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Qu’est ce que la victoire ? (S. DUval)

Samuel Duval est actuellement étudiant à Télécom ParisTech pour passer un mastère 2 de conception et architecture des réseaux.

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Cela illustre que des magiciens de l'informatique sont capables de raisonner stratégiquement... Merci à lui.

O. Kempf

« La victoire est impossible en Afghanistan1 », déclarait récemment M. Gorbatchev, dernier dirigeant soviétique. Un peu plus tôt dans l’année, le président des Etats-Unis, M. Obama affirmait quant à lui à ses troupes à Bagram : « les forces armées des États-Unis n’abandonnent pas, nous persistons, nous persévérons, et ensemble avec nos partenaires nous gagnerons. J’en suis absolument certain2». Ces deux déclarations sont peut-être les plus remarquables parmi un concert de « petites phrases » sur le conflit afghan. Et il faut bien reconnaître que la tendance générale est plutôt au pessimisme quant à une victoire de l’OTAN dans ce pays.

Mais, de quelle victoire parlent-ils exactement ? S’agit-il de victoire militaire, de victoire politique ? Cette typologie simple en apparence recouvre en réalité des concepts plus subtils qu’il est utile de préciser. De plus, l’essor des médias de télévision et sur internet a révolutionné la perception de la victoire. Enfin, il est intéressant d’examiner l’exemple de l’intervention de l’OTAN en Afghanistan pour tenter de savoir si la notion même de victoire a encore réellement un sens aujourd’hui.

1. Victoire ou victoires ?

Tout d’abord, prenons une définition simple de la victoire : l’atteinte de ses objectifs. Dans ce cadre général, le vainqueur est celui qui impose sa volonté au vaincu. Cependant, cette définition de départ n’est pas suffisante car elle repose sur des strates successives plus complexes3. De façon à dissiper certaines confusions, il est utile de préciser les trois niveaux de guerre généralement admis par les spécialistes. Jusqu’au début du XXème siècle, on ne retenait que deux niveaux. Le niveau stratégique était celui où l’on décidait des objectifs nationaux : les buts de guerre et l’allocation des moyens à mettre en œuvre pour les atteindre. Le niveau tactique était celui de la conduite de la bataille en utilisant les moyens mis à disposition.

Le XXème siècle a vu apparaître un niveau intermédiaire, le niveau opératif. En effet, les guerres mondiales ont obligé les puissances impliquées à combattre sur plusieurs grandes zones d’opération en même temps et à coordonner leurs actions sur celles-ci. Le niveau opératif est donc celui du théâtre, par exemple en 1944 et 1945, l’Allemagne combattait sur deux fronts : à l’ouest face aux Anglo-américains et à l’est face à l’Armée Rouge. Elle avait donc besoin de deux commandements de niveau opératif pour chacun de ces théâtres.

On peut donc penser à première vue que l’on peut atteindre la victoire du niveau supérieur en accumulant des victoires du niveau inférieur. Une victoire opérative pourrait advenir à la suite d’une série de victoires tactiques c’est à dire de batailles gagnées et la victoire stratégique serait obtenue en battant l’ennemi sur tous les théâtres d’opération. C’est ce que le général de Gaulle exprimait dans sa célèbre proclamation : « La France a perdu une bataille ! Mais la France n’a pas perdu la guerre ! 4» Lors de la Seconde Guerre Mondiale, les Alliés ont effectivement remporté la victoire stratégique sur l’Allemagne nazie en la battant sur tous les théâtres où elle était présente.

Cependant, cette description simple et confortable ne résiste pas à l’épreuve de l’Histoire. Examinons par exemple la guerre du Vietnam, les Etats-Unis ont été acculés au retrait de leurs troupes en 1973, ce qui peut être considéré comme une défaite stratégique, après avoir gagné toutes les batailles où ils ont combattu les communistes viet congs. Inversement, le bloc occidental a incontestablement remporté la victoire face au bloc communiste lors de la Guerre Froide sans que l’on puisse réellement observer de victoire tactique ou opérative.

Ainsi, avant d’affirmer péremptoirement que la victoire est impossible ou à portée de main, encore faut-il savoir de quel niveau de victoire il s’agit.

2. La victoire des perceptions

Par ailleurs, la prépondérance des médias et leur influence grandissante sur l’opinion publique et les gouvernants ont modifié la perception qu’une nation avait de la victoire. Le tournant est incontestablement la guerre du Vietnam. Lors de l’offensive du Têt en 1968, le Viet Cong a attaqué simultanément une centaine de villes du Sud-Vietnam avec plus de 80 000 hommes. Après quelques heures de confusion due à la surprise, les Américains et leurs alliés sud-vietnamiens ont repris l’initiative et infligé au camp communiste une défaite tactique nette. Les assaillants sont repoussés en deux ou trois jours pratiquement partout et leurs pertes s’élèvent à plus de 45 000 tués5. Pourtant, cette victoire tactique américaine a abouti à la défaite stratégique. En effet, suite à l’offensive du Têt qui a été très médiatisée, le peuple américain a pris conscience que la victoire stratégique au Viet Nam n’était pas pour demain comme l’annonçaient pourtant les généraux et les dirigeants politiques. Le mouvement de contestation populaire initié à ce moment par les intellectuels et les artistes a fini par avoir raison de l’engagement des Etats-Unis au Viet Nam.

De nos jours, ce phénomène s’est encore amplifié avec le développement d’Internet et de la télévision par satellite qui permet d’avoir accès à l’image quelques minutes après l’événement filmé. Ceci entraîne un manque de recul face à l’événement, et une embuscade dans une vallée perdue d’Afghanistan filmée par un insurgé au moyen d’un caméscope, peut être interprétée par les internautes français comme une défaite décisive.

Par ailleurs, la disparition progressive des journalistes spécialisés dans les grands médias6 ainsi que le désintérêt du grand public et des élites politiques de notre pays pour les sujets de défense7 influencent de façon négative la perception de l’intervention militaire en Afghanistan. 70% des Français sont hostiles à cette intervention8. Les titres de la presse écrite au sujet des soldats morts pour la France se contentent le plus souvent de tenir à jour le décompte macabre de ceux qu’ils dépeignent comme des victimes. La communication du ministère de la Défense déploie pourtant des efforts sans précédent pour fournir des éléments à la presse sur l’action des armées sur le théâtre afghan. Des documents, accessibles à tous9, montrent des avancées sensibles et donnent un sens au sacrifice de nos hommes : 5 millions de réfugiés afghans sont rentrés au pays depuis 2002, la mortalité infantile a baissé de 26% depuis 2005, etc. Mais ce message reste complètement inaudible dans les médias français.

Les armées peuvent donc remporter autant de batailles que possible, si la perception qu’en a l’opinion publique est faussée, cela ne sert de rien.

3. Victoire en Afghanistan ?

Pour revenir à la guerre que mène l’OTAN au sein de la FIAS 10 contre les insurgés islamistes en Afghanistan, est-il possible d’obtenir la victoire ? Messieurs Gorbatchev et Obama sont, semble-t-il, d’avis contraires. Il convient néanmoins de préciser là encore, de quelle victoire il s’agit.

La victoire de niveau stratégique en Afghanistan pourrait être atteinte à condition de l’obtenir au niveau opératif sur le théâtre afghan lui-même et sur le théâtre de l’opinion publique.

Les nations occidentales sont encore influencées aujourd’hui par un modèle de guerre datant de la Grèce antique. A cette époque, la guerre se limitait souvent à une bataille décisive où le vainqueur restait seul maître du terrain après avoir massacré le vaincu fuyant. Obtenir ce type de victoire face aux Taliban et autres islamistes paraît hors de portée. En revanche, restaurer l’autorité d’un gouvernement légitime sur l’ensemble des provinces du pays en limitant la violence au niveau le plus bas possible, peut constituer un but de guerre réaliste et accessible à moyen terme sur le théâtre afghan.

La victoire sur le théâtre de l’opinion publique française est beaucoup plus hypothétique. Au moment de l’entrée de l’OTAN en Afghanistan en 2001, personne pourtant ne contestait en France le bien-fondé de cette intervention à l’encontre de ceux qui avaient abrité les terroristes du 11 septembre. Dix ans après, il serait souhaitable que la presse sorte de sa logique de « body counting 11» et décrive les difficultés persistantes de l’OTAN mais aussi les progrès indéniables. Par ailleurs, la tendance des médias à traiter l’information sous l’angle émotionnel s’applique mal au contexte de la guerre : « La dérive vers l'émotionnel et le compassionnel, appliquée à un théâtre de guerre, est une catastrophe. C'est un point de fragilité des démocraties, et les insurgés le savent. 12»

En conclusion, on voit donc que la victoire est non seulement affaire de définition mais aussi de perception. De plus, la recherche de l’émotion qui semble être la méthode privilégiée des médias d’aujourd’hui ne permet pas le nécessaire recul de la raison pour apprécier sereinement les situations de guerre. Ces situations sont elles-mêmes, par essence, source d’incertitude.

Toutefois, une nation démocratique n’obtient pas de victoire stratégique à l’encontre de son opinion publique. Un effort de pédagogie est donc absolument nécessaire aux niveaux militaire bien sûr, mais aussi politique et journalistique pour bien faire comprendre les enjeux des interventions dans lesquelles la France est engagée. Il ne s’agit évidemment pas de censure ou de rétention d’informations qui ne sont ni admissibles ni réalistes au siècle de Wikileaks, mais de raison et de responsabilité, sous peine de voir se reproduire le syndrome de la guerre du Vietnam.

références

  1. Interview pour la BBC du 27/10/10 : http://www.bbc.co.uk/news/world-south-asia-11633646
  2. Discours du président Obama aux troupes américaines à Bagram, Afghanistan le 28/03/10 : http://www.whitehouse.gov/the-press-office/remarks-president-troops
  3. Tactique théorique, Général Michel Yakovleff, Economica, 2009, p.37-38.
  4. Affiche placardée sur les murs de Londres en juillet 1940
  5. Tet!: The Turning Point in the Vietnam War, Don Oberdorfer, The Johns Hopkins University Press, 1971, p. 261.
  6. Un monde à eux, Weronika Zarachowicz, Télérama n°2944 du 17 juin 2006.
  7. Compte rendu de la séance du 27/10/2010 de la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée Nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-cdef/10-11/c1011012.asp
  8. Sondage Ifop pour l’Humanité du 12/07/2010
  9. http://www.defense.gouv.fr/content/download/98302/951638/file/ENGAGEMENT FRANCE EN AFGHANISTAN.pdf
  10. FIAS: International Security Assistance Force
  11. Décompte des morts
  12. Interview de M. Pierre Servent, ancien journaliste, pour la Voix du Nord, 25/02/2010 : http://www.lavoixdunord.fr/France_Monde/actualite/Secteur_France_Monde/2010/02/25/article_guerre-et-medias-les-insurges-font-des.shtml

Samuel Duval

Commentaires

1. Le vendredi 28 janvier 2011, 12:25 par Jean-Pierre Gambotti

Olivier Kempf a raison, la stratégie n’est pas étrangère aux magiciens. Ce billet en est la preuve, c’est l’utilisation d’une belle rhétorique adossée à de solides connaissances, pour exprimer une conviction bien ancrée, une démonstration menée à la « baguette » en quelque sorte…
Pour ma part j’adhère totalement à la conclusion: "la victoire est une affaire de définition mais aussi de perception (…) une Nation démocratique n’obtient pas de victoire stratégique à l’encontre de son opinion publique".
Mais je peine à m’enthousiasmer pour l’argumentaire !
D’abord parce que dans son souci légitime de définir les différents niveaux de la guerre, Samuel Duval se limite au niveau militaire en oubliant le niveau politique et chacun peut se souvenir de l’importance du fameux pol-mil quand on s’engage dans la planification d’une opération. Pour faire simple je rappellerai qu’à la guerre il existe des objectifs politiques et des objectifs militaires, ces derniers se déclinant effectivement aux niveaux stratégique, opératif et tactique. Mais la victoire n’est obtenue que lorsque l’état final recherché politique (EFR) est atteint car, j’insiste « il concrétise », disent les textes « la réalisation de l’objectif politique (…), il recouvre les aspects militaire, social, institutionnel, économique, humanitaire (...), cette réalisation se mesure aux moyens de critères», les fameux critères de succès. Il n’y donc de victoire que politique.
Et cette première remarque peut expliquer que certaines victoires tactiques ne conduisent pas à des victoires stratégiques- que l’auteur me pardonne d’avoir inversé sa proposition. Car toute action à la guerre doit s’inscrire dans la seule et unique logique du concept d’opération choisi visant à annihiler le centre de gravité adverse pour atteindre l’EFR. L’offensive du Têt était une bataille à l’initiative du Viet Cong et de l’Armée populaire vietnamienne, je ne suis pas certain qu’elle existait sur les lignes d’opérations de la planification américaine ! Autrement dit, bien que gagnée cette bataille ne permettait pas d’avancer sur le chemin de l’EFR, pire, et Samuel Duval le démontre, elle en a obstrué les lignes d’opérations jusqu’à interdire aux forces américaines d’atteindre l’état final recherché, donc jusqu’à la défaite.
Ensuite je voudrais rappeler qu’entre les guerres de l’antiquité, puisque Samuel Duval y fait référence, et les guerres actuelles nous avons eu Clausewitz. Et qu’en vérité pour commenter plus clairement son excellent billet, j’aurais dû céder la parole au Maître, pour utiliser la terminologie kempfienne. Et souligner en le citant plus ou moins approximativement :
-que la guerre n’est rien d’autre que la poursuite de la politique de l’Etat par d’autres moyens,
-que la guerre est la combinaison multiple de combats particuliers et que la stratégie est la combinaison des différents combats qui composent la guerre en vue d’atteindre le but de la campagne et celui de la guerre,
-qu’elle est la confrontation de deux centres de gravité.
Et surtout insister sur l’image du caméléon et l’étonnante trinité, notamment sur le peuple qui apporte « sa violence originelle, la haine et l’animosité qu’il faut considérer comme une impulsion naturelle aveugle », passions qui sont appelées à s’embraser dans la guerre. Ainsi doit-on considérer, de la guerre de Troie à l’Afghanistan, l’opinion publique comme un élément consubstantiel à la guerre. Et le drame de ces guerres de la 3° Vague, c’est que les maîtres de l’information mondialisée aient une culture stratégique si misérable qu’ils ignorent même que par cette maîtrise ils sont acteurs de la guerre et non plus de simples observateurs-commentateurs.
Incontestablement la victoire est aussi une affaire de perception, pardonnez-moi de rappeler encore le superbe exemple de Qadesh, mais je doute que nous puissions convaincre les médias et le peuple de se colleter avec la méthode de planification des opérations ou de lire "Clausewitz pour les nuls". Je crains que nous devrons encore longtemps avoir de cette guerre d’Afghanistan par exemple, une perception ténue par la distance et contenue par ignorance.
Mais nous sommes du peuple, nous sommes aussi acteurs, nous ne pouvons nous détourner de nos responsabilités, c’est pour cette raison, aussi, que j’apprécie ce billet de Samuel Duval.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

2. Le vendredi 28 janvier 2011, 12:25 par VonMeisten

La guerre est-elle une expérience quantique ? L'observation (médiatique) du sujet modifie l'expérience...

3. Le vendredi 28 janvier 2011, 12:25 par Cadfannan

Ce qui est intéressant dans cet article, c'est la mise en évidence de la position centrale de "l'opinion publique" dans les démocraties actuelles... Ne s'agit-il pas là du centre de gravité stratégique de nos guerres? La stratégie terroriste la considère comme telle, car c'est sur elle qu'elle cherche à exercer ses effets.
La dépendance de nos dirigeants vis-à-vis de l'opinion publique implique une dépendance de la volonté du stratège, une faille: que l'opinion publique lui soit trop défavorable, et le chef perd la volonté de continuer le combat.
La situation a grandement évolué depuis le tournant de la guerre du Vietnam.
La trinité clausewitzienne, qui est toujours pertinente, a évolué dans les liens entre ses trois pôles.
La volonté du chef dépend désormais énormément du peuple, lequel exerce davantage sa violence aveugle contre son voisin ou son gouvernement plutôt que contre un ennemi lointain et hors d'atteinte. Quant à l'armée, ses liens avec le peuple sont de plus en plus ténus.
Il en résulte une prépondérance du peuple sur les deux autres. Or si le chef est le détenteur de la raison, il peut donc être convaincu, le peuple, lui, est le détenteur de l'émotion; il ne peut donc pas être convaincu, il doit être persuadé.
L'organe qui de nos jours détient une grande partie des leviers permettant de persuader le peuple, c'est ce que l'on appelle "les medias". Comme leur nom l'indique, les medias ne sont que des moyens, des relais. Ceux qui détiennent ces relais disposent du pouvoir d'influencer la population, de le persuader. On peut ainsi expliquer que des personnes telles que des acteurs de cinéma ou des mannequins, qui expriment publiquement leur opinion, semblent avoir plus d'influence que des chefs politiques.
Si la victoire, c'est imposer sa volonté à son adversaire, il ne faut pas oublier de ne pas être vaincu. Cela implique:
1- Avoir une volonté;
2- Ne pas se laisser imposer celle de l'adversaire.
Dans ce cadre, les medias deviennent un théâtre d'opérations à part entière, et la responsabilité des grands "communiquants", journalistes, télévision, devient très grande.
Au final, si la prépondérance du peuple dans la trinité clausewitzienne peut correspondre à l'idéal démocratique, l'émergence du pouvoir considérable des journalistes et de la télévision, qui n'émanent pas vraiment de la population et dont les objectifs peuvent être éloignés de ceux de l'Etat, est un phénomène peu maîtrisé dans nos démocraties.

égéa : oui, d'accord avec vous : le centre de gravité, c'est l'opinion publique. Et même les tyrannies (Tunisie, Égypte), doivent en tenir compte. Et effectivement, (je crois l'avoir noté dans un billet en décembre), il faut un stratégie de communication qui ne soit pas seulement les affaires techniques des communicants, mais l'effet recherché du chef militaire.....

4. Le vendredi 28 janvier 2011, 12:25 par Jean-Pierre Gambotti

Ce n’est pas quand ils rendent compte de la réalité de la guerre que les médias sont dangereux, mais quand ils tentent un diagnostic exégétique sur cette vérité qu’il leur échappe. Ce faisant ils deviennent « l’idiot utile » de l’autre, c'est-à-dire de l’adversaire, et des acteurs, par inadvertance, de la guerre. Informer sur les opérations et expliquer la guerre n’est pas neutre quand le peuple est partie prenante et l’opinion publique un champ de vulnérabilités. Peut-être est-ce cette ambivalence commentateur /acteur qui incline VonMeistein à une référence implicite et perfide au chat de Schrödinger. Quantique ? C’est trop ! Disons simplement que dans ces circonstances, être témoin n’est pas comprendre et commenter la guerre c’est manier la mort.
Bien que je sois d’accord avec l’esprit du commentaire de Cadfannan , qu’il me permette de revenir sur le sens des mots car « Si on cède sur les mots on finit par céder sur les choses » disait Freud, et dans le domaine des opérations les « choses » sont de l’ordre de la létalité !
Parlons clair, l’opinion publique n’est pas le centre de gravité des démocraties, mais plutôt l'une de ses faiblesses, l'une de ses vulnérabilités. Rappelons sommairement la définition du centre de gravité clausewitzien : c‘est le lieu de la puissance amie ou ennemie, « le point central provisoire du système tout entier », celui avec lequel on frappe le centre de puissance de l’ennemi en application du principe cardinal : « la guerre, ce duel porté aux extrêmes, est la confrontation de deux centres de gravité. » Ainsi pourrait-on supposer que le lieu du centre de gravité de la FIAS est justement cette coalition de démocraties : CDG avec ses capacités essentielles- ce que le CDG est capable de faire, CDG avec ses exigences fondamentales - les moyens et ressources essentiels pour que le CDG soit efficace, et CDG avec ses vulnérabilités - faiblesses qu’il faut attaquer ou protéger. En l’occurrence je ne tenterai pas de définir les capacités, les exigences et le CDG lui-même de notre coalition sur le théâtre Afpak, mais d’évidence l’opinion publique est l’une de ses faiblesses, l’un des lieux sur lequel l’adversaire fera effort au niveau politico-stratégique, effort qui participera à l’annihilation de ce centre de gravité. En utilisant son propre centre de gravité….
Pour conclure de manière lapidaire et définitivement rejeter l’opinion publique comme centre de gravité de la coalition, je renverserai la problématique : la FIAS pourrait-elle n’utiliser que l’opinion publique de ses membres pour vaincre en Afghanistan ? …D’évidence il faut chercher ailleurs son centre de gravité.
Ne prenez pas ombrage de cette rigidité sémantique et ce rappel à la Méthode mais quand on traite de la guerre c’est une obligation… dirimante. (Pardon aussi , cher Olivier, pour l’utilisation de ce terme qui vous irrite !)
D’ailleurs pour terminer sur la remarque d’egea , je voudrais dire que je ne comprends pas cette insistance à dénoncer le découplage entre la stratégie de communication, affaire technique des communicants et l’effet recherché du chef. Il est en planification des opérations intellectuellement et méthodologiquement impossible. Mais en conduite il faut peut-être tenir rênes courtes certains médiateurs-communicants un peu trop autonomes.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

5. Le vendredi 28 janvier 2011, 12:25 par yves cadiou

« A mon avis, dans la guerre, il y a une chose attractive : c’est le défilé de la victoire. L’emmerdant, c’est tout ce qui se passe avant.» (Michel Audiard, un taxi pour Tobrouk).

Quand on parle de victoire en ce moment, on pense évidemment à l’Afghanistan. J’ai commencé par citer Michel Audiard parce qu’on aurait tort de douter : 1 nous serons victorieux en Afghanistan, du moins aux yeux de la presse généraliste et de l’opinion publique. Mais 2 je reviendrai sur ce « nous » car c’est là que se situe l’essentiel.

1. Pour être victorieux il suffira de définir opportunément les buts de guerre après que l’affaire sera terminée : c’est ce qu’ont fait les Américains en sortant d’Irak. A ce moment la presse et le grand public avaient oublié que « la coalition » était allée en Irak sous le prétexte initial d’y dénicher des ADM finalement inexistantes.

Depuis neuf ans que « nous » sommes en Afghanistan, les buts de guerre ont changé plusieurs fois. Dans cette confusion il sera facile, lorsque l’affaire sera terminée, de définir un but de guerre a posteriori. Le procédé qui a fonctionné pour la sortie d’Irak fonctionnera pour la sortie d’Afghanistan : aujourd’hui tout le monde semble avoir oublié qu’en 2001 on allait en Afghanistan pour anéantir AlQaïda et oublié que l’objectif était atteint dès 2002 www.publicsenat.fr/vod/seance/colloque-sur-le-moyen-orient-ou-en-est-al-qaida-/64402

Avec ce tour de passe-passe qui consiste à quitter le pays en affirmant qu’on y laisse la situation que l’on voulait instaurer en arrivant, la victoire aux yeux des opinions publiques inattentives est garantie. D’autant qu’ensuite le pays concerné est vite oublié : aujourd’hui, la presse généraliste ne parle plus de l’Irak. Elle ne parlera plus de l’Afghanistan lorsque nous n’y serons plus. Pour l’opinion publique (que je différencie des spécialistes attentifs), il n’y aura pas plus de défaite occidentale en Afghanistan qu’il n’y en eut en Irak.

2. Mais pour l’Afpak la situation stratégique est différente parce que d’Irak la France et quelques autres Européens étaient ostensiblement absents.

Par conséquent, au sujet de cette guerre d’Afghanistan étendue à l’Afpak dans l’inattention des opinions publiques, le raisonnement à opérer n’est pas aussi simple : pour y voir plus clair il faut maintenant s’interroger sur le « nous » dont je parlais tout à l’heure. Il faut définir ce « nous » en se demandant d’abord si les intérêts stratégiques des Américains sont également les nôtres.

Poser la question, c’est déjà répondre par la négative. Il est décevant de constater que nombre de commentateurs, ici et ailleurs, ne font pas de différence et utilisent un « nous » mélangeur.
Or la partie qui se joue en Afpak, comme naguère en Irak, est avant tout une démonstration que les grandes puissances peuvent intervenir militairement où elles veulent et bombarder qui elles veulent. Cette démonstration convient évidemment à deux autres des cinq membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU : du fait que personne ne proteste contre l’intervention américaine en Afpak, du fait que personne n’ose prononcer un nouveau discours de Phnom-Penh (1966), la Russie et la Chine sont ainsi autorisées, elles aussi à l’instar des Etats-Unis, à intervenir violemment où et quand elles veulent : Caucase, Tibet, Xinjiang, les objectifs potentiels ne manquent pas. http://fr.wikipedia.org/wiki/Discou...

De leur côté les Américains ont tiré les leçons du Viêt-Nam où leur position était moralement difficile à tenir (y compris devant leur propre opinion publique) parce qu’ils y étaient isolés : au contraire en Afghanistan la présence française et européenne est pour eux une caution morale.

Sommes-nous bien inspirés de leur donner cette caution morale, telle est la question qui est essentielle pour savoir de quelle victoire on parle.

Aujourd’hui la France et les autres Nations d’Europe feraient bien de se démarquer de la politique américaine. Ainsi nous contreront la menace exercée par les grandes puissances sur les petits pays, renouant avec notre vocation : « la lutte contre l’oppression est le plus sacré des devoirs » disait Lafayette. Mais à la Maison Blanche on a depuis longtemps oublié Benjamin Franklin et Lafayette, sauf à titre anecdotique http://french.france.usembassy.gov/...

La victoire n’est pas où l’on croit : l’Afpak, c’est tous les jours la victoire des grandes puissances militaires et en particulier celle qui dépense à elle seule 47% des budgets militaires mondiaux. C’est une victoire écrasante sur les petites Nations qui n’osent pas, comme c’est le cas de la France dans l’Otan, se faire entendre.

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