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Renan et le territoire

Yves Lacoste (Vive la nation) le constate : la définition de la Nation donnée par Renan ne comporte aucune allusion au territoire :

"Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis".

Certes, le texte ...

... démontre auparavant que le critères habituellement retenus ne conviennent pas : la race (ou l'ethnie), la langue, la religion, la communauté des intérêts, ni même la géographie ne lui donnent satisfaction. Remarquons toutefois que pour la géographie, Renan écrit ceci : "La géographie, ce qu'on appelle les frontières naturelles, a certainement une part considérable dans la division des nations. La géographie est un des facteurs essentiels de l'histoire". Et plus loin : "Non, ce n'est pas la terre plus que la race qui fait une nation. La terre fournit le substratum, le champ de la lutte et du travail ; l'homme fournit l'âme."

Il y a une erreur de perspective. Elle est double.

  • La première tient à la confusion entre géographie et théorie des frontières naturelles, théorie qui, on le sait, ne date que de la Révolution Française, d'ailleurs pour énoncer un projet géopolitique.
  • La seconde tient à la confusion entre terre et territoire : la terre considérée comme un substrat neutre, sans s'apercevoir qu'elle est devenue "territoire" c'est-à-dire polarisée par les populations qui y vivent et les réseaux qui l'irriguent.

Et pourtant, cette définition constitue incontestablement un projet géopolitique, justement dans sa volonté de nier la dimension spatiale : son "universalité" est à comprendre au sens propre, elle est valable sur tout l'univers. Mais elle ne dit rien de la raison des séparations entre peuples, ce qui constitue sa principale limite. Bel idéal, aussi élevé probablement que l'idéal kantien de paix perpétuelle (voir billet), elle manque cependant d'un certain réalisme qui puisse la rendre opératoire. Autrement dit, elle appartient au mythe plus qu'à la loi, à la raison pure plus qu'à la raison pratique.

Réf : Qu'est-ce qu'une nation ?.

O. Kempf

Commentaires

1. Le vendredi 10 décembre 2010, 20:29 par Christophe Richard

Bonjour,
  L'absencede référence au territoire par Renan pourrait-il s'expliquer par le processus de construction nationale de la France qui voit l'Etat préexister à la nation?
En effet, d'une certaine façon la nation française s'affirme par la loi, lorsque l'individu qui en est membre passe du statut de sujet à celui de citoyen.
Elle se renforce par la suite par une forte action d'ordre culturelle.
La question du territoire ne se pose pas puisque l'Etat durant tout ce processus en garde le contrôle, et qu'il a déja établit historiquement son monopole de la violence.
La nation française est peut-être "politique" avant d'être "culturelle".

Bien cordialement.

égéa : Etat ou Nation, la France n'a cessé de se poser la question de son territoire, territoire que les rois n'ont jamais cessé de vouloir agrandir. Leur "domaine royal" était la métaphore du territoire national. Louis XI contre ls Bourguignons, CHarles VII et Jeanne d'arc contre les anglais, Duguesclin... autant de noms qui évoquent la maitrise des frontières de la France.

2. Le vendredi 10 décembre 2010, 20:29 par

J'avais cru comprendre que la théorie des frontières naturelles était beaucoup plus ancienne. Je n'ai plus souvenir qui en est l'antique auteur, mais il n'en demeure pas moins que l'on dit depuis l'Antiquité que le territoire français est "béni des dieux". Les frontières naturelles, au sens militaire et défensif du terme, n'a pu qu'apparaître comme très favorable à l'épanouissement d'un pays. C'est un peu le même cas pour l'Iran, les montagnes iraniennes sont un moyen défensif historique.

Plus avant, il me semble que la politique des Rois de France et plus particulièrement de Louis XIV ne fait que tendre vers ces frontières naturelles. Louis XIV, et puis Napoléon, n'aspirait qu'à atteindre le Rhin. Les autres frontières étant atteinte.

A ce titre, que ce soit en France comme en Iran, une fois que l'on sort dans l'espace immédiat après les frontières naturelles on parle des "marches de l'Empire". Regardons l'Empire Carolingien ou le Ier Empire : La Catalogne espagnole, le nord de l'Italie, l'Ouest de l'Allemagne ont toujours était les marches de l'Empire français quand la France sortait de "ses gonds".

Quel est le problème de la Belgique de nos jours ? Il est géopolitique : les Flamands, après avoir lutté contre l'oppression wallonne et avoir émergé comme nationalité ne veulent plus du BHV. Cet arrondissement qui permet aux habitants francophones de Bruxelles (la majorité) d'avoir des facilités linguistiques dans la banlieue flamande gêne. Pourquoi ? Car il permet aux francophones d'incorporer Bruxelles dans la Wallonie par pression démographique. Et surtout ! De pousser la pression démographique vers le nord...

Le Rhin. La dernière frontière naturelle que la France n'ait pas encore atteinte.

D'où mon intérêt fondamental pour les pressions démographiques autour de Lille (Eurométropole) et ses connexions avec les porte français du Nord-Pas-de-Calais et de la Flandres, du Luxembourg et d'un bilan présentant la poussée francophone autour de Bruxelles. Pourquoi pas une étude sur la Sarre, Länder allemand qui a été crée par la France... C'est tout une ligne de "front" dont le centre, Bruxelles, est francophone et permet d'avancer sur le Rhin.

Bruxelles, capitale européenne et fondamentalement francophone.
égéa : une lecture hâtive de César peut faire roire à l'antiquité des frontières naturelles; Pourtant, il n'est que regarder une carte de la Gaule romaine en 0 pour s'apercevoir que les limites admisnitratives n'épousent absolument pas les "frontières naturelles", sauf partiellment dans les Pyrénnées.

3. Le vendredi 10 décembre 2010, 20:29 par Christophe Richard

Ajoutons que les frontières qui peuvent sembler géographiquement naturelles, le sont rarement lorsqu'on les considère du point de vue de leur peuplement...
Les montagnes sont peuplées de... montagnards, qui si ils ne forment pas toujours des nations, n'en partagent pas moins quelques traits culturels.
Pour en revenir à la dimension non géographique de la définition de la nation française, je reviens au constat de départ, qui est que l'enjeu territorial a été porté par un pouvoir politique, bien avant que le peuple ne s'éveille à la conscience nationale.
Dès lors, l'enjeu était de parvenir à une synthèse à partir d'un fort héritage politique assis sur un espace déjà contrôlé.
D' autres nations ont connu des trajectoires inverses, et pour elles le territoire pouvait revêtir un enjeu existentiel (Italie, Allemagne, Serbie...)
Bien cordialement

égéa : oui, effectivement, il ne faut pas oublier le volontarisme politique dans la fabrication de la Nation. Les modalités du politique ont pu évoluer au cours du temps : très longtemps, ce fut monocratique (royauté ou despotisme ou empire). Dans les temps modernes, cette volonté politique passe par un processus groupé : d'où l'importance, dans l'éveil national, d'intellectuels qui "éveillent" le sentiment national, et amènent le "peuple" à prendre conscience de son unité. C'est notamment visible dans les marches des empires, avec le printemps des peuples au XIX°, puis les luttes de décolonisation au 20°.

La question est alors la suivante : le 21° siècle poursuit-il le même processus d'émergence politique ? ou passe-t-on à autre chose ? et donc quoi ?

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