Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

M. Rasmussen : TB sauf la dernière question....

Il y avait beaucoup de monde cet après-midi, à l'IFRI, pour écouter Anders Rasmussen, le secrétaire général de l'Alliance qui y prononçait une conférence. Signalons d'emblée qu'il fit l'effort de la prononcer en français, et qu'il répondit en français aux questions adressées dans cette langue : mille mercis pour cette attention.

Une première partie (une demi-heure) où il expose son propos, puis une série de questions. Quelques micro informations de ci de là, beaucoup de tenue et de professionnalisme, et patatras, il s'emmêle les pinceaux pour la dernière question (DAMB).

Compte-rendu:

A/ Le discours

Son discours a été articulé autour de plusieurs thèmes, introduits par la nécessité de la réforme.

Tout d'abord, il plaide pour que l'Otan demeure une puissance nucléaire, tant qu'il y aura des armes nucléaires : je ne suis pas sûr qu'il aurait commencé son discours de la même façon s'il avait été en Allemagne !

Il évoque ensuite la cyberdéfense, comme exemple des dangers auxquels il faut faire face, par une démarche collaborative (il explique ainsi que l'Otan est la cible de plus d'une centaine d'attaqués par jour : le chiffre est surprenant).

Il espère que le sommet de Lisbonne lui donnera un mandat clair dans la lutte contre les missiles "nous devons prendre la décision d'un système défendant notre population et nos territoires" : il s'agit bien, dans son esprit, d'une défense de territoire...... Il ajoute (nous sommes en France, il doit faire attention aux susceptibilités locales) "La DAMB ne remplace pas la dissuasion mais la complète" (ce qui n'est pas exactement la position française, du moins si on parle de DAMB de territoire).

S'agissant du coût, il répète son mantra des 200 Millions d'euros sur dix ans à 28, ce qui ne convainc aucun spécialiste (cf. de mémoire un édito de Carl von C dans DSI cet été) : il ne s'agirait selon lui que d'élargir le système localisé déjà existant "de théâtre" :"beaucoup de sécurité à très bon prix", ajoute-t-il, dans une formulation qui fait penser involontairement au bazar de Marrakech (ça coûte combien ? moitié pas cher, moitié bon prix).

Il part ensuite de la crise financière pour évoquer la réforme : réformer la NCS, faire passer le nombre d'agences de 14 à 3, acheter plus d'équipements sensibles, comme des avions ou des hélicos (non, il n'a pas dit C 17). "la réforme n'est pas ponctuelle, mais elle est un processus qui doit se poursuivre". "Les dépenses de défense en Europe sont une de mes sources d'inquiétude. Les effets cumulés seront considérables. Il faut prendre conscience des risques".

UE : "Une Europe forte est bénéfique à l'Alliance. La baisse des budgets pourrait mettre à mal cette vision. Le traité de Lisbonne pourrait devenir une coquille vide". Cela serait mauvais pour l'Europe, pour l'Otan et pour le lien transatlantique. On ensuite le discours classique sur le partage des valeurs et l'appel à l'histoire du XX° siècle. La relation OTAN UE doit donc se déployer dans trois domaines : relations politiques, coordination sur le terrain, coordination en matière d'acquisition.

FR : le retour de la France a diminué les suspicions.

B/ Viennent ensuite les questions.

Afghanistan : il en tire deux leçons : la training mission a démarré trop tard, il faut donc "a standing capacity to train". Standing signifie "permanente" donc en dehors même des cironstances : l'idée est pour moi nouvelle, et cela signifierait une innovation si la chose était décidée à Lisbonne. Un rôle nouveau pour ACT ??? Autre leçon, interaction entre action militaire et reconstruction, d'où la nécessité d'une approche globale (il insistera ensuite sur cette notion de reconstruction et développement, qui est le chaînon manquant : j'ai l'impression que la gamme de l'approche globale est un peu plus large que ce qu'il en dit).

ACT : Il pense qu'il restera à Norfolk, malgré les décisions sur le JFC. Il y a un consensus allié pour qu'il y ait un EM allié sur le territoire américain, afin de marquer le lien transatlantique. Il aura un rôle accru.

Dialogue FR-UK actuel : c'est bénéfique.

Russie : a invité Medvedev à tenir un Conseil Otan Russie à Lisbonne, il attend encore la réponse. Certes la Géorgie, mais il y a plein de lieux de coopération (Afgha, narco, terro et même coopération sur la DAMB). On peut être sceptique sur ce dernier point, me semble-t-il....

Financement : il y a eu un déficit, nous avons fait des économies, réduit les coûts, renforcé les contrôles : passez muscade, il n'y a plus de problème....

Afgha : oui, il est possible de gagner la paix, il faut développer une petite capacité civile au sein de l'Otan (déjà dans le rapport Albright, aucune allusion à l'éventuelle concurrence des capacités UE).

Arctique : certes, réchauffement climatique, mais il ne voit pas un grand rôle à l'Otan dans la région.

Afgha : pas en faveur des opérations militaires, la pression sur les talibans est efficace, malgré ce qu'on en dit (j'ai d'ailleurs le sentiment que peu à peu, cette idée commence à faire son chemin dans l'opinion qui paraît moins défaitiste qu'il y a un an).

Méditérranée : il y a le Dialogue Méditerranéen et l'initiative d'Istamboul, il est favorable à d'autres partenariats, et à inclure par exemple la question indienne dans le traitement du pb afghan.

DAMB : quelle différence entre Missile défense US et celle de l'Otan ? (question simple et qui tue) : on va lier tous les systèmes techniquement : les US ont déjà un système, quelques alliés ont des systèmes de théâtre, on a décidé un ALTBMD, tout ça tout ça.

Là dessus, la conférence prend fin, et le sénateur de Villepin, sans vouloir piéger le SG, conclut par une dernière question : "vous parlez de lien, mais des pays comme la France vont apporter et mélanger leurs systèmes?". AF Rasmussen s'emmêle alors : je pense qu'on peut maintenir les systèmes nationaux mais en coopération et sous commandement de l'Otan", puis il se reprend : "je ne suis pas technicien, mais je pense qu'il est possible d'améliorer les coordinations".

Cette confusion finale achève de convaincre une assistance qui était assez sceptique sur le sujet, d'autant qu'il y a eu beaucoup d'échos de presse ces derniers jours.

C/ Commentaire

Ainsi, quelques micro scoops (nombre de cyber attaques, invitation Medvedev, CAT, Inde) et un discours calibré. Toutefois, la question de la DAMB a été ratée, me semble-t-il.

La confusion des niveaux de théâtre et de territoire, le refus de sentir la difficulté du partage du commandement (qui prend la décision de tirer?) sans même évoquer la faiblesse de l'argumentation du coût, tout cela a fait qu'une conférence qui se passait bien et était finalement assez convaincante pour un public pas forcément averti a brutalement chuté, sur une dernière question, et pas sur l'Afghanistan.

Dommage, car l'homme est incontestablement sympathique, c'est un vrai animal politique qui sent les préoccupations de ses pairs (notamment sur la réaction des différents gouvernements à l'issue de la crise financière). Il reste que j'ai été surpris de l'à-peu-près s'agissant de la DAMB : certes, il y a une grosse volonté (notamment américaine), mais AF Rasmussen a donné l'impression de ne pas avoir senti non seulement les difficultés techniques, financières et militaires, mais aussi les difficultés politiques : qu'il se soit fait piéger est somme toute surprenant.

Il va de soi que ces impressions n'engagent que moi, et que d'autres auront pu sentir les choses différemment : ce n'est qu'un observateur amateur qui parle....

réf : voir le billet de l'IFRI sur cette intervention

O. Kempf

Commentaires

1. Le vendredi 15 octobre 2010, 20:47 par yves cadiou

Merci à l’observateur « amateur » (c’est vous qui le dites et, involontairement sans doute, vous nous remémorez ainsi Carcassonne 2008) d’avoir pris la peine de nous rendre compte de cette conférence.

Ma lecture, c’est que le principal souci de l’Otan est désormais de justifier son existence après avoir réussi à survivre pendant vingt ans à la disparition de la menace qui l’avait créée.

Vous notez deux problèmes soulevés par le DAMB : le financement et surtout la décision de tir, d’autant que cette décision devrait être instantanée et ne pourrait donc pas être collégiale. On comprend que le SG s’y emmêle les pinceaux, surtout devant un auditoire français et Xavier de Villepin, parce que le DAMB otanien nous conduirait à une totale soumission. Mais un autre problème est éludé par le conférencier : c’est que l’on ne sait pas d’où viendrait l’attaque, ni politiquement (l’Otan n’a pas d’ennemis ou il en a trop) ni géographiquement (les tirs depuis la mer sont possibles et anonymes).

Quant à cet autre motif d’exister que serait la cyberdéfense, outre que c’est une vieille lune (même en la présentant comme routinière avec cent attaques par jour, c’est un remake de la fameuse IEM des années 80), elle n’entre pas dans les attributions de l’Otan dont le rôle est de créer une solidarité en cas d’attaque armée (je souligne armée) dont serait victime l’un des contractants. Pourtant le SG s’en empare.

C’est sur votre blog que j’ai découvert naguère le mot germanopratin : pour l’Otan, l’existence précède l’essence.

égéa : le SG a évoqué a menace iranienne, et le risque de prolifération au Proche orient pour justifier la DAMB.

2. Le vendredi 15 octobre 2010, 20:47 par

Oui, il y a surement des centaines d'attaques info contre les systèmes de l'OTAN. Pour le Pentagon, c'était 150 attaques/jour en 2008. Une attaque informatique n'est pas comme une attaque militaire et les comptes ne sont pas les mêmes. Quelqu'un qui envoie un mail avec un virus à un correspondant peut être comptabilisé dans ces attaques comme une attaque par déni de service (on submerge le réseau adverse de données à partir de centaines de milliers d'ordinateurs, je vous passe les détails techniques) qui peut constituer un acte hostile (au sens militaire cette fois).
On me dira ce n'est pas toujours grave. Oui ce n'est pas toujours grave tant que le système est bien protégé. Lorsqu'il y a faille, cela a des conséquences opérationnelles bien concrètes. Un exemple, le bien connu conficker. http://www.silicon.fr/le-virus-conf... . Je ne parle que d'une attaque simple. Pour plus d'info l'Alliance géostratégique a mis en ligne récemment des articles non techniques sur le sujet http://www.alliancegeostrategique.o... Il suffit de cliquer, comme la pub sur EGEA.

L'IEM des années 80 était une vraie menace. L'IEM des années 2010 l'est bien plus et sans commune mesure. Les composants électroniques sont de plus en plus nombreux et de plus en plus fragiles donc de plus en plus vulnérables à l'IEM. La preuve certains, qui n'ont surement rien compris et soumis aux lobbys, veulent construire une défense anti-missile très chère pour abattre seulement un ou deux missiles nucléaires, capables de renvoyer un continent au XIXème en moins bien… avec l'effet IEM.
La cyberguerre (qui n’est pas une bataille d’ordinateurs, de bits ou de geeks) aujourd'hui est l'équivalent du trio "char, avion, radio" en 1910, cela existe mais bon, il ne faudrait pas exagérer ! A l'époque, c'est de la science fiction qui n'est pas prête de détrôner le trio "canon, fantassin, cavalier". On connait la suite !
Cordialement

égéa : oui, je suis  tout à fait d'accord avec Seb quand il dit qu'il suffit de cliquer.... Je ne saurai trop vous inciter à vous  y livrer ! IEM : c'est un bon sujet, ça , non? Juste une question alors : les proliférations des rives sud-est ont ils la possibilité, avec leur capa missiles plus ou moins évoluées, de lancer quand même un truc qui ait l'effet IEM ?????? Corentin, si tu nous lis, réponds.

3. Le vendredi 15 octobre 2010, 20:47 par

Je suis d'accord avec SD pour dire que "100 attaques par jour" ce n'est pas réellement un scoop : selon ce que l'on comptabilise exactement c'est le cas de toutes les grandes organisations dans le monde.

A ma connaissance il y a eu suite aux évènements de 2007 en Estonie quelques tergiversations sur le fait de savoir si les "cyberattaques" étaient éligibles à l'article 5. Rien de concret n'a vu le jour à ce sujet.

Plus largement, je continue à me demander si l'OTAN, dans la mesure où elle serait amenée à durer encore longtemps, ne devrait pas a minima changer de nom.

4. Le vendredi 15 octobre 2010, 20:47 par yves cadiou

Ayant remarqué depuis longtemps qu’il y a des gens compétent sur ce blog, je pose une question dont je vous prie d’excuser la naïveté : est-on sûr que la panne dont fut victime l’Estonie en 2007 était une cyberattaque et non un plantage généralisé mais spontané ?

L’hypothèse de l’attaque arrange tout le monde. Excepté peut-être celui qui, à mots couverts avec des « je ne cite personne mais suivez mon regard vers le Kremlin », est supposé être l’auteur de l’attaque. L’hypothèse de l’attaque correspond assez bien à la crainte que les Pays baltes ressentent de leur grand et lourd voisin ex-soviétique. Commercialement pour l’entreprise qui a fourni et installé l’intranet gouvernemental soudain paralysé, l’hypothèse de l’attaque atténue sa responsabilité. Quant à l’acheteur du système (le gouvernement estonien) il est moins ridicule s’il est victime d’une attaque que s’il est victime d’un bête plantage informatique comme vous et moi (surtout moi, ça va sans dire). Enfin, l’hypothèse permet aux pays ou aux organisations (l’Otan) qui se sentent des vocations de protecteurs universels de pousser leurs pions.

L’attaque par l’informatique est un thème plus ancien que la Toile : dans les années 80, un film français dont le titre m’échappe (c’était un navet, à peine sauvé par Véronique Jannot dans le rôle de l’ingénieur atomiste) nous montrait l’informatique d’une centrale nucléaire soviétique victime d’une angoissante attaque. L’attaque passait par des composants d’importation programmés pour dysfonctionner à une date politiquement significative.
Alors aujourd'hui le thème de la cyberattaque évoqué par ce SG existentialiste, est-on sûr que ce n'est pas du baratin ?

égéa : S'agissant de l'Estonie, reportez vous à l'article de Laurence Iffrah dans la RDN de 2007 qui fait le point : oui pour l'attaque, non pour son origine kremline.Qu'il y ait des "attaques" c'est probable. QU'elles puissent être orchestrées, aussi (cf la récente affaire en Iran). La grande question en ce moment, ce dont tout le monde parle à mots plus ou moins couverts, c'est la renaissance de l'offensive. Je ne sais pas si l'Otan a des vues également offensives dans ce domaine.....

5. Le vendredi 15 octobre 2010, 20:47 par

Pour répondre à la question d'Yves Cadiou, les grosses pannes ou les gros plantages sont rarement médiatisés. Les problèmes numériques de la Géorgie en 2008, au début du conflit avec la Russie, semblent aussi bien réels. Il est très difficile de tracer l'origine des attaques sur Internet. Il est possible de savoir que l'on est attaqué mais pas par qui, si c'est bien fait (juste bien). Dans certains cas, il y des revendications. J'ai en tête l'Iran qui a revendiqué une cyberattaque via ses agences de presse : http://pourconvaincre.blogspot.com/...
Cette problématique est prise en compte dans le futur concept de l'OTAN mais cela pose un gros problème pour l'application de l'article 5. Pour l'instant, la menace est essentiellement criminelle mais cela risque de ne pas durer.
Pour le baratin, ce serait un baratin de quelques centaines de milliers de personnes qui sécurisent les réseaux étatiques et des entreprises dans les pays de l'OTAN !

6. Le vendredi 15 octobre 2010, 20:47 par

D'après certaines sources, le hacking en Estonie proviendrait de Russophones mécontents d'une politique perçue comme leur étant défavorable.

Le doigt est ici mis sur un des problèmes des attaques sur Internet : la traçabilité... d'autant que les concepts d'astroturfing, proxy ou false flag y trouvent un terrain de jeu particulièrement favorable.

7. Le vendredi 15 octobre 2010, 20:47 par

Je vous remercie de vos réponses. Il faut préciser que nonobstant (nonobstant) le vocabulaire employé, la cyberguerre n’est pas une guerre. Certes c’est une activité qui concerne la Défense au titre de la défense économique notamment si l’on se réfère à l’ordonnance de 1959. Celle-ci est encore en vigueur : la défense est permanente, contre toute forme d’agression (j’observe cependant que vous parlez de cyberattaques et non de cyberagressions). Mais la cyberguerre ne concerne la défense militaire, c’est-à-dire peut-être l’Otan qui est le sujet de cette page, que marginalement dans la mesure où l’informatique peut neutraliser des armes.

A l’époque où l’on parlait de la guerre électronique, la « guerrélec », l’on utilisait déjà le mot « guerre » sans référence à la mort qui est pourtant l’essentiel de la guerre, du moins pour ceux qui la font loin des abstractions.

La guerrélec est un précédent qui n’empêche pourtant pas que le mot « guerre », associé à cyber, est inadéquat. Il faudrait trouver autre chose, un mot qui ne créerait pas de confusion : cyber-subversion, cyber-pagaille, cyber-jam, cyber-match, cyber-krieg, cyber-brezel ? Et « que le gascon y aille si le français ne peut y aller » (Montaigne).

Je crains que le mot « guerre », s’il est employé comme ici hors des situations où des groupes humains s’entretuent de façon organisée, conduise à des malentendus. On court le risque des approximations verbales et des réactions inadaptées de la part de nos décideurs trop souvent incompétents, qui ne commencent à réfléchir un peu aux problèmes que lorsque les événements leur mettent le nez dessus. C’est par un processus identique que l’on débouche sur le « principe de précaution » en parlant trop facilement de catastrophe pour un accident. De la même façon on dramatise un conflit social en déclarant que le public est « pris en otage » par les grévistes ou qu’il faut « se battre » pour les acquis sociaux.

Tout en étant convaincu qu’il faut s’intéresser à la cyberguerre, quel que soit le nom qu’on lui donne, je tiens à faire observer que ce n’est pas une guerre.
égéa : cher Yves Cadiou, j'avais publié un billet il y a quelques mois sur l'ordonnance de 59 : elle a été largement modifiée par la LPM qui applique le LBDSN. Il faut pour s'en rendre compte aller vérifier le Code de la défense, partie législative, premiers articles : autrefois, ils reprenaient l'O 59, aujourd'hui, ils ont un autre rédaction (et le tout temps toute circonstance a disparu....)

8. Le vendredi 15 octobre 2010, 20:47 par Jean-Pierre Gambotti

Dans cette intervention de M. Rasmussen deux remarques m’ont troublé.


La première concerne l’Afghanistan et « l’approche globale ». A mon sens c’est une traduction un peu déflatée de la « Comprehensive approach » qui est effectivement, comme vous le suggérez, d’une ambition très supérieure à la simple amélioration de « l’interaction entre l’action militaire et la reconstruction » (cf. : A comprehensive approach www.nato.int.)

Je ne voudrais pas revenir sur une de mes antiennes, mais à plusieurs reprises j’ai plaidé pour que nous considérions ces nouveaux théâtres comme des systèmes de systèmes, justement à cause de la pluralité des domaines civils et militaires concernés et de la multiplicité des acteurs de la communauté internationale impliqués. L’approche cartésienne, linéaire, monovalente est devenue, sinon caduque, du moins insuffisante, pour être pertinente à un tel niveau de complexité. En fait l’action sur ces « théâtres d’engagement » ne ressortit jamais à un seul domaine et à un seul acteur, mais à plusieurs, ce qui multiplie ses degrés de complexité. D’évidence dans ce champ des opérations complexes c’est le triptyque action, interaction, rétroaction qui doit être considérée, ce qui justifie une réflexion holiste sur le tout et la partie, pour adapter à notre main de stratégiste une forme d’approche système.

Comment peut-on encore imaginer que sur le théâtre afghan un point décisif dans une ligne d’opérations traitant de la sécurité, par exemple, ne porte pas aussi des « caractères » relatifs à l’économie, à l’infrastructure, au politique..Ce faisant les lignes d’opérations elles-mêmes se trouvent transformer dans leur géométrie pour devenir gauches, sécantes, abondamment pourvues de branches accessoires, permettant l’ édification de modes d’action exhaustifs pour une campagne nécessairement complexe.


La deuxième remarque concerne la dissuasion et le DAMB.

D’abord considérer l’OTAN comme « puissance nucléaire » m’effraie. Déjà à l’époque de la glaciation binaire EST/OUEST, l’éventualité d’emploi des armes nucléaires de l’OTAN dans une bataille de l’avant contre les forces du Pacte ne conférait pas à l’OTAN le caractère de « puissance nucléaire ». Les puissances nucléaires étaient les pays détenteurs des codes, l’engagement du feu nucléaire répondait à une situation politique et stratégique parfaitement définie prenant en compte de manière dirimante les intérêts vitaux de chacun. Et seuls les Etats ont des intérêts vitaux, intérêts de surcroît rarement sécants. En conséquence l’Otan n’est et ne sera jamais une « puissance nucléaire » stricto sensu.
Egoïste, puisque sacrificielle est la dissuasion nucléaire !

Et le DAMB dans tout çà ? Le tir d’un missile destiné à un lointain partenaire engage-t-il les intérêts vitaux d’une puissance nucléaire otanienne éloignée ? Doit-elle risquer, cette puissance nucléaire, la vitrification de sa capitale en deuxième bordée alors que le différend en question est strictement bilatéral ? Et plus largement quelle est la crédibilité de la dissuasion française, par exemple, si l’on considère objectivement sa vulnérabilité en installant un bouclier antimissile pour pallier ses éventuels « angles morts »? A mon sens la dialectique de la dissuasion n’a d’efficience que dans la crédibilité absolue de son emploi apocalyptique. Pour maintenir le non-emploi réciproque des armes nucléaires, fondement de la dissuasion, il n’y a qu’une voie : faire comprendre à l’autre, et accepter soi-même, qu’en termes de dissuasion l’emploi est échec. Et l’échec, ici, signifie, destruction réciproque. Même un Etat irrationnel peut mesurer les conséquences létales et civilisationelles d’un cataclysme nucléaire. Ainsi la stratégie de dissuasion est-elle irréductiblement pertinente. Encore faut-t-il la conserver vivace.

Pour terminer remarquons que ces deux sujets ne seraient pas déplacés dans le programme des « jeunes turcs » engagés dans le renouveau de la pensée stratégique française.


Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

égéa : pour votre première remarque, un des "jeunes turcs" est assez d'accord : il a d'ailleurs un projet dont il vous reparlera, avant que nous le rendions public, je l'espère. Mais les jeunes turcs n'ont pas le monopole de la complexité : ils compensent seulement par internet (et l'émulsion des échanges) ce que les spécialistes ont en densité grâce à leurs études approfondies : bref, complémentarité et non concurrence.

Pour la deuxième remarque (en deux sous remarque) : je ne suis pas d'accord avec vous, l'Otan est une puissance nucléaire car elle n'aurait pas existé sans le feu nucléaire : je m'en explique dans mon prochain livre (à paraître, vous le savez tous et vous avez raison d'être impatients). Il va de soi que la question n'est pas vraiment celle de la décision de déclenchement, mais celle de l'extension d'un parapluie national grâce à un couplage transatlantique.

Quant au débat sur la DAMB, vous affichez le discours français classique sur l'incompatibilité entre dissuasion et DAMB de territoire : je le comprends et le partage, car c'est ce qui vient en première approche. Mais comme je suis en train de creuser le sujet en ce moment, en vue d'une intervention que je prononcerais le 15 novembre prochain. Disons qu'au-delà du pur discours stratégique que vous rappelez, il y a des dimensions politiques, technologiques, militaires, communicantes, géopolitiques etc. qui viennent brouiller la pureté où vous vous placez. D'un mot : la dissuasion est une réalité, la DAMB une potentialité....... cela devrait vous rassurer.

9. Le vendredi 15 octobre 2010, 20:47 par Jean-Pierre Gambotti

Deux apophtegmes historiques pour répondre sur la dissuasion :
« Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts » attribué à Disraeli, « La dissuasion, c’est moi », que je certifie avoir été prononcé par le président Mitterrand !
Aussi lirai-je avec beaucoup d’intérêt tout argumentaire visant à démontrer qu’une coalition est « puissance » et que cette « puissance » a une quelconque crédibilité dans le domaine de la dissuasion nucléaire. Je ne voudrais pas anticiper sur un futur débat, mais je ne pense pas être dans l’erreur en rappelant qu’ontologiquement la dissuasion c’est le peuple et le décideur engagés dans un pacte en holocauste par le suffrage universel. Ce faisant je persiste à penser que la question est essentiellement celle du déclenchement, celle de la décision du sacrifice de tous par l’un. De cet « un » oint par tous. Pas un cénacle qui n’a reçu l’onction d’aucun des peuples de la coalition.
Il n’y a de dissuasion que populaire, il n’y a de crédibilité de l’engagement des feux nucléaires qu’intuitu personae, il n’y a de dissuasion nucléaire que dans le couplage absolu du peuple et du détenteur des codes.
Pour terminer je citerai Louis Gautier dans La défense de la France après la guerre froide, (PUF 2009) : « L’arme nucléaire est une arme de souveraineté. Pour que la dissuasion soit efficace, les décisions qui en relèvent ne peuvent être en aucune façon être partagées, encore moins soumises aux aléas de la discussion collective. »
Encore un adepte du « pur discours stratégique » !
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.egeablog.net/index.php?trackback/791

Fil des commentaires de ce billet