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Canicule russe

Les feux qui ont couvert le territoire russe ont-ils une signification géopolitique ? Une excellente double page de La Croix permet de développer quelques considérations.

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1/ Il s’agit d’une catastrophe de grande ampleur. Certes, à la différence du tsunami, il n’y a pas eu plusieurs dizaines de milliers de morts « d’un coup ». Mais les morts s’accumulent au long de l’été. Rien que pour la ville de Moscou, le nombre de mort aurait doublé pour atteindre le chiffre de 700 par jour. Un surcroît quotidien de 350, soit 2.500 morts pas semaine, soit 10.000 en un mois, pour la seule capitale ! Encore faut-il composer avec les défauts statistiques (les autorités donnant des consignes pour réduire le comptage de cette mortalité). Ainsi, sur l’ensemble du pays, ce sont donc probablement plusieurs dizaines de milliers de morts qu’il faudra déplorer. Alors même que la démographie russe n’est pas très vigoureuse !

2/ La mise en danger d’un certain nombre d’installations nucléaires ou militaires sensibles (centre de Sarov) illustre l’étendue de la possible défaillance gouvernementale : 25 ans après Tchernobyl, qui avait précipité la fin de l‘URSS, on s’aperçoit que les autorités russes ont failli ne pas sécuriser leurs installations, alors qu’il s’agit pour elles d’un facteur de puissance qui justifie encore leur place à la table des grands, et notamment lors des négociations directes avec les Etats-Unis.

3/ D’une certaine façon, la « verticale du pouvoir » mise en place par Vladimir Poutine paraît remise en cause. On sait que cette expression recouvre une recentralisation du pouvoir autour de l’Etat russe. Or, la population a eu le sentiment qu’avant (du temps de l’Union Soviétique) il y avait des cloches d’alerte dans chaque village et un corps de pompiers qui surveillait le bien commun. La dégradation du service public et l’augmentation de la mortalité auront certainement des conséquences politiques, même s’il est probable qu’elles seront de long terme.

4/ Car il faut ici noter une chose : pour une fois, la ville de Moscou a « subi » les aléas comme le reste du pays. Or, (en Russie comme ailleurs) la capitale demeure l’endroit où se construit l’opinion publique. Pour une fois, Moscou ressent la même chose que la province : cela est rare et contrebalance l’habituel clivage centre/périphérie.

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5/ Les conséquences économiques ne seront pas minces : d’une part à cause des milliers d’hectares brûlés (qui affecteront la consommation populaire d’énergie, car les tourbes sont des combustibles populaires et relativement peu chers), d’autre part à cause des répercussions sur le marché du blé, que la presse a déjà évoquées. Tout ceci alors que la crise financière avait altéré la hausse des revenus observée ces dernières années, et qui aidait à faire passer beaucoup de choses. Le soubassement économique du système sera fragilisé.

6/ Le pouvoir est-il pour autant menacé ? Probablement pas, car les critiques politiques ne viennent que d’une frange étroite (et occidentalisée) qui fait le lien entre les catastrophes naturelles et l’action politique des dernières années : le reste de la population n’émettra qu’une critique sociale. Surtout, la verticale du pouvoir repose sur la domination d’un système de communication, passant principalement par la télévision, contrôlée par le pouvoir (suivant en cela un modèle berlusconien ?). Les quelques réactions sur Internet ne suffisent pas à instaurer, dans l’immédiat, une remise en cause de ce modèle. A tout le moins le fragilisent-ils.

7/ La dernière conséquence est celle de l’image internationale. La réticence de la Russie à accepter l’aide internationale est le signe le plus évident de la gêne du Kremlin : un grand n’a pas besoin d’aide ! On reconnaît les ressorts traditionnels du soft power russe, tel qu’il se pratiquait depuis longtemps : l’image de l’ours russe jouant des gros bras, intervenant sur ses marges (Géorgie, 2008) ou coupant les robinets (Ukraine, 2009) même si, en dessous, on pouvait observer une diplomatie beaucoup plus habile (par exemple pour reprendre de l’influence dans les républiques d’Asie centrale). Ce mélange de crânerie et de subtilité échiquéenne semble remis en cause : comme si l‘ours avait beaucoup de fourrure et peu de muscles !

Ainsi, il y a une part de désarroi perceptible de la part des autorités. Je ne pense pas pour autant qu’on puisse parler d’ébranlement, mais ces catastrophes auront probablement des répercussions de longue durée.

O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 17 août 2010, 17:00 par

Au regard de la catastrophe qui a frappé la Russie, je souhaite préciser des principes de base concernant la protection civile qui fut mon métier pendant quelques années. Si je ne suis pas à jour, l’un ou l’autre des lecteurs de ce blog pourra (devra, avec mes remerciements) compléter ou rectifier.

L’on appelle « catastrophe » la situation où les moyens de secours normaux sont dépassés. Notons d’abord qu’en France cette vieille définition opérationnelle, qui a au moins le mérite d’être claire, a pourtant quelque peu évolué à la suite de la loi sur les catastrophes naturelles (1982) ou plus exactement par l’application qui en a été faite depuis lors : lorsqu’est déclaré « l’état de catastrophe naturelle » pour un secteur plus ou moins grand mais toujours précis du territoire français, c’est l’aboutissement d’une procédure administrative dans laquelle les intérêts financiers sont prépondérants, concernant souvent de très fortes sommes. La « déclaration de catastrophe naturelle » implique que les compagnies d’assurances seront remboursées par l’Etat d'une partie des frais qu’elles ont exposés à la suite du sinistre. Ces considérations financières amènent les intéressés à ne pas prendre en compte la définition opérationnelle du mot « catastrophe » que j’ai rappelée plus haut, mais plutôt la nature du sinistre et l’improbabilité de sa survenance : est catastrophique un sinistre que des précautions normales ne pouvait pas empêcher ni limiter. On retrouve la notion de « normalité » de l’événement et par conséquent de sa prévention.

Les incendies dramatiques en Russie sont une catastrophe à tous les sens de la protection civile. La tentation est toujours forte, en Russie comme partout, de rendre les autorités responsables de ce qui n’a pas fonctionné dans la gestion de la crise, autorités accusées d’avoir été coupables d’imprévision et d’impréparation.

En fait le raisonnement à tenir n’est pas si simple : que les moyens de secours normaux soient dépassés, ce n’est pas nécessairement le résultat d’une incompétence des autorités. Mais il n’est pas facile d’expliquer aux victimes qu’un bon gestionnaire de l’argent public doit mettre en balance d’une part le coût d’une catastrophe qui ne se produira peut-être jamais (la probabilité de ces incendies russes était proche de zéro, ça n’était jamais arrivé auparavant) et d’autre part les budgets pharaoniques qu’il aurait fallu dépenser probablement en pure perte pour empêcher que ces incendies surviennent et pour avoir tous les moyens de réagir parfaitement. Tous les moyens, c’est considérable depuis le système de détection des premières fumées jusqu’à la sortie de l’hôpital. Rappelons que la Californie elle-même, qui est pourtant l’Etat le plus riche du monde, présente des carences dans son système de lutte contre les incendies naturels sur un territoire beaucoup moins vaste que celui de la Russie et sans tourbières.

Bien sûr en situation de catastrophe il y a toujours dans le public des réactions d’affolement, c’est humain. L’affolement, de nos jours, s’exprime sur internet. L’article de La Croix que vous avez mis en lien se fait l’écho de cet affolement mais l’on serait déraisonnable d’en tirer des conclusions excessives. Cet affolement, qui est normal face à une situation anormale et sans précédent, fait partie des éléments qui répondent à votre question, cher Monsieur Kempf : cette catastrophe entre dans le domaine de la géopolitique.

2. Le mardi 17 août 2010, 17:00 par

Bonjour,

J'aimerais apporter un point d'éclaircissement au présent billet, car c'est un élément que j'ai aussi lu et vu sur d'autres sites et même sur une chaîne de télévision.
Non, la Russie n'a pas refusé l'aide étrangère, j'en veux même pour preuve ce document infographique de l'agence RIA Novosti :
http://rian.ru/hs_mm/20100805/26212...
Le document en question est en russe mais les symboles employés sont fort clairs heureusement.

Il est évident que les premiers à avoir secouru la Fédération de Russie soit l'étranger proche, c'est à dire les anciens pays de l'Union Soviétique. Il en serait de même si un pays de l'Union Européenne venait à flamber. Question de proximité géographique et de facilité logistique inhérente à cette donnée.
Accessoirement, je note juste l'absence sur ce graphique de l'aide Polonaise alors qu'un bataillon de 155 pompiers a été acheminé sur place pour prêter main forte à leurs homologues Russes.
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2...

Cordialement

égéa : ah ! tu réponds;... j'étais un peu surpris de ne pas voir de commentaire de Kyberstratégie... C'est heureusement chose faite. Merci pour ces précisions.

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