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De la difficulté de communiquer sur la communication des opérations militaires par Jean-Luc Cotard

La stratégie ne peut se passer, aujourd'hui, de l'information. Le maniement de l'information devient dès lors une arme. Car autant autrefois il s'agissait de s'adresser uniquement à l'adversaire dans ce dialogue particulier qu'est la guerre, autant il s'agit désormais de "prendre en compte" un autre acteur : l'opinion publique.

Il n'y a là rien de vraiment nouveau pour le lecteur de Clausewitz. Le peuple n'est-il pas le troisième homme de la merveilleuse triade ? et si on s'interroge souvent sur les rapports entre le stratège et le politique, si on s'interroge parfois sur les rapports entre le politique et le peuple, on évoque très rarement les rapports entre le stratège et le peuple.

C'est désormais indispensable : il ne s'agit plus seulement des officiers de presse d'autrefois, mais d'une dimension particulière, un milieu distinct des milieux connus (terre, air, mer, spatial, ...). La stratégie s'y développe donc. Là encore, il faut distinguer deux types de stratégie : la stratégie civile, celle de "comm", professionnelle. Et la stratégie militaire qui s'y ajoute. Les deux portent le même nom, et pourtant elles sont distinctes. C'est ce qu'oublient souvent les plus brillants chefs militaires, qui ne croient voir que la stratégie de comm, sans comprendre qu'il y a aussi une stratégie militaire à avoir. Qu'il faut la penser et qu'elle mobilise les ressources de leur esprit. Et que le grand stratège, dans les conflits modernes, ne s'occupe pas seulement de tactique, mais aussi des appuis, de la log, de l'environnement civil, et de la communication. Qui n'est pas une affaire de bateleur qui vont s'agiter devant les journalistes pour se faire voir, mais les instruments du combat, à qui on demande des "effets à obtenir".

L'article ci-dessous, écrit par Jean-Luc Cotard, un colonel parti dans le civil, est paru récemment dans la revue "Inflexions" (voir ici). Il vaut le détour en ce qu'il illustre parfaitement cette distinction entre les deux stratégies. Merci à lui.

O. Kempf

De la difficulté de communiquer sur la communication des opérations militaires par Jean-Luc Cotard

Parler d’opinion publique dans une revue inspirée par l’armée de terre conduit naturellement à se demander comment le ministère de la Défense aborde ses relations avec elle. Inflexions aurait pu demander à un historien d’aborder le sujet en étudiant l’importance de l’opinion publique dans le déroulement d’opérations passées telles que celles d’Indochine ou d’Algérie, en insistant peut-être sur l’importance que les militaires attachent au soutien de leurs concitoyens. Elle a préféré demander à la Délégation à l’information et à la communication de la défense (DICoD) d’aborder le sujet en étudiant un cas concret qui permettrait de mettre en évidence le travail de pédagogie du ministère au profit de l’opinion publique.

L’article signé par le colonel Klotz, chef du département Stratégie de la DICoD présente un grand intérêt. Il traite un sujet ardu, celui de la communication qui cherche à obtenir le soutien de l’opinion publique sur les opérations, et plus particulièrement sur les opérations menées en Afghanistan. Ardu, le sujet l’est en raison de la difficulté à décrire des actions qui subissent des effets perturbateurs fréquents et imprévisibles. Nous approchons d’un domaine dans lequel la science n’est pas exacte. Ardu, il l’est aussi parce qu’il cherche à décrire des actions en cours et que l’auteur ne peut tout dire sans aller à l’encontre de l’objectif recherché.

Partant d’une comparaison entre la perception que les Français avaient de l’engagement des troupes françaises en 2001 et celle qui prévaut après l’embuscade d’Uzbeen, à l’été 2008, il montre comment le ministère de la Défense cherche à améliorer la compréhension de l’opinion publique française sur le sujet afin de fournir un soutien stable à l’intervention militaire lointaine, tant du point de vue de la géographie que de celui des préoccupations quotidiennes. Donc en fonction des attentes, les communicants de la Défense cherchent à satisfaire leurs concitoyens en terme d’information, de témoignages. La stratégie retenue est à la fois indirecte, passant par les élus qui pourront mieux comprendre les enjeux des débats sur le sujet, mais qui pourront aussi expliquer à leurs électeurs le pourquoi de l’engagement français si loin des frontières, et plus directe avec l’organisation de voyages de presse ou la mise à disposition d’images. Elle est décrite comme volontairement proactive. L’objectif et de faire comprendre « pourquoi la France s’engage » mais aussi comment. Il s’agit ainsi de « contrer l’élan de l’insurrection et le discours des extrémistes par l’accroissement de la production média apportant les preuves des progrès accomplis ». Le colonel Klotz peut alors détailler les outils de communication et de travail mis en place dans cette perspective.

Alors en quoi cet article est-il intéressant ? Il serait trop facile de dire qu’il fleure bon l’autosatisfaction, voire la langue de bois, que l’auteur est trop timide dans l’analyse du travail de son service. L’exercice est au contraire très riche dans la mesure où, en creux, sans critique aucune, le colonel Klotz fait ressortir, peut-être involontairement, toute la difficulté à parler d’une opération de communication en cours. Il évite de mettre en avant les écueils rencontrés, de critiquer ses prédécesseurs, de porter des attaques à l’égard d’acteurs, militaires ou civils, de cette communication qualifiée de globale, qui n’auraient pas rempli leur rôle. Il est en revanche possible de relire le texte en mettant en exergue quelques non dits ou des manques de précision, puis en analysant la stratégie de communication telle qu’elle est présentée.

Les non dits et les imprécisions

Cet article est très court, trop court certainement. Forcément non-dits et imprécisions apparaissent rapidement. Il convient en premier lieu d’aborder la contradiction entre le titre, qui parle d’un exemple de communication proactive, et le contexte brossé en introduction. Ce dernier montre que le ministère de la Défense réagit à la rupture de perception que fait naître l’embuscade d’Uzbeen. Il apparaît clairement que ce n’est qu’en réaction que la DICoD établit une stratégie de communication. La description et l’énumération d’actions suffisamment novatrices pour qu’elles fassent l’objet d’une satisfaction telle que cette dernière mérite d’être rendue publique, ne peut aller contre cette analyse.

Cette rupture est celle de l’image que les Français avaient de leur armée. La guerre en ex-Yougoslavie, et même les conflits en Afrique, avaient donné aux Français l’idée qu’un soldat de la paix ne combat pas, et donc ne peut mourir dans une action guerrière. Le danger avait été depuis longtemps perçu dans l’armée de terre qui, depuis les événements de Bouaké en 2004, avait infléchi son discours général sur le sujet, notamment au cours de ses campagnes de recrutement. Mais le grand public n’avait pas encore visiblement cette perception. Brusquement les soldats en Afghanistan, leur équipement, voire la politique menée par la France dans ce pays lointain font la une des journaux. Le colonel Klotz parle même d’une « vague de critiques » qui « génère une baisse supplémentaire de l’adhésion des Français à cette opération ». Cette rupture d’image est évoquée comme point de départ de la « communication institutionnelle proactive », mais l’auteur ne s’appesantit pas dessus. L’inquiétude des autorités de l’armée de terre après Bouaké montrait pourtant que cette rupture pouvait était une crainte. Pouvait-on l’éviter ? Peut-on facilement éviter ce que l’on prévoit dans ce domaine ? Sans trop entrer dans le détail, le colonel Klotz aurait peut-être pu évoquer la question.

De façon générale, insister sur le fait qu’à partir des événements d’Uzbeen, la DICoD a mené des actions pour faire comprendre aux Français le rôle de leur pays en Afghanistan, ne reviendrait-il pas à dire que rien n’avait été fait auparavant ? Il manque par ailleurs quelques éléments chiffrés pour expliquer les conséquences de cette rupture, que ce soit en termes de recrutement ou autre. Pourquoi déclare-t-il : « A ce jour, la courbe de l’opinion n’est pas remontée. Elle est toutefois stabilisée » ? Depuis quand est-elle stabilisée ? L’action menée depuis donne-t-elle effectivement satisfaction ? Ceci est d’autant plus dommage que la DICoD possède, de façon autonome mais aussi en liaison avec le service d’information du gouvernement (SIG), de suffisamment d’outils pour donner des tendances.

Implicitement, le colonel Klotz explique aussi que nombreux sont les interlocuteurs, hommes politiques ou journalistes, qui ne connaissent pas les contraintes du métier de soldat et plus particulièrement celle du combat qui n’est en rien une science exacte . S’il cherche selon ses termes à « informer plutôt qu’à séduire », peut-être devrait-il employer les termes de former plutôt que celui d’informer. Car dans ce cas nous ne sommes plus dans le problème particulier de la communication sur les actions menées par la France en Afghanistan, mais bien dans celui plus vaste de formation des élites et des journalistes sur la chose militaire. En revanche, il est intéressant de noter que l’article parle d’une multiplication des reportages sur le terrain, alors que certains journalistes spécialisés se plaignent de restrictions depuis l’enlèvement de deux journalistes de France 3 .

En lisant ce texte, il est possible de voir qu’incidemment l’opinion publique, qui est l’objet du numéro d’Inflexions et dont le début de l’article semble se préoccuper, se transforme en leaders d’opinion, journalistes ou hommes politiques. Ce glissement, qui n’est pas surprenant en soi, se retrouve aussi dans les propos très légitimes d’Hervé Morin, ministre de la Défense, lorsque ce dernier déclare à l’Assemblée nationale en septembre 2008 : « Nos soldats ont besoin de sentir la nation derrière eux. À travers ce débat avec vote du Parlement, tous les Français seront informés sur la nécessité de notre engagement militaire en Afghanistan, où se joue en partie notre propre sécurité . » Pour convaincre les Français, il faut passer par la représentation nationale et les journalistes. Cela suffit-il ? En province, les élus qui ont été choisis par leurs pairs pour être « correspondant défense » reçoivent des documents de la DICoD. Ils assistent parfois à des réunions au cours desquelles ils peuvent entendre le témoignage de « vétérans » . Cela suffit-il pour qu’ils diffusent l’information en leur possession ?

Dès lors que se pose la question de savoir qui il faut effectivement informer, se pose celle de l’organisation et de la stratégie de communication.

L’élaboration de la communication

Le premier titre de paragraphe affiche la stratégie. Elle est globale pour toucher l’opinion publique. Mais les explications sont confuses. La globalité semble dans un premier temps se résumer à une action d’ampleur du ministère : « C’est une opération lointaine qui nécessite une communication globale de la part du ministère. » Est-ce la géographie qui impose la stratégie globale ou bien les enjeux ? Sur quels plans ceux-ci se situent-ils ? Au plan politique ou au plan militaire ? Au plan politique, on pourrait voir un désaveu de l’action menée par le président de la République et de son gouvernement ; au plan militaire, une perte de soutien de l’opinion publique à l’opération. Certes l’« adversaire (…) cherche (…) à affaiblir l’adhésion des Français à l’engagement des armées. (…) Il n’y a pas de soutien stable à une intervention militaire qui ne s’appuie sur une bonne compréhension par l’opinion publique ». Mais l’enjeu est bien la crédibilité de l’action de la France en Afghanistan, et cette action ne se résume pas à la seule présence militaire. C’est pour cela qu’elle doit être globale. Les explications données le sont de façon claire.

Mais la notion de globalité pose un autre problème. Cette globalité de la communication est-elle nécessaire seulement pour le cas de l’Afghanistan, ou bien doit-elle être mise aussi en relation avec la communication des autres théâtres ? Pour le seul aspect militaire des choses, le fait que la rupture de perception de l’action des soldats français ait eu lieu dans à propos de ce pays ne préjuge pas d’une extension du problème à d’autres théâtres. Quid alors de l’image des armées ? Quid des conséquences en terme de recrutement d’efficacité… ? Il est dommage que l’article ne donne pas quelques pistes de réflexion sur ce sujet.

Le lecteur comprend que la globalité des enjeux dépasse largement les seuls intérêts du ministère de la Défense et que ce dernier s’associe au ministère des Affaires étrangères pour rendre cohérent le discours des autorités qu’elles soient politiques ou administratives, civiles ou militaires. Incidemment, on le lecteur se demande pourquoi ce travail interministériel apparaît novateur. Par ailleurs réduire le travail interministériel à deux départements n’est-il pas source de problèmes ultérieurs ? Quel est le rôle du SIG dans le dispositif ? Comment se règlent les éventuels litiges, en termes de communication, entre les deux ministères ? Peut-être aurait-il été intéressant d’avoir sur cette action le point de vue du Quai d’Orsay. A moins que la prise de parole de la DICoD sur le sujet dans la revue Inflexions ne montre qui est la véritable tête du binôme. Peut-être n’est-il pas bon de le souligner.

De la même façon comment, au sein du ministère de la Défense, la communication sur ce sujet s’organise-t-elle ? Existe-t-il une répartition des rôles particulière? Quelle est la part de la cellule communication de l’état-major des armées (EMA Com), des services d’information et de relations publiques de chacune des armées (SIRPA) alors que l’on parle d’opérations. Mais parler de globalité de la communication, c’est aussi faire en sorte que les messages soient relayés en dehors du périmètre tracé par le périphérique. Rien de tout cela n’est expliqué dans l’article. Le travail de relais en province des messages élaborés à Paris est une tâche ardue étant donnés les centres d’intérêt locaux. Inversement, l’excellent travail des documentaristes régionaux n’est pas toujours repris au plan national . Tout cela n’est pas évoqué, peut-être en raison des discussions qui ont lieu en ce moment pour savoir comment organiser la structure de communication future sera organisée. La globalité veut dire que l’on cherche à convaincre tous les publics. Les leaders d’opinion, mais aussi les acteurs et les observateurs étrangers dont les analyses pourront peut-être être reprises par nos propres journalistes. C’est en cela qu’il est possible de caractériser la stratégie définie comme indirecte.

L’objectif est la compréhension de l’action en Afghanistan par l’opinion publique. C’est pour cela que les acteurs militaires sur le théâtre doivent être convaincus des buts à atteindre en matière de communication. Ce n’est pas un hasard si Terre information magazine, par exemple, décide de préparer une rubrique livres spécial Afghanistan dès avril 2010. Nous touchons ici l’importance du principe de cohérence, essentiel à toute action de communication laquelle ne peut se contenter de vivre pour elle-même.

Il est dommage que l’idée de globalité ne soit pas mieux expliquée dans l’article. Elle donne plutôt l’impression, telle qu’elle est présentée, d’une juxtaposition d’actions qui partent dans tous les sens, ce qui est à l’opposé de ce que sait faire la DICoD quand on la pour qui la connaît de l’intérieur.

Après la notion de globalité, celle de pro-activité est avancée pour montrer en quoi la démarche présentée est novatrice. La contradiction évoquée plus haut sur le sujet ne doit pas être oubliée. Malheureusement, pour qui a l’habitude du travail des communicants en opération ou en métropole, il n’y a rien de nouveau en ce domaine. Alors pourquoi mettre en exergue ce mot ? Par effet de mode, ou parce qu’il faut se convaincre qu’on ne subit pas ?

Après le style et le périmètre d’action, il convient de parler des objectifs à atteindre. En fait, ceux-ci sont d’abord esquissés en introduction puis clairement affirmés presque en fin d’article : il faut faire comprendre « pourquoi la France s’engage » mais aussi « contrer l’élan de l’insurrection et le discours des extrémistes ». Néanmoins apparaît comme une sorte de frustration : aucune échéance, aucune étape intermédiaire ou critère de réussite n’est évoqué. La stabilisation de la courbe de l’opinion dont les caractéristiques n’ont pas été explicitées en fait-elle partie ? Mais l’auteur peut-il vraiment faire autrement ? Fournir ces éléments serait donner à un adversaire politique ou à un ennemi les moyens de choisir à moindre frais, les points d’application de son effort.

Un bon tiers de l’article est enfin consacré à la description d’une plaquette qui synthétise le discours et permet de définir un peu plus précisément les « cibles » de la communication globale. Cependant, à insister sur cet objet, l’auteur donne l’impression que le moyen est plus important que la fin. Au point de donner l’impression que sa réalisation a présenté des difficultés de coordination avec les Affaires étrangères. L’accueil favorable qui lui a été réservé par la suite est considéré comme une victoire. Cela en dit long sur la facilité du travail interministériel ! Mais il ne faudrait pas que le travail de la DICoD puisse être simplement perçu comme celui de rédacteur de plaquettes, quelque soit la valeur ajoutée de ces documents. Il est vrai qu’il existait un réel besoin de supports de référence. Qu’on le veuille ou non, les outils de bureautique contemporains ne facilitent pas toujours la recherche d’information lorsque l’on doit préparer une entrevue avec des autorités étrangères ou non. L’argumentaire régulièrement mis à jour et diffusé par messagerie permet, cependant, une grande souplesse et une grande réactivité. Il est moins facilement frappé d’obsolescence qu’une plaquette. En revanche, la réduction la contribution communication de la France aux besoins croissants de l’OTAN en la matière à cette seule plaquette surprend… afflige.

En fait, le lecteur de l’article apprend fort peu de chose sur les mécanismes intellectuels qui ont permis de travailler sur une stratégie de communication adaptée à la situation afghane. Tout au plus, comprend-il que le travail commence avec des sondages et qu’il se poursuit, de façon très classique, par une étude des besoins des publics à convaincre. Il est aussi possible de mettre en exergue de nouveaux outils avec l’accroissement de l’emploi d’équipe images de la Défense qui mettent à disposition des journalistes, mais aussi des sites internet du ministère, de courts reportages. Cet emploi n’est pas nouveau puisqu’il a été utilisé en 2006 en Côte d’Ivoire et en 2008 au Kosovo. L’intérêt n’est pas toujours l’information immédiate, mais un témoignage sur les méthodes de travail des unités à un instant donné. L’intention est alors de fournir si besoin des illustrations pour des reportages ultérieurs, voire même des preuves qui ne seront, de toute façon, jamais meilleures que celles produites par des tiers. Nous abordons alors le principe de la continuité de l’action de communication.

Malgré tout ses efforts, le colonel Klotz n’arrive pas à expliquer de façon convaincante pourquoi la stratégie de communication adoptée est bien constitutive de l’information et pas du tout de la propagande dont les armées sont régulièrement accusées. Pourtant, tous les éléments se trouvent dans l’article. En effet, les efforts dans les actions classiques d’information quels que soient les publics, l’effort d’information dans la durée, malgré tous les accidents qui peuvent se produire, malgré les récriminations des uns et des autres , donnent une cohérence certaine au travail de la France en Afghanistan. Tous les outils y contribuent, en plus de l’action des Français sur le théâtre. Car rien ne serait pire qu’une communication disant l’inverse de ce qu’il est possible d’observer sur le terrain.

Qu’on le veuille ou non, qu’on le regrette ou non, le colonel Klotz ne pouvait pas et ne devait pas tout dire de la stratégie de communication adoptée sur la proposition de son service, qu’il s’agisse de la réflexion ou des méthodes de travail. Mais après tout, malgré les critiques formulées plus haut, il fait parler de la communication sur l’Afghanistan et de l’art de la communication en général. Il martèle ses messages en décrivant la plaquette. Il essaie d’éviter les plaintes et les jérémiades, mais, ce faisant, par ellipse, les met involontairement en valeur quelques difficultés. Il faut reconnaître que les conditions pour rédiger cet article n’étaient pas les meilleures pour l’auteur.

D’une façon générale, il est très difficile pour un communicant d’expliquer ce qu’il fait. Il apprend en effet très tôt que tout le monde pense forcément savoir communiquer et que tout le monde a forcément d’excellentes idées sur ce qu’il conviendrait de faire . Celles-ci sont d’ailleurs d’autant plus nombreuses que les personnes qui les émettent n’ont pas la responsabilité de la communication ou de la stratégie dont elle découle logiquement. Enfin, il sait que commencer à expliquer ce que l’on fait, c’est déjà s’exposer ou faire apparaître des éléments d’organisation, des objectifs ou des modes d’action qu’il n’aimerait guère, lui ou ses supérieurs, voir commenter pour cause d’« opération» en cours. Pour un communicant, surtout de la Défense, la transparence à tout prix est un piège dans lequel il convient d’éviter de tomber. C’est peut-être ce qui a retenu le colonel Klotz. La clarté du discours, la véracité des faits, la cohérence des actions de communication avec celle des opérations conjuguée avec l’effort sur la durée, c’est-à-dire la continuité permettent d’avoir une efficacité certaine. D’une manière générale, ces qualités peuvent caractériser la stratégie de communication du ministère et de l’État sur l’Afghanistan. Elles auraient pu être utilement présentées dans l’article que nous avons étudié. Mais l’exercice est, malgré tout suffisamment réussi pour permettre de mettre en valeur le changement définitif (?) de dimension de la communication autour des opérations. __ J.-L. Cotard__

Commentaires

1. Le jeudi 23 décembre 2010, 21:29 par Jean-Pierre Gambotti

Nous ne savons pas quand nous quitterons l’Afghanistan, mais ce que nous savons c’est que nous partirons défaits. Je ne suis pas Cassandre, mais la presse, en bon haruspice, interprète tous les jours la tripaille de poulet et annonce avec obstination la défaite de la coalition. Or nous savons depuis Qadesh, et Olivier Kempf nous l’a rappelé récemment, que les guerres se gagnent aussi par le logos. Aussi perdrons-nous cette guerre, non pas parce que nous nous n’aurons pas atteint l’état final recherché, mais parce que l’opinion publique sera convaincue que l’insurrection a gagné.
Cette assertion semble d’un simplisme irritant, et même d’un défaitisme déplaisant, mais je crains que nous ne soyons sur cette trajectoire du vainqueur-vaincu parce que nous ne maîtrisons pas les opérations d’information.
Je me refuse à parler de « stratégie de communication », car cette expression laisse penser qu’il s’agit d’un domaine autonome de la guerre, or le principe d’unicité de la manœuvre exige la convergence des efforts vers un objectif unique fixé dans le concept d’opérations du commandant de théâtre ou du commandant en chef. La communication comme les autres domaines doit concevoir sa manœuvre dans le but de concourir à la réalisation de l’effet majeur, elle n’a d’efficacité que si elle ajoute ses capacités à l’action commune sur le centre de gravité adverse. Pour ce faire les responsables de la communication doivent élaborer et conduire les opérations d’information. Sur l’ennemi et à destination des amis, mais toujours dans le respect absolu de l’idée de manœuvre du Plan d’opérations et plus généralement des directives nationales.
Mais je ne méconnais pas la difficulté d’expliquer la guerre à ceux qui estiment toujours, malgré leur inculture stratégique…désarmante, que c’est une affaire trop sérieuse pour en laisser la maitrise aux militaires. La vanité de certains qui prétendent expliquer la guerre aux militaires dans des pamphlets techniquement dérisoires, laisse même pantois l’officier d’état-major le mieux disposé à leur endroit. A mon sens nous faisons deux erreurs. La première c’est d’ouvrir les portes de l’IHEDN à un auditorat culturellement extravagant eu égard à nos besoins en compétences stratégiques, chacun sait que le bon niveau pour apprendre la guerre c’est le Collège interarmées de défense et sa plongée pratique dans la conception des opérations. La deuxième erreur c’est de laisser la réflexion de défense à des périphériques du métier militaire alors que la guerre exige une expertise qui appartient de facto aux opérationnels que nous sommes.
Merci pour ce nécessaire espace d’échanges et de discussions !
Bonne année géopolitique.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

égéa : j'ai plein de noms qui me viennent à l'esprit, quand vous évoquez les extravagants, surtout quand ils obtiennent des "places" ("prestigieuses") et qu'ils appellent à renouveler la pensée stratégique....

Pour le fond : unicité de la manœuvre, oui. Mais trop souvent, les chefs militaires ne comprennent pas qu'il y a une manœuvre communicante. La difficulté n'est pas chez le pro de la comm, qui souvent fait son métier, mais dans le chef militaire généraliste, qui ne fait pas l'effort de comprendre cette dimension là de la manœuvre : c'est tellement plus important de manier VAB au coin du bois, 10 RC en arrière et, pour montrer qu'on sait gérer la complexité, les appuis des A 10 américains. Bref, le truc à l'ancienne.

2. Le jeudi 23 décembre 2010, 21:29 par

Tout à fait d’accord avec Jean-Pierre Gambotti, je veux prolonger l’argument. Les gens qui parlent de défaite sont binaires : victoire ou défaite. Concernant la présence otanienne en Afghanistan, ce n’est pas si simple.

Cette guerre présente beaucoup de nouveautés qui dépassent les analyses géopolitiques et stratégiques usuelles. D’abord parce que c’est une guerre dont on ignore quel est le résultat recherché. De ce fait, aucun résultat recherché ne sera obtenu : il y aura certes des conséquences mais pas de résultat c’est-à-dire qu’il n’y aura pas de victoire. Par un raccourci paresseux, ceux qui « interprètent tous les jours la tripaille de poulet » assimilent la non-victoire à une défaite. Au sujet de l’Afpak, du fait que personne n’est capable de dire quelle est le résultat recherché, ou plus exactement parce que depuis le début l’on présente aux opinions publiques des motifs nombreux et divers (qui sont probablement des prétextes tant ils sont changeants), il faut compléter les notions de défaite et de victoire par celles de non-victoire et de non-défaite.

Mais ce billet parle de communication : la coalition se retirera un jour d’Afghanistan comme une autre coalition (une autre mais un peu la même) s’est retirée d’Irak. A ce moment elle expliquera, comme pour l’Irak, qu’elle a accompli sa mission : il suffira pour ça que la mission soit définie a posteriori.

En fait de communication sur l’Afpak il y a un message subliminal qui passe à chaque instant sans qu’on y prête attention, émis par les USA : « Je bombarde depuis neuf ans l’Afghanistan, et maintenant le Pakistan, sans que personne dans le monde ne proteste. Les Russes et les Chinois ne protestent pas parce que ça leur donne le droit d’en faire autant où ils veulent. Les gouvernements européens ne protestent pas et même ils m’accompagnent parce que… je ne sais pas pourquoi mais je constate. Mon seul problème c’est que les pays européens sont des démocraties et que ces gentils gouvernements finissent par se faire virer même si la comm en direction des opinions publiques est bien faite. En attendant je continue parce que l’Afghanistan, c’est tous les jours ma victoire contre le reste du monde. »

Le message n’est certainement pas capté de façon aussi analytique par tout le monde mais il est au moins capté dans sa forme simplifiée : « les grands pays surarmés ont le droit de bombarder les petits pays désarmés sous n’importe quel prétexte ». Telle est la communication stratégique essentielle, mais tacite, de la présence otanienne en Afpak.

Que la France et d’autres pays d’Europe se retirent d’Afghanistan et surtout cessent de donner leur caution morale aux Etats-uniens. Alors le message subliminal ci-dessus sera périmé. Beaucoup de petits pays qui se sentent menacés par les superpuissances seront soulagés. La communication ne passe pas toujours par des communiqués.

3. Le jeudi 23 décembre 2010, 21:29 par Jean-Pierre Gambotti

Commentaire du commentaire d’egea.


Concernant l’IHEDN je crains que l’ambition de former une intelligentsia de compétence stratégique suffisamment avertie pour diffuser une culture de défense nationale ne soit pas atteinte. A lire, voir et écouter notre élite intellectuelle, beaucoup de journalistes et trop de nos élus, traiter des guerres actuelles, ne peut que me confirmer dans ce doute. Et dans cet environnement de culture stratégique étique, le communiquant militaire fait son job, communiquer. Mais « pas de culture, pas de Suisse » ou « vox clamantis in deserto …. »
Votre approche de la communication en opérations est un peu sévère. A mon sens, elle s’est toujours imposée aux chefs militaires et il est incontestable qu’aujourd’hui, dans « notre village planétaire », le medium tue plus surement, il est donc opérationnellement suicidaire de négliger l’Annexe communication du frago ! D’évidence certains chefs ont plus que d’autres d’appétence pour cette fonction opérationnelle plastique et d’une rationalité un peu fantasque, mais aucun ne peut faire l’impasse sur ce multiplicateur d’efficacité stratégique. Par ailleurs il me semble qu’ont ne peut détacher la communication de la stratégie non cinétique, je veux parler en l’occurrence de la problématique de la guerre du sens et du sens de la guerre- ce que l’Instruction 1000 osait nommer déjà « la guerre sémiotique ». Quel commandant de théâtre, ou commandant en chef, pourrait s’exonérer, dans ces guerres asymétriques où l’irrationnel de Clausewitz s’exprime dans les populations, d’expliquer le sens de sa guerre à son opinion publique et à la communauté internationale pour les conquérir et de concevoir et de conduire des manœuvres du sens pour gagner ces guerres avec l’intelligence comme système d’armes ?
Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

égéa : je crois qu'il y a là deux niveaux. Certes, expliquer la guerre à son opinion publique (guerre sémiotique ?). Est-ce la seule stratégie ? de plus , les grands chefs la pratiquent-ils avec efficacité ?

Mais aussi, deuxième niveau, utiliser la communication contre l'ennemi. Obtenir sur le terrain des effets sur l'ennemi, grâce à la communication. Voilà l'objet d'une stratégie de communication. Non pas un marketing de communication, ce  que l'on croit trop souvent,, mais un effet à atteindre, d'abord, puis l'identification des moyens pour l'atteindre. Un de ces moyens étant la comm, ce moyen étant accessoire voire, parfois (j'ai des exemples que l'on m'a contés), principal.

Disons le autrement : combien de chefs militaires souhaitent-ils obtenir des effets tactiques grâce à la comm ?

4. Le jeudi 23 décembre 2010, 21:29 par Christophe Richard

Bonsoir, sur le dernier point soulevé par EGEA, je répondrai par l'idée d'opérations psychocentrées, définies par François Géré comme des opérations peu risquées dont les résultats se prêtent à une exploitation médiatique, ces opérations se combinant avec des opérations physicocentrées, plus risquées et tenues dans une certaine confidentialité.
En y réfléchissant, c'est une représentation qui répond assez bien aux opérations menées en Afghanistan.
Le problème étant de lier les opérations d'information, menées sur le théâtre au niveau tactique et opératif, et la communication stratégique. Le maillon faible est peut-être de politico-militaire avant d'être militaire.
Bien cordialement

5. Le jeudi 23 décembre 2010, 21:29 par Jean-Pierre Gambotti

« Combien de chefs militaires souhaitent-ils obtenir des effets tactiques grâce à la communication ? »
Ma réponse est …. tous !
Mais corrigeons, ce n’est pas un « souhait » c’est une nécessité opérationnelle. Comme je l’écrivais dans mon dernier commentaire, la communication s’est toujours imposée aux chefs militaires, mais elle est déterminante dans les conflits actuels et à tous les niveaux de la guerre. Peut-être est-il nécessaire de rappeler que parmi les idées-forces qui constituent le fondement des stratégies mises en œuvre sur ces nouveaux théâtres, l’engagement de la Force dans le champ de l’information par l’utilisation d’opérations d’influence, pour faire court, est considéré comme central. Nous sommes au sein des populations et ces populations sont « le lieu du centre de gravité » des insurrections, la communication est l’indispensable outil qui met toutes les actions de la coalition en convergence.
Mais à mon tour de poser une question à egea : comment « gagner les cœurs et les esprits » sans expliciter le sens de l’action des unités de la Force sur le terrain et sans combattre le sens que veulent donner à leur action leurs adversaires ?
Je prends le risque de marteler une vérité d’évidence : la communication à la guerre est une fonction opérationnelle, elle concourt à l’atteinte de l’effet majeur, elle n’a de légitimité que dans le respect du principe d’unicité de la manœuvre.
Mais ma formation date du limes soviétique !
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

6. Le jeudi 23 décembre 2010, 21:29 par Christophe Richard

Bonjour,
Pour prolonger ces réflexions autour de la place de la communication dans les opérations, avec l'idée d'unicité de la manœuvre, j'évoquerai le concept de "mise en récit".
Il s'agit de s'emparer du sens donné aux opérations par leur mise en récit. Ce récit s'oppose à la communication de l'adversaire et se nourrit par l'interprétation des faits du champ de bataille.
Il se décline du niveau stratégique au niveau tactique.
Je crois que cette notion est particulièrement adapté aux conflits actuels où vaincre n'est pas la seule question. Il s'agit d'avantage de convaincre, y compris, l'arrière et les spectateurs.
Mais encore une fois, cela n'est possible que si le niveau politique se mobilise pour mettre en place ce récit.
La guerre ne saurait se passer de propagande, celle ci doit être adaptée au public de son temps, c'est à dire sophistiquée.
Bien cordialement

égéa : je suis tout à fait d'accord avec vous. Cette notion permettrait de faire comprendre au chef militaire qu'il ne s'agit pas seulement de "communiquer", mais de raconter une histoire : elle doit donc avoir un début, une intrigue et une fin : bref, un sens, ce qu'on appelle un effet à obtenir. On a trop évoqué la "comm" au CID ou dans d'autres instances comme le simple fait de parler aux journalistes et de convaincre, sans montrer qu'il y avait place pour la manœuvre, tout en respectant en permanence la vérité : il ne s'agit pas de travestir, mais de mettre en scène.

7. Le jeudi 23 décembre 2010, 21:29 par

L'art va être difficile de commenter sans blesser, mais je me lance et je m'excuse d'avance pour une "attaque" (de Mars évidemment) que j'espère la moins personnelle possible.

A travers cet article sur un sujet qui dépasse de loin les seules préoccupations militaires, le grand mal a encore frappé : "Le maillon faible est peut-être de politico-militaire avant d'être militaire". Si je note le "peut-être" modérateur, j'en retiens le coupable.

Il n'est pas rare d'entendre cette même critique et rengaine dans l'ensemble hétéroclite des sérails français de la pensée stratégique (virtuels ou bien réels). Et cette redondance à quelque chose de dérangeant.

Ainsi donc, pour la communication et pour beaucoup d'autres sujets qui ne se déroulent pas nominalement, cela serait encore la faute à cette articulation entre deux mondes dissociés.

Deux mondes qu'en fait, l'on ne peut dissocier si l'on reprend le maître et modèle. Cf Clausewitz : l'un EST de l'autre et non l'un et l'autre. Jean-Pierre GAMBOTTI me corrigera si je m'égare.

Il y a souvent dans ce "voilà l'ennemi" une forme d'abattement, d'autant plus qu'il est souvent émis par des têtes pensantes et bien faites issues du monde militaire. En gros, "on a beau faire de notre mieux à notre niveau (et c'est déjà pas mal et pas gagné), mais de toutes les manières cela bloquera toujours dès lors qu'il faudra passer au niveau supérieur avec cette foutue jonction pol-mil".

Olivier, je crois que finalement nous sommes vraiment loin d'avoir fait le tour de notre question sur la place des modèles en général dans l'articulation des choses et de notre modèle stratégique contemporain en particulier (qui est plaisant au moins sur le papier, moins dans sa concrétisation actuelle). J'y reviendrais.

A moins que je sois passé complétement à côtés (et c'est possible), il ne me semble pas qu'il y ait de nombreuses réflexions officielles, universitaires, nouvelles, anciennes sur cette articulation dynamique (montante-descendante) entre le militaire et le politique. Je suis preneur de toutes les pistes.

Et pourtant cela fait tout de même plusieurs décennies pour ne pas dire plus qu'elle est responsable de bien des désastres et des déconvenues. Faudra-t-il la mettre au pilori de l'Histoire? La chasser de nos mémoires et repartir sur autre chose de plus simple?

Belle utopie d'un non-praticien que je suis qui ne peut comprendre le haut degré de réalisme nécessaire tous les jours aux praticiens : "De toutes les manières, il faut agir avec ce que l'on a, comme on peut". Fermez le ban! Et c'est leur grand mérite au quotidien.

Au final mes propos fleurent bon la défaite et sont d'une imbécile banalité mais je suis persuadé qu'à force de triturer cette idée dans tous les sens, il y a bien quelque chose qui sortira de ces ruminations.

égéa : soit j'ai mal lu, soit je n'ai pas compris la même chose que toi. Pour moi, je parle d'une communication opérationnelle qui est de la seule responsabilité du chef militaire : le politique n'a pas sa place là-dedans, justement. C'est bien le sens de l'article de Cotard : la DICOD fait de la comm ministérielle, qui ne répond pas forcément aux besoins "militaires". La communication militaire a une fonction qu'il faut identifier comme "stratégique" et pas seulement "relation presse". Mais je n'ai peut-être rien pigé....

8. Le jeudi 23 décembre 2010, 21:29 par

« Cette foutue jonction pol-mil », n’est pas seulement une rengaine, elle est la clef. Ce n’est pas nouveau : elle a été brillamment décrite dans « le fil de l’épée » (1932) au chapitre « le Politique et le Soldat ». Elle est encore d’actualité, surtout lorsqu’on parle aujourd’hui de communication sur les opérations militaires.

Exemple concret : en février 2008, nous intervenons pour la Nième fois au Tchad. Nous le faisons, encore cette fois, en application des accords de 1976 qui prévoient que l’armée française fournit « une aide logistique » à l’armée tchadienne.
« Cette foutue jonction pol-mil » fait qu’on n’y envoie pas plus que d’habitude des unités logistiques mais des troupes de choc comme à chaque fois : le hasard des disponibilités fait que, cette fois encore en 2008 ce sont le 3°RIMa et le 1°REC qui sont désignés (c’est pourquoi j’en ai des témoignages directs).

Depuis que le statut militaire a été modifié en 2005, le Soldat français est autorisé à faire usage de ses armes lorsque c’est nécessaire à l’accomplissement de sa mission. C’est-à-dire que pour une mission logistique, il ne sera jamais autorisé à faire usage de ses armes autrement que « pour se défendre ». C’est bien un problème de jonction pol-mil car l’ouverture du feu pour cette prétendue mission logistique n’engagera pas le Politique mais seulement le Soldat.

Celui-ci pourtant accomplit la mission de combat qu’il a tacitement reçue (tacitement : si l’on envoie des troupes de mêlée, aguerries, avec des appuis-feux costauds, ce n’est certes pas pour faire de l’intendance) : il inclut systématiquement les troupes tchadiennes dans l’organisation de sa manœuvre, sachant cependant que celles-ci ont l’habitude d’arriver après la bataille, juste avant la presse.

Mais les apparences sont sauves : personne en 2008 n’a entendu dire que le 3°RIMa et le 1°REC auraient directement participé aux combats, voire dans certains cas l’auraient pris complètement à leur compte (je ne dis pas que ça s’est fait, je dis qu’il aurait été logique que ça se fasse si les circonstances l’avaient voulu). Nos troupes ont directement combattu lorsque l'on est passé à la phase « évacuation des ressortissants ».

Cette nouvelle mission donnée par la communauté internationale, l’évacuation des ressortissants, exonérait le Politique français de toute responsabilité quant à l'ouverture du feu : du fait que l’évacuation de ressortissants par voie aérienne exige que les abords de l’aérodrome soient dégagés de tout homme armé dans un rayon donné, l’ouverture du feu en premier devient possible et l’affaire est vite réglée sans qu’à aucun moment le Politique français n’ait endossé la responsabilité de l’ouverture du feu : ni pour la mission dite "logistique" ni pour la mission donnée par la communauté internationale.

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J’interprète de la même façon notre réintégration dans l’Otan : celle-ci n’est pas, comme on le croit souvent, le résultat de la dévotion qu’un politicien en vue porte au grand frère américain. Elle est un procédé pour se dispenser d’élaborer une politique étrangère et une politique militaire, nonobstant un LBDSC qui fait diversion : désormais notre politique étrangère et militaire, c’est facile, c’est l’Otan.

« Cette foutue jonction pol-mil » est bien le nœud du problème. Elle l’est notamment en matière de communication sur des opérations dont nous avons si peu la maîtrise que notre gouvernement n’est pas consulté lorsque l’administration US nomme un nouveau commandant qui aura autorité sur nos troupes. Le sujet est sensible au point de valoir une sanction au professionnel qui mentionne fort à propos l’anomalie constatée. http://www.armees.com/forums/blog/1...

« Cette foutue jonction pol-mil », je la simplifie (peut-être à l’excès) au regard de mes expériences professionnelles en la traduisant par « refus d’élaborer une politique et d’en prendre la responsabilité devant les électeurs ». « Cette foutue jonction pol-mil » est effectivement au cœur de notre problème d’efficacité et par conséquent (revenons au sujet) au cœur du problème de la communication sur les opérations militaires : il incombe au Politique d’exposer quel résultat il veut obtenir par les armes. Au Soldat d’expliquer la technique qu’il met en œuvre pour obtenir le résultat voulu par le Politique.

Malheureusement le Politique attend du Soldat que celui-ci explique aussi, à mots couverts et indirects, sans en avoir l’air, la motivation politique des opérations : « expliquer aux électeurs le pourquoi de l’engagement français si loin des frontières », « faire comprendre pourquoi la France s’engage » nous dit clairement Jean-Luc Cotard après le Colonel Klotz.

C’est un transfert de responsabilité du Politique vers le Soldat. Un transfert qui est source de difficulté avant de devenir, tôt ou tard, un transfert de culpabilité.

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