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Surprise, surprise

1/ A propos de la Tunisie, j'ai déjà évoqué que malgré "l'évidence" de certains commentateurs (selon qui "c'était totalement prévisible"), la chose n'était pas anticipable. Certes, elle était explicable avec des ressorts de longue durée que j'ai essayé de mettre à jour après coup (voir mon billet). Certes, il est possible que certains spécialistes de la Tunisie aient pu prédire ce qui s'est passé, mais force est de reconnaître :

(croissance économique africaine)

personne n'a dit que cela se passerait comme cela, et à cet instant-là, et en liaison notamment avec les contrecoups de la crise financière.

2/ Autant dire qu'il s'agit d'une "surprise stratégique". Au sens propre. On peut certes se retourner vers les prospectivistes qui clament qu'il faut écouter les signaux faibles, cela n'a pas suffit.

3/ J'étais sceptique sur la possible contagion au reste du monde arabe. Apparemment, un mouvement s'amorce en Égypte, voire au Yémen. Pour l'instant toutefois, les choses demeurent limitées. Un point particulier cependant : il y a en Égypte une sorte de cogestion entre le pouvoir et les islamistes, les premiers gardant le contrôle politique, les seconds gardant le contrôle social. Ce qui explique qu'il n'y ait finalement que peu d'islamistes dans les manifestations. Même s'il semble que les Frères aient décidé de participer aux manifestations (sait-on jamais?). Surtout, il est intéressant de noter le retour de cette notion de "monde arabe" qu'on n'avait pas vue depuis vingt ans....

4/ Il reste que la question ne concerne pas seulement le monde arabe, mais en fait toute l'Afrique. Pour le coup, les signaux faibles le signalent bien plus clairement : il y a un fort désir d'imitation de la Tunisie en Afrique noire, où les kleptocraties sont légions (et vont de pair avec des gérontocraties décalées par rapport aux jeunesses des populations). Cet hiver, j'ai longtemps médité un billet sur la transition démocratique en Afrique, mentionnant des élections qui s'étaient bien passées : je ne l'avais pas publié à cause bien sûr des événements en RCI, même si le désir est toujours là. Mais il est fort possible que "l'extension du domaine de la lutte" (encore une fois, je suis houellebecquien sans le savoir) soit une réalité. Et que la croissance africaine s'accompagne (comme en Tunisie) d'une volonté démocratique d'autant plus sensible que le soft power européen est proche.

5/ Si cela était vrai, cela confirmerait l'émergence africaine, qui est au fond la vraie grande nouvelle de ces trois ou quatre dernières années. Même si ces transitions risquent d'apporter aussi du désordre à notre proximité. Bref, l'Afrique revient dans les radars.....

Surprenant ? Cela montrerait en tout cas la nature multiple de la Tunisie : j'ai classé le précédent billet dans "Méditerranée" après avoir hésité à le mettre à "Proche Orient", et je m'aperçois que j'aurais aussi bien pu le classer dans "Afrique". Ces catégories fuyantes sont bien embêtantes.....

réf :

O. Kempf

Commentaires

1. Le jeudi 27 janvier 2011, 17:18 par

On ne peut effectivement prévoir le basculement actuel avec le logiciel périmé utilisé par nos élites, gouvernements, médias, stratèges, etc... Pour comprendre la crise universelle, il faut présupposer l'effondrement du système : sinon, on va courir après le réel. Et ce n'est pas tautologique, c'est quantique (voir mon dernier article dans Revue Défense Nationale, "Souvenirs du monde de demain", mais tous ceux que j'écris depuis bientôt dix ans).

Dès lors, et si effondrement il y a, pourquoi limiter l'onde de choc au monde arabo-musulman ou à l'Afrique ? Et la Chine ? Et l'Europe ou la France, dont les citoyens sont désormais excédés devant l'impasse de nos sociétés, l'épuisement du modèle déterministe et capitaliste si efficient deux siècles durant, si contre-productif depuis dix ans, et l'impuissance de nos dirigeants à proposer autre chose que de continuer à s'enfoncer parce que, précisément, ils sont incapables de changer de logiciel, de penser "out of the box" ?

2. Le jeudi 27 janvier 2011, 17:18 par oodbae

Bonjour,

Jusqu'à présent, il n'y a pas eu d'élection démocratique en Tunisie depuis la fuite de M. Ben Ali et rien ne prouve que le peuple ait acquis des "libertés publiques" (pour reprendre le terme à la mode). Il y a un renversement de régime, comme cela arrive régulièrement, et... et je m'étonne, enfin, non, je ne m'étonne plus, mais je remarque que la presse française se passionne pour une prétendue victoire des droits de l'homme que le peuple tunisien aurait arrachés à la dictature. Il me semblait pourtant que le peuple [tunisien] avait surtout faim et était au chômage.La soi-disant révolution exprime plutôt cette loi, dont la formalisation et ses auteurs m'échappent, que le peuple se révolte quand il a faim. Théorème et réciproque seraient justes à la fois.

Si je me permets de poster ce commentaire, c'est parce que vous avez bien voulu argumenter dans un autre billet sur le débat de savoir si les manifestations à l'occasion de la réelection de Ahmadinejad en 2010 étaient semblables à Prague 1968. On voit que, à la différence de l'Iran, et à la différence de la Tchécoslovaquie en 1968, la Tunisie a vu son régime céder. Ainsi, ceci fait déjà un pays dont le peuple a une chance d'obtenir raison et de satisfaire ses aspirations.
On devrait remarquer que les circonstances ne sont pas les mêmes puisqu'en Iran, il se passait un vote national contre un vrai challenger, ex-président, donc le peuple était déjà chauffé à blanc, passez moi l'expression, et sa sortie dans les rues ne fut pas seulement motivée par la faim mais aussi par la croyance passagère que peut-être le gouvernement leur demandait vraiment leur avis, croyance déçue.

En passant, on ne devrait donc pas mettre la charrue avant les bœufs pour estimer la situation en Egypte où M.Moubarak a annoncé la démission du gouvernement. Le gouvernement sera probablement le bouc-émissaire et l'ordre sera rétabli.

Ma question est: est-ce que les tunisiens ont tiré une leçon de la révolution islamique de 1979? Ont ils en tête ce renversement de régime où les frustrations du peuple furent manipulées par des personnes avides de pouvoir qui n'étaient pourtant pas des agents de l'extérieur mais bien des leurs: les mollahs? Est-ce que les tunisiens voient plus loin que le bout de leur nez ou vont ils passer par une phase meurtrière, telle "la Terreur", la guerre civile, la dictature à nouveau?

Si oui, alors peut-être gagnerez vous le pari quant à l'Iran (cf le billet sur l'Iran), à savoir que le régime des mollahs tombera dans les 10 prochaines années. En effet, les iraniens apprendront du cas tunisien et se convaincront qu'ils ont bien une chance. Si non...je gagne !! :-D .

Il est certes maladroit de parier sur la destinée de peuples. C'est vrai qu'on est pas au PMU mais enfin, il me semble plus intelligent de formaliser un pari et donc d'avoir conscience de l'incertitude de ses affirmations que de s'afficher plein de certitude péremptoire.

Quant à votre remarque sur les classes "Méditerranée", "Afrique", etc, je souhaite commenter que vos classes ne sont pas fuyantes, elles sont séquantes. Leur intersection n'est pas nulle. Avez vous entendu parler de la théorie des ensembles de Poincaré? La Méditerranée et l'Afrique, comme "espaces conceptuels" ne sont pas "complémentaires" mais ont des parties non vides en commun, particulièrement la côte Sud de la Méditerranée. La Tunisie appartient aussi bien à la Méditerranée qu'à l'Afrique. En classant le billet dans "Afrique", ce n'est pas la Tunisie qui y perd mais l'Afrique qui y gagne en montrant sa façade méditerranéenne.

Espérant ne pas avoir été trop gonflant,

cordialement,
oodbae

égéa : mais on n'est jamais gonflant, quand on argumente.... Et en plus,c 'est intéressant. Pour la théorie des ensembles, oui, vous avez raison. La géopolitique pratique le multiscalaire, mais aussi les recouvrements séquants.... Sur la faim en Tunisie, je ne suis pas d'accord avec vous.

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