Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

USA : une puissance moins inévitable

Chacun connaît le mot de Madeleine Albright disant des États-Unis qu'ils étaient une puissance "indispensable". Derrière le mélange de propagande et de constat de la formule, il faut constater que depuis le XX° siècle, les États-Unis sont inévitables.

(image d'un blog lorrain)

En ce début de XXI° siècle, y aura-t-il un "new American century " ? C'est peu probable. Cette différence entre les deux situations nécessite d'explorer un peu cette "décroissance" (comme quoi, les alters doivent être heureux, puisque l'on peut distinguer, quelque part, la décroissance aux États-Unis).

1/ Soyons clairs tout de suite : constater un "déclin" américain ne signifie pas :

  • qu'on parle d'un écroulement des États-Unis;
  • qu'on souhaite cette descente
  • que ce constat signifie qu'ils ne sont plus puissants, ni même très puissants : ils demeurent - et demeureront- super-puissants. Mais leur avance décroît.

Il s'agit juste d'une observation. Les Etats-Unis sont moins puissants qu'ils l'ont été, et le seront tendanciellement de moins en moins. La faute à plusieurs choses :

2/ En premier lieu, la crise économique. Plus qu'une crise du capitalisme, c'est la crise d'un certain modèle. La sortie qui se dessine présage un modèle au mieux en racine carrée, au pire en W. En clair, un scénario à la japonaise se profile, avec une longue déflation, morose et atone : le temps pour les ménages de continuer à se désendetter, et de purger les excès de trois décennies ; le temps, au niveau macro, de laisser l'Etat purger ses déficits, en espérant qu'on cesse ces plans de relance qui n'auront plus d'effet; le temps enfin de s'habituer à un chômage "européen" à 10 % de la population, qu'il faudra corriger à coup d'innovation de productivité.

3/ Par ailleurs, le monde multipolaire s'organise ou, plutôt, se désorganise. C'est qu'en fait il y a désormais plusieurs centres, et qu'il faut parler d'un monde pluricentrique : un pôle organise le monde, un centre n'existe qu'en comparaison à un environnement. Les Etats-Unis ont et auront toujours un rôle certain : mais leur fonction polarisante va s'affaiblissant. La faute à la fin de l'URSS, la faute à l'éclatement de l'Occident, la faute aux aventures irakiennes et afghanes, la faute au Porche Orient qui ne trouve pas de solution, la faute à la Chine, ....

4/ Cette remise en cause des deux modèles qui ont orienté la politique américaine depuis presque un siècle a des répercussions intérieures. Souvenez-vous de la révolte de Main Street contre Wall Street, ou de l'élection de Barrack Obama. L'impatience américaine tend à transformer ces mouvements profonds en radicalisations identitaires : Tea Party et islamophobie se développent, et un tiers des Américains croient que BO est musulman : il est aujourd'hui possible de mentir longtemps à beaucoup de monde..... Cependant, les outrances contre la mosquée à deux cent mètres de Ground zero paraissent incroyables et n'auraient pas eu lieu, je pense, avant la crise (après pourtant le 11 septembre). Cette crise touche vraiment l'Amérique au cœur, plus probablement que les attentats du 11 IX. EN cela, on est descendu d'un cran dans ma théorie des déclins accompagnant les interrogations populistes : voir mes billets ci-dessous.

La conclusion : les Etats-Unis sont - et seront- une puissance moins inévitable.

Réf

  • sur le populisme comme réaction d 'un déclin : ce billet
  • fiche de lecture sur le déclin américain : ce billet

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 30 août 2010, 22:02 par Christophe Richard

Bonjour, merci de nous faire partager cette réflexion.
Croyez-vous que ces évolutions puissent ramener les RI vers un modèle plus proche du concert que de la "communauté"?
Bien cordialement
égéa : euh... je ne comprends pas la question, à vrai dire....

2. Le lundi 30 août 2010, 22:02 par

@EGEA: Il est erroné de parler de "déclin" américain car où que l'on regarde (technologies, éducation, etc), l'Amérique est davantage en essor qu'en déclin. D'ailleurs, pour avoir vécu là-bas je peux témoigner qu'il n'y a en rien les symptômes d'une Rome en déclin. Que l'on parle éventuellement de déclin intellectuel, d'une dérive de la société vers divers travers (télévision abrutissante, jeunesse à la dérive, etc) serait autre chose, mais cela est-il en lien avec un "déclin américain"?
Il convient donc de parler de "déclin RELATIF" des Etats-Unis vis-à-vis des autres puissances émergentes (notament et surtout la Chine), simplement parce que ces pays émergent plus vite que la croissance naturelle des Etats-Unis pour dire les choses de manière simple.

@Christophe Richard: Le monde devenant de plus en plus multipolaire, il y a une claire possibilité de le voir évoluer vers un Concert des nations, un retour vers l'équilibre des grandes puissances. La question étant: est-ce désirable? D'un point de vue européen, la réponse ne peut être que: NON. Parce que l'UE et les états membres ne peuvent pas rivaliser à ces jeux de realpolitik avec les USA ou la Chine. Ensuite parce que les défis contemporains sont bien trop importants et imposants pour être le fruit de jeux politiques. Ils doivent être résolus ensemble. Nous avons donc besoin d'un système plus proche de la "communauté" ou du "multilatéralisme efficace" pour employer le jargon de l'UE. Un système pluriel basé sur les normes internationales.

Bien à vous,

Thomas R.
égéa : à Thomas : s'agissant de ce déclin RELATIF, il ne me semble pas avoir dit autre chose dans mes liminaires. Mais s'il faut que je le reprécise, oui, ce déclin est relatif.
Quant à l'essor, je reste en revanche plus circonspect. Prenons un exemple : l'Europe a une croissance économique positive (légèrement, mais positive) : elle est donc "techniquement" en essor. Affirme cela à l'extérieur, ton auditoire sera plié en deux.
Pour revenir à l'Amérique, disons simplement que les mutations en cours paraissent envisagées de façon moins positives que celles qui les ont précédées. Et qu'il y a une remise en cause implicite du modèle, qu'il soit capitaliste (la crise, la marée noire) ou communautaire (crainte des hispaniques, crainte des musulmans). Cela ne veut pas dire que le modèle n'y survivra pas : simplement qu'il n'est plus aussi évident qu'il l'était. Même si, en de multiples endroits, des facteurs de dynamisme persistent, ce que je ne dénie pas.

3. Le lundi 30 août 2010, 22:02 par

Tout à fait d'accord avec toi,Olivier. Les US resteront une grande puissance "parmi d'autres" (la Chine, l'UE, l'Inde, la Russie ?), néanmoins toujours doté d'une formidable capacité de projection militaire et d'un rayonnement culturel conséquent car plus aisément exportable que ceux asiatiques.

T'as oublié un autre point sur lequel l'Amérique vit actuellement une grosse désillusion: sa puissance spatiale, de plus en plus relative. Les navettes spatiales de la NASA iront à la retraite dans qq mois, son lanceur ARES (censé envoyer des vaisseau en orbite, sur la Lune, sur Mars) a subi des coupes budgétaires sévères, et elle devra acheter son ticker spatial auprès de la Russie pendant 5 années voire plus pour accéder à l'ISS.
Pour autant, on peut louer l'émergence plutôt réaliste des agences spatiales privées.

Dans l'imaginaire et même l'inconscient collectif américain, c carrément un choc.

Bref, une Rome qui ne tombera aussi fortement que celle antique, mais qui pour autant, ne sera point remplacée par un autre. Dans l'ensemble, Obama serait-il un / le Gorbatchev américain ?

4. Le lundi 30 août 2010, 22:02 par

D’abord la photo : c’était l’occasion pour vous d’attirer l’attention sur un château endommagé situé dans votre région d’origine, si l’on a bien compris. Les Etats-Unis n’en sont pas au même point que ce château mais peut-être se ressentent-ils ainsi, ou voient-ils leur avenir ainsi, ce qui expliquerait que le qualificatif « indispensable » n’aille pas sans dire et que Madeleine Albright le dise : il y a cinquante ans ou seulement vingt-cinq, personne n’aurait jugé utile de faire une telle déclaration. Il y a probablement, chez les décideurs etats-uniens, un sentiment de déclin.

Ce sentiment, s’il existe, génère un risque : on a déjà parlé, sur ce blog, de possibles « crispations post-hégémoniques ». Passer du statut (statut ressenti, au moins) de Maître du Monde à celui de simple « puissance indispensable » qui se voit à l'avenir de moins en moins indispensable, ça peut engendrer des crispations : voyez chez nous comme fut mal vécue par certains la perte de l’Empire colonial que nous n’avions plus les moyens d’entretenir.

Ce château en rappelle un autre, imaginé par Théophile Gautier. Concernant les Etats-Unis l’on peut craindre, parce qu'alors ce ne serait pas de la littérature, que le Baron de Sigognac se transforme en Capitaine Fracasse : l’on doit constater que les guerres se déclenchent souvent pour faire diversion à des problèmes intérieurs qui menacent le Pouvoir, l’état de guerre étant à la fois un état juridique d’exception et un argument rassembleur. Pour ce motif, le déclin américain est une donnée majeure et dangereuse des prochaines décennies.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.egeablog.net/index.php?trackback/745

Fil des commentaires de ce billet