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Succès en Afghanistan ?

A noter immédiatement que j'utilise le mot succès et non celui de victoire : d'une part, il est plus adapté à la nature du conflit ; d'autre part, on ne sait s'il s'agit d'un succès ou de succès au pluriel : cette indétemination est fort utile, n'est-ce pas ?

Mais au fait : pourquoi parler de succès ?

Pour plusieurs nouvelles.

1/ On lira tout d'abord la réponse du SACEUR à l'article d'un chercheur qui expliquait, une fois encore, que c'était foutu et qu'il fallait plier les gaules. On remarquera que l'article n'a pas tardé (signe de l'efficacité d'une politique di'nfluence) et qu'elle est surtout bien tournée. Que dit en effet l'amiral Stavridis ? :

  • "One of the most dangerous jobs in Afghanistan today is to be a Taliban “shadow governor” of a province. Meanwhile, polls consistently show that the Taliban popularity is below 8 percent and that Afghans have “confidence in their country’s future” at a level of 60 percent or more. The insurgents are largely militarily incompetent, beyond the use of improvised explosive devices. Their flag has come down over southern Afghanistan, where progress is steady. While violence has increased in southern Afghanistan — because we are taking the fight to the enemy — it is clear that the increase is mostly in Helmand and Kandahar provinces".

2/ Cela répond au message du général Petraeus qui affirmait, tout récemment, que des leaders haut-placés talibans avaient commencé de prendre contact avec le président Karzai. Cela est à rapprocher de la communication récente du Hezb e islami, qui lui aussi affirme avoir pris des contacts : comme s'il y avait une concurrence pour être le premier à la table des négociations.... (NB : attention : le Hezb n'est pas à confondre avec les talibans, et le Général Petraeus n'a certainement pas fait la confusion)

3/ Par ailleurs, la guerre continue, et les opérations autour de Kandahar ont démarré, selon un mode opératoire différent de la dernière fois : pas d'annonce préalable, et la recherche d'une surprise alors que tout le monde croyait l'affaire enterrée dans les sables des plans... De plus, les attaques de drones au Pakistan ont redoublé de violence, et il semble bien, d'après un entrefilet de La Croix, que le chef d'Al Qaida pour le Pakistan et l'Afghanistan , cheikh Fateh, ait été tué par un UAV.... (voir ici)

4/ Bien évidemment, ces indications ne forment pas une "victoire". Surtout, à comparer avec l'Irak où le succès militaire débouche actuellement sur une impasse politique.... mais qui n'est plus imputable aux troupes américaines. Celles-ci n'ont pas été défaites. N'est-ce pas au fond ce que les Américains recherchent également en Afghanistan ?

Réf : négos : ici, ici Offensive Helmand : ici.

O. Kempf

Commentaires

1. Le mercredi 29 septembre 2010, 20:05 par yves cadiou

Que la réponse du SACEUR n'ait pas tardé, ça pourrait signifier que le « répondeur » a du répondant et qu’il est sûr de lui, à l’aise sur ses rails, du tac au tac. Peut-être. Mais on peut aussi imaginer que la réponse était prête déjà depuis quelque temps, les arguments auxquels elle répond étant évidents et inéluctables.

Il reste que cette réponse est surtout un exercice de style : parvenir à justifier une action sans parler de sa finalité, c’est très fort. Peu convaincant mais délicat exercice littéraire. Une réponse bâclée aurait été risquée.

Parce que l’Afghanistan, votre billet « victoire et chiffres » le suggérait, c’est principalement une « phony war ». C’est l’angoisse d’un Pouvoir qui s’est vu Maître du Monde, Lune comprise, et souffre d’être réduit à affirmer qu’il est « indispensable ». Vous parlez de succès avec un point d’interrogation : ce que les gouvernements états-uniens ressentent comme un succès dans cette affaire, c’est l’alignement dont font preuve leurs alliés et la passivité des puissances qui pourraient s’opposer à eux. Pour que ça dure les opinions publiques, notamment européennes, sont le « centre de gravité » : les communiqués sont prêts à l’avance, remarquables par leurs non-dits.

Vous avez raison, cher Olivier Kempf : ce qu’il faut observer d’abord dans cette réponse, c’est qu’elle n’a pas tardé.

2. Le mercredi 29 septembre 2010, 20:05 par Jean-Pierre Gambotti

Observateurs éloignés nous ne voyons de cette guerre que son brouillard…Aussi est-il aventureux de prétendre distinguer entre vérité et manipulation dans cette phase d’« information warfare. » Et je crains, pour élargir la réflexion, que nous ne comprendrons vraiment cette guerre qu’à son issue, lorsque nous disposerons de la documentation opérationnelle et de quelques clefs de lecture. Pour m’appuyer sur un exemple de circonstance je reviendrai à votre évocation de l’opération Dragon Strike sur Kandahar. Hormis son phasage nous n’en connaissons rien et nous ne pouvons que supputer. (Le figaro 28.10.2010). Pour ma part, je pense que le concept d’opération est autrement plus subtil que celui que l’on peut lire entre les lignes qui est du genre « Pour isoler la population des talibans je veux détruire les talibans de la région et gagner les cœurs. » Mais même cette idée de manœuvre primaire devra, pour être opérationnellement efficace, s’appuyer sur un centre gravité, des points décisifs, des lignes d’opérations, un objectif, un EFR…. Et sans la connaissance de ces éléments basiques il me semble difficile à court, moyen ou long terme d’analyser sérieusement cette opération. Et plus généralement cette guerre. Mais on peut toujours giberner.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

égéa : oh ! giberner .... cela sent son alpin, me semble-t-il.... Façon élégante de dire que je divague... je préfère ça aux insultes, remarquez.

Sur le fond : peut on se passer d'analyser au cours de l'action ? faut-il toujours attendre les "leçons" de l'historie ? cela suppose qu'il y ait des "leçons", et surtout que l'histoire soit chose objective. Or, je crois avoir écrit une dissert il y a un an sur cette histoire, où j'évoquais le fait qu'elle est forcément subjective, reconstruction. Bref, tout discours est, essentiellement, "faux". Et pourtant, tout imparfaits qu'ils soient, ils sont nécessaires...

Aussi continuerai-je à prodiguer des bêtises au long de ce blog. Double avantage : cela n'engage que moi, et nullement quelque organisation que ce soit (ces blogs, tous ces blogs ne sont autre chose que les soliloques de promeneurs solitaires dont on entend quelques bribes en les croisant sur le trottoir) ; et par conséquent, personne n'est obligé de les lire ni d'y croire. La liberté du parleur a la possibilité de ne pas rencontrer la liberté du lecteur....

Dès lors, ce que je raconte sur l'Afghanistan, l'Otan ou tout autre sujet sont forcément des âneries : c'est à cause de cette nature et de mon absence de qualité que je me permets de les proférer. Elles n'engagent que moi, c'est-à-dire pas grand chose, une brève de comptoir, une considération de café du commerce, une sornette, un avis d'amateur même pas éclairé, du n'importe quoi, un babillage, rien qui mérite attention....

C'est d'ailleurs cette insignifiance même qui revêt, je pense (euh... j'opine), un quelconque intérêt. Pour le reste, désintéressons nous de tout ça....

Mais que ce petit coup de gueule ne gâche pas l"estime que je vous porte : d'une certaine façon, c'est ladite estime qui m'autorise à coincer puisque, justement, j'écoute avec attention vos commentaires.

Très cordialement,

égéa

3. Le mercredi 29 septembre 2010, 20:05 par Jean-Pierre Gambotti

« Giberner », verbe désuet utilisé autrefois dans une expression elle-même fossile : « Eh,les gars! Arrêtez de giberner devant la carte, nous avons reçu l’ORDOPE, le chef veut une présentation DQP ! »
Bien sûr, tout ça sent le sapin, le désert des Tartares et le glacis oriental, l’engagement de la 1° Armée en 2° échelon de l’Alliance sur la direction stratégique 200 ou 300, la FEBA, le Saillant de Thuringe, les forces du Pacte et le GFSA, le nucléaire d’ultime avertissement. Mais peut-être aussi l’Histoire en train de s’écrire, puisque la guerre froide était, selon certains, la 3° guerre mondiale !
Mais mon propos n’avait pas pour objet d’utiliser cette relique sémantique comme un Exocet anti-egea, j’ai beaucoup trop de respect pour les idées qui sont brassées sur votre blog, mais de rappeler à ceux qui s’expriment sur ces guerres contemporaines que ce sont des guerres et qu’elles sont contemporaines.

D’évidence la contemporanéité pose un problème de pertinence pour l’analyse de la guerre en cours, du fait que les conclusions seront toujours partielles donc fausses et affecteront faussement les opérations par leurs interactions et rétroactions. De surcroît et surtout, nous sommes dans le domaine de la guerre. Paraphrasant la formule du général Gallois, je dirais qu’en termes de stratégie la pensée est action et qu’en conséquence lorsque nous ratiocinons sur la guerre, nous devons placer notre réflexion en liberté surveillée, parce que justement, fût-ce de manière epsilonesque, nous influençons l’action, donc la guerre. Or depuis que je vois, j’entends et que je lis sur ces guerres contemporaines, je veux parler des grands médias et je me garderais bien de pointer du doigt les blogs d’AGS, je trouve qu’il y a beaucoup de légèreté dans les propos. Je pense que la réflexion sur l’usage de la force légitime dans des actions létales pouvant conduire à la tuerie de masse, exigerait que l’on manie ces idées avec plus de circonspection.
Mais peut-être suis-je le dernier des Mohicans… (cf. supra : giberner).
Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

4. Le mercredi 29 septembre 2010, 20:05 par yves cadiou

GIBERNER v. intr. XIXe siècle. Dérivé de giberne, parce que les soldats d'Afrique se divertissaient, dit-on, en se racontant des histoires, à tour de rôle, en fonction d'un numéro tiré au sort dans une giberne (boîte utilisée pour mettre les cartouches).
Pop. et vieilli. Profiter d'un loisir pour bavarder. http://nouveau-dictionnaire.la-conn...

Alors gibernons : ainsi que JP Gambotti l’observe, analyser de loin les événements à travers le « brouillard » de l’information et de la désinformation, c’est prendre le risque de porter des appréciations non seulement prématurées mais trompeuses. Pourtant il me semble (formule de politesse pour camoufler ma certitude granitique) qu’il faut le faire. C’est sans risque à condition d’avoir conscience, et surtout que les lecteurs aient conscience, que l’on « giberne ».

L’intérêt des analyses faites par des gens qui ont quelque expérience militaire, c’est au moins d’occuper un terrain que les cuistres n’hésitent pas à investir s’ils le peuvent pour impressionner leurs pareils (je pense par exemple à « contre-fronde », test du couillon, par Olivier Kempf le 23 août dernier). Nous avons désormais la possibilité matérielle d’intervenir publiquement sans passer par des rédacteurs en chef qui sélectionnent les articles selon leurs critères. Dans ces critères la compétence militaire a moins d’importance que la fréquentation des salons où l’on cause. Alors ne nous privons pas de donner nos avis de techniciens mais en prenant bien la précaution de dire que nos analyses sont provisoires par manque d’informations avérées.

En Afghanistan le déroulement des opérations militaires, tout en étant bien entendu la préoccupation majeure de nos gars sur le terrain, n’est pourtant pas l’essentiel. Non plus d’ailleurs que l’évolution vers la négociation qu’évoque l’Amiral Stavridis dans un style typiquement américain (One of the most dangerous jobs in Afghanistan today is to be a Taliban “shadow governor” of a province). Quoi qu’il se passe en Afghanistan jusqu’au retrait, cette guerre est chaque jour une victoire géopolitique américaine. La présence persistante de la plupart des alliés de l’OTAN et de l’ANZUS, qui y entretiennent leurs troupes à grands frais mais sans savoir pourquoi, s’ajoute à l’assentiment tacite du reste du monde. Ainsi est obtenu le résultat essentiel voulu par les Américains : montrer que les Etats-Unis sont une puissance indispensable. On peut donc tirer des plans sur la comète, sur l’éventualité de négociations, sur la COIN si l’on veut mais ce n’est pas s’intéresser à l’essentiel, c’est participer à une diversion.

L’Afghanistan et les Afghans n’intéressent personne : ce qui intéresse les citoyens des pays participants, c’est le sort de leurs gars sur le terrain et non le sort de l’Afghanistan. Mais ce qui intéresse l’Administration américaine, c’est de faire oublier que ses armées ont envahi l'Irak sans mandat de l'ONU et sans trouver une justification a posteriori (les ADM). Pour les Américains rester en Afghanistan, avec les pays de l'Otan à leur botte qui sont là sans savoir pourquoi et avec le reste du monde qui se tient coi, c'est montrer chaque jour que leur mépris est mérité. Telle est leur victoire.

Il y a une continuité entre les Républicains et les Démocrates parce qu'ils sont avant tout le gouvernement de l'Amérique.
L’essentiel de l’affaire afghane n’est pas tactique ni opérationnel, il est géopolitique.

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