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Rapport Albright (I)

Bien, j'ai enfin épuisé la substantifique moelle de ce rapport Albright (vous savez, la commission des sages qui vient de remettre un rapport de préparation au futur concept stratégique de l'Otan?) (voir mon billet ici, voir aussi tous les billets sur le concept dans cette catégorie). Albright_2006.jpg

Comme tous les rapports, soit vous vous contentez de lire les articles de presse (deux petites colonnes de généralités), soit vous essayez de vous coltiner le truc sans piger toutes les subtilités. Et bien il y en a pas mal, de subtilités, et je trouve ce rapport très "politique", et beaucoup moins creux que ce que je craignais. D'où la nécessité d'une vraie explication de texte. Que voici. En plusieurs épisodes.

O. Kempf

Mme Albright, à la tête d’une commission d’experts, a rendu au secrétaire général son rapport préparatoire au concept stratégique de l’Alliance. On sait que ce concept doit être adopté lors du prochain sommet : ce rapport donne probablement de nombreuses pistes pour anticiper ce qui se trouvera dans le document final. Il demande donc une lecture attentive, pour éclairer les enjeux du débat qui va se dérouler de maintenant jusqu’à l’automne.

1/ Le premier paragraphe énonce quelques vérités qui pourraient paraître anodines : « le rôle de l’Otan comme garant de l’unité de la région euro-atlantique », et une alliance qui « d’ici 2020, sera mise à l’épreuve par l’émergence de nouveaux dangers, par les exigences multiformes d’opérations complexes et par la gageure de s’organiser avec efficacité » (p. 5). D’emblée, la limitation à la région euro-atlantique vient contrer les éventuels débats sur une « alliance globale », défendue en son temps par Ivo Daalder (actuel ambassadeur américain au CAN). De même, l’évolution est due à des « dangers » (et non des menaces ou des risques), aux opérations (comprendre : l’Afghanistan), enfin au besoin de réforme de l’organisation.

2/ Vers l’Otan 2020 : le titre du paragraphe de la p. 8 propose une échéance, celle de 2020. Cela revient à dire que les concepts stratégiques auront, dorénavant, une portée décennale. Cela peut sembler aller de soi, mais c’est mal connaître l’histoire des concepts : ceux de la guerre froide n’étaient pas « publics ». Celui de 1991 est apparu comme une réaction à la révolution des trois Glorieuses, quasiment obsolète dès sa parution, quand celui de 1999 avait été marqué, malgré les ambitions américaines, par la guerre du Kosovo et la question de l’élargissement. Surtout, les deux concepts avaient raté la question terroriste, ce qui avait nécessité un concept sur le terrorisme en 2002, puis une directive politique générale en 2006.... En donnant un terme de dix ans, le rapport Albright revient à fixer le rythme des concepts.

3/ Les pages 09 à 13 constituent un « résumé » de ce qui est dit ultérieurement : le lecteur pressé s’en contentera, surtout que ce qui y est affirmé est répété ultérieurement, dans la deuxième partie, selon une organisation classique des « concepts » : « environnement de sécurité », « tâches fondamentales », « partenariats » (ce qui constitue toutefois une innovation par rapport aux concepts précédents – on y reviendra), « questions politiques et organisationnelles » (la précision sur l’organisation est elle aussi nouvelle), « forces et capacités de l’alliance »,

4/ L’analyse du contexte passe par un énoncé des risques (p. 15) : prolifération, terrorisme, et rivalités régionales sont déjà bien connues ; dépendance aux systèmes informatiques ou « concurrence pour le pétrole et d’autres ressources stratégiques » (énoncé plus clair que la notion obscure de « sécurité énergétique ») ont déjà été mentionnées ; plus novatrice est la mention de l’évolution démographique et l’accumulation des effets de la dégradation de l’environnement. La « croissance des flux transfrontières (...) rapprochera de plus en plus des populations du monde entier, mais ne les rendra pas nécessairement plus enclines à vivre en paix » : en peu de mots, le rapport Albright explique que la mondialisation n’est pas forcément heureuse et pacifique, au contraire : ce réalisme fait plaisir à lire ! Constatant « un ordre international moins centralisé et plus complexe » (p. 16), le rapport fait un « tour du monde des tendances régionales (p. 17 sqq) ce qui est totalement nouveau, même si les conclusions ne brillent pas par leur originalité : « les efforts que déploie l’Iran (...) pourraient faire naître, pour l’Alliance, une menace majeure de type article 5 dans les dix ans qui viennent » (p. 18). Qui peut croire sérieusement que l’Iran pourrait menacer l’Alliance ?

5/ On remarque en conclusion de cette partie l’énoncé suivant : « les menaces les plus probables (...) sont de nature non conventionnelle : attaque de missile balistique, attentats terroristes, cybermenaces ». Je trouve très curieux de nommer « non-conventionnelle » ces menaces, car usuellement, le non-conventionnel désigne ce qu’on appelle (improprement, faut-il le rappeler) les « armes de destruction massive » ou, plus concrètement, les armes NRBC. Cet usage du non-conventionnel apporte la confusion, incontestablement. Mais c’est aussi le signe du trouble conceptuel de l’alliance, ne nous y trompons pas.

6/ Le chapitre sur les tâches fondamentales (pp. 21 sqq.) est évidemment attendu, puisqu’il répond à la question : « à quoi sert l’alliance ? ». Il est court, et organisé autour des quatre « tâches » (on n’ose dire mission, curieusement) de l’alliance.

61/ La première tâche consiste à « dissuader et défendre les Etats-Membres » : il s’agit du classique article 5, de la défense collective qui est le fondement de l’alliance. Mais il y a une innovation : les dangers peuvent venir « aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur de la région euro-atlantique ». Cette précision est incontestablement curieuse : elle étend le champ de l’article 5 au « hors-zone », la « zone » étant celle du champ d’intervention de l’alliance, c’est-à-dire le territoire de ses membres. Dorénavant, l’article 5 pourrait s’étendre à l’extérieur ? si on revient à l’histoire du hors-zone, le premier débat eut lieu au début des années 1990, à l’occasion des Balkans : la question était alors du « non-article 5 ». Elle est réapparue au début des années 2000, avec la question terroriste, puis l’Irak et l’Afghanistan : on pouvait intervenir « au loin » (non adjacent à la zone euro-atlantique, comme dans le cas des Balkans) mais là encore, pour des opérations « non-article 5 ». Avec la nouvelle formulation, on est dans l’expectative... surtout que le rapport réintroduit la notion de menace non-conventionnelle, même s’il n’est pas très clair sur le sujet. Au fond, le rapport veut faire plaisir à tout le monde : ceux qui veulent défendre envers et contre tout l’article 5, et ceux qui veulent étendre le champ d’action de l’Alliance : au prix de contorsions conceptuelles pas vraiment convaincantes.....

62/ La deuxième tâche vise à « contribuer à la sécurité de toute la région euro-atlantique » (p. 22). S’ensuivent de longs développements sur la « construction d’un ordre tout à fait stable qui n’est pas encore achevée », l’Otan « défenseur de ses propres intérêts et contributeur à la paix dans toutes les parties de la région », les « partenariats de l’Otan », des principes « que l’on peut faire remonter aux accords d’Helsinki » et « aujourd’hui énoncés dans la Charte de sécurité européenne, signée à Istamboul en 1999 » : à ne pas s’y tromper, cette tâche vise à répondre à la proposition Medvedev d’un traité de sécurité pan-européenne. Par cette affirmation, l’alliance se pose en matrice de cette sécurité : concurrente donc des vues russes.

63/ La troisième tâche a pour ambition de « servir de moyen transatlantique pour les consultations de sécurité et la gestion de crise » (p. 23). A plusieurs reprises, le rapport évoque l’article 4 : c’est clairement dans le cadre de cette troisième mission qu’il serait mis en œuvre, même si on ne voit pas très bien la différence par rapport aux situations « non-conventionnelles » requérant l’article 5. Il reste qu’il s’agit d’établir le « lien contractuel » entre les deux rives de l’Atlantique. On pensera que ce rappel ne vise pas seulement à faire plaisir aux Européens, comme c’était longtemps l’usage dans les textes de l’alliance : on a l’impression qu’il les admoneste, en leur demandant de faire des efforts pour profiter de ce « contrat » : faute de quoi, la partie américaine pourrait se lasser de ces alliés vindicatifs, et si peu utiles... Notons qu’à cette occasion, l’Alliance doit « améliorer ses moyens de gestion de crise », « y compris sa capacité à détecter et à évaluer les risques émergents ».

64/ La quatrième tâche est énoncée sobrement et appelle peu de développements : « élargir la portée et améliorer la gestion des partenariats » : mais cette question des partenariats occupe, à elle seule, un chapitre..... Au fond, il ne s’agit pas vraiment de savoir pourquoi l’alliance fait des partenariats, il s’agit de faire des partenariats pour l’alliance : il y a là une curieuse inversion des buts. Et cette quatrième « tâche de l’alliance » apparaît comme la moins convaincante, présentant un « moyen » comme une des fins. D’ailleurs, les partenariats occupent le chapitre suivant...

(à suivre)

O. Kempf

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