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Pas de guerre du climat

Décidément, mon quotidien est un bon journal. Et en plus, c'est le frérot qui se fend d'un article que je me dois de vous citer, après avoir levé tous les scrupules méthodologiques qui me hantent. Mais vraiment, son article "Les "guerres du climat" n'ont pas encore eu lieu, selon un chercheur" est excellent, et tout à fait dans le scope d'égéa.

Pourquoi ?

On connaît la thèse qui émergeait : le dérèglement climatique allait provoquer des raréfactions d'eau, donc accroître les lutes sur les ressources, donc augmenter les conflits, soit directement, soit indirectement en provoquant des déplacements de population.

C'était notamment la thèse de Harald Welzer (Les guerres du climat, voir ma fiche de lecture), mais comme je l'expliquais, cet anthropologue n'était pas vraiment convaincant, du moins pour son analyse géopolitique. Ce thème fut aussi évoqué par un article de JP Gambotti, passé dans la RDN de janvier dernier, avec cette fois plus de talent, de la part d'un vrai stratégiste.

Plusieurs chercheurs ont voulu vérifier cette intuition. Ainsi, comme l'explique Hervé, Marshall B. Burke chercheur américain avait prouvé, dans une étude de 2009, qu'il y avait corrélation entre hausse du climat et guerre.

Mais une étude vient de paraitre qui démonte cette assertion. Le Norvégien Halvard Buhaug explique que les données de Burke ne vont que de 1981 à 2002, alors que la décennie 2000 voit au contraire un affaiblissement des conflits, alors que pourtant la température ne cesse de croitre. Plusieurs autres indicateurs viennent relativiser la première étude.

Hervé ajoute : "Conclusion : la variabilité climatique n'est pas corrélée aux variations à court terme des conflits en Afrique subsaharienne. Ceux-ci doivent plutôt être expliqués par des conditions structurelles et contextuelles classiques : exclusion ethnique, pauvreté, changement des rapports de force depuis la fin de la guerre froide, etc. Halvard Buhaug se garde cependant de généraliser. Il ne prétend pas trancher la question sur le long terme".

L'intuition reste donc possiblement valable. Mais elle n'est pas encore prouvée, et tout d'abord pour une raison méthodologique : rien ne dit que la poursuite de tendances passées soit efficace pour prédire un avenir, surtout si, comme l'expliquent les tenants d'une vision catastrophiste du réchauffement, celui-ci aboutit à des bouleversement systémiques qui empêchent les variables passées d'être utiles.

Le débat reste donc ouvert. Non pas entre partisans ou adversaires du réchauffement, car il est désormais admis que celui-ci est un fait incontestable (n'en déplaise à M. Allègre); mais entre les interprétations de ce réchauffement : maîtrisable ou pas, tendanciel ou discontinu; et, pour le géopolitologue, sur les conséquences qu'il faudra tirer d'un processus inéluctable mais imprévisible.

Décider dans l'incertitude, disait l'autre en évoquant la décision stratégique : en l'occurrence, penser l'incertitude

O. Kempf

Commentaires

1. Le vendredi 10 septembre 2010, 21:24 par

"il est désormais admis que celui-ci est un fait contestable" : coquille ou lapsus révélateur ;-) ?

égéa : oups... je corrige

2. Le vendredi 10 septembre 2010, 21:24 par Thibault Lamidel

Pourrait-on imaginer une étude couvrant une période beaucoup plus longue ?

Peut-on imaginer des "effets de seuil" entre lesquelles les variations climatiques sont sans conséquences ?

Différents Etats sont-ils en pleine escarmouche en clarifiant le contrôle ou le partage des fleuves ?

égéa : sur le sujet proprement dit, je ne connais pas d'études. Mais un bon outil réside certainement dans le classique "Histoire du climat depuis l'an mil" de Leroy-Ladurie

3. Le vendredi 10 septembre 2010, 21:24 par VonMeisten

Dans un de ses bouquins, Jared Diamond explique que des sociétés peuvent être menacées de disparition si un faisceau de facteurs déboulent, couplées à un manque d'adaptibilité.
Je pense qu'il a raison : le réchauffement seul, non, mais la multiplité des crises s'y ajoutant, peut être.

4. Le vendredi 10 septembre 2010, 21:24 par Christophe Richard

A mon sens cette question mérite d'être abordée sous deux angles.
Dans les deux cas, le changement climatique participe à un contexte, mais le coeur de l'analyse reste politique... C'est pourquoi le terme de guerre du climat ne me convainc pas.

1- Le changement climatique crée des opportunités ou des risques en terme d'accessibilité à des ressources, il peut nourrir des conflits qui ne sont que la continuation de la politique par d'autres moyens d'organisations en compétition... ils trouvent leur origine dans une "intention d'hostilité".

2- Le changement climatique participe de chocs qui "désintègrent" des sociétés dont l'organisation politique ne résiste pas (pression de "réfugiés climatiques", famines). La guerre vient donc au sein des population, sous la forme d'une pathologie politique autour de l'organisation de la violence liée aux "sentiments d'hostilité".

Dans tous les cas le facteur climatique n'est qu'un facteur parmis d'autres, de là à le proposer comme facteur dominant de conflictualité... La démographie, les avancées scientifiques, les représentations historiques et géographiques doivent peser aussi dans l'analyse.

égéa : oui, votre précision est nécessaire. Il reste qu'étudier la relation possible entre conflictualité et climat a de l'intérêt.

5. Le vendredi 10 septembre 2010, 21:24 par yves cadiou

Claude Allègre ne conteste pas le réchauffement climatique mais il conteste que ce soit d’origine humaine. Il ajoute que la hausse globale des températures n'est pas le phénomène essentiel des changements climatiques, en comparaison avec les impacts plus graves liés à l’augmentation de la fréquence des phénomènes extrêmes.

Qu’il s’agisse de hausse globale des températures ou de fréquence des phénomènes extrêmes, on peut supposer que ce ne sera pas sans conséquences conflictuelles.

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Pour l’instant la principale conséquence géopolitique s’appuie sur l’argument que le changement climatique est d’origine humaine et qu’il faut donc imposer au monde des contraintes de production et de consommation. C’est ce qui rend la démarche suspecte car ça peut déboucher sur des consignes de boycott à l’encontre des productions de pays émergents qui ne pourraient pas respecter les normes coûteuses imposées par les pays riches.

L’argument de l’origine humaine des changements climatiques est perçu comme le préalable à un protectionnisme insidieux, s’appuyant sur des thèmes auxquels les opinions des pays riches sont sensibles un moment.

Il y a des précédents : dans les années 1980, le boycott des oranges Outspan sous prétexte d’apartheid en Afrique du sud n’aidait pas à la résolution du problème mais favorisait les produits concurrents.

A la même époque, sans corrélation des faits mais avec analogie dans les méthodes, l’émotion créée par le trou dans la couche d’ozone a permis d’interdire les CFC quand ils ont pu être produits n’importe où, le brevet détenu par du Pont de Nemours tombant dans le domaine public au même moment. Quelques scientifiques très sérieux ont contesté l’origine humaine du trou dans la couche d’ozone mais le grand public pouvait difficilement entendre leurs voix isolées.

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Les débats sur l’origine humaine du réchauffement sont probablement sous-tendus par le même genre d’arrière-pensées protectionnistes donc inavouables de nos jours.

Ce n’est pas une guerre du climat mais c’est déjà un conflit (très hypocrite) qui a effectivement lieu en ce moment autour de l’origine humaine, ou non, du changement climatique.

6. Le vendredi 10 septembre 2010, 21:24 par Jean-Pierre Gambotti

D’évidence il est trop tôt pour affecter les conflits contemporains aux changements climatiques. Et les instruments actuellement à notre disposition, le modèle de Halvard Buhaug en l’occurrence, ne nous permettent pas d’éclairer l’avenir, ce qui dans le domaine stratégique est bien entendu rédhibitoire. Heureusement que la futurologie est un exercice qui n’appartient pas exclusivement aux futurologues, la poésie, l’imagination, l’intuition et la sérendipité sont aussi au pouvoir, et très fécondes elles ouvrent à des hypothèses apparemment baroques, mais séduisantes, que les experts dans leur rigueur rejetteraient d’emblée si elles leur venaient à l’esprit. Pour la sérendipité, que j’élargirai au croisement volontaire et pas seulement fortuit de sciences éloignées, l’anthropologue Harald Welzer trouve toute sa place, j’y ajouterai Jacques Blamont, pour son Introduction au siècle des menaces –Odile Jacob, 2004, ouvrage que tous les organismes de nos armées qui se frottent à la prospective devraient avoir en bibliothèque. Mais il est d’un pessimisme angoissant, je me limiterai à ne citer que des extraits très courts du prologue et de la conclusion, intitulée …. « Fuir » ( !), extraits qui résonnent comme un glas!
Le prologue se termine sur une référence à la Légende des siècles, cette aventure de l’humanité et histoire du genre humain dont Jacques Blamont pose la borne supérieure : « Un poète a décrit la vision du passé dont est sorti un de ses célèbres recueil : « J’eus un rêve : le mur des siècles m’apparut. » Regardant dans l’autre sens, ce livre-ci laisse entrevoir un autre mur. Il barre, lui, la route du futur.» Nous pensions que le XXI ° siècle aurait un problème avec la religion, les menaces qui pèsent sur ce siècle seraient selon Jacques Blamont plus prosaïques : les conflits armés dans la perspective inévitable d’un recours aux armes de destruction massive, l’expansion d’épidémies, favorisée par la mondialisation et l’épuisement des ressources naturelles, consécutifs à la surpopulation et au pillage de la Terre. Plus prosaïques mais irréductiblement mortelles.

Dans sa conclusion J.Blamont cite John von Neumann:« Le progrès toujours accéléré de la technologie et les changements dans les modes de vie donnent à penser que nous nous approchons d’une singularité essentielle dans l’histoire de l’espèce, au-delà de laquelle les affaires humaines telles que nous les connaissons ne pourront pas continuer. » Puis il définit la notion de singularité en mathématiques : « Dans le langage des mathématiques le mot singularité définit un point d’une fonction où elle représente une discontinuité où ses dérivées n’existent pas, bref où l’on ne peut rien dire sur son comportement. » Ainsi, J.Blamont, membre de l’académie des sciences et l’un des pères de l’aventure spatiale française, démontre tout l’intérêt du regard d’un grand scientifique sur les problèmes du monde, en posant un diagnostic pertinent sur notre siècle: «Appliquée à l’histoire, la notion de singularité correspond à la présence d’un horizon derrière lequel l’imagination s’arrête, les modèles perdent leur pertinence et une autre réalité remplace l’ancienne. … Alors que faire ? » Et la réponse désespérée et sans ambiguïté qui fuse : « Ce livre ne présente aucune vue prospective, si ce n’est l’annonce d’une singularité à venir dans le courant de l’histoire du XXI ° siècle. Il n’offre pas de recette ; il se refuse à imiter les innombrables études qui, après avoir constaté le danger, multiplient les propositions, les recommandations et les solutions, destinées à rester vaines. Car il n’y a rien à faire. »
Pour ma part si notre singularité du XXI ° siècle est considérée aussi comme une fin, c’est que pour la première fois les limites de la Terre sont perceptibles et que les guerres futures ne seront pas un duel pour la suprématie mais pour la survie, un combat « des restes pour les restes » en quelque sorte…
Dans le chapitre "Fuir", conclusion dans laquelle c’est plutôt Blamont l’homme du spatial qui raisonne, la dernière phrase nécessite pour le lecteur de se mettre en apnée : « Seule porte de sortie ouverte à nos enfants : enfiler une combinaison munie de tous les biosenseurs que la loi de Moore saura leur fournir afin de sentir, voir et toucher virtuellement, avaler une bonne dose d’euphorisant et partir chaque week-end pour le pays des songes avec leur star préférée, là-bas sur une plage d’avant la sixième extinction, les yeux rivés aux écrans du casque, les volets fermés, sans passé et sans avenir. »

Gaïa notre système terre est en pleine transformation irréversible, notre biosphère se dégrade, nos ressources s’épuisent, la température du globe augmente, les océans s’acidifient, le Gulf Stream présente de signes d’épuisement, le niveau de la mer monte….seule incertitude, nous ne connaissons pas l’échéance du désordre général du système, la date de l’entropie maximale et terminale. Dans cette perspective je crois tout à fait indispensable que nous commencions à réfléchir sur un changement global de paradigme. Du moins pour ce qui concerne la guerre, il est nécessaire d’admettre que les lignes de fracture entre les continents ont déjà changé de nature. Et que l’environnement en stratégie sera définitivement premier.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

égéa : combat des restes... pour les restes : quelle magnifique formule !

7. Le vendredi 10 septembre 2010, 21:24 par yves cadiou

Commentaire du commentaire de JP Gambotti ci-dessus. La prémonition d’un prochain ou éventuel « changement global de paradigme » par analogie à « la notion de singularité en mathématiques » est pour nous français facile à admettre parce qu’elle rejoint notre crainte, très française et somme toute salutaire, de la surprise stratégique.

Cette crainte nous habite depuis… longtemps (à quand remonte cette originalité de notre inconscient collectif : Crécy ?). Nous avons, les uns et les autres, déjà parlé sur ce blog de la surprise stratégique (souvent : 23 février, 16 mars, 9 avril, 14 mai, 6 juillet, 29 juillet…) et nous avons parlé aussi de la recherche qui marquera probablement ce siècle, celle d’un nouveau « centre du monde », c’est-à-dire la recherche de repères nouveaux et admis par tous pour remplacer les anciens repères qui seront devenus caducs. Avant de trouver, l’instabilité sera dominante.

Nous devrons rester vigilants mais le pessimisme n’est pas de mise. Dans le brouhaha des nouvelles inquiétantes qui circulent au sujet du changement climatique, beaucoup sont fragiles (voire carrément mensongères) et ne peuvent pas fonder des conclusions solides.
Voici deux exemples de prévisions fragiles : l’épuisement des ressources ; l’affaiblissement du Gulf Stream.
L’épuisement des ressources était déjà le fond de commerce de Thomas Robert Malthus il y a deux siècles, mais la suite de l’Histoire lui a donné largement tort. J’ajoute un témoignage personnel : depuis cinquante ans j’entends dire continument que les ressources en pétrole seront épuisées dans dix ans. C’est une prédiction péremptoire, répétée sans cesse mais toujours et encore démentie par les faits.
Quant à l’affaiblissement du Gulf Stream, c’est tout simplement un bobard. Le Gulf Stream résulte de deux phénomènes dont aucun prophète catastrophiste n’ose prédire la disparition ni une atténuation significative : la rotondité de la Planète et sa rotation. L’on entend aussi parler d’une possible interférence du Courant du Labrador qui viendrait à bloquer le Gulf Stream à cause d’une diminution de sa salinité due à la fonte des glaces : c’est un argument qui se vend bien parce que tout le monde peut comprendre mais c’est un argument qui ne tient pas parce qu’un courant froid est toujours plus dense qu’un courant chaud.
Par conséquent nous devons être très circonspects devant les différentes prophéties catastrophistes : certaines d’entre elles sont vraiment malhonnêtes. Mais cette constatation, bien entendu et je suis d’accord avec JP Gambotti, ne nous exempte pas de « réfléchir sur un changement global de paradigme ».

8. Le vendredi 10 septembre 2010, 21:24 par Jean-Pierre Gambotti

Je n’ai que la compétence du vulgum pecus pour répondre à Yves Cadiou sur l’épuisement des ressources naturelles. Mais je pense qu’il ne faut pas être expert pour constater que nous sommes dans un monde fini. Le peak oil inquiète même nos camarades allemands qui y voient des sources potentielles de tensions ( cf. LeMonde, 11 septembre Fréderic Lemaitre). Si « L’armée allemande prévoit le pire une fois le pic pétrolier atteint », on peut s’interroger avec quelque angoisse sur l’après pétrole qui est inéluctable, même pour les rêveurs.
En ce qui concerne le réchauffement climatique je n’ai pas plus d’expertise. Mais je réfute l’usage des termes comme prédiction, prophétie ou mensonge à ce sujet. La planète se réchauffe, il ne s’agit pas d’une affabulation de Pythonisse ou sinon s’appellerait-elle GIEC. Nous sommes Yves Cadiou et moi-même des anciens des TdM. Pour moi il faut lire troupe de montagne. Et le réchauffement climatique, même si je ne l’affecte pas à une origine essentiellement anthropique, je peux le constater de visu à la rapide déliquescence – débâcle !- de nos glaciers alpins.
Très cordialement.
Jean-pierre Gambotti

9. Le vendredi 10 septembre 2010, 21:24 par yves cadiou

Personne ne conteste plus, à ma connaissance, la réalité du réchauffement climatique. Ce qui est contesté par des gens plus qualifiés que moi (qui suis aussi un vulgum pecus), c’est son origine humaine et certaines annonces de ses conséquences.
Quant à l’après-pétrole dont on est venu à parler incidemment, on y est déjà, c’est la réalité et non du rêve : le pétrole ne fournit plus l’essentiel de notre énergie, il contribue pour 18% à la formation du PNB mondial (PNB mondial ? Je suppose que c'est l'addition des PNB) . Wikipedia consacre une page à cette question du « peak oil » en mettant en balance les arguments des optimistes et ceux des pessimistes : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pic_p%... Le gouvernement allemand, issu d’un microcosme qui subit depuis longtemps l'influence d’une minorité écologiste agissante, n’est certainement pas un modèle de sérénité face aux questions concernant notre environnement.

Toutefois je reste fondamentalement d’accord avec JP Gambotti qui « croit tout à fait indispensable que nous commencions à réfléchir sur un changement global de paradigme ». D’accord parce que le réchauffement climatique n’est pas le seul phénomène qui redistribue actuellement les cartes. Cette redistribution est à juste titre un thème récurrent de ce blog.

Le phénomène climatique auquel je suis le plus sensible (je suis TdM, Colonial) est la progression de la sécheresse dans l’hémisphère nord http://www.fnccr.asso.fr/documents/... Je pourrais me rassurer égoïstement en constatant que ma Bretagne n’est pas des plus directement menacées par la sécheresse, mais elle peut comme tout le monde en connaître des conséquences indirectes.

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