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Place du soldat dans la société

Un correspondant (SO) me communique ce compte-rendu d'un colloque qui s'est tenu le 9 décembre dernier à l'Assemblée nationale, organisé par Mme Lhostalier, député du Nord, membre de la Commission de la Défense.

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Thème officiel : Quelle est la place du soldat dans la société aujourd’hui en France ?



Merci de ce compte-rendu extrêmement bien fait, d'un débat qui avait l'air fort intéressant. Si d'ailleurs vous assistez à des colloques qui valent le coup, n'hésite pas à m'envoyer vos CR, je les passerai.

O. Kempf

COLLOQUE SUR LA PLACE DU SOLDAT DANS LA SOCIETE.

Trois tables rondes étaient prévues avec la participation d’intellectuels (Blandine Kriegel, Monique Castillo) et de députés, (tous membres de la Commission de la Défense de l’AN) sur les thèmes suivants :

  • 1) Le cadre juridique et sociétal ;
  • 2) Soldat : Fonction ou métier ? Héros ou victime ?
  • 3) une société à éclairer sur ses engagements

Les débats, placés sous le patronage du Président de la République, ont été inaugurés par le Président de l’AN B Accoyer et clos par le Sénateur Josselin de Rohan Président de la Commission des AE, de la DN et des FA du Sénat.

1.- Sans prétendre à l’exhaustif je vous livre mes impressions générales.

11.- Tous les intervenants sans exception ont reconnu qu’il existait un fossé entre l’armée et la société, et que ce dernier irait en s’aggravant si rien n’était fait pour rétablir les liens. JC Thomann et plusieurs autres intervenants se sont inquiétés de la méconnaissance des questions de défense par les élites indiquant qu’on pouvait arriver aux plus hautes responsabilités de l’Etat en ignorant tout des questions militaires et de défense. JC Thomann : Pour beaucoup de responsables politiques, la Défense est devenue une boite noire.

12.- Les raisons du fossé, dont les Sentinelles ont à l’occasion déjà débattu, ont été longuement évoquées et tiennent d’une part à des évolutions objectives (disparition de la menace directe et mise au ban de la guerre, refus du sacrifice et de la mort, dont les armées sont porteuses, individualisation des sociétés de moins en moins prêtes à la solidarité et à l’effort collectif, affaiblissement de la cohésion nationale, perte de l’esprit civique affaiblissement du principe d’autorité, etc…), et d’autre part subjectives (idéalisme ou naïveté pacifiste, confusion entre violence et force maîtrisée dont les armées ont la responsabilité, glorification des « valeurs économiques et mercantiles » aujourd’hui placées au cœur des questions de défense prenant le pas sur les idéaux démocratiques, etc…)

13.- La philosophe Blandine Kriegel s’est appuyée sur Emmanuel Kant pour récuser absolument le thème idéaliste de la paix universelle en rappelant qu’il ne pourrait y avoir de paix universelle que s’il y avait une République ou un état de droit universel .. Cette remarque soulève au passage la question des relations avec la Chine (20% de l’humanité), ou le Droit tel que nous le concevons, placé au-dessus du pouvoir exécutif, n’existe pas, dans un contexte global où l’influence de la Chine se propage à travers le monde, sur un mode où tout est mis en œuvre, sans contre pouvoir, pour les intérêts directs de la Chine (quête de ressources, de technologies et d’influence), avec, à l’intérieur du pays, les seuls objectifs de la croissance, du maintien de la stabilité sociale et du rôle dirigeant du parti que ce dernier assimile à l’intérêt supérieur du pays.

14.- Un consensus s’est fait jour autour de l’idée que le militaire, ni victime, ni héros, n’était pas non plus un fonctionnaire, mais qu’il exerçait une vocation impossible à banaliser comme un métier normal. Blandine Kriegel a même tenu à placer les militaires à part, y compris par rapport aux métiers à risques, comme la police et les sapeurs pompiers. S’il est vrai que ces derniers sont mis en présence du danger et de la mort qui survient par accident, aucun des deux n’est cependant confronté à des « hostiles agressifs », dont le but est leur destruction. Telle est la vraie spécificité des militaires, dont la mort au combat n’est pas accidentelle, locale ou contingente, mais est le résultat d’une action hostile qui porte en elle une menace contre la Nation elle-même, à laquelle l’armée s’identifie.

15.- Les officiers généraux des table ronde ont été unanimes, parfois contre les députés, pour affirmer que le premier effort à faire pour replacer les armées au sein de la Nation devait être consenti par les politiques, dans les débats nationaux, en amont des présidentielles, dans les arbitrages budgétaires, (souligné par le sénateur de Rohan), pour redonner aux armées une légitimité nationale et populaire, et expliquer les engagements des armées hors de France aux ordres de la République, notamment en Afghanistan.

16.-Plusieurs idées convergentes ont désigné le système scolaire et universitaire comme la pierre angulaire des stratégies de reconquête par les armées de leur place dans la nation. Les études sur les questions de sécurité et de défense devaient être intégrées dans tous les cursus et constituer un continuum scolaire et universitaire, commençant à l’école avec l’instruction civique et se poursuivant au Lycée et à l’Université par des ouvertures obligatoire et intégrées aux programmes sur les questions de stratégie et de défense.

JC Thomann a cité à cet égard, les initiatives locales lancées par lui avec la marie de Lille qui réunissent dans une action républicaine, démarquée des clivages politiques, les patrons d’universités, les responsables politiques de tous bords, les enseignants et les étudiants. Le mode d’action repose sur des conférences données par des officiers, qui constituent une ouverture aux questions de défense et aux problématiques stratégiques d’envergure globale et peuvent donner lieu à des réunions - discussions avec les étudiants, sous la forme de cafés-défense. L’expérience qui fonctionne depuis plus d’un an peut être élargie et affinée avec l’intégration des questions de défense dans les cursus universitaires. Rien n’emp.che les autres métropoles régionales de s’engager dans cette voie avec l’aide d’officiers prêts à s’investir sur le même mode.

A coté de la voie du système éducatif comme ferment du rétablissement du lien Armée – Nation, une autre fréquemment évoquée, bien que les modalités et les problèmes aient été passés sous silence, est celle des réserves.

2.- Le colloque a été marqué par quelques échanges ou présentations remarquables.

21.- Les organisateurs avaient invité un Chef d’escadron gravement blessé en Afghanistan dont le témoignage était à la fois très instructif, extraordinairement digne, émouvant et lucide. Evoquant non seulement la douleur et le traumatisme psychologique de sa blessure, mais également ses interrogations et celles de ses hommes face à la peur, aux incertitudes et . la menace quotidienne, il s’est livré à une réflexion sur les motivations et les ressorts psychologiques qui permettent de les surmonter.

De son point de vue, la première des forces qui l’animent prend racine dans les traditions de générosité et d’abnégation de l’armée française, mue à la fois par l’esprit chevaleresque et l’attachement aux valeurs de liberté et de générosité de la République. En 2ème niveau – au demeurant plus un soutien psychologique quotidien qu’une motivation profonde - vient de l’instinct de survie et de la rage ressentie face à des hostiles agressifs qui ne respectent aucune de ces valeurs (ce qui nous renvoie à Blandine Kriegel et . Kant). Enfin le Commandant a souligné que les hommes au combat sont rassérénés par l’efficacité du Service de santé et la rapidité avec laquelle ils sont évacués. Dans son cas, il était à Percy 24 heures après sa blessure. Cette remarque a conduit l’amiral Lanxade à appeler le politique à ne pas toucher au service de santé quel que soit son coût.

Bien qu’il ne s’agisse là que d’une incidence sans importance, j’ai trouvé tristement révélateur que Madame Katia Gilder, journaliste à LCP ait purement et simplement oublié de présenter le Commandant et de lui passer la parole, ce qu’elle n’a fait qu’après que la salle l’ait bruyamment rappelée à l’ordre.

22.- Un autre échange intéressant a eu lieu après que le Contrôleur Général des Armées Dudognon ait expliqué avec de nombreuses précautions oratoires, évoquant l’objectivité de son approche, qu’il n’y avait pas de décrochage net entre la fonction publique et la fonction militaire .. La controverse qui a suivi est révélatrice, non seulement des incompréhensions entre les approches strictement chiffrées et la réalité complexe du terrain, mais également des blocages qui continuent à gêner la prise en compte des problèmes, y compris, et peut-être surtout, par les militaires eux-mêmes.

Répondant aux propos du CGA Dudognon, le CGA Freiermuth s’est étonné qu’on puisse expliquer que les militaires étaient globalement traités de manière satisfaisante alors que les armées, et singulièrement l’armée de terre, étaient confrontées . un très grave problème de recrutement à tous les niveaux y compris à Saint-Cyr, tandis qu’il était de notoriété publique que l’EMAT avait beaucoup de mal à retenir ses engagés.

Etrangement et contre toutes les évidences rappelées dans de nombreux rapports, un général de l’EMAT, présent dans la salle s’est cru obligé d’affirmer que « l’armée de terre n’avait globalement pas de problème de recrutement ».. A d’autres moments du colloque, la question a été remise sur le tapis, d’abord par l’Amiral Lanxade qui soulignait que, dans le monde anglo-saxon, les militaires et les valeurs qu’ils représentent étaient singulièrement mieux traités qu’en France, puis par le Général JC Thomann qui a brutalement rappelé que les officiers britanniques étaient deux fois mieux payés que leurs collègues français.

23.- Enfin, un échange intéressant a opposé le Député de la Charente JC Viollet et le Général Thorette sur la question de l’engagement politique des militaires. Poussant au plus loin le raisonnement sur les risques d’un clivage irrémédiable entre l’Armée et la Nation, le Député Viollet milite pour que les militaires d’active soient autorisés à s’engager en politique. Ce à quoi le Général Thorette . s’oppose viscéralement ., anticipant de graves effets pervers qu’on peut – dit-il - facilement imaginer, mais qu’il n’a pas explicités.

Réfléchissant à cette question, le général Poncet a brossé le tableau de ce que serait à. l’extrême une armée de gladiateurs , dont les soldats, prêts à mourir pour les politiques de la France quelles qu’elles soient, sans jamais prendre part aux débats qui les entourent ou les préparent, combattant aujourd’hui sans état d’âme les alliés d’hier, ou pactisant, au gré des fluctuations de la politique, avec les anciens ennemis de la France.

Cette caste à part. vivrait repliée sur ses valeurs propres de solidarité, de courage, de goût du risque et de fidélité à son Etat, sans jamais s’impliquer dans les débats nationaux qui pourtant pourraient les concerner au premier chef.

S’exprimant ainsi, le Général Poncet anticipait une fracture extrême et définitive entre le peuple et son armée où les militaires, mercenaires intérieurs, attachés à leurs codes particuliers qui sont autant ceux d’un mode de vie qui n’a plus cours dans les sociétés modernes, que ceux d’une vocation dédiée à la défense de Nation, dont ils se placeraient pourtant eux-mêmes en marge.

Entre l’ancien commandant le RM 4 et le Député Viollet, deux positions totalement opposées situées aux extrémités de l’état de soldat. L’une, impliquée avec armes et bagages ., au risque de manipulations politiques, et l’autre, positionnée ailleurs, complètement démarquée, dans une sorte de neutralité exaspérée, accentuant encore les fractures et les incompréhensions.

Ces positions tellement contradictoires décrivent bien les difficultés du lien armée-nation, dans le contexte d’une armée professionnelle, où les codes des uns paraissent très éloignés des conceptions civiles du progrès, de la vie en société et des moyens de protéger nos intérêts vitaux tout comme nos modes de vie, dans un monde où, croit-on, le doux commerce et l’illusion d’un progrès humaniste finiront par propager la paix universelle.

De mon point de vue, il me paraît évident que sans aller jusqu’à l’engament autorisé des militaires dans la politique, les progrès de leur liberté d’expression seraient une des conditions nécessaires – évidemment pas suffisante – pour éviter que ne s’accentuent les fractures décrites plus haut. Curieusement, cet aspect du débat a été complètement passé sous silence par les participants qu’ils soient civils pu militaires.

Le seul à l’avoir très clairement évoqué est JC Thomann qui, dans sa présentation, a directement stigmatisé la répression dont ont été récemment l’objet le CE Mattely et le Général Desportes. Répondant à Mme Françoise Hostalier, ancien ministre, député du Nord, membre de la Commission de la défense de l’AN qui incitait les militaires à mieux se faire connaître pour sortir de leur isolement, il a indiqué qu’un tel mouvement serait improbable aussi longtemps que ceux des militaires qui expriment des opinions divergentes seront sanctionnés.

3.- Conclusion.

Le colloque était de bon niveau, balayant largement et sans concession tous les aspects de la question, même si la plupart n’ont été, c’est la loi du genre, seulement effleurés. Des pistes ont été mises à jour pour raviver le lien Armée – Nation, où le système éducatif et les réserves tiennent la première place. Mais il est évident que l’initiative n’est, à ce stade, à peine plus qu’une prise de conscience des milieux les plus intéressés par le sujet.

Les fractures qui se font jour, dont certaines sont culturelles, ne seront pas résorbées de sitôt. Il y faudra de la constance, de la durée et une sérieuse implication des élites politiques et militaires, accompagnant aussi la levée de quelques blocages et tabous.

Le premier d’entre eux a peut-être trait à la liberté d’expression publique des militaires sur les questions qui les concernent au premier chef et dont ils sont souvent les experts les plus pertinents, allant de l’organisation des forces. ’identification des menaces, en passant par la question sensible de la .suffisance budgétaire .,de l’étude des équipements et des structures du futur et du lien entre l’armée et la société.

C’est bien la conscience de la difficulté de la tâche et celle de la nécessité de poursuivre les efforts dans la durée qui pousse l’Amiral Lanxade à proposer la création d’une fondation dont la mission serait de suivre l’évolution du lien armée – nation au fil des années et de veiller au maintien de la dynamique réparatrice lancée le 9 décembre.

A mon sens, il conviendrait aussi de faire en sorte que le débat ne soit pas manipulé politiquement comme l’a été celui autour de l’identité nationale. Une des pistes pour éviter cet écueil serait de travailler assez longtemps le corps social et éducatif au niveau local, afin que les initiatives réussies à la base s’imposent d’elles-mêmes.

Enfin j’estime que la démarche qui s’adresse non seulement aux élites, mais évidemment et peut-être surtout à la jeunesse ne manquera pas de télescoper un jour ou l’autre la question du malaise de la jeunesse et celle du désordre dans les banlieues des grandes métropoles françaises.

Commentaires

1. Le lundi 24 janvier 2011, 19:12 par FRA 368

Bonjour,
Il est clair que la situation en France est bien differente de celle existant en GB.
Ici (au RU) la nation (elle existe) sait faire la difference entre la decision politique et l'action militaire. Par exemple le pays ne soutient pas vraiment la guerre en Afghanistan, mais la Nation est derriere son armee qui ne fait qu'obeir aux ordres.
Par ailleurs les militaires sont tres presents dans les medias; lors de la revue de Defense, il ne se passait pas un jour sans qu'un Amiral ou General ne s'exprime aux informations; la mise a l'eau d'une fregate passe en boucle sur Sky News avec interview du commandant. Et plus douloureusement, le rapatriement des soldats tombes occupe aussi une large part des informations TV ou ecrites.
La place du soldat dans la societe est donc le resultat d'un travail impliquant de multiples acteurs et pas seulement des militaires et le petit monde de la defense.
Nous avons des leçons a prendre Outre-Manche.
Bien cordialement

2. Le lundi 24 janvier 2011, 19:12 par Nono

Très intéressant compte-rendu, Tout cela avait l'air très intéressant.

Pour en rajouter sur le thème et faire une comparaison avec les Etats-Unis: là-bas, que les gens soient d'accord ou pas avec la politique suivie (pour ou contre l'engagemetn en Irak, en Afghanistan,...), la population soutient les militaires, et pas seulement américains. Je crois qu'il n'y a que là-bas qu'on peut voir des gens offrir le repas à des militaires en uniforme au restaurant "pour ce qu'ils font pour ntore pays", ou leur payer un verre...
Je me souviendrai toujours d'un diaporama montrant le convoi funéraire de soldats canadiens morts au combat: au bord de la route, les gens étaient debout pour leur rendre hommage. Et tout ça, c'est un énorme grand écart avec ce qui se fait en France.

3. Le lundi 24 janvier 2011, 19:12 par Jean-Pierre Gambotti

Cet excellent compte-rendu m’a beaucoup irrité.
D’abord parce qu’il est anonyme. Et cet anonymat démontre mieux que tout autre argument, car je ne doute pas que l’auteur soit de la phratrie, la place du soldat dans notre communauté nationale, celle d’un spectre sociétal. Nous ne serons jamais personne si nous ne nous pouvons nous nommer.
Ensuite et surtout, parce que ce débat, aussi passionnant soit-il, est par nature le lieu du verbe et que le verbe est misérable s’il n’incite pas à l’engagement et ne propose pas l’action. Nous sommes aujourd’hui la démocratie la plus démilitarisée des pays occidentaux, pas de ministre, pas de député, pas de sénateur, pas d’ambassadeur, pas de préfet, pas d’académicien (…) qui aurait un jour porté l’uniforme des professionnels de la guerre. Et pourtant ce colloque se conclut sur un vide ordinaire et banal, mais exaspérant, puisqu’il semble se satisfaire de son audace d’avoir été tenu. Nous sommes au sein du pouvoir de la République, l’Assemblée nationale a décidé de saisir de cette aberration sociologique, cette absurde endo-relégation de ses experts de la réflexion et de l’action, spécialistes de la décision dans l’incertitude de surcroît, mais de propositions concrètes pour les remettre à la disposition de la Nation, point. Nous sommes, pauvres hères, une nouvelle fois victimes de hérauts velléitaires, mais sommes-nous réellement si candides que nous attendions d’autrui, l’ouverture ?
A mon sens nous n’aurons d’existence sociale que si nous donnons des signes de vitalité comme Jean-Claude Thomann le démontre dans ses activités. Ecrivons, réagissons, engageons-nous dans l’action citoyenne la plus basique puisqu’il ne nous reste que cette opportunité, mais prônons toujours notre qualité de soldat. Car nous méritons de nous faire connaître, la reconnaissance du militaire est au bout de cet engagement citoyen, au-delà de l’individu c’est l’institution militaire qui y trouvera son compte.
Mais je ne trouverai pas usurpé que les gouvernants et le législateur s’engagent concrètement et avec détermination à remettre le soldat à sa juste place dans la société, mais je crains qu’il faille d’autres modes opératoires que cet exercice de style mené dans un lieu prestigieux, certes, mais qui fleure un peu trop le compassionnel.
Très cordialement.
Général (2S) Jean-Pierre Gambotti

égéa : une précision à la première remarque : je ne connais pas l'identité de l'auteur du compte-rendu, mais j'ai cru deviner que c'était un ancien haut fonctionnaire à la retraite.
Pour le reste, je crois que le principal obstacle réside dans les consciences des militaires  : là est à mon sens la principale restriction. Mais peut-être me trompé-je.

4. Le lundi 24 janvier 2011, 19:12 par

Certes, c’est de la tchatche, c’est « le lieu du verbe ». Un colloque n’est rien d’autre, par définition. Cependant il en sort quelques points positifs.

D’abord c’est l’initiative d’un député du parti présidentiel. C’est cependant une marche organisée sur les plates-bandes du domaine réservé : peut-être involontairement, ce député rappelle que l’armée est à disposition de l’Exécutif contrôlé par le Législatif. Ceci laisse espérer que, de petit pas en petit pas, on résoudra l’ambiguïté constitutionnelle dangereuse dont j’ai déjà parlé ici (le Maître du Blog n’est pas d’accord avec moi sur cette question mais il me laisse exposer mon point de vue) : http://www.egeablog.net/dotclear/in...

Ensuite on constate que cette fois le personnel politique est capable de parler d’armée sans sortir comme il le fait trop souvent de son domaine de responsabilité, qui se limite à l’aspect politique des choses.

Surtout on voit que les militaires ne se sont pas gênés à l’occasion de ce colloque d’affirmer l’incompétence du personnel politique, ce qui conduit à la question de l’interdiction qui est faite aux militaires de fréquenter les partis politiques. Le Général Thorette (que je connais bien) est « viscéralement contre » sans vraiment motiver sa position.

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Ici je digresse du colloque pour ajouter que ceux qui veulent maintenir les militaires à l’écart des partis politiques font deux erreurs d’analyse. La première est une confusion entre politique et syndicalisme. Or celui-ci est perçu comme une hiérarchie parallèle et irresponsable où se réfugient des aigris qui n’ont pas pu, ou n’ont pas voulu, faire les efforts pour accéder aux vraies responsabilités (mon expérience de l’administration civile me permet de confirmer que cette façon de voir les syndicats est réaliste).

La deuxième erreur d’analyse est celle que faisait déjà la III° République : l’Armée ne doit pas faire de politique et par conséquent les militaires ne doivent pas faire de politique. Recrutés dans les années soixante où le souvenir du « quarteron de généraux en retraite » était tout récent, nous avons beaucoup entendu ce postulat à l’Ecole. Bien sûr personne n'avait l’insolence de faire observer aux instructeurs que l’Armée et les militaires, ça ne recouvre pas exactement le même concept.

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Il reste que (je reviens au colloque) si l’on veut remédier à l’incompétence commune du personnel politique sur les questions militaires la solution consiste à modifier plus ou moins l’interdiction faite aux militaires de fréquenter les partis politiques.

Cette observation me fait conclure que ce genre de colloque n’est pas seulement de la tchatche : il y passe des idées qui peuvent déboucher, tôt ou tard, sur des mesures concrètes.

5. Le lundi 24 janvier 2011, 19:12 par

Ce colloque sur « la place du soldat dans la société » était une question d’actualité mais aurait pu être un sujet du CID parce que la situation actuelle résulte d'un passé où le souci constant du Politique fut de cantonner le Soldat près des remparts et surtout loin du forum.

Ce colloque a omis d’évoquer un point très important qui n'est pas nouveau mais reste d'actualité : la pratique qui consiste à imposer au militaire et à sa famille des changements de résidence arbitraires tous les deux ou trois ans est à l’origine de beaucoup de difficultés.
Plan en deux parties, Monsieur Kempf : 1 le problème ; 2 une solution.

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1 En premier lieu cette pratique des mutations arbitraires impose de facto un isolement social parce qu’elle empêche le militaire et sa famille de s’impliquer dans la vie sociale : participation durable à des associations sportives, culturelles ou de parents d’élèves ; travail de l’épouse ; réseau de camaraderie fidèle des enfants.

Isolement social et politique aussi parce qu’au milieu de tous les tracas d’un déménagement l’on néglige facilement de s’inscrire sur les listes électorales pour désigner des élus parmi des candidats qu’on ne connaît pas et qui resteront en fonction longtemps après la prochaine mutation.

Les mutations fréquentes et arbitraires présentent aussi d’autres inconvénients qui ne valorisent pas le métier : alors que l’on entend périodiquement des déclarations convenues selon lesquelles « l’armée n’a pas à faire de l’aménagement du territoire », il reste que les militaires en font, obligatoirement mutés dans des trous de la France profonde qui se dépeuplent. Que l’on observe les fermetures ou les transferts géographiques de régiments et de bases aériennes de ces dernières années : ils ont tous été faits de villes attractives, à faible taux de chômage et en croissance de population vers des villes ou des bleds en baisse d'effectifs et à fort taux de chômage, de Senlis à Douai, de Versailles à Mourmelon, de Dijon à Luxeuil (chacun peut me rectifier ou compléter), etc. Les épouses de militaires se trouvent ainsi empêchées de trouver ou garder un travail, à moins que les intéressés choisissent le « célibat géographique » qui mène souvent au divorce.

Cette pratique qui consiste à déraciner continuellement le militaire et sa famille remonte aux débuts de la III° République, puis elle a perduré pour des motifs politiques (la crainte d’un retour du boulangisme) mais aujourd’hui elle continue, sans qu’on sache vraiment pourquoi, au détriment de la fidélisation des personnels les plus qualifiés. Au détriment aussi du budget (mais ce n’était pas le propos du colloque) parce que tous ces déménagements de familles non logées, un tiers des effectifs de l’armée de terre chaque année, coûtent cher.

Démentons une idée fausse et trop répandue : ce ne sont pas les militaires qui souhaitent être à l’écart de la société. Mais ils y sont contraints. S’ils veulent mettre fin à l’isolement qu’on leur impose, ils n’ont souvent pas d’autre choix que de changer de métier.

Après avoir posé le problème, je propose une solution au regard de mon expérience civile.

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2 Pour gérer les personnels, il faut s’inspirer du système qui est en vigueur chez les Pompiers civils et qui donne toute satisfaction : les Pompiers sont organisés en Corps départementaux. Bien entendu l’aspect départemental n’existe pas pour les Armées parce que les implantations territoriales militaires ne correspondent plus à un besoin de couverture du territoire national, leur positionnement géographique ne correspond plus à des besoins opérationnels. Il faut que l’affirmation « les Armées n’ont pas pour mission de faire de l’aménagement du territoire » devienne une réalité pour les militaires et non plus une formule creuse pour discours de circonstance.

On fera donc comme les Pompiers civils, une gestion décentralisée et non plus des changements de résidence arbitraires imposés par un bureau parisien. Voici comment.

Chaque Corps fera connaître périodiquement la liste et les profils de ses postes qui seront bientôt vacants. Les personnels intéressés répondront en envoyant leur candidature et leur CV. Le Corps d’accueil choisira parmi les candidats et se mettra en contact avec le Corps d’origine pour fixer les modalités pratiques du transfert. Ce système est pratiqué par les Pompiers civils et il donne satisfaction, tant aux Services qu’aux personnels : j’invite mes lecteurs à se renseigner auprès de ceux-ci pour en connaître exactement le fonctionnement.

Lorsque les Armées mettront en œuvre ce système, on constatera après quelques années qu’il y a des garnisons pour lesquelles le nombre de candidats est toujours insuffisant parce que personne ne veut y aller. Alors il faudra déplacer les Régiments qui ne parviennent pas à recruter : on les fera stationner dans des garnisons plus attractives, plus favorables à l’épanouissement de la famille et à l’intégration dans la société civile.

Certes il y aura toujours pour des motifs techniques des implantations militaires dans des garnisons peu attractives mais que l’on ne pourra pas fermer : par exemple les champs de tir au canon seront logiquement maintenus dans des zones dépeuplées. Pour régler ces cas particuliers, qui concerneront d’ailleurs un petit nombre de personnels, il faudra susciter des candidatures en offrant des compensations.

Les tableaux d’effectifs pour chaque Corps, et les budgets correspondants, continueront d’être fixés de façon centralisée par le Commandement. De même les qualifications requises pour chaque poste, la formation des personnels, l’attribution de certificats et brevets professionnels, resteront gérés de façon centralisée par le Commandement. L’autonomie des Corps se limitera à lancer à l’intérieur de la profession des appels à candidatures et à choisir parmi les candidats qui présenteront des CV conformes au profil recherché. Le Commandement contrôlera périodiquement l’adéquation entre l’effectif théorique et l’effectif réalisé.

Ainsi l’on améliorera non seulement la place du soldat dans la société mais l’on fera des économies sur les déménagements et sur la formation des personnels en fidélisant les militaires qualifiés dont le remplacement coûte cher. Cet aspect budgétaire était hors du sujet, sociologique, de ce colloque mais l’on s’étonne de constater qu’il n’a jamais été évoqué depuis que l’on parle de RGPP.

6. Le lundi 24 janvier 2011, 19:12 par Jean-Pierre Gambotti

La problématique de la mobilité dans l’armée de terre mériterait un débat prospectif et sérieux, Yves Cadiou traite du passé, un passé maltraité de surcroît, en s’appuyant sur un discours qui n’est que l’antienne, qu’il me pardonne ce jugement abrupt, de certains qui n’ont eu de la gestion du personnel de l’armée de terre qu’une vision mono-centrée, celle de leur propre expérience.
Pour faire court, en lisant ce commentaire assassin, je suis tombé de l’armoire. Sans doute de cette armoire de mon petit bureau au 2° étage de Saint-Thomas d’Aquin qui contenait des mètres linaires de dossiers sur la mobilité. Je ne vais pas faire un cours sur la mobilité théorique, j’en suis à présent bien incapable, parce qu’en j’en suis extérieur et que – est-ce bien étonnant ?- la mobilité se meut, se transforme, mute, car intimement dépendante de l’organisation militaire … Mais je voudrais quand même attirer l’attention de notre camarade sur le fait que la mobilité est certainement le problème le plus complexe que notre administration militaire ait à manager. Car il s’agit de raisonner et maîtriser la mécanique de systèmes agissant dans un système général et ce faisant de gérer les interactions et rétroactions induites par chacune des actions des parties élémentaires. Il faut comprendre que même si le manageur décidait de faire un PAM zéro mouvement, c'est-à-dire que seules les mutations de structure, issues de l’organisation, étaient prononcées – recrutements, départs, dissolutions, créations, réorganisations …, nous serions déjà à un volume important de mouvements. Un PAM incompressible en quelque sorte que de mémoire j’oserai chiffrer entre le tiers et la moitié des mouvements annuels. Mais même le plus béotien des critiques comprend que cette solution n’est qu’une hypothèse d’école, car une place libérée génère des mouvements « poussées », c'est-à-dire que s’il faut créer au minimum un mouvement pour honorer le poste vacant, pour optimiser qualitativement ces mouvements- l’homme ou la femme idoine à la bonne place- plusieurs mouvements seront nécessaires. J’ajouterai enfin, puisque nous traitons d’individus dans des trajectoires de carrière individuelles, qu’il faut prendre en considération les règles statutaires des différents corps, avancement, temps de commandement, temps de responsabilité, temps de troupe, période de formation, mais aussi la spécialité, le grade, l’ancienneté, …Il s’agit aussi d’optimiser la capacité opérationnelle de notre armée et de donner au système général au minimum la capacité opérationnelle de chacun de ses systèmes élémentaires, tout en conservant en ligne de mire le cinquième niveau de la pyramide de Maslow , « l’accomplissement et l’épanouissement de l’homme dans son emploi.» J’ajouterai, sans développer, que la prise en compte de la famille dans le PAM donne un niveau de complexité supplémentaire au système, mais que cette prise en compte légitime, indispensable et indiscutable, contribue à l’accroissement général du nombre de mutations : dans un système fermé, diminuer le taux de rotation de certains, c’est augmenter le taux de rotation des autres et in fine le nombre total des mouvements à cause de la viscosité que je décrivais ci-dessus.
Cher camarade, avant de tirer sur le pianiste jetez un coup d’œil sur la partition. Comme vous le soulignez les changements de résidence font des militaires des errants sociétaux pendant les années d’activité. Mais contrairement à ce que vous avancez il n’y a pas d’intention maligne ou perverse de l’administration à l’égard du soldat, juste la volonté de manager la complexité. "Déracinement volontaire" et "mutations arbitraires" sont des termes inappropriés. A mon avis il faut chercher ailleurs que dans la seule mobilité géographique, les causes de notre inexistence sociétale.
N’était-ce pas Olivier Kempf, hier soir, chez Field ? Et il fût excellent.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

égéa : la mobilité a beaucoup décru ces années passées, justement pour faire des économies. Les restructurations en cours ont dû augmenter le taux. Au fond, ce que les militaires mettent le plus souvent en cause, actuellement, c'est l'accès à la propriété qui serait freiné par ces mutations.

Oui, j"étais chez Field : l'avez vous enregistré ? pouvez vous le faire ? merci de vos compliments....

7. Le lundi 24 janvier 2011, 19:12 par

Le sujet du jour était « la place du soldat dans la société » parce qu’il est clair qu’il existe un problème. On ne s’interroge jamais sur la place du professeur de collège dans la société, ni sur celle du postier, du pompier, ni sur celle du personnel pénitentiaire pourtant isolé par sa profession, ni sur celle d’aucun agent public autre que le militaire. Il faut donc s’interroger, pour y remédier, sur les spécificités qui mettent le militaire à l’écart de la société et parfois au ban dans les périodes où certains partis politiques voient un avantage à manipuler l’antimilitarisme.

Il ne serait pas inutile de comparer la situation de nos militaires à celle qui prévaut dans les pays où le militaire n’est pas à l’écart, mais je n’ai pas tenté cette comparaison parce que je ne sais pas. Il n’est pas inutile non plus de comparer à ce qui se fait chez nous pour d’autres professions qui ne sont pas mises à l’écart nonobstant les particularités de leur service et, de ce fait, les particularités de leur mode de vie : c’est un peu ce que j’ai fait plus haut avec les pompiers civils dont je connais bien le fonctionnement. Au-delà de leur image sympathique de courageux sauveteurs, les pompiers bénéficient de deux avantages qui ne coûtent pas cher mais dont les militaires ne bénéficient pas pour trouver leur place dans la société : leur fréquentation habituelle des partis politiques à titre personnel et individuel, cet aspect des choses a été abordée dans ce colloque ; la gestion décentralisée des personnels comme je l’ai dit dans mon précédent commentaire.

La gestion des personnels militaires, centralisée à outrance, a peut-être été améliorée ces dernières années mais on peut en douter quand on fréquente, comme je le fais, les cercles et mess de France et de Navarre : on y rencontre en semaine des célibataires géographiques et le dimanche des familles qui pâtissent de mutations trop fréquentes et qu’ils n’ont pas demandées. Quelques conversations suffisent pour le savoir, on parle aisément à l’ancien qui s’intéresse.

Il n’y a pas que les conversations : depuis quelques années, lorsqu’un militaire ou ancien militaire divorce, la coutume est établie dans les tribunaux d’accorder à l’épouse, aux frais du militaire, une rente pour compenser l’impossibilité où elle s’est trouvée de travailler à cause des changements de résidence imposés par le métier de son mari.

Ce dont il faut s’étonner, c’est qu’aucune étude sérieuse ne semble avoir été faite sur ces questions (ou alors une étude confidentielle, mais pourquoi serait-elle confidentielle). L’on peut bien évidemment toujours choisir d’ignorer un problème, mais c’est une très mauvaise façon de le résoudre. L’on peut aussi, mais je ne le fais pas, prétendre en toute mauvaise foi que la gestion est mal faite par les bureaux qui en sont chargés. Ce serait injuste : il ne faut pas douter que les gestionnaires font de leur mieux pour gérer un système qui est ingérable. Ne pas tirer sur le pianiste, mais tirer sur le piano (tant pis si ça déplaît au pianiste) et on changera de piano.

Je reviens au système des pompiers, dont on ferait bien de s’inspirer : d’abord il faut savoir que beaucoup de pompiers sont aussi élus locaux hors de leur zone d’intervention (ce fut un des problèmes créés par la départementalisation des services en 1996). Cette participation directe à la vie politique locale favorise leur intégration et la prise en compte de leurs difficultés ; ensuite il faut s’intéresser à leur système de gestion dont j’ai parlé dans mon précédent commentaire. Un tel système ne coûterait rien à mettre en place dans les armées et contribuerait à améliorer la place du soldat dans la société.

8. Le lundi 24 janvier 2011, 19:12 par

Programmez vos magnétoscopes : le film documentaire « la guerre en face » sera diffusé sur France 2 le 3 mars à 23H11. Il dure 90mn, composé d’images d’archive et de témoignages.

Je l’ai vu hier, il tient ses promesses : « Depuis la fin de la guerre d’Algérie, 250 000 hommes ont servi sur plus de 160 théâtres d’opérations extérieures. Pourtant, qui se souvient du Tchad, du Liban, de Kolwezi? Comment sommes-nous passés du soldat inconnu aux soldats méconnus? Ce film s’interroge sur la disparition de la figure du soldat dans notre société et revient sur les causes de cette disparition, en revisitant cinquante ans d’histoire.
Réalisé par Patrick Barbéris »
http://www.letelegramme.com/agenda/...

9. Le lundi 24 janvier 2011, 19:12 par Christophe Richard

23h11... Y a du boulot!

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