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Mélancolie française d'Eric Zemmour

Ce livre a été sur les gondoles les plus visibles des librairies. Il méritait d'être lu, même si je signale d'habitude des ouvrages moins médiatisés....

Voici donc une petite fiche de lecture.

A la fermeture du live, j'ai hésité : s'agissait-il de géohistoire ? ou d'une méditation historique sur le "destin" de la France ? Je crois que c'est cette deuxième version la meilleure, même si je n'ai pas de critère pour justifier mon interprétation. Cela est forcément subjectif. Disons que le lien à l'espace et à l'enracinement territorial me semble au mieux discret, ce qui empêche la qualification de géohistoire (dont aucune définition agréée n'existe vraiment).

Il y a dans le texte incontestablement des aperçus originaux, et des éclairs de style qui rendent l'ouvrage tout sauf ennuyeux : il ne s'agit pas d'une énième "histoire de France", mais d'une tentative de dégager un sens à cette histoire. Une "interprétation", au premier sens du terme. Dans la tradition culturelle qui envisage un "sens" à l'histoire, depuis Hegel et Marx jusqu'à Spengler ou Toynbee. Or, ce sens de l'histoire n'est pas une tradition des gens de gauche (malgré Marx et sa descendance) mais plutôt de ceux de droite, qui sont d'ailleurs volontiers pessimistes (et déclinologues).

Le propos du livre est le suivant : la France a depuis toujours vocation à succéder à Rome, l'antique Rome, la fière et l'impériale Rome. Mais si elle a parfois effleuré ce destin, elle ne l'a jamais atteint, s'y perdant. Car bien sûr, c'est toujours "un autre" qui fait un "croque-en-jambe" au dernier moment et qui empêche d'arriver au but.

Ce propos est illustré d'aperçus parfois fulgurants, souvent iconoclastes et volontiers provocateurs, mais la plupart du temps sincères, même si l'auteur ne résiste pas à un bon mot ou au goût si français du "spirituel".

Il s'ensuit une rétrospective historique qui ravivera les souvenirs de certains, heurtera ceux des autres, mais sera toujours intéressante.

Je signalerai surtout les trois derniers chapitres. Celui sur le commissaire est une dénonciation un peu classique des errements de la construction européenne. L'auteur y voit la conception classique de l'Europe puissance, d'une Lotharingie ressuscitée. On sait toutefois l'échec annoncé de cette vision : pas seulement à cause de la renaissance allemande, mais aussi à cause des élargissements. Cette vision là est moribonde, incontestablement. Signifie-t-elle pour autant que le projet européen soit mort ? je n'en suis pas sûr (même si je n'en suis pas non plus convaincu)....

Celui sur le Belge parie sur l'éclatement inéluctable de la Belgique (annoncé sur égéa depuis maintenant deux ans). On y voit un réflexe "à l'ancienne" qui voit l'annexion possible de la Wallonie, et l'extension vers le modèle des "frontières naturelles", comprendre le Rhin. Cet exemple illustre la grammaire intellectuelle de Zemmour, finalement très classique, très "Mallet et Isaac" : annexions, agrandissement, démographies, selon des lois géopolitiques anciennes, certes pertinentes, même si cette pertinence n'a plus le monopole de la description du réel. Car il y a, aujourd'hui, de nouvelles règles post-westphaliennes qui remplacent, peu à peu et malaisément, le corpus classique que récite Zemmour.

Le dernier chapitre, enfin, sur "la chute de Rome", constitue une belle pièce de littérature, et est convaincant. Il parle de démographie, de façon très pessimiste (la panne de la francisation, p. 251). Autant le reste du livre paraît passéiste, autant ces lignes sont, peut-être, prophétiques... C'est certes le chapitre le plus polémique, celui où les fractures habituelles du débat français se font le mieux sentir (entre gauche bien pensante et droite décomplexée) mais c'est aussi celui qui, justement, nourrit le débat, si l'on veut bien aller au-delà des invectives.

Le titre du livre, finalement, est bien choisi. Cette "mélancolie" est un trouble de l'âme, un état un peu dépressif et forcément tourné ver le passé. La lecture des pages héroïques laissent parfois les adolescents rêveurs devant les hauts faits, se promettant qu'eux-mêmes, à la place de.., auraient fait aussi bien. Cette mélancolie est un moteur de l'action : car pour agir grandement, il faut avoir beaucoup rêvé. Et les rêves ne sont pas tous défaitistes.... Ceci pour apaiser la tonalité pessimiste de notre auteur, brillant par ailleurs, et dont le livre sera lu avec grand plaisir.

Réf:

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 1 août 2010, 16:08 par

Merci de cette fiche de lecture qui m’évitera de m’intéresser plus longtemps à ce livre dont le titre, lui-même, est déjà répulsif. Titre répulsif parce qu’il évoque le refrain que j’entends depuis cinquante ans de la part des sempiternels vieux cons. Pas toujours vieux, pas toujours les mêmes, mais toujours le même refrain : « c’est plus comme avant, c’est foutu, on s’en sortira pas, etc ». Depuis un demi-siècle j’entends ça sinon vraiment tous les jours, du moins de façon récurrente, et ça commence à bien faire.

D’autant que mes souvenirs me permettent de voir la France aujourd’hui plus solide qu’elle n’était, de comparer les années cinquante / soixante et l’époque actuelle.

L’évolution qui s’est faite (ne serait-ce que cette Toile qui nous permet de dialoguer, qui n’est pas seulement un progrès matériel mais aussi un support de la francophonie et de notre âme collective), cette évolution est tellement extraordinaire dans tous les domaines que beaucoup de gens sont dépassés et s’inquiètent. Ce n’est pas nouveau : la vieille formule « on n’arrête pas le progrès » contient depuis toujours (probablement depuis l’invention du feu) une nuance d’inquiétude sincère. Sur cette inquiétude « surfent » un certain nombre d’auteurs sans originalité qui espèrent ainsi trouver une clientèle pour leur bouquin.

C’est à peu près toujours le même bouquin, dont la dimension et le ton sont adaptés à chaque lectorat et à la notoriété de l’auteur depuis Platon et son Atlantide qui est déjà une promesse de catastrophe. Plus modeste mais de la même veine, nous avons eu « le mal français » d’Alain Peyrefitte en 1976 et très récemment « le syndrome du Titanic » qu’on oubliera avant épuisement du stock. Toujours le même argument qu’il suffit de réactualiser et d’insérer dans le domaine dont on veut parler.

En ce moment Zemmour n’est pas seul sur ce créneau : Jérôme Duhamel vient de commettre, lui aussi avant les vacances d’été, un « C’était mieux avant ! 250 coups de gueule sur la France d'aujourd'hui ». Voici un extrait de sa fiche de présentation : « Léon Blum, qui n'avait pas de Rolex, a-t-il raté sa vie ? Louise Michel et Jean Jaurès méritaient-ils d'avoir Ségolène et Jack comme héritiers ? A quoi sert l'Académie française si elle ne dénonce pas un président qui massacre notre langue ? La politesse et le respect étaient-ils des valeurs moins sûres que la grossièreté et le je-m'en-foutisme actuels ? »

Le thème de la nostalgie, du tout-fout-l’camp, de la vision pessimiste de l’avenir a toujours été vendeur. C’est facile, trop facile, trop vieux, trop con. Pour ma part, j’ai un antidote : je suis en train de relire « l’histoire de France vue par San-Antonio » et je vous le recommande.

Cette « histoire de France » de Frédéric Dard a le double mérite de ne pas se prendre au sérieux et d’avoir capté la solidité des ressorts de la France éternelle. Peu importe si l’auteur s’égare parfois, par exemple en nous montrant que le Mousquetaire Bérugnan est le père de Louis XIV.
Foin de la mélancolie !

2. Le dimanche 1 août 2010, 16:08 par Thibault Lamidel

Je raccroche à Yves Cadiou... Ce qui me fait bien rire, étant donné que je collectionne tout ces fabuleux livres qui prédisent la fin de la France (je ne me lasse pas des les lire, c'est paradoxale). Citons le fameux "Réformer ou abdiquer" qui prenait le relais. Je lierai bien celui-là pour voir ce que cet auteur controversé (par la bien séance médiatique à deux francs) a dans le ventre.

Plus sérieusement, le débat lancé par monsieur Cadiou rejoint, pour moi, les débats sur la Défaite de 40 : la vision de Vichy. Et ses ramifications actuelles : la Crise économique, financière, existe-t-elle ? Les stations de "vacances" ne désemplissent pas en France. Les "bouchons" encombrent toujours nos belles autoroutes. Existe-t-il vraiment une crise ? Le problème c'est peut être de repenser l'avenir. Ou de proposer un avenir commun. Et de faire table-rase de certains modèles. Voir de les réinventer.

Et de les rêver ! Le rêve a quitter la société française, ce qui est regrettable.

Le chapitre sur le Commissaire doit être géniale. Peut être qu'il rendra compte enfin que l'élite de la société française refuse de prendre l'UE au sérieux et de nous donner les moyens de se l'approprier. En comparaison, les allemands excellent dans le domaine...

Par exemple, je regarde la couverture du livre présenté. Un grand drapeau, un aigle. Empire ?... Françafrique ? Mais " L'Empire français" a-t-il disparu ? Souvenez vous dont des capitales africaines qui ont voté en masse pour la candidature du Brésil au JO de 2016 contre le Chicago d'Obama. Ce n'était pas une victoire du seul Empire français. Mais peut être que cet Empire a été repensé entre temps : Francophonie, Union latine, Union Européenne, etc... Vous avez observé notre glissement géostratégique de l'Afrique vers l'Arabie ? En coopération avec le Brésil ? La péninsule arabique se francise...

Actuellement, nous avons qualitativement une flotte qui dépasse, centimètre après centimètre, la Royal Navy. Et par jeux d'alliances ou de situations stratégiques, nous avons peut être la deuxième flotte de Guerre mondiale.
Pourquoi encore la Marine ? C'est peut être le symbole historique de la possession d'un Empire...

3. Le dimanche 1 août 2010, 16:08 par Pierre AGERON

Même si la géohistoire semble un objet flou, il me semble possible néanmoins d'en donner une définition, si ce n'est consensuelle, du moins scientifiquement acceptable. Elle émane du géographe C. Grataloup,Pr à Paris VII, principal théoricien de cette approche.
"Etude géographique des processus historiques, la géohistoire consiste à mobiliser les outils du géographe pour composer une explication des événements et des périodicités partant de l'hypothèse que la localisation des phénomènes est une dimensio fondamentale de leur logique même [... Elle] analyse des découpages spatiaux et [...] leurs articulation scalaire. [...]. Cette échelle d'espace est également une échelle de temps." CG in Lévy et Lussault (dir) Dictionnaire de géographie et de l'espace des sociétés, Belin, p. 401.
Cf. son ouvrage théorique fondamental "Lieux d'histoire. Essai de géohistoire systématique" Reclus/Doc Française, 1996.
Parmi les influences à l'origine de ses travaux, citons l'incontournable Braudel, Wallerstein, Dolfuss, Alain Reynaud (Une Géohistoire, la Chine des Printemps et des automnes, 1992).
Cette approche vise à comprendre les processus à l'œuvre dans la Mondialisation, définie comme "émergence du Monde en tant que lieu" (J. Lévy), échelle désormais pertinente d'appréhension des phénomènes spatiaux.
Cf. J. Lévy L'invention du Monde, Presses de Sc Po et le très bel essai de S. Gruzinski "Les quatre parties du Monde" (Points Seuil Histoire) sur les relations entre Chine et Amérique des Grandes découvertes à l'époque moderne"


égéa
: vous avez raison de citer Grataloup, qui est effectivement le réinventeur de la géohistoire. Toutefois, depuis l'invention du mot par Braudel, et son abandon par le même, le mot n'a pas d'acception agréée (pas plus,d 'ailleurs, que géopolitique, puisque ce mot là aussi suscite débat, d'ailleurs autour de "l'école" Grataloup Rosière etc... et la revue espaces-temps (qui malheureusement tourne un peu "entre elle" ....)
S'agissant de Grataloup, je rendrai compte très bientôt de son magnifique ouvrage "l'invention des continents" que je viens d'achever.

4. Le dimanche 1 août 2010, 16:08 par Etienne (pichu)

Bonjour,

Je rejoins les précédents posts. Ce qui me dérange avec Eric Zemmour c'est son discours volontiers provocateur, maurassien, et ce qui le rend inattaquable (contrairement à ses idoles de l'Action Française) c'est sa judéité laïque dans laquelle il s'enveloppe pour contrecarrer toute éventuelle accusation de racisme ou xénophobie et qu'il revendique à tout bout de champs. Ce type de chroniqueur lambda, phénomène de foire dans des émissions télévisuelles, ne sert qu'à exacerber les lignes de fracture d'une société française qui doute, confrontée à une mondialisation anxiogène, une desindustrialisation rapide, un chômage des jeunes structurellement haut, bref, une perte de prestige et de répères. Ce phénomène de fracture n'est pas récent (cf Pierre Nora dans les Lieux de mémoire qui parle de bourguignons/armagnacs, droite/gauche, catholiques/protestants.....mais ces nouveaux déclinologues jouent toujours sur ce sentiment d'angoisse qui règne dans la société, sans rien proposer de concret. Monter les communautés les unes contre les autres, sur-réagir sur toute information (ex: le comportement des Bleus à la coupe du monde est censé montrer l'échec du modèle français d'intégration....), est ce cela qui va unir le pays face aux défis du XX eme siècle? Il est urgent qu'un projet national apaisé et volontariste mobilise nos forces vives. Constater comme Zemmour et appuyer là où cela fait mal c'est nécessaire, mais quid des propositions pour en sortir par le haut?

5. Le dimanche 1 août 2010, 16:08 par

Le « phénomène de fracture » dont Etienne (pichu) nous rappelle ici qu’on en entend souvent parler est aussi un de ces thèmes pessimistes et récurrents évoqués par les discoureurs, chroniqueurs, auteurs, politiciens, qui n’ont rien à dire mais sont payés pour dire. Le thème de la fracture est même tellement classique, presque un tic de langage, que les gentilles spikerines de la météo à la télé en font un usage habituel pour agrémenter leur bulletin d’une touche d’humour : « aujourd’hui, la France est coupée en deux ». Selon les jours, on nous montre sur l’Hexagone une fracture atmosphérique nord-sud ou est-ouest. Parfois la fracture est même oblique, je vous laisse imaginer la soudaine angoisse qui étreint alors le téléspectateur.

La prétendue « fracture » que trop de gens croient voir dans la société française résulte seulement de notre facilité à classer les gens dans de multiples catégories mal délimitées, mais classement qui favorise les raisonnements simples : les riches / les pauvres ; les blancs / les noirs ; les parisiens / les provinciaux ; les syndiqués / les non-syndiqués ; les …istes / les non …istes (mettez ce que vous voulez à la place des points devant …istes, toujours au pluriel car il s’agit de groupes). En catégorisant la société l’on fait apparaître des différences qui sont extrêmement ténues, voire inexistantes (tous ces gens se retrouvent dans les mêmes bistrots, les mêmes métros et regardent la météo devant les mêmes télé), mais différences infimes qu’il est ensuite commode d’exagérer et de placer sous forme de fracture-à-réduire dans n’importe quel discours antidiscriminatoire.

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