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L'invention de la France

Je suis en train de parcourir "l'invention de la France", de Hervé Le Bras et Emmanuel Todd : l'analyse anthropologique appliquée au cas français, dans un essai novateur de 1981, qui a suscité la curiosité mais, finalement, n'a pas eu trop de suites. Et pourtant !

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Je n'en ferai pas une fiche de lecture complète, mais veux juste vous donner quelques extraits particulièrement significatifs.

"La révolution coupe la France en deux. L'analyse des rapports entre parents et enfants, entre hommes et femmes, produit une pulvérisation absolue de l'ensemble national. La France ne contient pas un peuple mais cent, qui diffèrent par la conception de la vie et de la mort, par le système de parenté, par l'attitude face au travail ou à la violence. Du point de vue anthropologique, la France ne devrait pas exister". (76)

"Seuls les États-Unis d'Amérique peuvent être considérés comme un cousin de la France, du point de vue de la diversité anthropologique comme de l'unité nationale. Mais ils avaient l'avantage ... de l'existence d'un noyau anglo-saxon homogène". (...). La France, elle n'a été fondée par aucun peuple particulier. elle porte le nom d'un groupe germanique, parle une langue dérivée du latin, avec un fort accent gaulois nous disent les linguistes. Elle fut inventé par une communauté de peuples. Plus que toute autre nation au monde, elle est un défi vivant aux déterminismes ethniques et culturels"

"Mais les Francs et les Gallo-romains sont déjà, eux-mêmes, des peuples non-ethniques". (77)

"A vrai dire, il y a un mystère franc : les historiens des grandes invasions ne comprennent pas pourquoi ce peuple, inexistant au début de la poussée germanique contre l'Empire, l'emporte finalement sur les glorieuses tribus wisigothiques, burgondes, ou ostrogothiques. Le peuple franc, dans cette lutte pour l'hégémonie, est un outsider tardif. Les spécialistes de la période considèrent qu'il n'est pas, à proprement parler, un peuple, mais une multitude de petits groupes, réunis par une commune insignifiance" (77)

Et l'auteur cite L. Musset "D'où viennent-ils ? (...) depuis le XVII° siècle, quoiqu'il n'y ait aucun texte ancien en ce sens, la plupart des historiens ont admis que les Francs étaient issus du regroupement de diverses peuplades antérieurement connues sur le Rhin inférieur. Parmi les composantes probable de cette synthèse, il faut citer les Chamaves, les Bructères, les Amsivariens, les Chattuarii, les Chattes, sans doute les Sicambres, moins probalement les Tenctères, les Usipètes et les Tubantes, à la rigueur certains Bataves". (78)

"Cette hétérogénéité initiale explique peut-être la tolérance idéologique es Francs, qui fit leur succès. ... Ce que symbolise la conversion au catholicisme romain de Clovis, c'est l'acceptation du principe de l'assimilation" (quand les Wisigoths choisissent l'arianisme).

"Cette histoire sans commencement visible et identifiable na également pas de fin. La France reste aujourd'hui, quoiqu'on en dise, une terre d'accueil". Et plus loin : "parce qu'elle n'a pas d'être anthropologique défini, la France peut intégrer à peu près n'importe qui" (79)

Et pour vaincre l'anthropologie, "la France a dû lutter contre ses tendances centrifuges. Elle a dû fabriquer un État particulièrement centralisé. Elle a développé une passion de la langue, instrument d'unité et de communion nationale" (80) (on pense aujourd'hui au décès de Jean Dutour, parangon le plus récent de cette cause).

Fiche d lecture ici. O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 18 janvier 2011, 22:42 par Christophe Richard

Bonjour,
La France serait donc le récit d'un génie politique, dont la puissance a consisté à savoir animer, organiser et mobiliser des masses...
De l'importance de l'histoire pour notre pays.
Bien cordialement.

2. Le mardi 18 janvier 2011, 22:42 par Aurel

hum. "Du point de vue anthropologique, la France ne devrait pas exister". Je ne suis pas totalement d'accord avec cette conclusion.
Au moment des invasions barbares, le territoire de ce qui deviendra la France possède déjà une homogénéité ancienne.
La Gaule est depuis plusieurs siècles avant JC habitée par les celtes qui si ils ne forment pas un peuple soudé sous un gouvernement unique, ont une culture commune et des relations entre eux très développés bien que tumultueuse. La domination romaine achevée par César en -50 est a mon avis l'évènement le plus important pour les fondements de la France. Les romains apportent en effet leurs structures, leur organisation et provoque l'arrêt des conflits entre les différents clans.
Au troisième siècle, au moment de l'Empire des Gaules un peu avant les invasions, le territoire est uniformément occupé par une population majoritairement celte possédant une culture Gallo-romaine fortement ancrée. Les romains n'ont pas déplacés leur population de souche latine, ils ont contrôlé un territoire.
(à ce propos, il y a une constatation qui mériterai d'être étudié sur l'invention de l'Italie. Le nord étant essentiellement d'origine celte et le sud latine)
Les germains donc, quand ils arrivent viennent prendre le contrôle d'un territoire déjà peuplé et structuré.Ils se mélanges avec la population locales sans prendre sa place. Et ils le fractionnent, jusqu'à ce que les Francs arrivent à s'imposer comme maitres du territoire complet (du moins en prétentions). Ce qui justifie le nom de France pour un pays qui n'est globalement ni de culture,ni de langue Franque.
Les péripéties historiques ultérieures vont modifier les frontières et la perception de cet ensemble mais l'origine commune est toujours intacte.

L'unité de la France vient des celtes, grâce à l'intervention des romains. Sans eux ont peux supposer que la gaule aurait éclatée en plusieurs éléments culturellement et structurellement différents, dépendant des puissances occupant des parties du territoire.

Pour conclure, je dirais que étudier l'invention de la France à partir des invasions barbares est surement intéressant mais que cela ne remonte pas suffisamment dans le temps. Et donc les auteurs semblent manquer le moment de cette invention.
Malheureusement l'origine "gauloise" de la France a été pervertie pour des visées bassement nationaliste voire raciale, ce qui provoque actuellement un rejet complet de ce fait.

3. Le mardi 18 janvier 2011, 22:42 par Pierre AGERON

Sur les "Invasions barbares" ou plus précisément sur les vagues migratoires germaniques ayant donné naissance à l'acculturation romano-franque cf, dernier tome parue de l'Histoire de France chez Belin " La France avant la France" par G/. Buhrer-Thierry et C.Mériaux
PS: Jean DutourD
Cordialement

4. Le mardi 18 janvier 2011, 22:42 par Laurent

Je me permets ici d’apporter quelques grains de sel personnels.
1. Il y a un peu – mais seulement un peu – de vrai dans l’intervention d’Aurel. Si « quelque chose » semble bel et bien avoir commencé dans la Gaule pré-romaine puis romaine, qui a permis à « autre chose » d’apparaître plus tard, cela me semble insuffisant pour y voir l’émergence de la France, tout au plus d’une sorte de « pré-France ».
2. La France doit aussi être pensée comme un « pont » entre deux aires civilisationnelles : l’Europe du Nord et celle du Sud. Nous appartenons à la fois aux deux sans en faire partie tout à fait, tout en en faisant partie… Un pont, vous dis-je ! La chose est particulièrement prégnante à Paris, la plus nordique des villes latines, avec ses cafés à terrasse de l’Europe méditerranéenne (au contraire des pubs et autres Bierstube de la moitié Nord du continent). De ce point de vue, la France est, dans une certaine mesure, comparable à l’empire romain, qui était à cheval sur la « plaque civilisationnelle » européenne et sur les « plaques civilisationnelles » orientale et africaine.
3. S’il est au moins une chose que la France a extraordinairement bien réussi dans son histoire, c’est sa fusion de peuples qui, a priori, n’avaient pas grand chose en commun : Marseillais et Provençaux (Catalans) Niçois et Corses (Italiens), Bretons bretonnants (Gallois), Alsaciens et Lorrains (Allemands), Flamands, Basques. En fait, la France, c’est une sorte d’empire en miniature, ce qui permet de mieux comprendre l’affirmation médiévale comme quoi « le roi de France est empereur en son royaume ».
4. À ce propos, la constante majeure, en mille ans d’histoire de France, c’est que nous avons toujours refusé l’impérialisation non seulement de l’Europe, mais même tout simplement de notre pays dans le cadre d’un Saint Empire Romain Germanique qui voulait recréer Rome. Ce faisant, nous avons contribué non seulement à la liberté, mais aussi à l’essor unique au monde de la civilisation européenne, car c’est précisément ce refus de l’impérialisation qui, en nous mettant en concurrence créatrice les uns avec les autres, nous a poussé vers le haut. Voilà pourquoi les partisans de l’empire germanique, ou de l’Autriche, ou encore du « parti espagnol » ont été les ennemis de la France et que leurs descendants politiques (y compris en France même) continuent à nous vouer une haine farouche et parfois hystérique. C’est aussi pour cela que « la France est une idée », pas une ethnie.
5. Autre constante – mais liée à la précédente – relevée autrefois par Alexandre Sanguinetti dans un livre excellentissime et hélas complètement oublié, Histoire du soldat, de la violence et des pouvoirs, la France n’a eu de cesse, en mille ans d’existence, de récupérer la Lotharingie contre la Germanie qui voulait en faire autant.

égéa : mais oui... C'est d'ailluers ce que je n'aime pas dans le bouquin de Zemmour, c'est son obsession impériale : contrairement à ce qu'il affirme, elle est radicalement étrangère à l'esprit français.

Merci pour la citation du bouquin de SAnguinetti, je l'acquiers aussitôt. Une fiche de lecture ici.

5. Le mardi 18 janvier 2011, 22:42 par Aurel

Après n'étant ni anthropologue, ni historien, il est fort possible que je me trompe. Qu'il y ai une hétérogénéité aux alentours su 4eme siècle et après au cours de l'histoire avec les différentes invasions (germaines, sarazine, huns etc), migrations (bretonnes puis plus tard des colonies etc) c'est indéniable et cela du participer à l'invention de la France actuelle.
Mais à mon avis, cela n'a été possible que grâce à la présence d'une unité culturelle, linguistique, ethnique et religieuse sur l'ensemble du territoire. Unité déjà évolutive puisque l'unité celte se transforme sans soucis majeur en unité gallo-romaine puis un peu plus tard adsorbe le christianisme naissant.

Quelles que soit les fractionnements "politiques" réalisés au cours de l'histoire, restait la conscience de cette unité territoriale qui est la France actuelle.
Pour les Pays bas et la Belgique flamande, je ne connait pas suffisamment l'histoire de ces régions pour expliquer la séparation définitive. Les germains ont ils complètement intégrés les populations locales?

6. Le mardi 18 janvier 2011, 22:42 par

Bonjour,

Il est vrai que la pérennité du peuplement Franc et de sa main-mise sur le pays est remarquable si l'on observe le devenir des peuples "barbares" aux alentours ayant essaimé dans l'Empire Romain d'Occident. Vandales, Burgondes ou Wisigoths auront tous disparu de l'Histoire sans avoir réellement su prolonger leur existence sur les territoires qu'ils détenaient militairement : la faute à des circonstances politiques ou géopolitiques particulières mais aussi à une approche différentes des relations avec le ou les peuples sous leur férule.
Les Francs et leurs souverains ont réussi à souder les différents composantes de leur royaume, ce qui n'était pas gagné mais à vrai dire ils ont aussi failli le perdre avec leur manie de partager le territoire entre chaque fils lors de la succession du pouvoir. Toute l'intelligence des capétiens avec l'aide de légistes sera de faire du territoire un bien incessible dont le roi n'en serait plus le propriétaire mais le gestionnaire.

Cordialement

7. Le mardi 18 janvier 2011, 22:42 par novempopulania

Bonjour,

Juste pour dire que la pensée selon laquelle ce serait les celtes qui auraient déjà unifié le territoire (Vercingetrorix etc...) est totalement fausse. Je vous renvoie à la guerre des Gaules (écrite par César), les Celtes sont les peuples entre Seine et Garonne, au nord de la Seine se trouvent les Belges, un peuple germanique, la Belgique n'a donc pas vu de celtes depuis plus de 2 millénaires... et au sud de la Garonne, les Aquitains, ancetres des basques et gascons d'aujourdh'ui (sans compter la Provence déjà latinisée).
Mais je ne vois nulle part d'unité linguistique en France quand en 1900 une grande partie de la population autochtone ne parlait pas français, mais des langues vernaculaires, qui ont elles-même une histoire, une littérature, etc, mais qui n'ont pas l'Académie française...

égéa : J'apprécie beaucoup quand on me dit : "cette idée est totalement fausse". J'y sens un goût de la nuance et de la précision qui me ravissent. Idem quand on m'explique "nulle part d'unité linguistique en 1900" .

8. Le mardi 18 janvier 2011, 22:42 par yves cadiou

Ce billet avait échappé à mon attention il y a un an et je le trouve grâce au récent commentaire n° 7. Lire ce billet et les commentaires auquel il donne lieu m’a incité à passer commande de ce livre. Profitons-en pour parler un peu de l’unité linguistique qui semble chiffonner l’auteur du commentaire n° 7 : notre unité linguistique est plus ancienne que 1900.

Mais qu’appelle-t-on unité linguistique ? S’il s’agit de placer les accents circonflexes sur les imparfaits du subjonctif tous de la même façon, on peut dire que l’unité linguistique française n’est pas encore réalisée aujourd’hui. S’il s’agit de se comprendre (ce qui me semble l’essentiel), on peut dire que l’unité linguistique française existe au moins depuis 1789 : les Etats Généraux ont convoqué des gens de toutes les provinces, ils ont réussi à se comprendre et à se mettre d'accord. Les Soldats de l’an II, puis la Grande Armée, avaient certainement une unité linguistique pour pouvoir manœuvrer de façon cohérente. Napoléon lui-même, Corse qui aurait pu naître Italien, est certainement arrivé à Paris en parlant une langue assez différente de celle qu’on parlait en Île-de-France mais il s’est fait comprendre.

Quand l’unité linguistique française n’existait pas précisément dans les mots ou la grammaire, elle existait au moins dans les concepts et les valeurs : en breton, « liberté » se dit « frankiz ».

9. Le mardi 18 janvier 2011, 22:42 par AGERON Pierre

Je suis plutôt d'accord avec Yves pour dire que l'unité liguistique francaise est antérieure à 1900, plutôt fin XVIIIè.
En revanche, il reste certain que l'unité linguistique total ne peut être atteint avant l'alphabétisation glovbale de la société et une acculturation prolongée avec l 'école répblicaine. E. Weber a montré, je pense à juste titre, que l'alphabétisation des campagnes de l'Ouest et en partie du Sud, n'était pas totale en 1900. D'où l'emploi hétérogène de divers dialectes ou patois...

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