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Bouclier laser (MAJ)

IL faut lire l'article de Bernard Lavarini dans Le Monde de ce soir : ils suscite incontestablement une vraie réflexion, et ouvre un débat.

(image de http://news.cnet.com)

Et cela mérite qu'on en parle :

1/ De quoi s'agit-il ? les Américains auraient mis au point un laser capable de détruire, en vol, un missile lui-même en vol. Cette prouesse technique répond à la fois aux démonstrations chinoises (destruction d'un satellite en 2007, tir extraatmosphérique cet hiver). C'est le premier ingrédient, celui de la rivalité sino-américaine.

2/ Surtout, ce système vient compléter les autres étages de la défense antimissile multi-couche que construisent les US, avec les Ground Base Interceptor (GBI ) en place aux Etats-Unis et les SM3 qui seront déployés à terre et sur les frégates Aegis. C'est donc la réalité d'un Bouclier antimissile qui se dessinerait sous nos yeux.

3/ Dès lors, cela doit s'analyser à l'aune des discours actuels sur la dénucléarisation obamienne, qui servirait surtout une stratégie de représailles envers les proliférateurs.

4/ Au-delà, cela poserait la question de la dissuasion, qui ne pourrait désormais plus suffire à elle seule. Et s'il ne prononce pas le mot, M. Lavarini annonce une nouvelle course aux armements, et prône l'alliance avec l'Allemagne pour s'engager dans cette domination de l'arme laser, nouvelle arme ultime seule à même de garantir la dissuasion.

5/ On peut bien sûr voir plusieurs défauts dans le raisonnement habile qui est exposé par un des parangons de l'arme laser. Effectivité de la démonstration américaine (ou, en bon français, force probante) ; Efficacité de la DAM, et exactitudes de la validité -ou non - de la dissuasion ; monopole américain, par rapport notamment à la Chine ; réalité d'une guerre exoatmosphérique dont on s'aperçoit qu'elle procure énormément de débris, rendant par là même l'utilisation de l'espace impossible (voir les pages du bilan du Monde que je présentais hier : JL Lefèvre, peut-être pourrais-tu nous écrire qq chose là-dessus?)). surtout la réaction européenne doit elle être franco allemande, ou franco britannique ?

6/ Il s'agit bien sûr d'objections sérieuses, qui mériteront débats. Il reste que cet article énonce enfin la question du concept de la dissuasion, que j'évoque sur ce blog depuis quelque temps (voir cette catégorie et notamment ce billet). Le dogme de la dissuasion doit, à l'évidence, être repensé, en sortant notamment des dogmes annexes (et par exemple ceux liés aux traités de désarmement, trop souvent présentés comme la panacée de la décision stratégique moderne, ce dont on n'est absolument pas assuré).

7/ repenser, cela ne veut pas dire le jeter aux orties. Mais à l'évidence, outre le nouvel environnement géopolitique, on assiste actuellement à des renouvellements stratégiques liés aux évolutions technologiques, ou aux nouveaux milieux (espace, cyber). Tout ceci ne bouleverse pas le raisonnement stratégique : mais cela impose à tout le moins de l'adapter.

O. Kempf

NB : MAJ du 14 juillet 2010 : je signale ce billet de SD sur les armes laser, publié sur AGS.

Commentaires

1. Le mardi 20 avril 2010, 19:01 par

Bonsoir,
Ce billet est très intéressant et prospectif. J'ai mis deux liens dans lesquels je traite de la problématique des armes électromagnétiques (dont les lasers). Ils ne sont pas encore pleinement au point mais les Américains avancent vite, comme d'autres nations comme la Russie qui ont une tradition ancienne dans le domaine de l'électromagnétisme. Le risque d'écart entre les pays n'est pas que dans le domaine de la dissuasion mais à terme dans tous les domaines du combat. La révolution en cours est équivalente à celle de la poudre. Je pense qu'elle sera plus rapide mais les armes électromagnétiques ne devraient pas être généralisées (problèmes techniques) avant plusieurs décennies :

- http://pourconvaincre.blogspot.com/...

- http://pourconvaincre.blogspot.com/...

2. Le mardi 20 avril 2010, 19:01 par VonMeisten

Ce coup ci, ça ressemble à une vraie rupture, non ?

égéa : ben.... ça en a l'air. Mais j'aimerais vraiment que les spécialistes nous donnent des précisions. Joseph, nous lis-tu ? Guillaume, toi qui es aussi technophile, donne nous des détails. Les apprentis journalistes, au travail. Il y a là unénorme débat.

3. Le mardi 20 avril 2010, 19:01 par

Fantasme. Aussitôt que l’on parle de missiles et d’anti-missiles, l’irrationnel prend le dessus.

Le terme impropre de « bouclier » est un premier indice montrant qu’on se place dans l’imaginaire. Cette photo encore, moins informative qu’impressionniste, puérile, participe de l’imagerie irrationnelle qui entoure la notion de BAM, bouclier anti-missiles. La principale caractéristique avérée d’un BAM c’est de n’offrir aucune certitude, ce qui suffit logiquement à éliminer la simple idée de se le payer au détriment d’autres équipements qui, eux, seraient utiles. La seule certitude du BAM est pour le vendeur : le client ne viendra jamais se plaindre.

Aujourd’hui ou demain, pendant que le BAM scrutera la haute atmosphère ou le vide spatial proche, une bombe H qui pèse dans les trois cents kilogrammes arrivera à destination de toutes les façons possibles : pourquoi pas en camping-car, ou par montgolfière à l’occasion d’un meeting d’aérostiers, ou par un bateau de plaisance. En ce moment même, il n’est pas impossible qu’une ou plusieurs bombes thermonucléaires soient en place, prêtes à fonctionner sur un simple signal électronique, planquées n’importe où dans nos métropoles. Tous les pays du monde sont vulnérables et aucun BAM n’y peut rien.

Alors pourquoi cette espèce d’activisme anti-missiles dont tous les gens sensés savent que c’est inutile ? Cette gesticulation ne peut s’adresser qu’à des ignorants pour leur cacher autre chose. Quels ignorants sont visés et que veut-on cacher, c’est toute la question. Et si c’est moi qui n’ai rien compris je prie par avance ceux que j’ai qualifiés d’ignorants de bien vouloir m’en excuser et de m’expliquer ce que je n’ai pas compris.

4. Le mardi 20 avril 2010, 19:01 par JH

Bonjour tout le monde,

Ah, il y en à qui n'ont pas lu la série d'article de DSI-T, en son temps, sur le sujet ;o) Pas de vraie rupture : juste un programme ravalé au rang de démonstrateur face aux incertitudes techniques qu'il draine (auparavant, il était listé dans les capacités à acquérir) mais qui a engrangé quelques succès bien réels. Cependant, il s'agissait de conditions d'essais et ça impose le conditionnel pour sa mise en œuvre effective.

Sur la question de la dissuasion, je suis sans doute très orthodoxe en la matière, mais je ne vois pas en quoi cela va l'affecter fondamentalement. Comme tout système DAM, l'ABL dépend d'une chaîne de systèmes complexes (détection, calculs, commandement, tirs) qui peut tenir le coup face à quelques tirs isolés... mais sans doute pas face à une frappe massive. Je suis un scientifique : il me faut des preuves et là, on a quelques essais ponctuels n'impliquant pas l'ensemble de la chaîne et réalisés en conditions de labo.

Pour moi, les DAM n'affectent pas la nature du concept de dissuasion. Elles peuvent affecter - si çà marche - le caractère de sa conduite. Et elle pourrait faire pire que mieux si l'on reprend ces leçons de la guerre froide que l'on délaisse souvent bien trop rapidement.

Je claririfie : imaginons une vraie DAM, opérationnelle et capable de bloquer des attaques de saturation. Seuls les Américains en ont les moyens. Les "autres" constatent que leur balistique est périmée, voire que le déploiement d'une dissuasion n'a plus de sens. Que font-ils ? 1) ils contournent ; 2) si la stratégie de non-emploi ne fonctionne plus, il faut une stratégie d'emploi.

D'où retour aux débats des années 80 sur la valeur déstabilisante de la DAM. La compensation d'évitement de ces débats tient, ici, au fait que le système n'est pas génétiquement conçu pour encaisser une frappe de saturation. Alors, me direz-vous, à quoi sert cette DAM si elle ne fonctionne que dans certains scenarii d'engagements ? Non, pas à rien ;o) Juste à placer le système stratégique américain dans un état de "tension" qui va nourrir des débats sur l'extension de la DAM. Historiquement, dès que vous bridez une capacité, la question du débridage se pose.

Et dès qu'une arme absolue disparaît, il en faut une autre (voir mon article dans le DSI 58 sur le sujet). La question est alors "quelle est la suivante" et nous permettra-t-elle d'avoir autant prise sur les "dissuadés" d'aujourd'hui que le nucléaire ?

C'est pour cela que j'estime qu'une fois que l'on se place au plan de la stratégie générale d'un pays (pas au niveau de sa stratégie opérationnelle, un cran au dessus), la dissuasion nucléaire et l'antimissile sont antinomiques. Accepter de griller des millions de gens, c'est accepter la possibilité de voir nos citoyens griller. Si nous n'y sommes plus parés, l'adversaire se débrouillera pour nous griller autrement. Ça lui prendra sans doute du temps, ça augurera peut être d'une relative sécurité stratégique. Mais ça ne durera qu'un temps. La Zeitgeist ne joue pas en faveur des petits oiseaux et de l'amour fraternel global...

égéa : merci Joseph de venir nous commenter tout cela. Je suis d'accord avec les préventions générales contre la DAM, telle qu'elle est le plus couramment entendue. Il reste que la possibilité d'un contournement de la dissuasion, pas forcément par une DAM, se pose. L'ABL pose des questions, même si, dès le début, je relativise.

5. Le mardi 20 avril 2010, 19:01 par VonMeisten

Ce serait donc une espèce de démonstrateur technologique, un coup marketing en somme.

6. Le mardi 20 avril 2010, 19:01 par GH

Ayant pondu une analyse de fond pour DSI-T sur l’ABL (salut au rédac’chef !), je me permets de doucher quelque peu l’enthousiasme technophile de Lavarini et de relever les incohérences de son article :

1) Lavarini annonce une distance de tir de 500 km. D’après mes recherches et un rapport de l’American Physical Society, une hypothèse de portée de 200 à 300 km est déjà très ambitieuse au regard des défis techniques (dans le cas de missiles à ergols solides, la distance d’interception maximale serait de 100 km). La plus value capacitaire de l’engin est pure fiction sachant qu’il ne pourrait théoriquement abattre que des IRBM à propulsion liquide type Shahab ou Taepodong. Inefficace contre la plupart des missiles à propulsion solide dont l’Iran et la Corée du Nord pourraient maîtriser la technologie d’ici à dix-vingt ans. L’ABL étant censé évoluer à proximité des sites de lancement, il faudrait qu’il s’engage directement sur le territoire ennemi, et il serait dès lors particulièrement vulnérable contre une défense anti-aérienne, même basique. Etant donné la profondeur des sites de lancement iraniens par exemple, il est fort probable que l’ABL soit détruit bien avant d’arriver près de l’aire de lancement, même accompagné d’une escorte de F-22/35.

2) En ce qui concerne la capacité AST de l’ABL, les 36 000 km affichés sont une aberration ! Le rayon de l’ABL pourrait tout au plus aveugler/détruire (dans le meilleur des cas) des satellites en orbite basse/moyenne (2000-6000 km).

3) Le tir laser de l’ABL ne détruit pas le missile mais perce la carlingue du moteur dans sa phase Boost Phase, ce qui est censé casser sa trajectoire et le faire retomber sur ou à proximité du territoire d’où il a été lancé. Le temps d’interception pour une BPI est extrêmement court : 2 minutes max. Pour court-circuiter l’ABL, il suffirait de renforcer la puissance des propulseurs et de ramener la durée du secteur actif de la trajectoire à moins d’une minute. Les Russes y travaillent. Bien d’autres contre-mesures peuvent être envisagées, notamment renforcer le revêtement réfractaire ablatif et réfléchissant du missile pour amoindrir la puissance du rayon COIL.

4) Pour que l’ABL engage 5 à 10 missiles en même temps (impensable en l’état de l’art du programme, la durée de patrouille de l'ABL étant comprise entre 12 et 18 heures), il faudrait compter sur une flotte d’au moins sept appareils pour un coût minimum de 36 milliards de dollars (dix à douze fois le coût du Charles de Gaulle) ! Il serait totalement inefficace contre une technologie de leurres avancée et une attaque par saturation (d’où le programme hit-to-kill KEI doté du Multiple Kill Vehicle qui pourrait – théoriquement encore – opérer un overkill).

5) L’engin est une véritable bombe chimique volante. Les Américains tablent sur les lasers solides pour remplacer le COIL. Cette technologie étant très loin d’avoir atteint sa maturité, annoncer sa mise en service pour 2025 relève de la naïveté. Quant au système à miroir relais, on est là encore dans la pure science-fiction. Cette option a été abandonnée par la NMD.

Si L’ABL représente incontestablement une rupture technologique de premier plan, ses retombées capacitaires sont trop incertaines pour qu’il constitue un élément concret de la future architecture DAM US. Le programme a d’ailleurs régressé à l’état d’advanced technology concept pour des raisons budgétaires. Le problème du beam jitter (« gigue du rayon » causé par les vibrations du plancher de l’avion et des moteurs) reste pour l’heure central. Si on scrute de près les deux programmes BPI existants de la NMD, ni l’ABL ni le KEI (DSI-T 18) ne peuvent constituer des solutions fiables. Si le Pentagone continue de perfuser l’ABL c’est parce que ce dernier constitue le fer de lance des programmes d’armes à énergie dirigée. Son abandon signifierait la fin des recherches dans le domaine des AED, ce que ne peut pas se permettre le complexe militaro-industriel.

Au final, seul l’Aegis-LEAP constitue un système DAM opérationnel, mais il ne peut opérer que dans la phase de descente du missile et son efficacité est douteuse. Les dégâts resteraient considérables pour l’adversaire. Je rejoins JH : sans nier l’avancée technologique, relativisons et évitons de nous jeter dans les bras des chimères technologiques dont nous abreuvent les Américains. Le BAM sert avant tout à aimanter l’imaginaire techno-militaire américain.

Pour un tour complet du sujet : « L’Airborne Laser : futur en péril pour le tueur de missiles balistiques de Boeing ? », DSI Technologies n°16, mars-avril 2009. Voir aussi pour ceux que ça intéresse le programme d'interception Boost/Medium Phase : "Kinetic Energy Interceptor : fin de partie ? », DSI-T 18, juillet-août 2009.
égéa : merci Georges pour ces info de première bourre. La rédaction du monde qui lit égéa tous les jours (salut, au passage) appréciera. Je lui propose dès à présent un article de réponse : chiche ?

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