique, en Asie centrale ou en Australie : l’unité d’un monde turc, si elle existe, ne repose pas sur la cohérence des espaces , mais sur un rêve politique (aux yeux des nationalistes turcs), sur un récit partagé des origines, ce qui est de l’ordre du lien spatial, parfois tangible et organisé en actions. Car le Türk Dunyasi est aussi une représentation, voire une volonté. La langue turque, aux variantes nombreuses, porte en elle un « paradigme socio culturel turc »13 ; elle est la trame, irrégulière, de cet espace mouvant sur le temps long, à la fois réticulaire et archipélagique, à la résilience remarquable, comme le sont en leurs formes propres les faits européen, perse, indien et chinois, que le monde turc frange, et que ses princes menacent parfois et ont parfois dominés , par phases qui sédimentent alors plus loin de nouveaux peuples issus de cette famille.

L’homme n’habite pas dans l’espace , disait P.Gourou14, il habite dans sa civilisation. Les Turcs sont disséminés sur un (ou des) vaste continent, et ils habitent en même temps dans leur langue, et leur culture , que l’histoire a contribué à déchirer en pièces dispersées, sans jamais la détruire.

1. C’est dans son « radeau anatolien » que la Turquie se fonde en 1923, sans recours au vaste archipel de peuples turcophones , en rupture avec l’universalisme et le pluralisme du territoire ottoman : le « monde turc » , ottoman ou asiatique, n’existe au XXème siècle que pour qques intellectuels, souvent en Russie .

A. La République de Turquie est un Etat Nation , microcosme de la turcité, résidu mais aussi centre d’un monde disparu, dominé par des Turcs, sa ns être turc .

  • Le territoire de la Turquie moderne a pour capitale Ankara, ville intérieure et provinciale jadis, au cœur de la « neutralité sans qualité du plateau anatolien » (Cf. Marc Aymes15 ), antithèse d’Istanbul, ville-monde cosmopolite et ouverte. Ses frontières correspondent au recul ultime de l’armée qui défendait les restes de l’Empire ottoman lors de la fin catastrophique de la 1ère GM, alors que celles de l’Empire étaient le front de la conquête ottomane. L’Etat-Nation de la République de Turquie s’est fondé contre les ambitions des vainqueurs de la 1ère GM, qui pensaient la démanteler (Traité de Sèvres) presque complètement , et se construit dans le combat (guerre avec les grecs ; défaite pour les Grecs) comme un résidu , sur l’espace -centre des Empires successifs depuis les Seldjoukides : c’est la fin d’un monde multiple dominé par les Turcs , le début d’un territoire proprement turc – le seul Etat turc au monde , encore aujourd'hui .
  • Le dogme fondateur est en effet celui de la turcité , qui s’identifie à un territoire , mais peut s’étendre à l’extérieur des frontières , dès lors qu’il survalorise la langue, dont la famille est très étendue . Enver Pacha le savait, qui est mort chargeant sabre au clair (enfin je crois) des Gardes Rouges un peu étonnés. Cette turcité est la « pierre de touche de la solidarité nationale sécularisée » , « à rebours… des appartenances multiples de l’espace du Moyen orient, » produit d ‘une longue sédimentation de peuples et souverainetés .

Cette Turquie, nous dit Marc Aymes , a changé de temps en mettant des bornes et un contenu à son territoire : la péninsule anatolienne et sa petite rive thrace incarne la perte et le renouveau – le renouveau est national. Il y a d’autres Turquies et d’autres temps que celui-ci, nécessaires pour comprendre le discours turc et les relations de cet Etat avec l’extérieur et avec les lointaines aires turcophones, mais la modernité est une rupture, avec l’avant et avec le dehors . Pour autant le nom Turquie « est séculier, ms également séculaire », « d’un siècle et de plusieurs », « de son siècle et de tout siècle » ; cette profondeur du « feuilletage temporel », clef de compréhension, est exigible pour saisir la possibilité d’un monde turc, au-delà des proximités linguistiques et de l’ aventure historique.

Ainsi la République s’identifie-t-elle à l’Asie mineure désormais, au prix de l’éviction des peuples qui y vivaient jadis : éviction des identités nationales grecque, arménienne, et kurde (identité plus tardive à être brandie) qui auraient pu y prétendre.

B. Par la rupture de 1923 et la fin du Sultanat –Califat , la Turquie kémaliste se décharge de la vocation universaliste qui structurait l’espace impérial ottoman .

1923 : les ruptures historiques s’engagent : droit –société civile- laïcité (contrôle par l’Etat de l’Islam , sunnite) et construction d’une société nationale homogène , fondée par la langue épurée de ses apports persans et arabes et la religion (malgré le discours de MKémal ) ; cet Etat refuse les minorités autres que celles définies par le Traité de Lausanne, minorités chrétiennes et juives. Il n’y a pas de minorité musulmane ou linguistique en Turquie moderne : le Turc est turcophone et sunnite ; il n’est pas kurde, il n’est pas alévi. Au demeurant, la période troublée de la 1ère GM et ses suites voit le massacre, ou l’expulsion des non - musulmans jadis sujets de l’Empire Ottoman, leur échange avec des musulmans (même pas toujours turcophones) des territoires balkaniques de l’Empire effondré ; le mouvement s’apparente à un reflux, après des siècles d’expansion de population turques (colons, administrateurs, soldats, dans l’Europe conquise) et avait commencé avec les indépendances successives dès le XIXème siècle.

En effet l’apogée de la construction ottomane impériale s’est faite non pas tant dans la rupture avec les grands empires du carrefour méditerranéo - pontique que dans la filiation : l’ambition universelle, que ne contredisait pas l’héritage türk16 :

  • l’Empire romain d’Orient était un Empire chrétien, l’héritage romain d’étant éloigné avec les siècles ; le cœur de la Chrétienté orthodoxe était Constantinople , et Sainte-Sophie ; dont Mehmet II s’est emparé au ledemain de la conquête , symbole de la prise de pouvoir sur la Ville, devenue soudain musulmane , et son Eglise (prise préparée par des décennies, tout de même), devenue mosquée.
  • Au XIVème siècle, l’expansion musulmane est « turque » : les Seldjoukides , les Ottomans, les Turcomans à la religion composite (ou syncrétiste, islam sur le puissant fond shamaniste que l’on retrouve en Asie centrale encore, et dans la religion populaire en Turquie, par le culte des saints, et des lieux), les Mongols investissent la péninsule anatolienne . Pour ce monde turc - au sens où ces groupes différents (tribus, confédérations de tribus) viennent d’une même origine géographique et se présentent issus des mêmes récits fondateurs , avec une famille de langues proches et une vision du monde – la continuité du monde musulman s’appuie sur l’objectif unique depuis l’expansion de l’islam : la conquête de la « Ville gardée de Dieu » ; eis tèn polin , « marcher vers la ville » en grec , deviendra Istanbul (bien sûr je prends tout cela, directement , à JP Arrignon , 2009: « la Turquie , prolongement de Byzance, ou rupture avec Byzance ? »www.clio.fr). La prise de la capitale de l’Empire romain fait de la construction ottomane un Empire conjuguant deux traditions, à vocation universelle, dès les temps qui suivent le 29 mai 1453, lorsqu’elle devient résidence du souverain et capitale . Le sultan deviendra plus tard Calife et chef de l’umma, « sultan des sultans de l’Est et de l’Ouest , la preuve des souverains , celui qui prodigue des couronnes aux monarques à la surface de la terre , l’ombre de Dieu sur les terres.. »  ;

Donc

Dans l’universalisme byzantin et orthodoxe s’est moulé 17 l’universalisme musulman des Ottomans , qui a pris facilement racine dans l’histoire des peuples türks, auxquels appartiennent les descendants d’Osman : parcourir le continent et de soumettre les peuples , toujours plus loin vers l’Ouest8 , et concevoir les constructions politiques comme des étendues à l’échelle la plus vaste , soumise à un souverain unique.

Et pourtant, pour fonder cette Turquie, nation moderne et purement turcique , les élites reprennent à leur compte une référence anciennement construite et refaçonnée par les historiens : la turcité, qui puise dans l’épopée , réelle et rêvée , des tûrks d’avant l’Islam, depuis le monde lointain des monts Altaï, ceci alors même que l’Empire ottoman n’entretenait que très peu de relations avec les territoires turcophones d’au-delà de la Caspienne, soumis au XIXème siècle à la puissance russe , et pour sa partie orientale (Turkestan oriental), à la fin du XVIIIème, à la Chine .




2. La Turquie, « mère - patrie » du monde turc enrichi des peuples turcophones libérés, s’est donné dès 1991 l’ambition de retisser un espace continu, sur la trame ancienne des civilisations türks, faites de langues d’une même famille.

S’il n’ y a pas de « monde turc » dans la mesure où il n’y a pas d’Etat qui incarne objectivement une puissance rassembleuse de la turcité, il y a , sur la moitié de l’Asie , des peuples qui parlent des langues appartenant toutes à la famille turque, dont certaines sont intercompréhensibles, et dont les racines présentent des familiarités profondes, jusqu’au rapport au monde et aux territoires qu’elles expriment ; ainsi ces peuples ont-ils de liens historiques et linguistiques indiscutables, en même temps que non exhaustifs.

1. La fin de l’URSS libère les turcs « emprisonnés » dans les Républiques soviétiques devenues indépendantes, et les offre à la République de Turquie, seul Etat turc au monde.

2. Elle offre une opportunité unique, et lui découvre une aire d’influence potentielle au-delà de ses frontières, alors même que tant de migrants venus des territoires perdus ottomans, mais aussi de Russie et d’URSS, ont contribué à bâtir son Etat moderne et son nationalisme. Si les hauts fonctionnaires turcs d’origine balkanique ou même chypriote ont renoncé à revendiquer leur identité et travaillé à éliminer leur accent particulier , les migrants du Caucase et d’Asie centrale, venus depuis la fin du XIXème , ont été sans doute moins discrets18, car leur origine extérieure ne faisait pas peser sur eux le soupçon de provincialisme très mal vu dans la Turquie kémaliste .

Une institution du monde turc - la section Türk Dunyasi du Ministère des Affaires étrangères de Turquie - est créée en 1991, lors de l’indépendance de l’Azerbaïdjan et des Républiques d’Asie centrale ex-soviétique , dont les peuples titulaires sont turcophones –sauf au Tadjikistan : si cette attention ambitieuse manifeste entre autre un revivalisme romantique , outre l’idée d’un espace d ‘influence potentielle pour une direction turque, il ne reprend pas une vraie continuité historique ni spatiale : l’Empire ottoman ne s’y est jamais étendu , et les relations étaient limitées entre les peuples d’au-delà du Caucase et les peuples du monde ottoman , en dehors du bref moment de vitalité du panturquisme chez les intellectuels tatars de Russie , et ceux du Turkestan russe lors des bouleversements de la guerre et de la Révolution19. Tout un travail de représentation, déjà préparé par les historiens turcs depuis la fondation de la République, vient soutenir celui de la diplomatie des sommets depuis 1992 (succès très éphémère) et des institutions savantes (http://www.diploweb.com/asie/pahlavi1.htm), en direction des RAC. C’est là une rupture avec le type de diplomatie que la Turquie a mis en œuvre à Chypre depuis 1974, au nom de la turcité de la « petite patrie ». Ce travail n’en est qu’à son début, et son résultat, plein d’incertitudes : les RAC , turcophones, noyau dur d’un monde turc rêvé, sont prises dans d’autres processus, plus puissants, qui l’intègrent dans d’autres polarités géographiques.

La Turquie a ainsi élaboré depuis 1991-92 un rapprochement avec l’aire turcophone - sans toutefois pouvoir atteindre le Xinjiang (Région autonome de Chine) - considérée comme une continuité, et comme un ensemble émergeant auquel la Turquie souhaite servir de modèle politique, économique, et de « grand frère ».

Certains y voient l’ébauche réussie d’un softpower ; on y lit aussi la naissance d’un espace réticulaire, en devenir , qui peut devenir un espace émergeant de l’Eurasie, en raison de son importance géopolitique : des réserves d’hydrocarbures très importantes, qui justifient des investissements conséquents dans des réseaux de tubes vers l’Europe , dont la Turquie est un carrefour incontournable désormais (BTC et South Stream) et vers la Chine , une position de passage ancienne et renouvelée –surtout vers l’Est en réalité - par l’ouverture extérieure (relative) des frontières, par la proximité du point de conflit et d’instabilité de portée mondiale qu’est la région AFPAK (je ne dis pas cela en cours ; là c’est pour avoir l’air renseignée ; sinon je dis Afghanistan- zones tribales du Pakistan).

La turcophonie est en ce contexte l’embryon d’un espace intégré –pas davantage ; le processus s’ébauche dans un espace complexe, l’Asie centrale, que la turcophonie ne suffit pas à définir, et que la turcophonie dépasse, puisque dans sa diversité elle se retrouve de la diaspora turque contemporaine jusqu’aux peuples türks du Caucase et d’Aise centrale, et à ceux de la Volga, de Crimée, du Nord sibérien, de l’Altaï russe .

3. Les « turcs du dehors », ex -ottomans ou centre –asiatiques, semblent témoigner pour la Turquie d’une turcité éternelle et a-historique, alors même que la Turquie, et les entités politiques dominées par des Türks sont des espaces aux multiples appartenances, produits de temps historiques multiples.

La Turquie moderne s’inscrit dans un territoire construit dans la pluralité des appartenances, même dans les rapports fondateurs avec l’Empire grec byzantin : elle mobilise sans cesse, ou alternativement, tous les temps de son histoire pour construire son identité, et émerge d’un monde qui a toujours été poreux : avant que l’Empire ottoman ne gouverne les millyets, les Byzantins usaient de transfuges turcs, comme les Seldjoukides et les Ottomans ont fait avec « tel ou tel officier byzantin en rupture de ban ». Marc Aymes le résume, avec des exemples que l’on peut lire (P.59) :

« Au total, entre le 11e et le 14e siècle, la migration et l’installation turcomanes en Asie mineure donnent lieu à deux transformations majeures du paysage politique de la région : l’instauration successive, et durable, de deux États turco- islamiques, d’une part ; la multiplication des zones d’implantation de tribus turcophones, d’autre part . Et au même titre que les sultanats seldjoukide et ottoman, les plus modestes émirats tribaux ont été des terrains d’expérimentation en matière de conquête (leur centre de gravité se déplaçant toujours plus à l’ouest, en direction des régions égéenne et balkanique) comme de structuration institutionnelle. Aussi complémentaires qu’indissociables, ces deux dynamiques (intégration centripète d’un côté, segmentation centrifuge de l’autre) sont essentielles à la compréhension de ce qui a constitué l’« État profond » en Turquie.

La question de la référence à Rome (Rûm), signalée en passant, vient ajouter à l’épaisseur de cette configuration. Elle traduit en effet tout un jeu d’interactions frontalières entre Turcomans et Byzantins, actif avant même l’invasion seldjoukide en Anatolie : déjà les empereurs byzantins avaient pour habitude de faire appel aux peuples de la steppe vivant à leurs frontières, afin de les utiliser comme force militaire d’appoint… »

Les turcophones actuels, des Balkans à la Russie du Nord, à l’Asie centrale et à la Haute Asie, descendent de peuples mouvants (beaucoup mieux dit, par des gens vraiment sérieux – Stéphane de Tapia et Julien Thorez : http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=1840 ), que le discours officiel turc présente en dynamique constante vers l’Ouest : « Devlet-î Rum », mais dont l’Anatolie n’a pas représenté l’étape ultime . Ce sont en fait des groupes différents, parlant des langues ayant évolué à partir de la famille turque (turco-mongole-toungouze si l’on va plus loin ), organisés en confédérations de tribus ( dont les Oghuz ) , se déplaçant sans cesse sur le temps long, à la recherche d’espaces propices à leur civilisation nomade et pastorale , et dont certaines ont porté des entreprises de conquête politique et territoriale, aidées par d’autres (ainsi les Turcomans, venus en Anatolie peu à peu, à la suite des Osmanlis, et aussi des Mongols ), en conflit avec d’autres (ainsi les kirghizes ont-ils repoussé les Ouïgours vers l’Est , ou plutôt leurs ancêtres, et ont-ils occupé les territoires ) . Ils ont rencontré d’autres peuples, en ont turquisés (en diffusant leur langue et en épousant ; et d’autres processus moins pacifiques sans doute) se transformant eux aussi peu à peu : certaines de leurs langues se sont pénétrées de mots persans, arabes ; quant aux locuteurs de langues persanes, ils se sont laissé envahir par des mots turcs : les Tadjiks. Ces influences sont très perceptibles dans les langues d’Asie centrale ; les Turcs de Turquie parlent une langue réformée de ces influences .

Ils sont devenus les défenseurs de l’islam sunnite, contre leur ennemis proches de longue date : les Perses . Mais leur islam est porté, comme en Turquie pour les Alévis et pour les turcomans des plateaux anatoliens , par de grandes et puissantes confréries, par l’importance du soufisme, par des liens vivants avec le shamanisme pré-islamique , par le culte des saints –et donc, des lieux.

La turcophonie ne suffit donc pas à définir les espaces de l’aire turque, produit de sédimentations historiques, culturelles, linguistiques, successives , qui se sont faites loin des Turcs Ottomans .

  • le produit d’histoires multiples :

o dans les frontières anciennes des résidus de l’Empire timouride (khanats ouzbèkes),

o dans lesquelles se sont moulées les conquêtes impériales du XVIIIème au XIXème , russe et chinoise, ayant formé le Turkestan russe , entre Caspienne et Tian Shan, et le Turkestan chinois, dans le Bassin du Tarim 21.Ainsi la frontière sino-soviétique a-t-elle été une des plus verrouillées du monde , et les peuples türks (Ouïgours, Kazakhs, Kirghizes) de l’ouest chinois ont-il évolué séparément de leurs voisins des RSS dans la 2ème moitié du XXème siècle , alors que des Kazakhs Kirghizes ont des République éponymes frontalières de la Chine et qu’un groupe d’Ouïgours vit en Asie centrale ex-soviétique.

o se confrontant au sud à d’autres espaces et puissances politiques : l’aire perse, le royaume afghan, l’influence britannique.

  • où les langues ont évolué séparément de l’Empire ottoman : le turc Tchatgataï, langue savante et religieuse de l’aire centre – asiatique, s’est formé loin du turc ottoman écrit ; deux aires intellectuelles ont évolué, distantes l’une de l’autre, sans communiquer .

L’Asie centrale malgré la turcophonie diverse qui s’y déploie, et ses liens inégaux avec le turc occidental (les gradients de compréhension sont irréguliers), s’est ouverte aux tentatives de la Turquie ; celle-ci reste pour l’instant aux marges de l’UE, et entreprend de former une aire de solidarité où elle occuperait une position de force et de modèle, en termes politique et identitaire. Le projet progresse lentement, à la mesure des moyens limités de la Turquie.

Pour autant, l’Asie centrale reste éloignée : sa situation dans l’histoire et la géographie impose depuis 1991 un enclavement interne aggravé, par l’étanchéité nouvelle des frontières régionales (entre les RAC), par l’ouverture, en position de faiblesse, aux espaces russe et chinois.



3. L’aire turque si familière et si diverse, sur laquelle compte la Turquie pour se forger un statut de puissance, est pourtant un « espace désintégré 20» par le retrait de l’emprise soviétique, et le travail actif de sinisation du Xinjiang .

1. Les RAC sont découpées par des frontières maintenues, qu’une rationalité d’un autre temps a dessinées, et qui les contraignent à présent à l’enclavement, produit des tracées hérités et des nationalismes fermés d’aujourd'hui.

Découpées par l’autorité russe, puis soviétique, (la plus active en matière de divisions en entités politique et administratives) : elles ont profondément transformé les espaces . Des nationalités ont été promues par la distinction des ethnies dominantes (ici toutes turcophones, sauf les Tadjiks qui parlent un persan très turquisé) selon leur langue et selon leurs caractéristiques sociales et économiques, et leur identification à un territoire : 5 républiques socialistes soviétiques (dont le Turkménistan actuel au Sud de la Caspienne) .

Ce découpage des Républiques, sur lequel a coulé beaucoup d’encre, se fait par des frontières fondées sur des critères multiples : ethnolinguistiques après identification – forcément délicate et forcément oublieuse, car les connaissances ne pouvaient être complètes, et la réalité parfois était insaisissable, les imbrications et identités incertaines ou multiples – par un travail d’anthropologie, comme il fut mené ailleurs dans d’autres espaces coloniaux. D’autres critères, notamment économiques (former des territoires viables dans un contexte de sociétés surtout agricoles , en accordant des écosystèmes variés, de versants , de piémont et de plaine à chaque république) ont justifié ces frontières au tracé complexe, indenté, désormais incommode et facteur d’enclavement puisque la politique des frontières est celle d’Etats méfiants (l’Ouzbékistan surtout) et nationalistes, que le réseau de communication est hérité des logiques spatiales soviétiques , et les couloirs de circulation contraints par la nature (les montagnes) et traversés de frontières complexes . Le célèbre cas de la vallée du Ferghana, cœur agricole, démographique, historique de la région, divisée par les frontières entre Ouzbékistan, Tadjikistan, Kirghizistan, et par des enclaves nationales , alors que les peuples se répartissent de tous les côtés des frontières, est au cœur de ces problématiques de fragmentation spatiale et politique.

2. L’espace de la turcophonie centre asiatique est déformé par des tropismes et dynamismes allogènes qui l’intègrent aux pôles russes et aux intérêts chinois:

  • par la construction d’un champ migratoire qui relie les campagnes montagnardes, les plus pauvres et reculées, jadis les plus enracinées de toute l’URSS, aux villes de Russie. Cet espace migratoire émane de sociétés paradoxalement de plus en plus territorialisées par la crise de la transformation post-soviétique21. C’est vers l’ancienne puissance coloniale, vers l’Occident non plus intérieur (les villes d’Asie centrale ), non plus proche, mais parfois plus lointain (Moscou) que se tournent les migrants , favorisant ainsi les solidarités familiales et locales, étendues aux réseaux migratoires, et non les logiques d’appartenance à l’Etat nation, ouzbèke, tadjik ou kirghize. La conscience et la réalité de l’appartenance à un pays turcophone sont dans ce contexte absents , car ils ne se définissent pas dans le local ni dans des diasporas reliées à des kislaks – non à des Ouzbékistan ou des Kirghizistan rêvés .
  • Par un désenclavement partiel, conduit dans l’intérêt sécuritaire et économique des Chinois .

La Chine devient un partenaire des RAC, au-delà d’une frontière qui fut une des plus verrouillées du monde (conflit sino-soviétique) :

  • Pour offrir au Xinjiang en plein développement un débouché commercial (les pays d’Asie centrale proche sont ainsi inondés de produits manufacturés de qualité médiocre) ;
  • Pour construire une architecture de sécurité en profondeur et verrouiller , an accord avec les RAC, tout activisme séparatiste et/ ou fondamentaliste ouïgour, toute infiltration par des fondamentalistes musulmans – qui peuvent être ouïgours ;
  • Pour sécuriser un approvisionnement en ressources énergétiques dont elle manque toujours

La Chine mène une politique active

  • d’intégration de l’Asie centrale dans l’OCS, organisation reliant Russie, Chine et RAC (avec depuis des statuts d’observateurs en Asie centrale et Asie du Sud), d’infrastructures à l’Ouest, et donne ainsi une profondeur géographique, commerciale, sécuritaire au travail d’intégration économique et politique du Xinjiang, (Région autonome, et la plus active de l’occident chinois) qui en bouleverse les territoires et les
  • d’Asie centrale- le tadjikistan et le kirghizistan .
  • De retouche du tracé de ces frontières , en sa faveur .

Cette activité prolonge vers l’Asie centrale turcophone, en voie de fragmentation nationale22, appauvrie, aux communications sectionnées , au réseau urbain haché, l’œuvre de sinisation qui se déroule au Xinjiang. Le Xinjiang est ainsi coupé du reste de l’Asie centrale, alors que les oasis du Tarim se sont développées le long du faisceau de routes qui traversaient et reliaient la Méditerranée à la Chine ; son identité « türk » fait l’objet d’une dilution dans la nombreuse population han qui accompagne les grands travaux de mise en valeur, occupe les terres et les nouveaux quartiers des villes , marginalise les Ouïgours –par la pauvreté et, ou la folklorisation. Les RAC ne sont pas un refuge pour ceux-ci, soupçonnés de séparatisme, aspiration que redoutent des Etats qui ont tous des minorités 23 et tous des revendications de fondamentalistes musulmans à gérer. Une solidarité turque, toujours possible en certains contexte, rencontre dans la vaste et multiple Asie centrale des dynamiques de repli sur des Etats de plus en plus monoethniques (par le départ des populations dites allogènes, dont de nombreux Russes), où les réformes linguistiques (le changement d’alphabet, surtout effectif en Ouzbékistan) repoussent hors de la langue officielle de larges groupes , qu’ils appartiennent à la majorité nationale, ou à des minorités nationales, qu’ils soient turcophones ou

Dans ce mouvement ambivalent d’ouverture vers les puissances voisines, et de construction nationale, les RAC courtisées par la Turquie semblent œuvrer en leur lieu à une fragmentation du monde turc, encore une fois dans l’histoire.

Leur importance géopolitique, durable (géographie des ressources, vaste couloir de passage entre Caucase et Asie productrice de menaces , et voisine des menaces) ne leur donne pas de puissance pour le moment, mais en fait – à nouveau- un espace d’influences allogènes, dont la Turquie espère beaucoup, propriétaire du lien le plus fondamental et aussi le plus ténu pour des peuples pauvres : la langue et le monde qu’elle porte.




Ce que l’on appelle le monde turc , dans le cadre de la Turquie moderne, renvoie au bout du compte nécessairement à plusieurs espaces-temps : espaces temps dilatés par rapport au temps de la République de Turquie, par rapport à son extension anatolienne, et même à l’extension de l’ancien Empire ottoman , espace-temps feuilleté , où l’on parle turc , mais tant de langues turques et d’autres langues , où l’on est türk, mais aussi chypriote, moldave, turc, ouzbèke, azéri, russe, iranien, afghan, voire chinois, aux côtés d’autres groupes24, dans un mouvement de flux et reflux que sertit l’histoire longue , où tous périodes et lieux ne se valent pas ni ne se suivent en une quelconque continuité, mais où ils coexistent constamment .25

1 Je ne sais pas quand il l’a dit ni où ni à quelle occasion, mais c’est bien lui , M. Kemal et c’est Bayram Balci qui le cite en exergue de son article : « les relations entre la Turquie et l’Aise centrale turcophones 1991-2004. »C’est toujours bien de commencer par une autorité incontestable . En plus , c’est vrai .

2 le mot pour dire « armée » en turc de Turquie , et dans d’autres langues turques , est toujours « Ordu »(je renonce aux variantes et à une présentation savante du mot ) : armée en marche , ou camp du khan tataro-mongol. Cela renvoie à ce que nous appelons, après eux, la Horde d’Or, la Horde Blanche .

3 Voir l’article d’Etienne Copeaux : Les prédécesseurs médiévaux d’Atatürk. Bilge kaghan et le sultan Alp Arlsan. REMMM.n°89-90. 2000. Lire tout Etienne Copeaux, pendant qu’on y est.

4 Voir Bayram Balci , op.cit. , p. 298-300. (je n’ai pas lu les 296 pages qui précèdent l’article).

5 Ainsi peut-on encore parler de Turkestan russe, chinois, et même afghan – ce que l’Etat afghan, quelle que soit sa réalité, refuse de faire depuis des décennies Mais on ne parle pas de « Turkestan iranien.. »

6 Je ne sais pas lequel à vrai dire .

7 « refuge », terme repris par de nombreux articles relatifs à la période décisive de la naissance de la République de Turquie , à l’issue de la 1ère G.Mondiale.

8 bien sûr je résume…

9 Il s’appelait ainsi, même tout petit. Sav, Attila Sav, aurait dit Marguerite Duras . Je n’ai pas osé .

10 C’est plus grand, il y a des voisins dérangeables, et des Etats très jaloux de leur indépendance et de leur identité - en définition.

11 RAC : républiques d’Asie centrale.

12 Ou « türks », comme on a pris l’habitude de dire en rance dans la périphérie du savoir universitaire , pour désigner les turcophones hors de Turquie . Voir les articles récents dans « Café Géo », sur la Turquie et le monde turc : ce sont de vrais spécialistes qui y parlent.

13 pas de moi, je le prends à un passionnant article de Stéphane de Tapia , qui met à jour dans l’histoire des mots des langues turques et mongoles ce qu’il nomme d’après Jean Cuisenier (1975) : un « prototype turkmène d’organisation sociale ». Voir « Ulus et Yurt, millet et Vatan . Territoires nomades et migrations de mots. Eléments pr une conception turque du territoire.)

14 là non plus, je ne sais pas quel jour.

15 Le siècle de la Turquie. Une histoire contemporaine ? Presses de Sciences Po | Vingtième siècle 2009/3 - N° 103.

16 voir par exemple la synthèse claire et facile de JP Arrignon dans le site http://www.clio.fr/

17 j’ai conscience du résumé facile que le terme « moulé » implique ; une tradition historiographique survalorise les antécédents byzantins de l’Empire ottoman, pour conclure que les Ottomans n’ont rien inventé et qu’ils ont tout repris de l’Etat byzantin ; elle n’est évidemment pas la seule et d’autres interprétations, plus nuancées, ou contraires, se sont avancées . Je ne suis pas assez savante pour juger et j’imagine que la réponse est …complexe ; mon boulot est de proposer les options intellectuelles possibles et assez sérieuses (celles des autres , pas les miennes ) pour poser correctement les questions que le sujet implique . On n’est pas là pour répondre faut pas exagérer .

18Voir article intéressant de JF Bayard « Turquie : nationalisme est -européen et post -impérial. FRSOPO. P.147- à propos du nationalisme turc et de l’islam.

18 sans que leur origine les empêche de prendre place en Turquie . Voir le travail intéressant dont je ne retrouve là pas l’auteur(e) – c’est fâcheux, cela ne figure pas dans le document en ligne : Les hauts fonctionnaires originaires du « monde turc » (Balkans, Chypre) en Turquie. Document de travail présenté dans le cadre de la première journée d’études du programme ANR TRANSTUR « Ordonner et transiger. Modalités de gouvernement et d’administration en Turquie et dans l’Empire ottoman depuis le 19ème siècle »*

19 là il y a des faits, mais on n’a pas la place ici.

21 Voir Françoise Aubin, dans CEMOTI : Les Ouïgours au XXème siècle . « L’arrière-plan historique du nationalisme ouïgour . Le Turkestan oriental des origines au XXème siècle », http://cemoti.revues.org/document42.html) 20 l’expression est de C. Poujol.

21 Voir Julien Thorez : Itinéraires du déracinement . L’essor des migrations de travail entre l’Asie centrale et la Russie . Dans : Espace, populations, sociétés . 2007-1.

22 Voir la façon dont l’Ouzbékistan récupère à son profit et à celui de sa légitimité de Nation indépendante tout le patrimoine historique de la région, même- et surtout- quand il précède l’arrivée des Ouzbeks .

23 Ce que partagent tous les Etats du « monde turc ».

24 Voulant éviter « ethnie », « groupe ethnolingistique », « peuples » (parce qu’alors, les Chypriotes ne forment pas un seul « peuple » ? je ne sais pas , mais je ne me laisserai pas aussi facilement rouler dans la farine par un mot.), je me retrouve face à la neutralité de « groupe ».

25 Voir la belle conclusion de l’article de Marc Aymes, déjà cité .

Commentaires

1. Le samedi 3 avril 2010, 10:55 par AGERON Pierre

a propos du 1 A) : le repli anatolien n'est pas comparable avec ce qui s'est passé en Grèce après Navarin: repli sur le continent et le Péloponnèse vs la "Megali Idea" de la Grande Grèce dont le centre était justement Constantinople ? Autre primauté du topographique sur le topologique, dynamique qui de nos jours semble s'inverser....

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