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Où va la Hongrie ?

Les dernières nouvelles en provenance de Hongrie ne sont guère réjouissantes. On observe en effet une politique ultra de la part du parti au pouvoir, le Fidesz, qui semble appliquer en tout point le programme du parti extrême Jobbic. La validité d'une telle stratégie étonne en soi : d'habitude, on contrôle son extrême (au cri de "pas d'ennemi à gauche" ou "pas d'ennemi à droite) mais on gouverne au centre, au lieu de faire une politique toujours plus radicale.

source

Mais derriière cette question de science politique, il faut s'interroger sur la signification de ladite politique.

1/ En effet, on observe un certain nombre de mesures radicales, qui vont à l'encontre du corpus européen actuellement consensuel, et fondé sur des principes démocratiques : les atteintes à la liberté de la presse et les mesures contre les minorités, notamment tsiganes, sont le signe d'un pouvoir sinon totalitaire, du moins très autoritaire.

2/ C'est dû à plusieurs choses :

  • la mécanique électorale qui a permis au parti Fidesz d'obtenir non seulement la majorité absolue, mais les deux tiers des sièges ce qui lui permet de réformer la constitution sans contre-pouvoir. Cela rappelle que le système des élections pluralistes n'est pas, en soi et par soi, une garantie d'un système démocratique.
  • on peut bien sûr évoquer le manque d'expérience démocratique en Hongrie, qui a notamment vécu la déstructuration de sa société, principalement sous la dictature commuiste, elle-même aggravée à l'issue de la répression de l'insurrection de Budapest. Il faut relire Tony Judt pour prendre conscience de la déstructuration profonde de cette société-là :elle n'a revécu que grâce à la dissidence, mais une fois le régime abbattu, elle manqua de repère. Du coup, il faut bien constater que la seule référence préalable réside dans le régime de l'amiral Horthy, qui avait mis en place un régime autoritaire entre les deux guerres.
  • il reste que notre période post-moderne n'est pas riche en repères. Au contraire, chacun peut constater la perte de vertu publique, et la corrosion générale des systèmes sociaux. Or, il apparaît que la démocratie a besoin de vertu, et que celle-ci n'est plus partagée : effet probable de la perte de sens religieux (voir Emmanuel Todd ou CHantal Delsol)...

3/ Par conséquent, le gouvernement hongrois développe une thématique néo-identitaire : en fait, le seul moment où la Hongrie s'est sentie grande, ce fut lors de sa lutte pour l'indépendance, donc avant le traité de Versailles. Il s'ensuit la renaissance d'un débat sur la nationalité et sur les frontières perdues, qui pose des problèmes au sein du pays (les Tsiganes, donc) mais aussi à l'extéreiur (Slovaquie, Roumanie, Serbie).

4/ Le plus surpenant reste l'indulgence européenne devant ces excès. Mais l'Europe est moralement bien faible, en ce moment, ainsi qu'on le constate dans sa réaction face au problème grec : la solidarité n'est pas la chose la plus partagée. Surtout, de nombreux pays européens connaissent ces excitations identitaires radicales : la tolérance envers la Hongrie marque une sorte d'indulgence envers les mêmes mouvements à la maison. Mais peut-être la situation financiière est-elle tellement fragile, y compris en Hongrie, que les diriegeants européens préfèrent tolérer ces excès, au bénéfice d'un pouvoir qui tient le pays : plus de stabilité en échange de moins de démocratie. Mais on a vu en Tunisie ou en Egypte que ce calcul ne fonctionnait pas à tout coup.

Tout ceci n'est pas follement réjouissant. Je parle beaucoup de surprise stratégique, ces derniers temps. Et ce n'est pas la première fois que j'évoque la possibilité d'une surprise stratégique y compris sur notre continent.

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 18 juillet 2011, 21:38 par

J'ai déjà évoqué personnellement cette surprise là avec un attaché parlementaire très europhile : une montée aux extrêmes due, pour tout ou partie, à des difficultés économiques et fuite en avant dans un "projet géopolitique" pour projeter à l'extérieur ce qui ne va pas à l'intérieur. La France alla dans ce qui allait devenir Alger et l'Algérie pour bien des raisons, et notamment, pour redorer le blason d'un régime qui manquait d'éclat (notamment militaire : une réflexion sur la plage de la Guerre dans la construction des Etats et la survie des régimes, surtout français ?).

J'ai eu comme réponse que ce n'était pas possible dans le système européen actuel d'imaginer des mouvements extrêmes (guerre civile, contestation des frontières). Le système socio-économique serait suffisamment résistant pour que ces "chocs" ne se produisent pas. Quelque part, il y a de quoi se poser des questions sur les "vertus démocratiques" du système institutionnel européen aussi rigide et si loin des aspirations (si l'Etat-Nation est une région européenne, alors il peut évoluer, comme la possible réunification Normande) -mais là n'est pas le débat !

Personnellement, j'observe que les frontières ne sont pas intangibles (ce n'est pas forcément évident, je trouve, à mon humble avis, surtout en Europe). Il y a une recomposition stratégique et je porte mon regard sur un pays que beaucoup (trop ?) croit neutralisé (mais lequel pays ?!). J'observe également qu'il est possible qu'une poussée francophone existe de Lille à Bruxelles vers les Pays-Bas. Le phénomène, s'il existe, est difficile à saisir puisque non-étudié à ma connaissance (j'aimerais bien connaître l'évolution de la population francophone sur l'axe Metz-Luxembourg). Pis, il y a cette Europe centrale et orientale qui a été dessinée contre son gré : ses sociétés se recomposent, se redécouvrent, et évoluent. Il y a quelques précédent européens où des nations ont voulu se rassembler, s'unifier. Ces évènements historiques ont même suscité quelques modifications de frontières (non, je ne parle pas du XIXe siècle !).

On parle beaucoup de la facilité avec laquelle on peut affirmer que tel évènement était "prévisible"... après sa survenance ! A chaque évènement méritant une ligne dans les livres d'histoire, ses contemporains ont pu le voir se développer. Mais comment peut-on faire pour distinguer le conjoncturel du systémique ? Réussir à porter des faits à l'abstrait pour élaborer un système ? Qu'est-ce que cela est si simple une fois que cela s'est produit : comme un séisme, on peut désormais repérer la chaîne d'évènement qui ont conduit au tremblement de terre.

Mais aujourd'hui, est-on face à une chaîne d'évènement qui pourrait conduire dans quelques années, plus ou moins, à une résurgence de la "Grande Hongrie", ou, sommes-nous face à autre chose, de beaucoup moins important ?

égéa : oui, tu as raison : il y a unepossibilité de "déchainement" de forces qui constituera,c 'est sûr, une surprise stratégique si elle advient. Le vrai intérêt de la géopolitique consiste justement à déceler les possibles surprises stratégiques.

2. Le lundi 18 juillet 2011, 21:38 par

Bonsoir,

La Hongrie reste un pays à l'histoire très singulière en Europe. La pensée nationale, si tant est que cette expression ait du sens, reste toujours aujourd'hui axée sur une certaine forme d'irrédentisme. Le traité de Trianon est une blessure qui ne s'est toujours pas refermée en près d'un siècle et nous vivons peut être aujourd'hui un des avatars de cette mémoire de l'ancienne Hongrie Royale.

Déjà dans les années 20-40, Horthy puis les Croix Fléchées avaient su se servir de ce sentiment quelque peu "revanchiste" pour arriver au pouvoir. Si le régime des Croix Fléchées, vu son allégeance totale au nazisme est mis au ban de la mémoire hongroise, celui de Horthy, vu sa fin, est considéré avec beaucoup plus d'indulgence.

Comme vous le faites remarquer la Hongrie a très souvent existé au travers de ses luttes indépendantistes, mais au-delà de çà - on le constate dès l'intégration dans le bloc Habsbourg au XVIe et crescendo jusqu'en 1920 - c'est aussi le passé de la Hongrie royale du Moyen-âge qui constitue le ciment d'un certain nationalisme hongrois. Même avant l'instauration de la double monarchie en 1867, la Hongrie disposait au sein de l'ensemble Habsbourg un territoire original. Hors du Saint-Empire, monarchie élective tournée vers les Carpates, la Hongrie était l'une des grandes puissances du continent européen. Sous Mathias Corvin elle couvrait la quasi-totalité de l'Europe Centrale.

La montée des partis extrémistes en Hongrie s'explique grandement, comme vous le faites remarquer, par cette dichotomie entre une Hongrie fantasmée "mère de l'Europe Centrale" et la position à la fois géopolitique et économique qu'elle occupe aujourd'hui sur le continent. Petit pays, quasi-inexistant sur l'échiquier de l'UE, avec une croissance faiblarde depuis 2006, la montée du nationalisme ne peut bénéficier de meilleur terreau...

3. Le lundi 18 juillet 2011, 21:38 par oodbae

Bonjour,

L'explication du nationalisme hongrois par l'histoire peut aussi être complétée par la remarque suivante: " Le hongrois (magyar nyelv ['mɒɟɒr 'ɲɛlv]) est une langue de la branche finno-ougrienne des langues ouraliennes, dont d'autres membres sont le finnois et l’estonien " (de http://fr.wikipedia.org/wiki/Langue... ). A la différence de la plupart des pays européens, les pays limitrophes de la Hongrie ne sont pas formés par des peuples cousins des hongrois. Autour des hongrois, il y a des slaves, des latins, des germains, dont la famille linguistique commune, celle des langues indo-européennes, se distingue des langues ouraliennes auquelles appartient le hongrois.
Dans notre société moderne où l'anglais fait office de langue internationale apprise à l'école et où les populations sont toutes connectées par réseau, il est possible que cette différence perde de son importance car les particularités culturelles de chaque peuple sont progressivement gommées (c'est subjectif, il est vrai), néanmoins, je peux imaginer que cela suscite une plus grande défiance naturelle vis-à-vis des peuples voisins en particulier et de l'UE en général, du fait que je crois que la langue influence la manière de penser non seulement par acculturation [au peuple qui parle cette langue et pas une autre] mais aussi biologiquement (ceci correspond approximativement à l'hypothèse de sapir-Whorf http://fr.wikipedia.org/wiki/Hypoth... , http://www.podcastscience.fm/dossie... ).

Je prie le lecteur de ne pas interpréter ce commentaire comme l'affirmation que ces différences linguistiques empêchent absolument une intégration "culturelle" de la Hongrie, je le prie aussi de ne pas faire preuve de mauvaise foi en affirmant que ce genre d'hypothèse est un pas vers les théories racistes de hiérarchisation des peuples-races (contre-exemple: les peuples s'approprient les mots et les concepts de peuples utilisant d'autres langues, ainsi l'e-mail ou mel). Simplement, comme un effet inconscient plus marqué, les hongrois sentent encore moins que les autres peuples européens ce qu'ils ont de commun avec leurs voisins, donc peuvent être moins enclins que les francais à envisager l'UE comme autre chose qu'un marché commun (simplification extrême de la vision de la GB).

cordialement,

oodbae

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