Proche Orient : de la géopolitique quand même
Par Olivier Kempf le lundi 21 février 2011, 18:45 - Proche Orient - Lien permanent
J'avais évoqué la dimension sociologique (démographique et économique) et donc sociale des premiers mouvements en Tunisie ou en Égypte. Or, ces mouvements ont fait tâche d'huile.
Mais il ne s'agit plus seulement d'un phénomène social, mais politique, avec des racines, ne l'oublions pas, géopolitiques. Les cas barheini, libyens ou yéménites en sont des exemples frappants.
1/ En effet, il y a tout d'abord un phénomène frappant de désinhibition : si Tunisiens et Égyptiens ont pu le faire, moi, arabe de (mettre le nom du pays), je peux aussi faire la révolution. Le "monde arabe " (cercle approximatif, j'en conviens) a trouvé une sortie à son sentiment d'humiliation (cf. Moïsi et sa géopolitique des émotions).
2/ Au-delà de ce facteur général, qui explique, par exemple, les mouvements au Maroc ou en Jordanie, il ne faut pas négliger des facteurs proprement géopolitiques, qui expliquent les cristallisations en cours :
- au Barhein, il y a incontestablement un clivage sunnite contre chiite
- au Yémen, un clivage Sud contre Nord, au terme d'une réunification bâclée et, qui sait, ratée
- en Libye, un clivage entre l'Ouest (Tripoli) et l'Est (Benghazi), qui remet en cause une structuration tribale devenue, au fil du temps, une sorte de kleptocratie (la tribu des Kadhafa étant comparée, localement, au Traboulsi tunisiens, c'est dire) : autant dire que si le colonel a aboli la monarchie, il n'a pas aboli son soubassement social, mais que celui-ci s'est érodé en quarante ans.
3/ Géopolitique, donc. Mais aussi, politique : l'extension des troubles à des contrées réputées stables le justifie aisément : le Maroc ou Djibouti sont frappants. Surtout, on commence à sentir que ça va déborder :
- en Chine, dont les premiers prolégomènes commencent à apparaître, ce que j'avais suggéré il y a plus d'un mois !
- en Afrique subsaharienne : Cameroun, Congo, Gabon.... vont eux aussi vouloir s'essayer à surmonter leur humiliation.
4/ Tous ces pays émergents (ou non, d'ailleurs, s'ils restent dans le "en voie de développement") veulent juste prouver que la tyrannie n'est pas aussi inévitable qu'on veut bien s'en contenter en Occident. L'émergence n'est pas seulement économique, on dirait.
5/ Contagion ? il faut désormais prendre comme hypothèse que ce mouvement ne s'arrêtera pas à ces régions émergentes, ou encore immergées : les troubles peuvent s'étendre au nord de la Méditerranée. La crise et la lassitude démocratique constituent autant de facteurs déclenchants qu'il serait bon de ne pas ignorer.
Dans géopolitique, il y a politique.
O. Kempf
Commentaires
Je suis tout a fait d'accord avec le 4 et surtout le 5.
J'aime beaucoup le point 5) : s'appliquerait-il aussi à l'Ouest de l'Atlantique, sous une forme différente "of course" ?
"les troubles peuvent s'étendre au nord de la Méditerranée"
pourquoi pas? Cependant,on constante une différence marquante dans nos démocratie du nord de la Méditerrané : l'habitude des manifestations et de la liberté d'expression.
Dans des pays ou le silence est imposé au peuple pendant si longtemps, quand les voix s'élèvent et prennent de la puissance, les gouvernements peuvent avoir peur et peuvent perdre le contrôle de la situation, jusqu'à éventuellement aboutir à une démission.
Chez nous, ou l'expression est libre et régulièrement manifestée publiquement, ce type d'action a perdu de sa force. Aussi bien du coté du peuple, qui n'y croit plus et qui est lassé de ces inutiles répétitions, que du coté des élus, qui on l'a vu assez souvent, s'en moquent complètement et éteignent le feu avec une déclaration ou une décision symbolique.
Bref, et c'est mon opinion personnelle sur la question, je ne croit pas vraiment a une telle contagion. LEs mécanisme sont rop différents. Mais comme en ce moment ce que l'on pensait impossible se produit... pourquoi pas! :)
Bonjour,
Je ne comprends pas ton 4). Depuis vingt ans la chute du Mur Fukuyama et consorts, le logiciel occidental, celui qui sous-tend tous les discours même ceux de Bush le Simple, c'est que la démocratie de type libérale, cette fin de l'Histoire, devient le régime universel dans un monde global. Donc on le savait que les systèmes autocratiques voire totalitaires allaient tous disparaître, que c'étaient non seulement des pis-aller mais des expédients provisoires. Donc rien de plus prévisible et même prévu, nos géopoliticiens ont prévu la suite, non...?
A moins... A moins que, les BHL et autres mignons Boillon se soient foutus de notre gueule et n'aient pas cru un mot de ce qu'ils nous serinaient. A moins, seconde hypothèse, que leur QI de 65 (et tous ensemble en plus) ne leur ait pas permis de comprendre ce qu'ils racontaient.
Je m'interroge encore : brigands ou imbéciles ? Mais comme tu le dis justement, les nations arabes ont fini par comprendre, et demain les Chinois, et après-demain effectivement les Européens. En fait, c'est brigands et imbéciles.
JPhI
Les événements qui secouent le monde arabe incarneraient ils une surprise stratégique ou étaient ils prévisibles. Cela suscite deux champs de réflexions.
- Surprise stratégique : personne ne s’attendait à ce que la rive sud de la méditerranée empreinte par le paradigme islamique prône démocratie et tolérance. ca ne fait pas très longtemps la région s’apparentait à une zone dangereuse ou sévit terrorisme et radicalisme. Or le degrés de maturation pacifique de cette population montre bien qu’elle n’est pas prédisposée à accueillir une autocratie même islamiste. a priori, elle cherche de faire perdurer l’alternance et le changement qui sont le fondement de toute démocratie.
- Prévisible : c’est le résultat de la stratégie indirecte qui permet efficacement de faire tomber des régimes sans l’engagement de forces armées. (Irak # Lybie). l’option stratégique c’est de transcender le despotisme et gagner le cœur et les esprits des populations, véritables centre de gravité, en leur montrant les quatre vérités et les vertus de la démocratie. Le moyen c’est l’instrument de puissance qui n’est autre que internet ( wikileaks , facebook…).
- Totalement d’accord pour la désinhibition : l’avènement de Barak Obama à la maison blanche, avec la fameuse formule « yes we can » a été réitérer par la population égyptienne et Tunisienne pour montrer qu’elle existe. Cela a été pour quelque chose. Et le mouvement qui pourrait s’étendre à toute l’Afrique marquerait le tournant de ce siècle au point nommé avec les Objectifs du Millénaire pour le Développement.
Mes amis sinologues ne partagent pas du tout votre avis sur la Chine et un possible retournement, du point pas à court et moyen terme :
- Le traumatisme de Tien Anmen est encore présent dans les esprits ;
- La classe moyenne, qui a émergé ces 15 dernières années n'aspire pas à plus de politique, mais à plus de biens de consommations et d'argent.
De manière générale, le contrat social en Chine d'une croissance forte contre le maintien du PCC n'est pas remis en question par le Chinois moyen.
Et l'absence d'opposition organisée, même au sein du PCC (et surtout pas les oligarques de Shanghai qui auraient trop à perdre) ne permettent pas de réunir les éléments qui ont porté les révoltes arabes.
D'où ma question : pourquoi nous dire que la Chine sera secouée par ce mouvement ? Quels éléments vous permettent de l'envisager ?
Merci !
égéa : mais parce qu'il y a une tension sociale, une tension démographique (vieillissement accéléré), une inflation présente et une corruption galopante. La Chine est plus fragile qu'on le dit. Toutefois, je n'affirme pas que cela aura lieu à court terme.... Enfin, vos amis ont probablement raison, beaucoup plus que moi qui ne suis pas un spécialiste de la Chine : j'admets tout à fait me tromper, et j'ai déjà lancé des pronostics (rarement, c'est un sport bien trop dangereux si on a peur du ridicule, ce qui est évidemment mon cas) qui ne se sont pas réalisés.
Je me permets juste de faire des comparaisons (dès début janvier, et depuis beaucoup les ont faites) et de regarder les qq éléments à ma disposition. Je ne crois donc pas à une révolte "politique", si c'est de cela dont on parle. Mais à des troubles sociaux, dont on ne sait comment ils peuvent évoluer, ça, j'y crois.
Pour la Chine, notons aussi que beaucoup d'ouvriers chinois (travaux publics...) qui étaient dans des pays arabes en pleine agitation retournent actuellement au pays:
-D'une part il n'est pas certain qu'ils y trouvent du boulot car pétrole qui monte=économie qui tombe (et il n'est pas exclu que ce dernier soit à 300$, voire en rupture, cet été si l'arabie est par exemple touchée)...
-D'autre part, ils auront vu ce qui s'est passé et percevront bien la crainte des autorités chinoises qui se manifeste par la censure de ces évènements. Et qui montre sa crainte avoue sa faiblesse!
Il n'est pas non plus évident que la classe moyenne, qui a émergée dans des zones encore limitées vu l'étendue du pays, soit un facteur de stabilisation suffisant.
Surtout si le pacte "croissance contre maintien du PCC" ne peut pas être tenu:
Au moins dans les campagnes on trouvera toujours matière à remplir un minimum les estomacs.
Autant dans des villes champignons totalement inhumaines, qui feraient passer nos banlieues bétonnées "à problèmes" pour des villages champêtres (mais néanmoins hautement instables, à 30% de chomages des jeunes) en comparaison, des estomacs vides seraient un déclencheur aussi immédiat que généralisé: Tout ce à quoi un état a du mal à faire face, même avec la plus extrème brutalité!
égéa : mais vous êtes quasiment en train d'écrire la surprise stratégique n° 4, vous.... Hundred percent OK