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Un société sans armée, c'est une nation sans politique

Je mets en ligne cet excellent article du Général Thomann, paru hier sur le monde en ligne.

source

O. Kempf

juste un extrait :

Les politiques, confrontés à l'immédiateté des menaces internes, à la guerre économique et à la dette publique, leur donnent une priorité absolue tandis qu'ils détricotent allégrement, à coup de réformes successives, l'outil militaire et le budget qu'ils ont pourtant voté, et ce dans une indifférence totale qui ignore délibérément les appels des Cassandre alertant sur une éventuelle surprise stratégique considérée au demeurant comme une coquetterie de langage propre aux experts, autoproclamés ou non.

Cette indifférence, douloureusement vécue par les militaires qui ont bien pris conscience de leur déclassement vertigineux dans la hiérarchie des soucis de nos concitoyens, a de multiples causes. En exergue, la méconnaissance abyssale des armées, de leurs capacités, de leur fonctionnement, tant chez les responsables politiques que chez nos concitoyens pour lesquels, depuis la suspension de la conscription, ces armées sont une véritable "boîte noire".

(...)

La Défense est l'affaire de tous. Elle n'est pas un sujet politicien mais le véritable fondement de la politique d'une nation.

A ce titre, l'institution militaire et ses serviteurs méritent plus d'attention et doivent cesser d'être, pour nos dirigeants, un outil diplomatique auxiliaire et une bien commode variable d'ajustement budgétaire. Les condoléances officielles à l'occasion des obsèques de soldats morts pour la France en opération extérieure et les discours flatteurs sur les prouesses de nos forces ne sauraient masquer l'affaiblissement critique de nos capacités et du lien entre les armées et la nation : sur cette pente, à quand une poignée de mercenaires d'Etat pour une politique toujours plus imprévoyante ?

Général (2S) Jean-Claude Thomann

Commentaires

1. Le jeudi 21 avril 2011, 17:51 par

Jean-Claude Thomann, évidement, a raison. Toutefois je ne partage pas son pessimisme.

Il a raison non seulement parce qu’il vient de l’Infanterie de Marine (pschpschitaezz !) où chaque fois que nos chemins se sont croisés j’ai observé qu’il ne disait pas de tonneries, mais surtout parce que l’existence des problèmes qu’il aborde (et qu’il fait bien de remettre une nouvelle fois sur le tapis) est notoire : le colloque dont vous nous avez parlé ici abordait la plupart des questions soulevées par Thomann :
http://www.egeablog.net/dotclear/in...
Il a raison d’y revenir, surtout dans des journaux comme Le Monde ou Le Figaro.

Sa formule de début m’a fait craindre un instant qu’il soit en train de vieuconner et que la suite reste au niveau du Café du Commerce. Mais c’est évidemment pour attirer l’attention et intéresser même les lecteurs médiocres (comme si ces journaux en avaient !) qu’il affirme d’emblée, en tapant du poing sur le comptoir, que « notre société est en train de perdre ses curés et ses militaires, pour leur substituer imans et policiers. » Scrogneugneu ! Mais ouf, c’était pour rire.

Je ne reprends pas l’argumentaire de Thomann, je n’y ajouterais rien. Je veux seulement dire les motifs que nous avons désormais d’être optimistes : c’est qu’en 2008 on a approché d’une limite et que depuis lors une prise de conscience est en train de s’opérer, lentement mais sûrement. Rien n’est perdu.

En 2008 nous avons touché le fond. L’antimilitarisme présidentiel était visible depuis sa prise de fonction l’année précédente : nous avions tous remarqué qu’il ne regardait jamais dans les yeux les militaires qui présentaient les armes ou qui le saluaient. En 2008 à Carcassonne il profitait d’un accident rarissime pour exprimer son hostilité sincère. On pouvait tenter de se rassurer en supposant que ce n’était qu’un coup de colère motivé par de la compassion pour les victimes de l’accident, mais cette explication ne tenait pas parce que l’insulteur confirmait en acceptant la démission du Général Bruno Cuche, puis le 14 juillet en invitant El Assad à la tribune d’honneur devant laquelle défilait la promotion Lieutenant de la Bâtie.
On peut minimiser la gravité de ce comportement en disant que c’est celui d’une seule personne qui est mal dans sa peau. Mais ce qui est grave c’est qu’après les démonstrations d’antimilitarisme que je viens d’évoquer, aucun membre de la Représentation Nationale, aucun parti politique, aucun groupe parlementaire n’a cru bon de protester, ce qui signifiait approbation ou indifférence.

C’était en 2008 : on touchait le fond et on aurait pu creuser. Les militaires auraient pu se retrancher, s’isoler encore plus et évoluer vers « une fracture extrême et définitive entre le peuple et son armée où les militaires, mercenaires intérieurs, attachés à leurs codes particuliers qui sont autant ceux d’un mode de vie qui n’a plus cours dans les sociétés modernes que ceux d’une vocation dédiée à la défense de Nation dont ils se placeraient pourtant eux-mêmes en marge » (Général Poncet, colloque précité).

Heureusement on n’a pas creusé. Peut-être fallait-il que l’on tombe dans ce trou pour décider d’en sortir. Souvenons-nous des diverses stupidités qui avaient été proférées plus ou moins discrètement par les candidats à la présidentielle en 2007 : seuls ceux qui ne parlaient pas d’armée n’en disaient pas de bêtises. Il ne suffit pas de chanter « j’aime les militaires » comme la Grande-Duchesse de Gérolstein chez Offenbach pour faire croire qu’on s’intéresse à l’armée.

En 2008 on n’a pas creusé le fond du trou et on en sort peu à peu en s’accrochant à la Toile. L’on doit savoir gré à JD Merchet d’avoir lancé le mouvement : sur son blog, les internautes ont pu voir que les militaires ont quelque chose à dire et que parfois ils le disent bien. Or l’internaute moyen n’est pas, comme on le croit trop souvent, un garnement : c’est un citoyen actif qui est connecté au bureau. Ainsi le public a commencé à comprendre : il y avait parfois, chez Merchet, des civils qui intervenaient en disant « je n’y connais rien mais ce que vous écrivez est instructif, les gars, continuez. » Puis les blogs se sont multipliés, aidant les militaires et les civils à échanger leurs points de vue publiquement, ce qui n’a pas échappé aux représentants de la Nation.

Ce n’est qu’un début mais nous sommes en bonne voie et le mouvement est irréversible. C’est pourquoi je ne partage pas le pessimisme de Thomann même si je partage l’essentiel de son argumentaire.

Pour les futurs historiens qui continueront la rédaction de « La France et son armée », la période 2007 / 2012 restera un point bas. Il en fallait un avant de remonter. On aurait aussi pu se planter en 2008 mais on ne s’est pas plantés. Ce serait faire trop d’honneur à NS que de lui attribuer le rôle du « caporal stratégique » qui a inversé la situation. On dira, et ce sera encore trop, qu’il a été un aiguillon involontaire dont l’agitation a mis en évidence la passivité des partis politiques. Maintenant il nous reste à agir, vite et bien, pour que tout soit réparé avant la Prochaine.

2. Le jeudi 21 avril 2011, 17:51 par GC

Cet article porte un regard sans complaisance sur la situation des armées et sur la considération de la classe politique (on pourrait parler plus largement des élites). Je partage très largement la thèse du déclassement.
Dommage que cette liberté de ton soit l'apanage des Généraux 2S... On se souvient des conséquences de la prise de position du Gal Desportes sur notre engagement en Afghanistan!

Dans cette situation de crise, la Défense reste pourtant le dernier pilier qui lui permet d'exister comme le montre l'actualité. Il s'agit de savoir quelles leçons vont être tirées de nos engagements:
- Notre défense coûte cher donc il faut la réduire (et renoncer à nos prétentions de puissance pour rejoindre le camp de l'Allemagne qui elle inscrit sa puissance sur un plan économique).
- ou bien, cette actualité confirme s'il le fallait que la Défense est bien la continuation de la politique (mais la Défense est peut-être simplement perçue comme un "outil").

Par ailleurs, les opinions ne soutiennent pas longtemps les opérations. Autrefois plus résilientes, elles se défaisaient quand les volume des pertes humaines devenaient trop lourdes. Aujourd'hui, seules les familles y sont sensibles au point de faire de leurs enfants des victimes quand les américains en font des héros! La garde nationale devrait être une solution dont certains argueront que "ça coûte cher" (toujours et encore). Cette idée devrait réjouir pourtant une grande part de nos élites politiques qui pourrait y voir un nouveau vecteur de cohésion nationale. Mais là encore même les plus proches de l'héritage philosophique de la Révolution ont perdu de vue la force de la République forte à l'intérieur et capable de porter des prétentions universelles
j'ai bien aimé les propos bien connus de J-P Chevènement sur la
République ds son dernier livre qui tranche avec le marasme politico-médiatique ambiant et qui porte à une forme d'espérance.

C'est bien à travers la Défense, le problème de la volonté de puissance de la France qui se pose. Un nouvel élan ou un nouveau livre Blanc?

3. Le jeudi 21 avril 2011, 17:51 par Jean-Pierre Gambotti

Que le général Thomann me pardonne de tenter d’achever son discours, mais je pense que sa thèse clausewitzienne sur la consubstantialité de la défense et de la politique n’est contestée que par les irénistes, c'est-à-dire par ceux-là même qui préféraient être « plutôt rouges que morts. » Et que ce faisant, ce désintérêt quasi-consensuel, suicidaire et incessant de notre peuple pour ses armées est un paradoxe. Ainsi, si j’adhère à l’essentiel de son argumentation, j’aimerais insister sur notre responsabilité à nous, les hommes soldés, les soldats, qui, outre servir l’outil de défense avions aussi pour mission de faire adhérer la Nation à l’ardente et vitale nécessité d’une armée populaire et opérationnelle.
Nous avons échoué et nous échouerons encore à cause de notre extrême candeur. Notre métier est tout d’éthique et nous croyons que c’est une vertu partagée par nos décideurs directs qui devraient défendre « jusqu’au petit matin » l’intérêt de nos armées puisque notre institution est de nature régalienne. Pourtant avec insistance et détermination le roi s’est mis nu. Experts en stratégie nous aurions pu prendre des sentiers de traverse et faire dans l’oblique et le biais, après tout seule la victoire est jolie, mais il est difficile de manœuvrer, même pour conduire des stratégies indirectes, dans la position du garde-à-vous et avec un bâillon sur la bouche.
Nous avons échoué à cause de notre candeur, mais aussi à cause de notre inexistence sociétale. Je rappelais sur ce blog que nous étions la démocratie la plus démilitarisée des pays occidentaux, parmi les ministres, sénateurs, députés, ambassadeurs, préfets, (…) je crains que l’on ne puisse en compter que deux ou trois qui aient porté l’uniforme des professionnels de la guerre. Et pour ce désastreux bilan nous devons d’abord battre notre coulpe. Nous n’existons pas parce que nous ne voyons pas plus loin que notre casoar. Aucune Grande école ne fait un recrutement aussi petitement comptable que nos Grandes écoles militaires. Or, comme le plaidait une ancien Commandant des Ecoles de Coëtquidan, pour donner à notre corps social tout son équilibre il faut que des officiers d’origine directe et semi-directe l’abondent, à tous les âges, à tous les grades. Le volume des promotions doit permettre des départs à tous les niveaux de la pyramide, départs qu’il ne faut pas considérer comme des pertes d’officiers mais comme le gain d’agents de dissémination d’expertise militaire dans la société. Pour être clair, nous devons construire de vrais réseaux d’influence à côté de nos sympathiques associations de vieux camarades. Nous ne pèserons sur l’avenir de nos armées que lorsque nous nous serons octroyé un peu de pouvoir.
Merci au général Thomann de nous pousser à en prendre conscience.
Général (2S) Jean-Pierre Gambotti

4. Le jeudi 21 avril 2011, 17:51 par Midship

Mon général, si vous me le permettez, j'aimerais aller dans votre sens en apportant un argument de plus, qui élargira l'analyse.
Certes nous devons voir au delà du casoar, qui n'est pas "le notre à tous", trois quarts des officiers de nos armées n'en ayant jamais porté, mais nous devons également voir au delà de nos galons. Nos militaires du rang et nos cadres de proximité ont maintenant un niveau scolaire bien différent de celui qui prévalait il y a quelques décennies. Dans mes matelots, j'en avais qui était tout aussi capables que moi en sciences ou en lettres. Dès demain, nous verrons des témoignages, des récits, des instantanés littéraires venant des moins gradés d'entre nous. Et tant mieux, car aujourd'hui, l'officier breton de "bonne famille" a moins de mal à faire comprendre la notion de Défense à ses proches que le jeune chasseur alpin du fond de l'Essonne.
Les officiers doivent montrer le chemin, mais ce sont tous les militaires qui doivent participer au rayonnement de l'armée d'une part, à la diffusion de la conscience politique de Défense d'autre part.

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