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Libye : 4 questions à M. Goya

Michel Goya (chercheur à l'IRSEM) a bien voulu répondre rapidement à quelques questions sur les opérations en Libye : mille mercis à lui pour cet éclairage plein de bon sens, et qui va au-delà des commentaires bêtas de certains journalistes...

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O. Kempf

1/ Comme d'habitude dès qu'un conflit dure plus de deux semaines, les médias parlent d'enlisement : est-ce vraiment le bon mot ?

MG : Non évidemment. Il est même rare que les guerres se concluent en quelques jours. Un effondrement de l'armée de Kadhafi par choc psychologique était sans doute espéré mais, à partir du moment où ce résultat n'était pas obtenu, la guerre devait forcément durer beaucoup plus longtemps. En 1999, il a fallu 78 jours pour faire plier Milosevic...et nos forces sont toujours au Kosovo, douze ans après. Il aurait peut-être été nécessaire de l'annoncer dès le départ.

2/ De même, on entend à nouveau les critiques sur l'air power : pourtant, n'a-t-il pas l'air plutôt efficace, cette fois-ci ?

MG: La mission explicite était de protéger les populations civiles des exactions des forces de Kadhafi et la mission implicite, au moins pour la France, était d'aider les rebelles à renverser Kadhafi par la force ou par la négociation. Après trois semaines, la petite force aérienne de Kadhafi a été neutralisée et le siège de Benghazi a été levé. Les estimations officielles parlent d'une réduction du potentiel de 30% des forces de Kadhafi, sans qu'on sache d'ailleurs précisément ce que cela recouvre. Surtout, la rébellion, sur le reculoir et repliée dans une ville de Banghazi difficilement défendable, a été sauvée. Ce sont des résultats importants mais non décisifs. La ville de Misrata est toujours assiégée et la population y souffre terriblement.

Pour le reste, les rebelles ne parviennent pas à faire sauter le verrou de Bréga et l'armée de Kadhafi s'est adaptée à la menace aérienne, de manière assez classique et prévisible par l'imbrication avec la population civile et l'abandon des moyens lourds au profit des pick-up "technical", rapides et tous terrains.

Nous n'avons donc pas, par les seuls moyens aériens, atteint complètement nos objectifs et ils paraissent désormais d'autant plus difficiles à atteindre que les Américains ne participent plus aux frappes et que l'OTAN s'en tient à une application très restrictive de la résolution 1973. Comme toujours la décision s'obtient au sol et on voit mal, pour l'instant du moins, les rebelles s'emparer de Tripoli.

3/ Il reste que l'on ne dispose pas de "troupes au sol", comme l'alliance du nord de Massoud ou les Croates, en d'autres circonstances : a-t-on le temps de former une troupe un peu entraînée et armée pour prendre le dessus sur Kadhafi ?

MG : Les rebelles ont certainement reçu des équipements et des munitions de la part de la coalition et de l'Egypte mais cela ne suffit évidemment pas, ce dont on aurait peut-être pu se préoccuper un peu plus tôt. Une première solution consisterait à injecter des conseillers et de créer avec eux une vraie structure de commandement, d'organiser une formation technique et tactique à l'arrière et sans doute aussi de servir certaines armes que l'on fournirait, antichars par exemple, et de guider les appuis aériens depuis le sol.

Tout cela prendra des semaines. Cela marquera bien sûr une première étape dans un engagement terrestre, que la résolution 1973 n'exclut pas dans la mesure où elle ne débouche pas sur une occupation. Peut-être faudra-t-il faire appel un jour nous aussi à des mercenaires, arabes pour l'occasion, pour remplir ces missions tout en ayant l'empreinte au sol la plus légère possible.

Bien entendu, un corps expéditionnaire franco-britannique (et si possible aussi arabe) du type de celui de Suez en 1956 permettrait d'emporter la décision à coup sûr mais aussi à coûts sûrs. On peut aussi imaginer une solution intermédiaire similaire à l'opération Manta au Tchad en 1983 avec la mise en place d'une ligne de défense en Cyrénaïque à l'abri de laquelle on organiserait les rebelles.

4/ La proposition PSDC d'une opération humanitaire à Misrata n'est-elle pas le moyen de mettre des "troupes au sol" ? à tout le moins, des sortes de bouclier qui empêcheraient Kadhafi de conquérir la ville ? Les Allemands ont-ils les moyens de mener une telle opération ? avec qui ?

MG: On aurait donc en l'air des forces en guerre et au sol des quasi casques-bleus. Le fait que les Allemands aient émis le souhait d'y participer témoigne du caractère résolument non-violent et donc peu efficace de cette opération. A Mogadiscio ou à Sarajevo dans les années 1990 on a vu le résultat de telles opérations militaro-humanitaires.

Michel Goya, je vous remercie.

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 11 avril 2011, 20:05 par faitesmoirever

Quelque chose semble m'échapper: lorsque l'on voit l'esprit dans lequel sont tournés certaines revues spécialisées de défense britanique on a du mal à croire à leur réelle volonté de participer à "un corps expéditionnaire franco-britannique":

je cite l'un des articles de défense HQ dont je ne partage pas la vision mais qui me semble assez explicite/"Ses bombes tricolore tirent parti de la lutte à Tripoli, ses gaz lacrymogènes de la gendarmerie dispersent les émeutes dans les rues de Tunis - et les deux sont des rappels solides de pourquoi la politique africaine de la France est à nouveau sous les projecteurs de la surveillance internationale. Critiquée pour l'indécision vers le Caire et allié au mauvais côté de l'histoire de la Tunisie, le président Sarkozy a à tambour battant lancé son intervention humanitaire en Libye. Mais cela est loin d'être la première fois les Français ont été pris sur le mauvais côté d'une clôture en Afrique..."

http://www.defenceiq.com/defence-te...
Après le retrait des avions américains,au final n'allons nous pas nous retrouver tout seul? Sommes nous les seuls à intervenir en Afrique pour la philantropie et l'alliance Franco britanique est elle bien perçu de l'autre coté de la manche?

2. Le lundi 11 avril 2011, 20:05 par oodbae

@faitesmoirever: Ce n'est pas que je ne sois pas d'accord avec vous mais enfin, l'indépendance, c'est aussi ne pas attendre que tout le monde nous lance des sourires pour agir. Et même, peut-être qu'il vaut mieux être un peu seul, comme ca on se fera moins emm****** à l'état-major "interallié".
De plus, la citation de l'article est somme toute assez objective. Rien de nouveau, je trouve. C'est même au nom de ces collaborations que MAM a déjà été évincée du gvt.
Quant à "agir pour la philantropie"... on sait tous que ce n'est pas par philantropie pure et que des intérêts politiques et financiers sont aussi en jeu. Le problème est de déterminer si nous sauvegardons ainsi par nos interventions nos intérêts ou si nous les anéantissons.
De fait, on parle déjà de la Cyrénaique comme étant le "vivier" d'Al Quaida... alors la sauver de Khadaffi ressemble à se tirer une balle dans le pied. Et je ne sais personnellement pas pour qui roule Ouattara vraiment. Pour la Cote d'Ivoire certes mais qui sont ses soutiens et à qui a t il une dette "politique"? Je demande parce que Licorne est certes francaise mais on va peut-être se retrouver les dindons de la farce si les contrats de reconstruction de la CI sont tous saisis par Halliburton&Co.

Cordialement

3. Le lundi 11 avril 2011, 20:05 par

« Nous n'avons donc pas, par les seuls moyens aériens, atteint complètement nos objectifs et ils paraissent désormais d'autant plus difficiles à atteindre que les Américains ne participent plus aux frappes et que l'OTAN s'en tient à une application très restrictive de la résolution 1973. Comme toujours la décision s'obtient au sol et on voit mal, pour l'instant du moins, les rebelles s'emparer de Tripoli. »

Merci de rappeler l’évidence, mais comment juger de l’efficacité des frappes avec aussi peu de recul. En Afghanistan, après les 120 premiers jours de guerre, 12 600 sorties aériennes avaient été effectuées et 7000 tonnes de bombes et autres munitions avaient été larguées. Pour la RAND Corporation, l’air power a pu fournir une contribution majeure au succès en Iraq et Afghanistan, mais il s’agit d’abord, d’un démultiplicateur d’efficacité pour les troupes au sol.. Or faire reposer le succès d’une telle opération en Libye sur la seule force aérienne est une erreur s’il s’avère que les insurgés ne sont ni suffisamment armés ni suffisamment structurés pour emporter la décision.

Il faut donc se poser la question de savoir quels sont les buts de guerre - S’il s’agit seulement et uniquement d’apporter une contribution à l’application de la résolution onusienne alors il faut constater qu’à court terme nous manquerons de moyens matériels et financiers- Constatons que nous nous retrouvons bien seuls face à une résolution de moins en moins adaptée à la réalité du terrain et de plus en plus éloignée de nos réelles capacités à durer. Les conséquences tant politique que militaires ne sont pas maîtrisables. Il est évident que circulent désormais des armes provenant des arsenaux pillés ou de livraisons peu adaptées.. Je ne serais pas étonné que des SA7B et les SA16, se retrouvent bientôt quelque part en Afghanistan.. Il y a certes les réflexions politico-stratégiques passionnantes entre experts et au détour quelques réflexions plus terre à terre.. Combien de bombes guidées sont nécessaires pour détruire 120 blindés, combien en faut-il pour en détruire 10 fois plus..

Possédons-nous assez de vecteurs aériens ?.. A force d’avoir pendant des décennies privilégié la qualité au nombre, nous aurons la démonstration qu’en dessous d’un certain seuil quantitatif nous sommes de moins en moins efficaces. La guerre du riche face au pauvre est aussi celle du qualitatif au quantitatif.. Et le qualitatif à partir d’un certain seuil est insuffisant. Pour gagner, Il faut donc aller vite, accélérer les frappes et clairement préciser le but de guerre, et le seul semble-t-il qui soit cohérent est le départ de Kadhafi en proposant une aide à la construction d’une vraie démocratie libyenne.

4. Le lundi 11 avril 2011, 20:05 par

Bonjour,

Entièrement d'accord avec Roland quant à sa question "Combien de bombes guidées sont nécessaires pour détruire 120 blindés, combien en faut-il pour en détruire 10 fois plus.. ". Mais j'ajouterais "combien de bombes pour tuer 50 hommes distant les uns des autres".

Comme vous le savez sans doute, je ne suis pas militaire mais sapeur-pompier. Mais nous trouvons beaucoup de points communs.

Lorsqu'à la télévision, en été, nous voyons les ballets de Canadairs dans le Sud, nous ne devons pas oublier le travail de fourmi qui est fourni au sol: patiemment, heures après heures, jours après jours chaque fossé est inspecté et chaque souche d'arbre est arrosée. Avec une toute petite lance à incendie, mais patiemment et méticuleusement.
Lorsque Guderian a lancé ses Panzers sur l'Europe, ils ont écrasé "le gros de la troupe" et l'on disloqué. Mais après, ce sont là encore les "fourmis du terrain" qui ont fini le travail.

En Lybie, nous avons les vagues de Panzer ou les Canadairs. Mais les fourmis semblent bien incapables de faire autre chose que des aller retour en pickup, ou te tirer de longues rafales de kalashnikov en l'air...

Et à ce rythme là, ça risque de durer longtemps...

Amitiés
Pierre-Louis

5. Le lundi 11 avril 2011, 20:05 par

Petite supposition "viscieuse"... Et si par hasard, la situation Lybienne ne serait pas une sorte de vérification / expérience?

En clair, des hommes motivés mais pas entrainés du tout (les "rebelles"), sont-ils capables de mener une guerre sur un secteur désertique, contre une armée "conventionnelle, et de gagner cette guerre, avec un soutient qui ne serait que "distant"?

Car si ça marche, plus la peine d'envoyer "en douce" des conseillers pendant des années pour armer et entrainer une armée "révolutionnaire". D'autant que si ce système marchait bien dans des zones de forêts denses, les conseillers militaires qui, pendant 5 ans, acceptent d'aller en Lybie pour entrainer les rebelles au nez et à la barde de Kadafi, ce sont des candidats au suicide...

Si ça marche (action lointaine de notre part), nous nous occupons de la mer (on frappe de loin) et des airs. ça fait de belles images à la télévision (ça plait au public qui paye des impots), ça montre l'usage de nos armes les plus complexes et les plus couteuses (c'est bon pour les ventes et on en a bien besoin) et ce sont les gars au sol qui se font tuer. Les images de leur mort valide le fait qu'il faut "faire quelque chose" (donc c'est bon pour la "com"), mais ce ne sont pas les nôtres qui se font tués (parce que ça par contre, ce serait pas bon pour la "com").

Votre avis?

Amitiés
Pierre-Louis

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