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Colonisation maritime

Voici un très bel exemple de géopolitique des ressources : le Brésil a décidé, quasi unilatéralement, d'étendre sa frontière maritime sur l'ensemble du plateau continental, jusqu'à environ 370 milles.

image tirée d'ici



Les détails en sont donnés dans le Monde de ce soir. Que peut on en dire ?

1/ Que la colonisation maritime, que j'annonçais voici deux ans, prend désormais un tour de plus en plus abrupt. En effet, après avoir déposé deux demandes devant les instances spécialisées de l'ONU (Commission des limites de la plate-forme continentale, à l a suite de la convention de Montego Bay), le Brésil décide finalement par décret d'étendre son domaine maritime : "Cela revient à étendre la frontière maritime du Brésil jusqu'à 350 milles nautiques (648 km) de ses côtes. Le pays ajoute ainsi à sa zone économique exclusive - 3,5 millions de km2 sur une largeur de 200 milles nautiques (370 km) - une superficie maritime de 960 000 km2."

2/ QUelles sont les rasions de cette impatience ? le pétrole, "50 milliards à 100 milliards de barils prouvés à l'heure actuelle. Ces gisements en eaux très profondes - à plus de 7 000 mètres et sous une épaisse croûte de sel de 2 000 mètres, d'où leur nom portugais de pré-sal ("avant le sel") - pourraient faire du Brésil, en 2030, le 4e producteur mondial d'or noir. ". Et ce pétrole n'est pas forcément à l'intérieur de la limite traditionnelle des 200 milles.

3/ Il y a donc une "colonisation" maritime, les terres sous-marines, inhabitées, ne faisant pas l'objet des mêmes préventions que les terres émergées, qui ont depuis longtemps été décolonisées. u coup, il y a une sorte de liberté d'accession. Car il ne faut ps s'y tromper : la géopolitique des ressources, c'est d'abord e la géopolitique (la notion d'espace) orientée par la perspective des ressources, donc de l'exploitation : dudit espace, mais aussi de ce qu'il peut fournir, donc de ses produits : halieutiques, ou en matières premières. Et ce sont les Etats qui parlent, en l'occurrence. La chose est importante, car elle diffère de la géoéconomie, qui prétend au fond que les luttes économiques sont le fait des entreprises, qui luttent pour acquérir des marchés ou dominer des matières (qui entrent dans leurs productions).

4/ Quelles leçons peut-on tirer ? certes, des atteintes probables à l'environnement. 7.000 km de profondeur, c'est en dessous de la plate forme du Mexique, non ? Surtout, cela devrait tendre les négociations actuelles sur l'extension des zones économiques exclusives. Et au-delà, cela risque de dynamiter le système de Montego Bay. Imaginez par exemple que la Chine revienne à sa tendance naturelle : la mer de Chine est chinoise, quoique vous racontiez à propos des Spratleys ou des Paracels ?

5/ Enfin, remarquons le retour de l'Etat : c'est l'Etat qui passe un décret, le même jour ou la société pétrolière brésilienne (à 40 % publique) annonce lever 64 Mds de $... Vous avez dit : Firmes multinationales ? mondialisation ? dépérissement de l'Etat ? Accessoirement, c'est un pays BRIC ou BASIC qui en décide;....

On n'a pas fini de voir des retournements....

Réf

  • Billet sur l'eau et la GP brésilienne :
  • Billet sur la marée noire en Louisiane et la GP des ressources
  • Billet sur l'extension des ZEE

O. Kempf

Commentaires

1. Le mercredi 8 septembre 2010, 21:30 par

Bonjour,

Et j'ajouterai en prolongement du 4/ les revendications territoriales de la Russie sur la dorsale Lomonossov sous l'Océan Arctique. Je m'en étais fait l'écho voici trois ans déjà : http://harrel-yannick.blogspot.com/...
Ce passage en force du Brésil pourrait de fait donner bien des idées... et je subodore sans trop de risque que nombre de pays très intéressés par la situation vont observer attentivement la réaction des instances internationales, ONU en première ligne.

Enfin, le Brésil semble clairement avec cette nouvelle, et une autre lue sur le site d'Ice Station Zebra annonçant que les ONG vont désormais être marquées à la culotte car susceptible de servir des intérêts tiers, mener une politique volontariste de protection de ses intérêts en son sein et de développement sur son pourtour proche.

Cordialement

2. Le mercredi 8 septembre 2010, 21:30 par Christophe Richard

Voici des perspectives qui laissent songeur...
La France dispose de mémoire du 2ème espace maritime mondial.
C'est sans doutes riche de promesses économiques, mais aussi de risques potentiels de tensions, qui pour le coup nous obligeraient à dépasser un peu les questions relatives aux "guerres au sein des populations".
L'Etat sur ces espaces vides d'hommes se retrouve face à lui même et à sa capacité à faire respecter sa souveraineté.
égéa : oui, c'est probablement un des véritables enjeux stratégiques de la première moitié du XXI° siècle.

3. Le mercredi 8 septembre 2010, 21:30 par Thibault Lamidel

J'ajouterais qu'on a un retour de l'Etat sur des "machins", les créations internationales. Les ZEE ont été créées par la convention de Montego Bay de 1982. C'était l'Etat qui décrété l'établissement ou non de ZEE d'après le droit international. Et l'extension de ces zones selon les normes internationales se faisait après avis d'une commission international. Seulement, il fallait s'y attendre, un Etat est passé outre l'attente de cet avis pour protéger ce qu'il considère comme "ses" ressources. Donc l'Etat a repris ses droits dans l'esprit du droit international.

Et donc, c'est bien la preuve que les ZEE sont un début de "quelque chose", d'un territoire. L'Etat y a l'usus (l'usage) et le fructus (le droit de tirer les fruits de cet usage). Désormais, la perspective d'être privé des fruits par manoeuvre autour du droit international est un casus belli justifiant pour le Brésil de se faire juge de la décision et d'accélérer la chose. Donc les ZEE deviennent ainsi un territoire puisque l'Etat brésilien a la dernière partie de la propriété juridique (usus, fructus et...) : l'abusus (le droit d'en faire "ce que l'on en veut").

Enfin, stratégiquement c'est très fort. Les brésiliens ont appliqués à la lettre ce que le Général Beaufre avait retenu de l'expédition de Suez : dans un moment international "favorable", il faut mettre la Communauté international devant le fait accompli. On ne voit pas qui irait contesté la décision souveraine du Brésil... Par les armes.

Pour la stratégie navale, cela confirme l'intérêt considérable de pouvoir protéger ses voies de communications et ses intérêts en Mer ! Surtout dans l'optique de cette colonisation maritime (Russie, Portugal, France, Chine) qui est si fantastique pour les Etats : en résumé, les "médias" s'en fichent, et comme historiquement "on s'en fiche" de ce que font les marines, les Etats peuvent "jouer" sans être déranger. La chapelle des sous-mariniers risquent de nous faire beaucoup de mal si on la laisse trop se propager. Le sous-marin est utile, mais il n'est pas nécessaire pour la surveillance d'endurance de zones aussi vaste. Les Brésiliens ne négligent pas la nécessité d'avoir une flotte de surface. Alors qu'en France, frégates et patrouilleurs sont à la peine. Avec 11 millions de Km² pour notre pays, contre 3,5 millions pour le Brésil il serait facile, et blessant, d'établir des ratios du nombre de flotteur par millions de Km² à surveiller. Pas sûr que la comparaison soit reluisante !

4. Le mercredi 8 septembre 2010, 21:30 par yves cadiou

Mon commentaire ne concerne pas spécifiquement le Brésil ni le droit maritime mais plutôt le rôle de l’Etat et ce que vous appelez « colonisation ».

D’abord une observation générale : à l’étude de la géopolitique des ressources il faut un chapitre « maintien des cours ». L’exploitation minière est rentable à 7000 m de profondeur si le prix de vente du produit se maintient. Si au contraire le prix de vente faiblit, l’investisseur est perdant.

Concernant le pétrole des découvertes de gisements plus ou moins difficilement exploitables se multiplient, rendus moins inaccessibles par les progrès techniques : mer de Baffin, mer de Barents, mer de Beaufort, le grand large, les abysses, et ce n’est probablement pas fini. Cependant notre économie est de moins en moins dépendante du pétrole. Celui-ci devient une énergie utile (seulement utile mais non vitale) parce qu’il est consommé surtout pour les loisirs : la voiture, l’avion, les bateaux de petit tonnage fonctionneront encore un moment au pétrole mais partout ailleurs on peut lui substituer le nucléaire, en passant le cas échéant par la production d’électricité. Par conséquent pour les producteurs de pétrole offshore et surtout à grande profondeur ou en mer glaciale, le problème sera le maintien des cours mondiaux.
Avec cette intention peuvent être déclenchés des conflits violents et destructeurs qui empêchent l’exploitation d’une zone, raréfiant ainsi le produit pour soutenir son prix de vente. Il y a un précédent qui remonte à vingt ans : avant la guerre d’Irak (90 / 91), le prix du baril de pétrole était descendu à 15 $ au cours mondial et les exploitations offshores n’étaient plus rentables. Le cours du baril est remonté à 35 $ grâce à l’invasion du Koweit et aux opérations militaires qui se sont ensuivies, puis le cours s’est maintenu grâce à l’embargo « punitif » sur le pétrole irakien. Par le fait on peut se demander (formule de politesse pour ne pas être accusé d’anti-américanisme) si la défense du Koweit était un motif ou un prétexte à l’intervention des B52 et autres qui ont renvoyé l’Irak à l’ère pré-industrielle.

.
Cher Olivier Kempf, vous disiez « retour de l’Etat ». C’est vrai et pas seulement parce qu’il édicte un décret au profit des firmes dont il est actionnaire. L’Etat détient le quasi-monopole de la force armée et peut indirectement réguler par les armes l’exploitation des ressources chez la concurrence comme je viens de l’indiquer. Ce qui donne raison à Charles Tilly dont vous nous parliez ici le 3 août.

Retour de l'Etat aussi parce que dans le cas de cette exploitation abyssale que le Brésil entend contrôler, ce contrôle ne sera pas une mince affaire. L’on peut s’interroger sur la capacité matérielle de l’Etat brésilien à faire respecter son décret au grand large et dans les grands fonds alors qu’il ne fait déjà pas respecter ses règlements sur son territoire (orpaillage clandestin, pillage d’eau douce). L’on peut également s’interroger sur sa capacité à protéger l’exploitation contre les agressions, car c’est aussi une éventualité à envisager : on ne connaît pas la cause de l’accident qui a frappé BP dans les Caraïbes, on ne sait pas si c’était un accident ou une agression. On peut faire la même observation que pour le Brésil concernant les revendications abyssales du Portugal dont nous avons parlé ici au sujet de la Macaronésie : ces Etats ont-ils les moyens de leurs revendications.

Surveiller et sécuriser, le cas échéant par les armes, l’exploitation du sous-sol dans des zones à risques c’est un des aspects du retour de l’Etat. Un autre est le soutien aux prix de vente par les armes ou par les embargos comme ça s’est déjà fait.

5. Le mercredi 8 septembre 2010, 21:30 par Aluserpit

Si vous ne l'avais pas déjà lu, je vous conseille fortement "Atlas Géopolitique des Espaces Maritimes" de Didier Ortolland et Jean-Pierre Pirat : http://www.amazon.fr/G%C3%A9opoliti...
Les principes, jurisprudences, enjeux et exemples des découpages maritimes (eaux territoriales, ZEE, PC, etc) sont très bien expliqués avec de très nombreuses cartes, un vrai travail de titan !

égéa : je n'ai fait que le parcourir, et c'est effectivement une référence extrêmement bien faite.

6. Le mercredi 8 septembre 2010, 21:30 par oodbae

Bonjour,
ca n'a rien à voir avec le billet mais comme vous écrivez sur la "géopolitique des ressources", j'ai pensé que ce lien vous intéresserait.
http://www.capital.fr/enquetes/econ...

Nous a t on refait le coup de la Louisiane vendue pour 15 millions de francs par napoléon 1? Est-ce la politique du sentimentalisme, qui fait encore des ravages?

La deuxième partie de l'article, concernant la politique ambitieuse de la france sur ce sujet de l'accaparation des fonds marins, pourrait être confrontée à l'emprise de facto que l'état exerce sur ces fonds et sur le risque que d'autre états ou entreprises viennent pêcher ou propecter sur ces ZEE à notre insu. Qui pourra les en empêcher ? A quel prix politique?
On pourrait certes imaginer des bateaux drônes gardant les ZEE mais courra t on le risque de l'incident diplomatique de saborder une installation non autorisée au grand large de la Polynésie?

Cordialement,

Adrien

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