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Sociétés privées

Dans le Monde de ce soir un article (inaccessible par le net sauf aux abonnés) revient sur les sociétés militaires privées.

La France est visiblement sortie de la réticence longtemps adoptée sur le sujet : on a admis que les SMP n'étaient pas des mercenaires (pas de délégation du feu). Cela signifie pour autant qu'on peut tout faire ?

Les exemples actuels de leur emploi (Afghanistan, Irak) sont ambivalents : certes, c'est pratique mais ça ne résout pas tout. J'ai l'impression que la grande question est double :

  • quel domaine d'activité peut on confier à ces SMP ?
  • comment conserver la "maîtrise d'ouvrage" sans se laisser embarquer par le sous-traitant ?

Il est dit, dans l'article, que 90 % des firmes opèrent dans le domaine logistique : cela signifie-t-il que toute leur activité est logistique ? surtout, cette externalisation signifie-t-elle que la logistique n'est plus "maîtrisée" par les États ? toute externalisation du "domaine de la défense" signifie-t-elle que le contractant devient par là une SMP?

De façon plus générale, j'observe également que les SMP posent la question de l'adaptation des États aux nouveaux modes de la mondialisation : montée en puissance de l'étalon monétaire, effacement des frontières, affaiblissement du modèle étatique... et de la réponse "collective" à y apporter, par le maître-mot contemporain : "régulation".

JJ Roche explique : "Les sociétés privées, qui tirent l'essentiel de leurs ressources de marchés publics, demandent une régulation".

Bref, les SMP ont quitté le champ idéologique pour venir sur le terrain pratique : puisqu'il s'agit du champ de l'externalisation, et que celle-ci constitue une évolution lourde, la question n'est pas de savoir s'il faut des SMP, mais jusqu'où.

Au moins, le débat sera plus concret !

O. Kempf

Commentaires

1. Le jeudi 30 septembre 2010, 21:21 par yves cadiou

Une question qui présente quelques analogies se pose avec de plus en plus d’insistance en France concernant les SDIS (services départementaux d’incendie et de secours : les Pompiers).

Certes, la question concernant les SDIS est différente de celle qui concerne les SMP parce qu’il n’entre pas dans la mission des Pompiers de mettre en œuvre des armes de guerre. Mais il y a des analogies parce que les Pompiers sont une force de Défense civile et que dans ce cadre leur intervention massive, hors du traitement des accidents quotidiens, se situera dans un régime juridique d’exception.

Analogie aussi parce qu’ils relèvent pour emploi du « pouvoir de police » des autorités locales ou nationales : les élus en temps normal, le Préfet en situation de crise, dans tous les cas le ministère de l'Intérieur.

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Les Pompiers (fonctionnaires territoriaux titulaires ou renforts de « pompiers volontaires » assimilés à des fonctionnaires territoriaux pendant qu’ils sont en service) et leur matériel coûtent très cher. Je ne dis pas trop cher mais très cher.

De ce fait beaucoup des collectivités qui les financent s’interrogent sur la privatisation, en passant le cas échéant par des SEM (société d’économie mixte, une partie du capital est de l’argent public).

Le débat n’est pas secret mais il est discret (j’en ai entendu parler parce que la protection civile fut mon job pendant quelques années), en grande partie parce que la corporation des Pompiers est opposée, jusqu’à présent avec succès, à cette idée qui circule dans les couloirs et téléphones des différentes assemblées finançant les SDIS.

La privatisation des SDIS pourrait se faire d’abord à titre expérimental, pour un nombre d’établissements très limité. Mais les Pompiers n’en veulent pas sous des motifs notamment juridique et opérationnel.
Juridique : le pouvoir de police ne se délègue pas (argument auquel on peut opposer qu’il s’agit de déléguer seulement l’exécution de la prestation, non le pouvoir). Opérationnel : la qualité du service qui sera fourni n’est pas garantie alors que dans ce domaine les maladresses sont irréversibles.

Dans ce débat l’on peut aussi soupçonner la corporation des Pompiers de refuser une telle expérimentation parce qu’elle obligerait les SDIS non pas à améliorer leur service qui est déjà performant, mais à revoir leurs procédures pour trouver des économies, ce qui compliquerait certainement l’exécution de la mission et pourrait créer du danger : c’est un problème que les militaires connaissent bien.

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Pour les motifs ci-dessus l'idée de privatiser les services de Défense civile ne dépasse jamais les conversations de couloir ou de téléphone (on ne la voit même pas suggérée dans les comte-rendus des assemblées concernées) non pas tellement parce que les Pompiers savent jouer de leur popularité et protester dans la rue par des manifestations spectaculaires en uniforme, mais surtout parce qu'ils n'ont pas l'interdiction d'adhérer aux partis politiques et que beaucoup sont non seulement pompiers mais aussi des élus politiques. De plus, en fonction publique territoriale, il n'y a pas de mutation avec changement de résidence si le fonctionnaire n'a pas présenté lui-même un dossier de candidature correct vers le nouvel établissement public où il veut obtenir un poste. Dans ces conditions, l'intégration dans la vie sociale et publique est possible. Lorsque les Pompiers sont aussi élus locaux, ce n'est pas dans le département où ils sont fonctionnaires car c’est interdit mais dans un département voisin, pouvant ainsi jouer sur leurs deux fonctions séparées par une demi-heure de route.

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Pourtant, la délégation d’une mission de police sans usage des armes à une société privée existe déjà en France depuis de nombreuses années : c’est, au large de Brest, l’intervention du remorqueur civil « Abeille » sur le rail d’Ouessant. Autres cas : les multiples vedettes de sauvetage de la SNSM (association 1901) qui participent, elles aussi sous les ordres du Préfet maritime, à une mission de police sans usage de la force. Notre CEMA connaît certainement le sujet car il est membre de la station SNSM de Barfleur.

D’après tous les échos qu’on peut en avoir, ce système de participation de sociétés privées à une mission de police sans usage des armes, ça fonctionne très bien.

2. Le jeudi 30 septembre 2010, 21:21 par Christophe Richard

Bonjour,
Vaste sujet!
Permettez moi de jeter quelques réflexions un peu décousues...
1- Le terme de "militaire" est source d'ambiguïté, le militaire relève au moins en
France d'un statut fixé par une loi organique. Commençons par ramener ces sociétés devenues "incontournables" à leur objet premier, en l'occurence la sécurité,
la logistique ou la formation. Cela aura au moins le mérite de clarifier le périmètre
de leur intervention dans le cadre de la mise en œuvre de cette fameuse Approche Globale.
2- Les Etats conservent un pouvoir fort d'organisation de ce secteur, qui ne saurait être soumis purement et simplement aux lois d'un marché mondial... Et ce pour des raisons évidentes de sûreté. Bref, faire des corsaires pour éviter d'avoir affaire à des pirates ou des "proxy" au service d'adversaires.
3- Si il faut effectivement travailler "plus longtemps" un bon nombre de jeunes retraîtés des armées trouveront à s'employer au seins de ces sociétés. Du reste le fait s'employer en priorité des sociétés composées de ses nationaux (élargie au niveau de l'UE pour nous) permettrait de s'assurer d'un contrôle par la loi de leurs agissements.

En conclusion, ces sociétés doivent concilier une raison d'être économique tout en restant au service de fins politiques. La raison implique avant tout de ne pas être naïf. Le libéralisme a sans doutes un problème avec le politique, comme toutes les idéologies du reste, il faut juste en être conscient.

Bien cordialement.

3. Le jeudi 30 septembre 2010, 21:21 par yves cadiou

Il faut observer que « société militaire privée », ça ne veut rien dire en français : chez nous, le mot « militaire » renvoie à un statut comparable à celui des fonctionnaires. Ces statuts s’appliquent à des individus. Une société, bien qu’elle soit juridiquement une personne morale, ne peut pas être militaire en l’état actuel des textes. Parler de « société militaire privée » (qui a inventé ce terme ?), c’est aussi incongru que si l’on parlait de « société fonctionnaire privée » pour les sous-traitants de services publics.

L’obstacle juridique ou sémantique que je rappelle ci-dessus ne suffit pas à écarter l’idée de faire appel à des sous-traitants pour des tâches ou des missions habituellement accomplies par des personnels sous statut militaire : on peut faire évoluer les textes.

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Pour l’évolution des textes, au moins deux problèmes seront à ne pas négliger.

Un problème pourra provenir de la vieille habitude législative qui consiste à considérer que tout ce qui concerne les Armées doit toujours faire l’objet d’une exception juridique : contraintes particulières du statut des personnels, protectionnisme dont bénéficient les industries de matériel militaire, secret-défense et même le prétendu « domaine réservé » qui contredit la Constitution. Autre exception typique au droit commun, quoique moins connue : l’IGESA, institut de gestion des établissements sociaux des armées, fait partie des soutiens : c’est un organisme privé. Il bénéficie d’une exception juridique : son marché de sous-traitance n’est pas remis en jeu tous les trois ans comme l’exige le code des marchés publics. Pourquoi cette exception, je ne sais pas, mais l’on peut observer que l’absence de remise en concurrence périodique ne facilite pas la qualité des rapports entre la direction située à Bastia et la clientèle majoritairement continentale. Cet exemple, qui mériterait d’être examiné de plus près, montre que l’on peut sous-traiter les soutiens mais que le ministère qui est chargé des Armées doit appliquer à ses sous-traitants le même code des marchés publics (CMP) que les administrations civiles.

Deuxième problème à prévoir, c’est qu’on n’est plus sur la Voie Sacrée de Verdun et que les logisticiens sont parfois exposés au feu de l’ennemi. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau : Camerone 1863 était une mission logistique. Par conséquent les logisticiens, qu’ils soient personnel public ou privé, militaire ou civil, seront armés et recevront des consignes d’ouverture du feu.

Le statut militaire prévoit l’ouverture du feu « lorsque c’est nécessaire à l’accomplissement de la mission ». La mission du logisticien étant de livrer, il serait ainsi autorisé à ouvrir le feu sur n’importe quel pauvre bougre qui l’empêcherait de passer. Il faudra préciser à partir de quel moment, ou de quel endroit, le statut militaire s’applique aux civils des sociétés sous-traitantes.

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En définitive, pour avancer sur cette question de sous-traitance, il faut commencer par s’interroger sur deux habitudes de langage. L’une est nouvelle et consiste à associer deux mots qui sont antinomiques en l’état actuel des textes, « militaire » et «privé » : il n’y a pas plus de « militaire privé » que de « fonctionnaire privé ». L’autre est une vieille habitude du Législateur lorsqu’il s’agit d’armée, celle de l’exception juridique pas toujours incontestablement motivée.

4. Le jeudi 30 septembre 2010, 21:21 par Cyrille

En préambule, je voudrai m’élever contre l’appellation «société militaire privée». Ces mots n’ont aucun sens en l’état actuel de nos compréhensions, particulièrement françaises. Soit l’on parle d’entreprises qui proposent des services de logistique, de maintenance, d’évacuation sanitaire partout dans le monde et aussi bien à des Etats qu’à des entreprises ou des particuliers, et ça existe depuis longtemps en France et fonctionne bien, comme souligné par Y. Cadiou, soit l’on parle de privatisation de la violence, avec des services armés dépositaires d’une autorité qui leur permet d’ouvrir le feu : c’est interdit en France, Dieu merci.
Je ne m’étendrais donc pas sur le premier cas, même si il me parait dangereux d’aller trop loin dans «l’externalisation», au risque de perdre des savoir-faire et des capacités sans espoir de les retrouver rapidement en cas d’urgence.
En revanche, s’agissant du deuxième cas, l’ensemble des arguments que l’on peut lire ou entendre un peu partout en faveur de leur légalisation ou de leur emploi me paraissent hautement fallacieux.
1/ Ces «services» existent depuis la nuit des temps, et quel que soit le bout par lequel on prend le sujet, il s’agit finalement de mercenaires. Qu’ils travaillent pour Black Water, pour le Hezb-e-islami, pour n’importe quelle faction rebelle du Sahel ou n’importe quel groupe armée dans le monde, ils se vendent de toute façon au plus offrant et n’ont d’autre déontologie (je ne parle même pas d’éthique) que de survivre à n’importe quel prix.
2/ La violence est soit «légitime», donc d’Etat, soit «illégitime», donc d’acteurs privés. Un mercenaire, même employé par les USA, qui ouvre le feu, ne peut se prévaloir de la légitimité de la mission qui lui a été conférée. C’est justement pour ne pas avoir à le faire que cet Etat lui aura confié ce «boulot». Un soldat, même s’il n’est jamais parfait ni à l’abri d’adopter un comportement répréhensible, reste sous l’autorité des lois de son pays, et devra au final rendre des comptes. Inutile de citer les exemples américains des 10 dernières années, je crois que tout le monde voit de quoi je parle.
3/ En matière d’efficacité, l’on entend de ci de là que l’enlèvement récent des employés d’Areva au Niger ne se serait pas produit si ces entreprises étaient légales en France et si donc Areva en avait employé une. Quelle farce ! Non seulement rien ne prouve que ces entreprises sont efficaces (le contraire en revanche...), mais de surcroit Areva en aurait certainement employé une, non française je l’admet, si seulement l’Etat du Niger l’avait autorisé à le faire ! Or ce n’est pas le cas... Cet Etat, quoi qu’on pense de lui, se réserve l’usage de la violence.
4/ Il est même certains de nos anciens généraux (honte à eux) qui osent prétendre que leur emploi permettrait de «recentrer les armées sur leur cœur de métier». Ces oublieux, tant de leurs propres valeurs que de celles de nos pays occidentaux, ont une étrange conception du «cœur de métier», très limitative. Pas de logistique, pas de maintenance, pas d’alimentation, pas de surveillance, pas de sécurité... que reste-t-il ? Le combat proprement dit ? S’imaginent-ils donc convoquer l’ennemi quelque part pour pouvoir amener nos troupes en bus sur le champ de bataille ? Ou alors nient ils que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ? (ou ont ils troqué leur éthique pour l’appât du gain ? Possible...)
5/ Car finalement, on en vient là : il s’agit bien d’un choix politique. Si les USA emploient des sociétés de mercenaires, c’est parce qu’ils ont choisi cette politique, et en assument les conséquences. Sommes nous prêts à faire de même ? En ce qui me concerne, considérant le temps qu’il a fallu en Europe pour que les États prennent en charge la sécurité du continent et éliminent les bandes qui ravageaient les campagnes au Moyen Age, considérant les ravages que ces bandes font encore en Afrique, en Afghanistan ou ailleurs, considérant justement l’exemple américain, je suis «violemment» opposé à un retour en arrière et à la réécriture d’une loi qui interdit l’existence même de ce type d’entreprise en France.
Avec l’externalisation forcenée menée depuis plus de 15 ans en France, au prétexte que cela coûte soit disant moins cher, j’estime que nous affaiblissons notre volonté d’indépendance (je parle de notre volonté politique, celle qui a conduit nos anciens à se lancer dans l’aventure atomique par exemple) et que nous prenons un risque énorme de remettre en question nos capacités opérationnelles. Le discours ambiant sur les bases de défense est faux, les arguments sont biaisés, mais cela va dans le sens de notre société confortable et ignorante du danger.
N’ajoutons donc pas la légalisation du mercenariat, ou alors privatisons toute l’armée : là au moins on donnera l’impression aux électeurs de VRAIMENT faire des économies !
Je fais court (j’essaye...), mais certains documents que je lis depuis quelques temps me font froid dans le dos, et je rêve qu’un général en activité et occupant une fonction prestigieuse s’élève publiquement contre ces assertions. Qu’il prenne la parole pour redire que la privatisation de la violence n’est pas envisageable. Pour dire aussi que les militaires retraités, fussent-ils généraux, ne peuvent se targuer d’une quelconque «expertise» pour faire croire que «les militaires», donc «les armées», pensent comme eux. C’est un rêve, mais gardons espoir...

5. Le jeudi 30 septembre 2010, 21:21 par Abou Djaffar

J'interviens après la bataille, simplement pour signaler qu'il n'existe pas de Société militaire privée (SMP) française, justement en raison de la loi française qui assimile cette activité à du mercenariat. Certains, que je ne nommerai pas, n'hésitent cependant pas à se présenter comme tels, probablement par nostalgie pour leur carrière militaire. La France ne tolère que les Sociétés de Séurité Privée (SSP), qui apportent des conseils et/ou des conseilles techniques, auditeurs, site security managers, etc. Pour faire simple, un chef d'entreprise français affirmant qu'il dirige une SMP pourrait parfaitement recevoir la visite matinale de la DCRI...

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