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la mémoire des tragédies permet-elle d’en éviter le retour ? (sujet)

L'écrit du concours du CID approche. Les candidats procèdent aux dernières révisions. Plutôt que de l'accumulation de connaissances, il faut maintenant s'entraîner à une certaine dextérité intellectuelle. Pour cela, des plans flash.

Comme celui proposé par un des mes fillots, à qui j'explique qu'il faut se libérer du dogme du trois parties. Voici donc un de ses essais, et la conversation qui s'est ensuivie.

Nous l'appellerons Martin.

O. Kempf

Martin

Parcourant votre BLOG, je me suis attaqué au sujet suivant : « la mémoire des tragédies permet-elle d’en éviter le retour ? »

La polémique née pendant le festival de Cannes à l’occasion de la présentation d’un film, ayant comme point de départ les évènements du 8 mai 1945 à Sétif, tend à prouver la prégnance de la guerre des mémoires. Loin d’apaiser, celles-ci alimente les antagonismes en confortant une vision Hégélienne de l’histoire comme tragique et en discréditant la réflexion de W.CHURCHILL pour qui « une nation oubliant son passé est condamné à le revivre».

La mémoire se distingue à la fois du souvenir et de l’histoire. Contrairement au premier, elle dépasse la simple remémoration du passé. Contrairement à la seconde, elle ne renvoie pas à une description objective et scientifique du passé mais lui préfère une célébration subjective de l’événement. Ainsi apparait la puissance de la mémoire comme instrument fédérateur ou ostracisant. Si le souvenir d’une erreur passée permet raisonnablement d’éviter sa répétition par le jeu de l’expérience, la mémoire, quant à elle constitue-t-elle un rempart efficace face aux tragédies du passé ?

La mémoire, célébration subjective du passé au service d’une identité, permet d’éviter le retour des tragédies à condition qu’elle soit au service d’un authentique projet collectif.

En effet, la mémoire instrumentalisée, loin d’apaiser les antagonismes, aboutit au contraire à les renforcer. Au contraire, une mémoire consensuelle érigée en fondement d’un projet collectif fédérateur permet d’éviter le retour des tragédies.

Un plan en 2 parties me parait répondre à la question :

1. Mémoire alimente le retour des tragédies - mémoire et identité : la mémoire permet de se définir par rapport et contre l’autre : M.BARRES dans « la terre et les mémoires », pour fonder une conscience nationale, il faut un cimetière et un enseignement d’histoire.

- Mémoire et communautarisme : la concurrence des mémoires s’oppose au projet fédérateur républicain en soulignant les différences des communautés : lois mémorielles

- Mémoire contre réconciliation : elle permet de justifier un esprit de revanche en donnant une épaisseur historique à l’opposition entre groupes humains :Bataille des merles au Kosovo ou encore colonialisme ( « la haine de l’occident » est pour J.ZIEGLER alimentée par la mémoire du colonialisme et est instrumentalisé à des fins de politique intérieure.

Loin d’apaiser, la mémoire facilite le retour des tragédies. Au service d’un projet fédérateur, elle permet d’empêcher leur retour.

2. Mémoire au service d’un projet collectif

- au niveau national : la mémoire permet l’avènement d’un sentiment national en luttant contre les oppositions et en favorisant le consensus : Dans « Qu’est ce que la nation », E. RENAN ne souligne que la nation, volonté de partager un projet commun, repose sur un héritage reçu en indivis, c'est-à-dire sur une part d’oubli. La mémoire ne prétend pas à l’authenticité historique mais au service d’un sentiment national, elle repose sur l’oubli volontaire, et la reconnaissance d’erreur du passé

- Au niveau Européen : le projet européen trouve son fondement sur une volonté de réconciliation après la 2nde guerre mondiale : discours fondateur de R. Schuman en 1950 « l’Europe n’a pas été faite, nous avons eu la guerre ».

- Au niveau mondial : dans son « projet de paix perpétuel », E.KANT évoque « la paix des cimetières », c'est-à-dire l’évolution vers une paix démocratique grâce au spectacle des tragédies passées.

Ainsi, la mémoire instrumentalisée, loin d’apaiser les antagonismes, aboutit à leur renforcement. Au contraire Une mémoire consensuelle érigée en fondement d’un projet collectif fédérateur permet d’éviter le retour des tragédies. Le devoir de mémoire apparait salutaire s’il permet de souligner ce qui rassemble les hommes, et non ce qui les oppose. La concurrence des mémoires, procédant d’une appropriation monopolistique des souffrances de quelques uns apparait au contraire propice au retour des vieux démons. Plus qu’un devoir, un travail de chaque instant, une démarche mémorielle apparait toujours indispensable. Le projet de loi visant à octroyer la nationalité hongroise aux citoyens tchèques historiquement natif du grand empire prouve la résurgence des nationalismes au cœur même de l’Europe. L’introduction de l’historien, souvent appelé à la rescousse aujourd’hui dans cette mémoire ne constitue pas une garantie de réussite. Dans ce cadre, la volonté du président français de donner la parole aux historiens pour départager les responsabilités de chacun dans le drame de Sétif, révélatrice d’une tendance lourde à tout confier à l’expert, semble peu pertinente en l’absence d’une volonté authentique de réconciliation.

Martin




Moi

Votre intro est de très bon niveau.

J’aurais évité l’expression « guerre des mémoires » qui fleure le "journalisme ».

Dans votre annonce de plan, une prudence dans le I permet deux choses : d’une part de la prudence qui sied au débat intellectuel, d’autre part de mieux dynamiser l’ensemble ; le présent, en effet (aboutit) est trop affirmatif et on se posera toujours la question : (mais si ça aboutit (compris : systématiquement) alors il se contredit dans la deuxième partie).

En écrivant … peut aboutir… on comprend qu’il s’agit d’une tendance, pas irrémédiable, et qui laisse donc un espace à l’action et à la volonté, objet de votre deuxième partie.

I

Barrès : ne confondez vous pas : ne s’agit-il pas de « la Terre et les morts », grande œuvre qui a fait connaitre Barrès ?

Ensuite, attention à bine articuler vos sous-parties avec le corps général de votre démonstration. A bien y regarder, on comprend que la mémoire est utile pour fonder la cohésion, même si son abus mène à des excès identitaires -> Kosovo : au fond, c’est le mot « mémoire instrumentalisée » qui me gêne dans votre titre.

Dites par exemple que I la mémoire sert à fonder des collectivités, au risque d’abus pouvant mener au drame. Bref, la mémoire n’est pas forcément néfaste.

Vous auriez alors qq chose comme

  • IA Barrès et Renan, l’instrumentalisation classique de l’Etat-nation
  • I B instrumentalisation « bonne » mais discutable et discutée : lois mémorielles
  • I C Instrumentalisation clairement néfaste : Kosovo

II

On comprend que vous faites varier l’échelle de la mémoire. LA question n’est pas celle du projet collectif (qui aurait justifié Barrès dans le II) mais de la communauté de référence. Dites le donc plus simplement, qq chose comme : II Pour éviter aujourd’hui le retour des tragédies, la question est celle de l’espace de référence de la mémoire

Du coup,

  • - je transforme votre IIA non plus en Renan, mais en qq chose de plus analytique : le lieu de la mémoire est-il forcément la nation ?
  • - D’où II B ce peut être l’Europe ou le monde
  • - et donc II C Une réponse exclusive (soit nation, soit Europe soit monde) ne peut réussir et il faut la conjugaison des trois.

Votre II est donc à la fois analytique (je démontre et comprend) et opératoire (je réponds à la question du comment faire qui est implicitement posée par le sujet).

Sur la conclusion, qq reprises en fonction du plan adapté. Vous évoquez à juste titre le cas hongrois, vous auriez pu citer le cas flamand et terminer sur une nvelle interrogation : longtemps, l’Europe était synonyme de paix : va-t-elle éviter que ces conflits latents ne dégénèrent ? (question à laquelle je n’ai pas de réponse, d’ailleurs : mais elle se pose très crûment)

Au final, très bonne approche avec une bonne maîtrise des techniques (intro conclu). ET vous voyez que le deux parties est pas mal, hein ?

Encouragements.




Martin

Il s’agit bien en effet de « la terre et les morts » et non « la terre et les mémoires », je devais être un peu fatigué (cette référence est reprise dans le livre de Marcel DETIENNE que vous m’avez conseillé…intéressant mais l’approche anthropologique de l’identité est un peu indigeste pour mon petit esprit…).

- J’ai un peu hésité sur le choix de l’accroche, en me demandant si l’actualité récente, encore brulante était indiquée…

- Le mot instrumentalisation est en effet ambigu car connotation négative alors qu’une mémoire, par nature au service d’une identité ou d’une idéologie, est objectivement un instrument et non une fin en soi.

- Votre approche plus analytique dans la 2ème partie. Mon propos est effectivement descriptif en variant sur le cadre de la mémoire (nation, Europe, monde) car je cherche à souligner la même dynamique jouant à chaque niveau, c'est-à-dire le dépassement des divisions au service d’un projet commun. La mémoire est volontairement discriminante et parfois amnésique. Est il alors possible de démontrer le « comment faire » dans la conclusion (et non dans la 3ème partie comme vous le proposez ?).



Moi

Bouquin de Detienne : je suis aussi en train de le lire, et je suis également partagé : qq très bon moments, d’autres très précieux et satisfaits…

Accroche : non, vous exposez les faits simplement, ça a occasionné un débat : vous n’y entrez pas, vous notez simplement que le débat tourne autour de la mémoire et de la tragédie : on est en plein dans le sujet.

Instrumentalisation : le mot est à la mode, victime d’une sociologie de bazar. Se méfier des mots à la mode, car ils ont plein d’affect. Ici : il ne s’agit pas seulement d’utilisation, mais d’une utilisation à des fins pas forcément bienveillantes. Il y a un aspect néfaste et cynique dans l’instrumentalisation qui n’apparaît pas dans l’utilisation. Partir d’utilisation est plus neutre, et permet de faire une troisième sous-partie instrumentalisation.

Pour le comment faire, oui, surtout si on craint d’être verbeux dans une troisième partie creuse. Mais si on le passe en conclusion, il faut être très intense et signifiant : c’est la deuxième partie de la conclu, celle qui sert d’ouverture. Donc à rédiger avant d’entamer la rédaction proprement dite, car ne s’improvise pas.




Encouragements,

O. Kempf

Commentaires

1. Le jeudi 10 juin 2010, 20:35 par vincent

Bonjour,

Merci pour ces conseils de dernière minute. Je regrette de n'avoir découvert votre site que tardivement il y a trois mois...j'y ai appris plus de choses que dans la revue d'études.

J'ai traité ce sujet il y a deux mois et je me suis posé la question immédiatement du périmètre du sujet. J'aurais voulu rester comme vous dans le domaine nation-devoir de mémoire, etc Mais me faisant reprocher à chaque fois de "fermer" les sujets, j'ai essayé pour celui-ci de l'ouvrir sujet en parlant des tragédies humaines (les crimes et le travail de mémoire individuel qui en résulte) et des tragédies des états (les grandes catastrophes). Au bilan je n'était pas satisfait, c'était plutôt creux mais j'étais "clair revue d'études!".

Je n'ose recopier ici mon intro qui est à des années lumières en terme de qualité de celle de votre élève (qui a bien de la chance d'être coaché!).

J'ai évidemment fait, en "bon" élève ..., un plan 3*3.
celà donne:
- préambule: accroche sur la tragédie grecque, forme première du théatre dont le but était de transmettre à l'époque la mémoire des hommes d'où le lien originel entre méoire et tragédie...
puis l'homme semble développer des outils pour se souvenir d'evts tragiques et funestes et éviter qu'ils ne se reproduisent. D'où annonce du sujet avec question sur l'efficacité de ces outils.
- Im: la mémoire des tragédies permet d'en éviter le retour mais n'est pas suffisante...
- Plan: bateau (quoi-problème-solution)
1 le succès réel mais partiel de la mémoire des tragédies
2 pourquoi les événements tragiques semblent malgré tout inévitables dans nos sociétés
3 des solutions existent...

1 développement thématique de l'ID1
1.1 Face aux catastrophes nat. l'homme s'organise pour en limiter les effets sans jamais les supprimer totalement.
1.2 Les tragédies humaines et personnelles marquent durablement et profondément les victimes. La médiatisation de ces tragédies ainsi que le développement de structures pour accompagner les victimes ont montré leur efficacité. Malgré tout les crimes subsistent...
1.3 Au niveau national, la mémoire des tragédies est efficace mais forcément subjective car sélective, les Etats se souvenant plus difficilement de leurs "mauvaises" actions. (cf débat sur la colonisation)

2 Pourquoi encore des tragédies aujourd'hui
2.1 L'homme est prêt à accepter les tragédies si la mémoire venait à bloquer l'inévitable progression de la société.
2.2 La mémoire est forte quand les témoins des tragédies peuvent la transmettre. La mémoire décline donc quand ces témoins disparaissent. (la tradition orale...le déporté témoignant à l'école)
2.3 La mémoire même celle des grandes tragédies est attaquée dans nos sociétés où la liberté d'expression est un droit.

3 solutions (pas bcp d'idées force , surtout des exemples)
3.1 Supprimer les barrières culturelles favorisant le retour ou le maintien des tragédies.
3.2 Réformer l'outil de mémoire afin d'éviter la banalisation et cerner les priorités (commission Kaspi)
3.3 Renforcer l'arsenal législatif...

Conclusion avec ouverture sur mémoire et réconciliation.
----
Pour terminer, je me permets qq questions, l'introduction de votre élève comporte 4 parties, il sépare le préambule en accroche et définition je crois. Je l'ai fait une fois mais le correcteur m'avait dit qu'il ne voyait plus ou était la scro-sainte idée maitresse.
Même si le plan 2*2 est parfois mieux adapté, il m' a été dit qu'il était réservé ENA et qu'il était risqué au CID.
Dernier point...auriez vous qq idées pour les thèmes de cette année? La crise éco parait assez évident, l'2tat c'éest tombé l'année dernière...je pensais également à l'identité nationale.

En attendant merci encore pour ce site. J'espère que vous passerez à Brest (chez les marins...) pour dédicacer votre livre.

Cordialement

égéa : D'abord, interroger le mot tragédie me semble une excellente idée, originale et permettant de questionner ce mot devenu trop commun sous la plume des journalistes : quelle différence entre tragédie et drame ?  la tragédie qui est représentation est-elle destinée à enseigner, à faire mémoire ? c'était une excellente première partie.
Après, vous constatez que les troisièmes parties sont souvent creuses, mais n'est-ce pas, il y a le dogme de la revue verte. Je ne sais pas si la revue verte l'impsoe tant que ça, si ce ne sont pasplutôt les élèves qui comprennent que c'est un dogme, donc un ordre. Ben.. on vous demande aussi de la liberté. Le correcteur appréciera un honnête 2 parties, plus qu'un trois parties quelconque voire médiocre.
Mais attention,c 'est le sujet (comme le terrain) qui commande. Enfin, le deux parties n'impose pas systématiquement le deux sous-parties, ni le trois parties le trois sous-parties. En clair, vous pouveez faire du 2-2, 2-3, du 3-2 ou du 3-3.
A propos de l'intro, j'ai des idées à peu près arrêtées. L'idée maîtresse : personnellement, je ne suis pas persuadé qu'elle soit forcément nécessaire (du mois telle qu'elle est pratiquée). Toutefois, il faut la pratiquer au concours qui est aussi un concours professionnel : en état-major, vous rédigerez des fiches et leur intro se résume souvent à la seule idée maîtresse.... Donc, même si c'est un peu lourdingue, inscrivez la.

Pour Brest, organisez un festival du livre ou une séance de dédicace....

2. Le jeudi 10 juin 2010, 20:35 par Kalimero

Question: le CID est-il encore vu comme incontournable, entre autre par ceux qui le passent? Dans ma vie, j'ai croisé pas mal d'officiers d'une certaine armée qui était en train de le passer, et une proportion non négligeable le faisait à contrecoeur, voire voulait le rater sans que ça se voit trop (on a le droit d'être moyen, mais pas de le louper effrontément). Au point que je connais un exemple de quelqu'un qui a passé la moitié du temps imparti pour chaque épreuve, mais a tout de même été admissible...

Alors, qu'en penser ? particularité locale, ou sentiment qui peut être généralisé face à des profils de carrière dans les hautes sphères jugés inintéressants pour les concernés?

3. Le jeudi 10 juin 2010, 20:35 par

Je livre une ou deux réflexions toutes personnelles.. On ne peut parler de mémoire sans parler de « culture », il y a une « culture » de la mémoire comme il existe une « culture » de la vie..

Certaines sociétés ont une conscience de l'importance de la mémoire, la notre en analysant l'histoire au travers du prisme déformant de nos sensibilités bien pensantes déforme la réalité historique sans grande nuance. La repentance en est une des conséquences.

L'histoire des tragédies, il conviendrait de définir de quelles tragédies il s'agit, est donc sujette aux influences, et au jugement géopolitique des contemporains bobos que nous sommes.. Pour éviter les tragédies il ne suffit donc pas d'en étudier l'histoire, il paraît nécessaire d'en dégager les enseignements comme le paléontologue dégage un un ossement de sa gangue, avec précaution, en étudiant le site et son environnement..

La mémoire des tragédies demande en contrepartie le pardon et l'oubli..La tolérance et le consensus naitront de la volonté de fédérer l'humain. Je crains que notre tendance à la repentance ne soit que le révélateur ne notre irresponsabilité devant l'histoire. Notre civilisation dont les racines sont judéo-chrétienne s'est faite par la tragédie parfois par désir irrépressible et fascination pour la tragédie.. Jésus est mort sur la croix, comme si la souffrance était inscrite à jamais dans notre inconscient collectif croyant ou pas..La tragédie fait partie du patrimoine génétique de l'humanité..

4. Le jeudi 10 juin 2010, 20:35 par Sébastien

Bonjour,

Comme beaucoup de mes camarades, je suis dans les âffres des derniers instants :
- En-ai je fait assez ?
Mais aprés tout, ce concours est un peu comme le tonneau des Danaïdes, j'ai beau en rajouter, je ne vois toujours pas le fond et ce que l'on attend de moi est une réponse argumentée, défendue et défendable.
- Comment ne pas perdre mes moyens devant la tâche qui m'attend ?
L'un de mes amis candidat l'année prochaine m'a fait passer un article qui à mon sens résume l'état d'esprit dans lequel aborder tout examen :
http://www.challenges.fr/magazine/a...

Enfin, si je n'ai pas la plume habile de votre fillot, je vous remercie profondément pour vos conseils avisés et la multiplicité des sujets que vous abordez qui assurent un remarquable complément (remplacement ?) à la R.E. et nous ouvre l'esprit !

Cordialement

égéa : la dernière semaine : repos. La forme physique fera désormais la différence. Donc dodo, lecture de romans (si possibles, classique du XIX° afin d'avoir de belles phrases sous les yeux, ça améliore le style et l'orthographe), expos, cinés, ballades, ... Stop à la stacke. Marchez soufflez!

5. Le jeudi 10 juin 2010, 20:35 par pichu

Bonjour,

Votre sujet est intéressant mais dans votre approche, ne peut on pas aussi condamner cette hypermnésie omniprésente, cette rumination historique comme le dit Nietzsche et finalement définir un oubli heureux au sens de Paul Ricoeur ("la prescription est de droit car une société ne peut être à jamais en colère contre elle -même" in La Mémoire, l'Histoire, l'Oubli)?
merci et félicitations pour votre blog (je clique sur les pubs dès que j'y pense!)

égéa : mon approche...? celle de Martin, en fait : c'est son traitement que je commente et auquel j'essaye d'apporter des éléments : en clair, ce n'est pas moi qui est trouvé un "corrigé" que j'aurais publié sous le pseudo de Martin. Cela montre d'ailleurs l'état d'esprit d'un correcteur : il se fiche de ce qu'il pense, il regarde la copie qui est devant lui.

Pour répondre à votre remarque, oui, on aurait pu aussi évoquer la nécessité de l'oubli, cf. aussi le "devoir de repentance" de ... Gluksmann?  (je ne sais plus). J'aurais probablement eu une sous-partie sur le sujet, ne serait-ce que pour dynamiser la réflexion et donc la démonstration.

Pour les pubs, vous avez parfaitement raison et je ne saurais trop inviter les lecteurs à vous imiter : cliquez dessus !

6. Le jeudi 10 juin 2010, 20:35 par CE

Lecteur occasionnel d’EGEA, j’ai été intéressé par cette discussion sur un sujet proposé l’année dernière par la revue d’études (je note d’ailleurs que la revue d’études, qui semble – à tort à mon avis - faire l’unanimité contre elle, propose souvent des sujets très féconds).
J’ai moi-même traité ce sujet l’année dernière, avec une vision un tout petit peu différente (et complémentaire je crois, d’où mon post).
Voici mon plan très détaillé (en 3 parties…) avec intro et conclusion rédigées :

Introduction :
« Plus jamais ça » : au lendemain de la 1ère GM, « guerre civile européenne », les populations d’Europe, profondément marquées dans leur mémoire individuelle et collective, ont voulu croire que cette guerre serait la « der des der » et qu’elles ne connaitraient plus cette forme de tragédie. Pourtant, 20 ans plus tard, la 2nde GM éclatait, et ce conflit allait dépasser encore en horreur le précédent. Les hommes sont-ils donc condamnés à revivre périodiquement les mêmes tragédies, c’est-à-dire des catastrophes d’origine naturelle ou humaine mettant en jeu l’idée même d’humanité ? La mémoire, interaction subtile de conservation et d’oubli, peut-elle éviter que les tragédies ne se reproduisent ou ne soient reproduites ? Et si oui, par quels mécanismes, par quels usages de cette mémoire ?

IM : La mémoire de tragédies peut contribuer à en éviter le retour parce qu’elle suscite des moyens pour organiser une vie en commun et concourt au développement de la responsabilité et du jugement des hommes.

La mémoire est un mécanisme subtil, dont les effets dépendent des usages que les hommes en font (I). Elle permet pourtant la construction d’une identité à la fois lucide et ouverte (II). Elle peut surtout être le socle d’un projet collectif indispensable à une vie commune harmonieuse (III).

1 La mémoire est un processus complexe, dont les usages conditionnent les effets, positifs ou négatifs. Un mauvais usage de la mémoire peut en effet conduire à un poids excessif du passé, au bannissement de toute réflexion critique ou à de tragiques divisions.
1.1 La mémoire est une interaction de l’oubli et de la conservation. Un usage de la mémoire tourné vers le seul souvenir pourrait présenter le risque de conduire à ressasser le passé, à s’y complaire ou à en exagérer le poids, au détriment de tout projet d’avenir.
1.2 La mémoire ne saurait sans risque bannir toute réflexion critique au profit de la seule émotion : en particulier, un usage de la mémoire cherchant à s’affranchir de toute contextualisation, de l’histoire, ne serait pas d’une grande utilité pour comprendre les événements du passé. (Ici on peut rappeler que dans la mythologie grecque, l’histoire, l’une des 9 muses, est fille de Mnémosyne, déesse de la mémoire)
1.3 Un mauvais usage de la mémoire peut enfin être un facteur de division, ou d’exacerbation des tensions (instrumentalisation de la mémoire). On peut citer ici les phénomènes de concurrence victimaire et le risque de communautarisme.

2 La mémoire des tragédies permet la construction d’une identité individuelle et collective qui évite l’écueil de l’irénisme comme celui du fatalisme. Elle contribue en effet à l’élaboration de règles, met en exergue une vigilance nécessaire, et protège d’une résignation excessive.
2.1 La mémoire des tragédies est un puissant vecteur de la construction d’une identité collective tirant les leçons du passé pour se doter de règles et d’institutions protectrices, bâties pour empêcher le retour d’événements dramatiques. Exemple du processus de construction européenne (« L’expérience de chaque homme recommence. Seules les institutions deviennent plus sages » Jean Monnet)
2.2 La mémoire des tragédies contribue à accréditer l’idée que, loin de n’être qu’une virtualité, la tragédie est possible puisqu’elle a déjà eu lieu. Cette mémoire contribue donc à renforcer l’importance d’une certaine vigilance face à des catastrophes potentielles (vigilance qui est une composante importante d’une capacité de défense)
2.3 La mémoire des tragédies porte enfin en elle le refus du fatalisme. Faire mémoire d’une catastrophe, c’est en effet également réfléchir aux facteurs qui auraient pu l’empêcher et se souvenir de ceux qui s’y sont opposés. La mémoire renforce donc l’idée qu’une tragédie n’est pas inéluctable, à condition de s’en donner les moyens (par ex, la mémoire de la Shoah est aussi celle des Justes)

La mémoire de tragédies contribue à l’émergence d’une identité, d’une conscience de soi comme être humain à la fois lucide et responsable. Se pose alors la question des moyens que cette mémoire peut mettre en œuvre pour être efficace.

3 La mémoire des tragédies peut susciter des moyens au service d’un projet commun fondant une vie collective harmonieuse. Elle peut en effet inciter à mettre en œuvre des dispositifs préventifs ou protecteurs, contribuer pédagogiquement à la formation des consciences, et servir la cohésion sociale.
3.1 La mémoire incite à l’action préventive en suscitant des règles et des moyens dédiés à la précaution et à la préparation. Je pense aux travaux du philosophe Jean-Pierre Dupuy (notamment dans son ouvrage Pour un catastrophisme éclairé), qui incitent à traiter la catastrophe future sur le mode d’un destin ou d’une fatalité que l’homme resterait libre d’écarter par un volontarisme fondé sur son jugement et sa responsabilité.
3.2 La mémoire des tragédies peut également être au service de la formation des consciences, notamment dans le domaine de l’éducation. Dans ce cadre, la mémoire et l’histoire peuvent interagir pour permettre d’accéder à la connaissance et à la reconnaissance des faits, condition pour surmonter les séquelles du passé. Les « lieux de mémoire » au sens large (musées, monuments, œuvres d’art, témoignages, commémorations, etc.) peuvent être des moyens au service d’une pédagogie visant à éduquer les individus en développant leur faculté de penser.
3.3 La mémoire des tragédies peut être une mémoire qui rassemble dans la mesure où elle suscite un désir de justice ; or la justice a une place indispensable dans la cohésion sociale pour donner confiance dans le droit et empêcher que se perpétuent la violence ou des frustrations lourdes de conflits ultérieurs. Je pense à la réflexion de Hannah Arendt dans La Condition de l’homme moderne, montrant l’importance du pardon dans les affaires humaines, et expliquant que le pardon n’a de portée réelle que sur la base et la présupposition de l’exercice de la justice. On peut citer l’exemple des tribunaux permettant de juger les crimes de guerre ou de génocides, qui sont à la fois le produit d’une mémoire blessée et le prélude nécessaire d’une éventuelle réconciliation des parties en cause.

Conclusion :
Dans sn ouvrage Misère de l’historicisme, Karl Popper a critiqué l’idée que l’on pouvait prévoir l’histoire à partir de lois ou de tendances générales. La mémoire des tragédies ne peut permettre de prédire l’avenir, ni garantir que ces tragédies ne se reproduiront plus. Elle constitue néanmoins une contribution utile pour éviter de recommencer les erreurs du passé, en développant les qualités humaines de jugement et de responsabilité, ainsi que des moyens concrets, indispensables à une identité et à un projet communs.

Aujourd’hui, l’humanité prend peu à peu conscience des dangers que court la planète, dont certains dépendent des hommes. C’est peut-être parce que la destruction de son environnement par l’homme serait une tragédie sans précédent, et donc dont l’humanité n’a pas la mémoire, qu’il est si difficile pour elle d’en prendre conscience et de trouver les moyens de s’y opposer.

égéa : merci tout d'abord de votre contribution. Je fais moi-même attention à ne pas critiquer la revue d'études, malgré les fréquentes remontrances que j'entends. Elle a un rôle ingrat : inculquer une méthode commune. Ce qui fait que le destinataire a souvent l'impression d'une contrainte qui n'aide pas à réfléchir. Il arrive aussi que des candidats accusent la revue pour expliquer leurs propres défauts.

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