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Du coup d’œil à la guerre, ratiocinations…

Comment le chef prend-il une décision ? à la suite d'un processus rationnel, à la suite du travil de son état-major ? Oui, mais pas seulement. Il a besoin de "coup d'œil, comme nous le rappelle Clausewitz. Mais ce coup d'œil, n'est-ce qu'une banale "intuition" ? ou y a-t-il quelque chose de plus rationnel qui l'explique ?

Jean-Pierre Gambotti nous livre ici un court texte qui considère ce coup d'œil, si indispensable au "chef". Cela renvoie à ce que j'écrivais dans un article récent de DSI, que je dois d'ailleurs vous mettre en lecture : être chef, cela s'apprend.

Mille mercis à lui en tout cas pour ce débat sur le commandement.

O. Kempf

Du coup d’œil à la guerre, ratiocinations… par J.-P. Gambotti

Dans son chapitre sur le « génie guerrier » Clausewitz traite des qualités que doit posséder le chef de guerre, il s’attache en particulier au « coup d’œil» et à « la résolution » qui vont bien entendu de pair.

Citons un court extrait du Chapitre III, Livre 1 : « La guerre est le domaine de l’incertitude ; les trois-quarts des éléments sur lesquels se fondent l’action restent dans les brumes d’une incertitude plus ou moins grande. Plus qu’en n’importe quel domaine, il faut qu’une intelligence subtile et pénétrante sache y discerner et apprécier d’instinct la vérité(…) Pour traverser sans dommage ces conflits incessants avec l’imprévu, deux qualités sont indispensables : d’abord un esprit qui même au sein de cette obscurité accrue ne perd pas toute trace de la clarté interne nécessaire pour le conduire vers la vérité ; ensuite le courage de suivre de suivre cette faible lueur. Le premier a été désigné au figuré par l’expression française « du coup d’œil » ; l’autre est la « résolution ».

Passons sur « la résolution », la virtù de Machiavel , cette qualité nécessaire pour imposer sa volonté à la fortuna, quiconque a côtoyé le chef dans la décision admet son importance.

Mais personnellement j’ai longtemps contesté la notion de « coup d’œil ». Je l’ai même niée avec obstination, car pour moi elle rimait dangereusement avec l’intuition, c’est-à-dire avec l’inné qui fait du chef un être d’exception qui doit sa distinction à la génétique ou au fatum. Bien entendu ce n’est pas simplement « le coup d’œil corporel » que Clausewitz promeut, mais « le coup de l’œil de l’esprit », c'est-à-dire cette aptitude à apprécier les circonstances pour décider avec justesse, capacité qui d’évidence ressortit aussi à l’expérience, au savoir, à la culture.

C’est en m’interrogeant sur la théorie des signaux faibles que cette question « du coup d’œil » du chef chez Clausewitz m’est revenue comme « un clin d’œil » sérendipiteux, petite avancée fortuite dans mon questionnement un peu obsessionnel sur « le bien penser la guerre ». Dans l’exercice de nos responsabilités nous avons tous négligé, un jour, ces signes mineurs apparus dans notre environnement, signes apparemment dérisoires dans la contingence qui se sont révélés à terme comme précurseurs d’un événement majeur pour l’action que nous conduisions. A ma connaissance il n’existe pas dans le domaine de la guerre une application spécifique de cette théorie des signaux faibles. Ces éléments, et ils sont pléthore dans ce domaine de l’incertitude et de l’action, sont pris en considération de manière particulière et satisfaisante par les spécialistes du renseignement ou des opérations par exemple.

Mais quand vient le temps pour le chef de décider sa manœuvre, celui-ci tout en accordant sa confiance à l’expertise des spécialistes de son état-major, doit néanmoins reconsidérer l’ensemble des éléments qui ont conduit ses penseurs aux différentes propositions de l’action à entreprendre et à la concaténation qui en découle, ce concept d’opérations qui va porter toute la campagne jusqu’à l’état final recherché. Cette phase décisionnelle du chef est en quelque sorte l’ordonnancement intellectuel de tous les considérants de l’action, y compris les signaux faibles, en un panorama de la guerre à conduire, c'est-à-dire à une image cohérente, synthétique et lumineuse de la campagne. Pour moi, le coup d’œil clausewitzien c’est cette capacité du chef à donner à un apparent désordre, cet ordre désordonné, un sens. J’oserai comparer cette opération de l’esprit permettant de reconstruire la réalité déconstruite, à une anamorphose.

L’innéité est pour peu de chose dans cette qualité, comme pour la chance à la guerre, elle trouve son terreau dans la curiosité pour les disciplines de l’esprit et la méditation des traités des bons stratèges.

Jean-Pierre Gambotti

Commentaires

1. Le samedi 11 décembre 2010, 20:55 par Christophe Richard

Bonjour,
Merci de cette réflexion, je me souviens d' avoir assisté l'an dernier à une partie du colloque sur le maréchal Foch. Une formule employée alors par le CEMAT au cours de son discours de clôture m'avait frappé. Il soulignait que le maréchal était avant tout un officier qui travaillait... Et il faisait de son "coup d'oeil", une intuition qui était la rémanence de la chose apprise et méditée.

Bien cordialement

égéa : je pense que vous avez tout doit, y compris sur la plupart des sources de l'inspiration

2. Le samedi 11 décembre 2010, 20:55 par

L’intuition est rationnelle. Cette affirmation d’entrée est un paradoxe qui est là pour attirer l’attention du lecteur. Mais rapidement l’affirmation n’est plus un paradoxe grâce aux explications qui suivent.

Ma réflexion à ce sujet s’est appuyée il y a quelques années sur ce qu’écrivait le Colonel François Lecointre au sujet du stress au combat. Son texte avait été mis en ligne par François Duran mais le texte a malheureusement disparu http://cozop.com/francois_duran/le_...
Je le cite de mémoire, certain d’en conserver l’idée sinon la forme : « raconter une situation d’urgence alors que l’événement est terminé, c’est une narration qui présente un risque de déformation involontaire parce qu’on donne de la rationalité à une suite de décisions que l’on a prises intuitivement, presque sans réfléchir. »

Ma sympathie pour François Lecointre (pensez : il a commandé la Première du Grand Trois, il est le Capitaine de Vrbanja 1995) ne m’empêche pas d’analyser différemment la prétendue « irrationalité » de l’intuition. Après l’événement l’on explique facilement la suite des décisions prises intuitivement parce que l’intuition est un raisonnement instantané, si rapide qu’on n’a pas conscience de son déroulement. Rapide et même fulgurant, le raisonnement est pourtant bien là : on n’imagine pas de quelle vitesse le cerveau est capable en situation d’urgence. Lorsque les circonstances pressent, la première intuition est « si je tarde à décider, ça va devenir ingérable ».

L’on a tous connu, pas seulement « à la guerre », des situations d’urgence où il fallait décider vite parce qu’un incident imprévu pouvait se transformer en accident. Ceci arrive parfois sur la route et dans des sports que l’on a coutume de qualifier « extrêmes » alors qu’ils sont seulement des activités que l’on ne peut matériellement pas interrompre en cours d’action : par exemple on interrompt sans délai une partie de tennis, on n’interrompt pas un saut en parachute après passage de la porte, ni une plongée profonde qui nécessite des paliers. Dans ces environnements lorsqu’un incident doit être traité d’urgence, c’est l’intuition qui prend les décisions. Par la suite, au débriefing (qu’il ne faut jamais oublier de faire, même uniquement pour soi-même si l’on était seul), on ne parlera probablement pas d’intuition mais de « réflexe », parfois de « chance », termes qui éliminent toute idée de réflexion. C’est pourtant bien une réflexion, instantanée mais rationnelle mais inconsciente, qui a guidé la décision instantanée.

La faiblesse de ce processus de décision, c’est que le raisonnement n’est pas formulé parce qu’on n’a pas le temps : de ce fait il n’est pas vérifié (la logique a besoin du « logos »). Mais qu’on y réfléchisse plus tard (débriefing et donc logos) la rationalité de l’intuition apparaît. Ceci se retrouve dans des formules célèbres : « la chance, ça se mérite » (Napoléon) ; « le hasard ne favorise que les esprits préparés » (Louis Pasteur).
.

La préparation justement. Ce qui peut entraver la rationalité de l’intuition, c’est l’émotion : la peur, le plus souvent, parfois la surprise. C’est pourquoi il importe de se préparer à réfléchir clairement dans des conditions dites « extrêmes ». Voici deux exemples qui tiennent compte de cette donnée.

Le brevet de plongée profonde comporte une série de questions simples posées au candidat à 80m de profondeur sur une ardoise qui permet d’écrire dans l’eau ; le cerveau du candidat subit la pression au sens physique du terme, les réponses sont souvent insensées mais il n’en prend conscience qu’après retour à la surface.

Le concours d’entrée à l’Ecole d’état-major naguère et peut-être encore maintenant, je ne sais pas : les épreuves intellectuelles (fiche de synthèse, description de carte, questions d’actualité en rafale chronométrée…) commençaient à sept heures du matin après une marche de vingt kilomètres commencée à deux heures du matin et obligatoirement finie avant six heures du mat’. Les organisateurs de ce concours pensaient certainement, comme je le crois moi-même, qu’il faut être préparé à prendre des bonnes décisions dans l’urgence, c’est-à-dire à rester rationnel en toute circonstance, en dépit de l’urgence, de la fatigue, de la peur. Oui : être chef, ça s’apprend.

3. Le samedi 11 décembre 2010, 20:55 par

Bonjour,

Je me permets d’entrer dans le débat sur la contradiction qui consiste à vouloir intégrer l’intuition, le coup d’œil ou l’occasion dans le processus de décision. Etre chef ça s’apprend, et l’intuition, ça se travaille. Sauf que…

Soit le chef (qui a mandat pour l’être parce que les autres font confiance en ses capacités) perçoit précocement des signaux faibles et décide en conséquence, sur leur seul fondement, en se contentant de cette seule information qu’il sait parcellaire et incomplète, quand bien même elle serait contradictoire au modèle. (Après, il y a le débat philosophique de savoir si le chef est celui qui perçoit à l’avance ce que va devenir un monde déjà prédéterminé, ou si au contraire il use de son don pour influer le cours des choses).

Soit au contraire il met les signaux faibles en « input » additionnels dans le processus de décision et les noie dans la masse, et ça ne sert à rien qu’à amodier le modèle. Mais on ne peut pas faire les deux, par principe. D’autant que la rapidité est l’élément premier de la décision. (Autre débat philosophique : comme il est dit dans un commentaire, l’intuition est le stade ultime de la rationalité, c’est « l’inéïté intuitive » dont parle Victor Hugo. Mais de ce fait elle échappe à tout modèle quelqu’il soit qui est sous-déterminé. Elle est toujours explicable après-coup, elle n’est jamais anticipable par un modèle, si complet se croit-il).

Or notre modèle otanisé d’importation US est non seulement celui du modèle mais de l’impossibilité absolue de le remettre en cause. Forcément, il se croit sur-déterminant, totalisant et explicatif de toute chose (dans le dictionnaire, ça correspond à un mot précis : totalitaire) : c’est cet orgueil prométhéen qui est en train de nous faire sombrer. Il est rigoureusement impossible de le faire cohabiter avec l’intuition, la prise en compte de signaux faibles, etc. On sait les difficultés qu’ont eu de tous temps les rares généraux américains qui marchaient au doigt mouillé, c’est-à-dire qui « surfaient » sur leurs intuitions à partir d’une solide culture historique éprouvée mais réfutable au cas où. Patton en est l’exemple le plus connu.

Donc il faut faire un choix : soit la culture et la tradition militaire européenne, de Machiavel à Foch en passant par Clausewitz, soit l’importation d’un modèle contraire à nos valeurs. L’Europe et la France récemment ont choisi la greffe : elle n’a aucune chance de prendre, et le temps que le mouvement soit inversé, les défaites vont s’ajouter aux échecs. Ca s’appelle perdre dix ans. Tant pis pour nous, tant mieux dans l’intervalle pour les chefs talibans et quelques autres qui, eux, fonctionnent au doigt mouillé.

Immarigeon

4. Le samedi 11 décembre 2010, 20:55 par Jean-Pierre Gambotti

Je suis d’accord avec Christophe Richard, mais ce qui m’intéresse aussi dans le « coup d’œil » clausewitzien, c’est précisément le processus intellectuel qui mène à la décision. Va pour « intuition » dans l’oxymore que vous proposez, intuition comme rémanence de la chose apprise et méditée, mais, je le répète, je la pense, cette « intuition », trop synonyme « d’instinct » pour ne pas imaginer que certains pourraient être confirmés dans l’idée du chef comme être d’exception et quelque peu élu.
Par l’image de l’anamorphose que je propose, je veux dire que la décision ressortit aussi au procédé, que c’est une techné. Et que décider s’apprend. Qu’il s’agit de trouver la clef qui donnera à la problématique parcellisée de la guerre à conduire que nous donne l’analyse, une cohérence, une unité, un sens.
Un simple « coup d’œil », à l’Anamorphose cylindrique, station de métro, Saint-Germain des Près, vaut mieux que tous mes discours obscurs!
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

5. Le samedi 11 décembre 2010, 20:55 par Aurel

A mettre en relation aussi avec "star ship troopers" de Heinlein (le livre bien sur) qui évoque aussi cet apprentissage de la fonction d'officier. Avec notamment l'obligation pour un officier d'avoir été "au feu", en opposition avec saint cyr et west point.
Autre exemple dans "fort navajo" avec Blueberry qui est devenu officier pendant la guerre et l'autre qui est officier de l'école. Blueberry malgré son manque "d'érudition" est le plus compétent
C'est la grande différence entre le savoir et la connaissance.

6. Le samedi 11 décembre 2010, 20:55 par Jean-Pierre Gambotti

La prose exubérante et passionnée d’Immarigeon m’enthousiasmerait si j’étais d’accord avec la totalité de son discours.
Deux remarques.
-D’abord la décision à la guerre se fait autant dans l’urgence que dans le différé. Même sur un théâtre d’opérations, dans l’action, existent concomitamment une planification chaude et une planification froide. En conséquence le chef qui conçoit, décide et conduit les opérations sur Bucéphale n’est pas un exemple fréquent, même dans la province de Bactriane qui a vu pourtant passer Alexandre la décision est souvent le dernier acte d’un raisonnement stratégique issu de la méthode. De surcroît je pense que l’état-major, quel que soit le degré d’urgence, prend toujours en considération les signaux faibles dans ses réflexions, ils sont essentiels pour les conclusions partielles proposées au chef. Néanmoins, contrairement à ce qui est souvent avancé, le chef ne peut méconnaître les considérants de la réflexion menée par l’état-major, une décision fondée nécessite la prise en compte des signaux faibles par exemple, mais de bien d’autres éléments, ne s’appuyer que sur des synthèses, aussi pertinentes soient-elles, est insuffisant.
-Ensuite, je ne comprends pas la contradiction qui existerait entre la culture militaire européenne et le modèle américain. Clausewitz et Jomini, théoriciens de Napoléon, ont traversé l’Atlantique au XIXème siècle et sont rentrés en Europe dans les cantines américaines avec l'OTAN. Pendant cette migration, notre école de pensée française a assimilé Clausewitz et si j’osais, je dirais que Foch en est un délicat épigone et peut-être même un subtil plagiaire. D’évidence chacune des écoles, a évolué de part et d’autre de l’Atlantique, mais la méthode de raisonnement des opérations franco-otanienne actuelle est une synthèse qui n’obère pas, à mon sens, la logique française.
Personnellement je me réjouis de la réintégration de De la guerre dans notre corpus stratégique, le « penser la guerre » de Foch passe par Clausewitz, et pour l’heure la meilleure méthode de raisonnement des opérations est à mon avis le GOP/MPO.
Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

7. Le samedi 11 décembre 2010, 20:55 par

L’un des aspects intéressants du débat que l’on vient de voir se développer ci-dessus, c’est son évolution : l’on est parti du « coup d’œil à la guerre », l’on est passé par Clausewitz et l’on en est maintenant au GOP/MOP (Guidelines for Operationnal Planning / Méthode de Planification des Opérations) dont les lecteurs de ce blog savent ce que c’est depuis le 7 septembre dernier grâce à JPG : http://www.egeablog.net/dotclear/in... .

L’évolution du débat s’explique peut-être par la question initiale que le Maître du blog formulait (comment le chef prend-il une décision ?) en ne précisant pas de quel niveau de chef on parlait : décurion, centurion ou millurion (pour ce grade-ci, je ne fais que citer Obelix, le livreur de menhirs bien connu).

Si l’on parle de coup d’œil, on se situe au niveau du chef qui voit le terrain, l’action, l’ennemi (je reviendrai plus loin à la notion de « coup d’œil de l’esprit »). De ce fait il faut tempérer les références historiques : il y a deux siècles, les Maréchaux et l’Empereur voyaient le terrain (du moins à partir de dix heures du matin le 2 décembre 1805). Aujourd’hui, le plus haut grade qui voit le terrain et capte par lui-même l’ambiance de l’action (les « signaux faibles ») c’est le capitaine des armes de mêlée (infanterie, cavalerie). Dans des cas très particuliers et rares, le terrain est vu et l’ambiance est encore captée par les chefs de ces bataillons que l’on nomme GTIA (groupement tactique interarmes).

Au-dessus de ces grades, le chef dispose d’une représentation du terrain, de l’action et de l’ennemi qui est donnée seulement par la carte, les rapports que font les capitaines par radio, les infos données par les spécialistes du renseignement et, je suppose, par les drones. De nos jours le métier de l’officier supérieur ou général est devenu abstrait et n’est pas le même métier que celui du sergent (décurion), du capitaine (centurion) ni que celui de Napoléon et des Maréchaux d’Empire.

C’est pourquoi, lorsqu’on parle de prise de décision, il faut d’abord fixer de quel métier l’on parle pour être sûr de parler de la même chose. Il le faut d’autant plus que l’armée américaine envahit de plus en plus nos esprits en passant par Clausewitz et autres références d’origine européenne mais américanisées (la COIN, Galula, …). Or la faiblesse des petits échelons de commandement (dit aussi « encadrement de contact ») de cette armée américaine est notoire, compensée par la puissance de feu et le shoot’em all. Au contraire dans l’armée française, et probablement aussi dans d’autres armées d’Europe, la qualité de l’encadrement de contact est l’élément déterminant de l’efficacité et de la modération des feux.

Tel est ce qui motive le présent commentaire, mon deuxième commentaire sur le sujet : en cédant à l’américanisme, nous risquons de perdre notre principale qualité. Dans ce débat sur le coup d’œil, on est passé par Clausewitz pour arriver aux Guidelines for Operationnal Planning. C’est plus que regrettable : dangereux.

8. Le samedi 11 décembre 2010, 20:55 par Jean-Pierre Gambotti

Doit-on avoir peur du GOP ?
Si je connaissais le concepteur et artisan de la MRT je lancerais une campagne pour qu’un amphithéâtre de l’Ecole militaire porte son nom. Peut-être même une cour, car je suis un admirateur et un thuriféraire de cette méthode, j’ai d’ailleurs fait l’éloge de l’effet majeur dans plusieurs articles publiées dans une revue officielle de notre armée de terre. Mais c’est une méthode de niveau tactique et personne ne peut défendre qu’elle soit transposable au niveau stratégique.
Puis-je rappeler, sans nostalgie, à Yves Cadiou, qu’avant le GOP/MPO nos planificateurs interarmées utilisaient un outil complexe, la Méthode d’appréciation de situation, dont j’ai toujours douté de l’interopérabilité et qui était de surcroît incompatible avec les méthodes d’armées.
Sans vouloir être le moins du monde provocateur, je dirai que la vérité est venue par les faits, c'est-à-dire par les engagements en coalition de niveau stratégico-opératif et l’impérieuse nécessité de concevoir et de conduire les opérations en commun.
Avons-nous sacrifié notre « french touch », cette culture de l’effet à obtenir sur l’ennemi, plutôt que celle du point culminant et du centre de gravité ? Je ne le pense pas.
Quand « enfin le GOP vint », nous avons appris simplement à raisonner la guerre, je veux dire que nous avons enfin pu faire vraiment de la stratégie, c'est-à-dire « combiner les différentes batailles qui composent la guerre en vue d’atteindre le but de la campagne et celui de la guerre », selon la formule de Clausewitz.
Et pour tenter de rassurer les tenants de la théorie de la domination du noos militaire français par le truchement de cet algorithme américain qu’est le GOP, je répéterai que c’est notre « dieu de la guerre » corse qui est tout entier dans cette méthode !
Et pour convaincre, si c’était encore possible ces contempteurs de cet outil universel, je citerai deux extraits d’un excellent ouvrage collectif rédigé sous la direction d’Edward Mead Earle, "Les maîtres de la stratégie" volume 1, Champs Flammarion ( l’édition en anglais date de 1943 !).
« On peut dire que Jomini, avec Clausewitz qu’il précède à peine, fit pour l’étude la guerre un peu ce que fit Adam Smith pour l’étude de l’économie. Tout comme il y eut des livres importants sur l’économie avant la parution de "La richesse des nations en 1776", il existait également des ouvrages notables sur la guerre avant la publication des premiers volumes du "Traité des grandes opérations militaires en 1804". La plupart d’entre eux, et notamment les écrits des prédécesseurs immédiats comme Lloyd, Grimoard, Guibert, Bülow, Frédéric le Grand, étaient bien connus de Jomini qui fit fréquemment allusion à ce qu’il leur devait. Néanmoins, sa démarche systématique pour cerner les principes de la guerre l’autorise à partager avec Clausewitz le titre de cofondateur de la pensée militaire moderne. »
Et plus loin cette étonnante anecdote :
« Napoléon préparait la bataille d’Iéna. Jomini, à la fin de la conférence demanda s’il pouvait rejoindre l’empereur à Bamberg quatre jours plus tard.
« Qui vous a dit que je vais à Bamberg ? » demanda l’empereur – non sans contrariété, car il supposait que sa destination était demeurée secrète.
« La carte de l’Allemagne, sire, et vos opérations d’Ulm et Marengo. »
Et je répondrai par une question à ma question en exergue :
Comment peut-on avoir peur de perdre son âme en utilisant une méthode directement inspirée des cofondateurs de la pensée militaire moderne, stratèges et stratégistes européens, exégètes et théoriciens de Napoléon ?
Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

9. Le samedi 11 décembre 2010, 20:55 par Christophe Richard

J'abonde dans le sens du général Gambotti, la méthode ne fait qu'organiser l'intelligence collective que déploie l'état-major, qui ne peut pas se contenter d'être une juxtaposition d'intelligence individuelle.
Le but, rappelons le n'est pas d'être "brillant", mais d'être utile, c'est à dire de produire des ordres compréhensibles et exécutables à même de remplir une mission dans sa lettre comme dans son esprit!
Avec cette particularité que comme vous écrivez vous même votre mission, vous n'aurez pas l'excuse de la lettre pour excuser le manque d'esprit.

Bien cordialement

égéa : quelle belle dernière formule ! bravo !

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