Cadre et milieu
Par Olivier Kempf le mercredi 8 juin 2011, 22:29 - Géographie - Lien permanent
Je suis en train de lire un bouquin sur lequel je reviendrai, mais qui évoque le mot d'Aron l'espace comme "Cadre, théâtre, enjeu". Il est bien évidemment, au-delà de l'espace, d'une géographie "habitée et orientée" ! donc politique.
source (voir d'ailleurs cet blog géographique)
Du coup, je me pose la question : quelle différence entre le "cadre" et le "milieu" ?
Deux expressions topologiques : un cadre étant autour, un milieu ne l'étant pas... sauf à considérer, comme le "milieu marin", que le milieu "entoure" également (qu'on soit dans la mer, ou sur la mer, d'ailleurs).
Bref, cette question du milieu m'interpelle : d'où vient-elle, dans ce cas présent ? comment penser un milieu qui n'est pas au milieu puisqu'il est autour ?
De même, quelle différence entre le cadre (rarement naturel, souvent géographique) et le milieu (rarement géographique, souvent naturel) ?
Peut-on dire que la géographie est de la nature orientée (car pensée), et que l'espace est de la géographie orientée (car vécue) ?
Bon, je sais, c'est fumeux et je suis fatigué....
Olivier Kempf
Commentaires
Question on peut plus épineuse...
La notion de cadre me semble par "nature" synchronique: le cadre permet de "cadrer" la photo (cf les premiers chapitres de la Méditerranée de Braudel) soit pour figer le tableau, soit pour donner une vison à un instant t.
Équivalent diachronique= contexte, utilisé par les historiens.
Concernant spécifiquement le milieu :
la notion de "milieu a été et est encore très débattue parmi les géographes.
Je m'appuierai sur l'analyse qu'en donne Y. Veyret ( Paris-Ouest), auteur d'un manuel de 1er cycle "Milieux et environnements", dans son dictionnaire de l'Environnement, PP 225-226.
"Terme très employé pour désigner les données physique (relief, climat, végétation. Le milieu peut être analysé en soi hors de toute perturbation anthropique" ,position des écologues où Homme=perturbateur du milieu. C'est d'ailleurs en cela que milieu ( l'Homme est littéralement jeté au milieu) se distingue de l'Environnement où l'on étudie les interactions entre la société et ce que l'entoure (homme au centre).
Demangeon (1942) complexifie l'affaire : il "introduit la notion de milieu géographique, objet mixte avec éléments de nature et anthropisés"
P. George donne cette définition en 1976 qui confine à la définition de l'environnement: "espace naturel ou aménagé [ tout les espaces au XXIème sont aménagés car on a atteint les limites de l'écoumène et ce qui peut paraitre naturel comme le paysage est en fait un construit social] qui entoure un groupe humain sur lequel il agit et dont les contraintes retentissent sur le comportement et l'état du groupe". L'Etude de l'ENVIRONNEMENT est l'étude d'un système ouvert et de ses interactions.
Dans l'Histoire de la géographie, on s'attacha d'abord à décrire les milieux physiques (Humbolt); Puis la géographie "impérialiste (cf Singravélou) cherche à exploiter les ressources du milieu. Les années 60-70 sont celle de la disparition du milieu au profit de de préoccupations de spatialisation et organisation de l'activité économique.
Depuis les années 80, avec la prise en compte scientifique de l'environnement " la nature [est devenue] hybride, sociale, culturelle et physique. (Cf Travaux de Georges Bertrand)
Autres Références: J. Demangeot: les milieux "naturels" du globe
L'ensemble de l’ œuvre de Vidal: géographie comme science de synthèse, sciences des lieux qui étudie les relations entre l'homme et son milieu.
En revanche je ne comprends pas votre phrase sur géographie comme "nature orientée". La géographie reconnue comme science sociale est l'étude de l'organisation spatiale des sociétés et des interactions que cette organisation engendre, entre les hommes mais aussi avec leur environnement (CF J. Scheibling, Qu'est que la géographie, Hachette)
égéa : mille mercis pour ces précisions savantes. Je note que le "cadre" ne pose pas problème. Le milieu, en revanche, est objet de débat : en fait, il s'articule avec la question de la nature. Celle-ci est-elle verge ? l'homme issu de la nature, et la transformant, est-il non naturel ? Oui, il y a énormément de débat philosophique sous-jacent.
Ma dernière remarque était fumeuse.... je l'ai précisé. Dans un cas, on aurait une géographie objective, dans l'autre un espace subjectif....
Sur votre dernière phrase:la géographie comme science sociale se préoccupe aussi bien d'espace "objectif" (les espaces productifs par exemple) que des espaces subjectifs (cf. A. Frémont: la région, espace vécu, et tout le courant de la géographie des représentations).
L'espace est un objet de la géographie mais on peut pas dire me semble t-il qu'il soit objectif puisqu'il est organisée et habitées par des subjectivités. Gros débats dans la géographie. Pour faire "sérieux" il faut faire objectif, mesurable. Or tout ne l'est pas. Inscrire la géographie comme science sociale est en prendre acte.
égéa : mais oui, c'est ce que j'aime dans la géographie : la seule science à la fois dure et molle. Elle est dure, car elle parle de géologie, de géomorphologie, de tectonique, de relief, de climat, d'hydrologie, .... autant de domaines dont personne ne conteste la scientificité. Et bien sûr science molle car science humaine, géographie humaine, industrielle, agricole, urbaine... voire (question du CAPES cette année), géographie des conflits.... Ce serait tellement bien d'avoir un objet pur, sans homme. Mais les objets purs, on le sait depuis Einstein, ne sont jamais purs : l'observation les modifie. A partir du moment où il y a observation, même d'un fait objectif, la mesure est subjective. Accepter donc la subjectivité non seulement de l'observateur mais du sujet est chose normale. Je ne suis pas impressionné par les chiffres : nous savons tous qu'on peut appuyer tout discours par des chiffres. Ainsi, ils ne prouvent rien, même s'ils rassurent.