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Paris-plage

ça y est : la dixième édition de Paris plage bat son plein. Il est temps d'en faire une analyse géopolitique !

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1/ Tout d'abord, je m'étonne que désormais, quand on parle de Paris plage, chacun pense aux berges dela Seine. Personnellement, cela m'évoque tout d'abord la côte normande, avec Deauville, Trouville, Proust, Boudin..... Et tout de suite après, je pense au Touquet, le seul "paris plage" officiel, et lieu de chars à voile, d'enduro, et d'été picard. Bref, la plage de Paris, c'est sur la Manche, donc en province.

2/ Il reste qu'il y a là un fantasme aboslu : la plage avec tous ses inconvénients (promiscuité, moustiques, saleté, bruit, ...) sans les avantages : la mer. Car c'est une plage où on ne se baigne pas, une plage virtuelle où on fait semblant d'être à la plage et même d'être à la page, avec le même monde que sur les bords de la Costa Brava, ou de la Côte d'Azur.

3/ Toutefois, derrière le fantasme, il y a le symbole :

  • celui d'une littoralisation de la France (poussée démographique vers les côtes)
  • celui d'une aspiration à la mer, à rebours du tropisme français, forcément continental
  • et donc, celui d'un désir inassouvi qu'il est temps, enfin de réaliser.

4/ En effet, notre histoire est celle d'une rencontre ratée entre la France et la mer, le sabordage de la flotte en 1942 (après le premier de 1707, ce que j'ai appris récemment : marrant cettte propension des marins français à couler leurs bateaux dans le port de Toulon) étant la réplique maritime du gâchis de la campagne de France, deux ans plus tôt en juin : un événement marquant dans la géopolitique française contemporaine, et en même temps l'héritage de tendances venant de beaucoup plus loin dans le passé.

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5/ Mais c'est peut-être l'annonce d'une géopotliique future, et derrirèe mes railleries, il faut voir de l'espérance : celle de voir Paris devenir, enfin, une cité maritime, conséquence logique de la pacification continentale, en même temps que de la planétisation : car vous le savez, la mondialisation est d'abord une maritimisation.

Réf : sur le grand Paris, un billet d'il y a deux ans

O. Kempf

Commentaires

1. Le mercredi 3 août 2011, 17:44 par

Bonjour,

Oui c'est assez curieux que la France n'ait pas eu de véritable thalassotropisme. Pourtant les marins et armateurs talentueux n'ont pas manqué durant son Histoire.
Peut-être est-ce dû à la première véritable défaite Française il y a de cela près de 700 ans (en 1340 exactement) avec la terrible défaite navale de L'Écluse. Obligeant la France à se retrancher sur ses terres pendant une très longue période (bien que Charles V eusse tenté de mettre sur pied une nouvelle force maritime).
Psychologiquement je conjecture qu'il y a peut-être eu un avant et un après L'Écluse.
Mais il serait bon d'avoir l'avis d'un spécialiste de la Royale sur la question...

Alors, Paris pourra-t-il si changement d'orientation vers la mer, enfin justifier sa devise : fluctuat nec mergitur?

Cordialement

2. Le mercredi 3 août 2011, 17:44 par Laurent

On peut aussi rapprocher ce phénomène de celui étudié par l'historien Alain Corbin, dans son livre paru en poche chez "Champs-Flammarion": "Le Territoire du vide - l'Occident et le désir de rivage (1750-1840)".
Voici un extrait de la 4e de couverture :
"À l'aube du XVIIIe siècle, les colères de l'océan accentuent la répulsion inspirée par les grèves désertes et lugubres. Nulle part, excepté dans l'oeuvre de rares individus, ne se dit l'admiration pour l'espace infini des flots ; nulle part ne s'exprime le désir d'affronter la puissance des vagues, de ressentir la fraîcheur du sable.
C'est entre 1750 et 1840 que s'éveille puis se déploie le désir collectif du rivage. La plage alors s'intègre à la riche fantasmagorie des lisières ; elle s'oppose à la pathologie urbaine. Au bord de la mer, mieux qu'ailleurs, l'individu se confronte aux éléments, jouit de la sublimité du paysage."
On ne peut s'empêcher de penser que ce "désir de rivage" est aussi une manifestation de l'entrée de la France dans la modernité - forcément maritime !

3. Le mercredi 3 août 2011, 17:44 par yves cadiou

On trouve dans nos habitudes de langage (et donc de pensée) un postulat qui consiste à dire « la France n’est pas tournée vers la mer ». Ceux qui énoncent ce postulat doivent être contredits : en témoignent Henri IV (créateur du port de Brest alors qu’il avait bien d’autres soucis), Richelieu, Colbert, Louis XVI. En témoigne aussi le « jardin des explorateurs » qui existe à Brest pour acclimater, après une longue traversée, les plantes exotiques avant de les transférer chez le roi. En témoigne surtout notre empire colonial qui fut une réalité dont il nous reste aujourd’hui quelques îles pour baliser notre immense espace maritime, sans oublier la Guyane qui est notre porte vers un autre espace.

Un mot à cette occasion sur Louis XVI, ce roi mal entouré : son entourage a supposé bêtement qu’il faisait de la serrurerie alors que, homme du Siècle des Lumières, passionné de découvertes maritimes, il tentait de mettre au point une horloge suffisamment précise pour le calcul des longitudes. Montant sur l’échafaud, il aurait demandé « a-t-on des nouvelles de Lapérouse ? ».

Par conséquent dire que « la France n’est pas tournée vers la mer », c’est trop vite dit.

On peut se demander d’où sort cette contre-vérité et pourquoi est-elle si facilement répétée, on peut se demander pourquoi l’aristocratie qui entourait Louis XVI n’a pas été capable de comprendre qu’il cherchait le moyen d’établir des cartes précises du monde, mais ces questions, somme toute, ne sont pas essentielles. Mieux vaut constater qu’il y a une évolution. Celle-ci ne débute pas avec Paris-plage aujourd’hui mais dans les années soixante : en 1964 Eric Tabarly (un Nantais) bat les British sur leur propre terrain, la transatlantique en solitaire. Depuis quelques années, l’élévation du niveau de vie aidant, des petites écoles d’initiation à la voile se sont créées un peu partout sur le littoral avec un franc succès. Dans l’Ouest elles ont une unité de doctrine, le cours de navigation des Glénans (avec un s pour l’école de voile, sans s pour les îles de Glénan). Puis des marinas se construisent partout où c’est possible, remplies de bateaux qui sortent rarement mais dont le prix témoigne de l’intérêt que leur propriétaire, souvent pur terrien, porte à l’océan. La littérature hauturière se vend bien, comme celle de Moitessier (le vagabond des mers du sud 1960, Cap Horn à la voile 1967, la longue route 1971), celle d’Eric Tabarly (13 titres) et d’autres.

Que notre histoire soit une rencontre ratée entre la France et la mer, qu’elle n'ait pas de véritable thalassotropisme, ça fait partie du postulat mais c’est faux. Si ce fut vrai (ce que je ne crois pas) ce ne l’est déjà plus depuis un demi-siècle.

égéa : Yves, je ne suis pas d'accord avec vous. La France n'a pas "négligé" ses façades maritimes. MAis d'nue part elle en avait deux, d'autre part elle a souvent été plus occupée par les affaires du continent pour pouvoir mener une politique maritime durable. Il y a donc eu des éclats, fort beaux. Et il y a une réappétence pour la mer, je le constate. Mais la France n'a pas été la puissance maritime qu'elle aurait pu être. Ce qui ne signifie pas qu'elle n'a pas été uen puissance maritime.

Accessoirement, je note que la dissuasion nucléaire, garantie ultime de la puissance militaire de la France, est portée aujourd'hui surtout par les SNLE, dont le projet date aussi des années 1960, celles que vous citez justement.

Quant à la littérature maritime, je recommande Hornblower : pas français, mais fichtrement naval. Y a-t-il un Hornblower français ?

4. Le mercredi 3 août 2011, 17:44 par CP

Bonjour,

permettez-moi de partager l'avis de M. Kempf et de considérer que, bien que la France n'ait pas "négligé" ses façades maritimes, elle n'a jamais menée une vraie politique maritime.
L'Histoire montre que toutes les grandes puissances étaient tournées vers la mer : Gêne, la Hollande, l'Anglettre...
Imaginer un "grand Paris" s'ouvrant sur l'Ouest, pour enfin offrir à notre capitale une façade maritime, semble être l'une des conditions nécessaires pour que notre pays participe pleinement à la modialisation.

5. Le mercredi 3 août 2011, 17:44 par Midship

Je ne l'ai pas lu, mais il me semble que l'ouvrage est pile dans le sujet : France sur Mer, Philippe Folliot & Xavier Louy, éditions du Rocher, 2009. L'avant propos est notamment disponible sur le site http://francesurmer.fr/.

En attendant, voilà que je traverse la Manche pour un week end de vacances et hop : la pluie à Paris plage. Il faudrait vraiment faire une analyse géopolitique de la pluie !

6. Le mercredi 3 août 2011, 17:44 par yves cadiou

Comme vous je crois que la France n’a pas négligé ses façades maritimes et j’ajoute que c’est en grande partie grâce aux Bretons, on me l’accordera. Compte tenu des circonstances la France a tiré le meilleur parti possible de ses façades maritimes mais il est vrai que, n’étant pas une île, son attention ne pouvait pas être exclusivement maritime ni ultramarine.
Pendant la Guerre de Sept Ans, à Bougainville qui demandait des renforts pour combattre les Anglais au Canada, un ministre de Louis XV refusa en ces termes parce qu’au même moment ça se passait mal sur le Rhin : « quand le château brûle, on ne s’occupe pas des écuries ». Réponse de Bougainville : « au moins, Monsieur, on ne dira pas que vous parlez comme un cheval ».

Plus récemment, jusqu’à la fin de la guerre froide on a considéré que le danger principal était au nord-est et que notre allié principal était de l’autre côté du Rhin. Depuis quelques années, l’on assiste à une sorte de réorientation de notre politique étrangère (atlantisme, union pour la Méditerranée, Libye) mais ceci s’effectue malheureusement d’une façon brouillonne qui me fait hésiter à la qualifier de « réorientation ».

Quant au Hornblower français, je n’en vois pas exactement mais nous avons une littérature de fiction maritime qui n’est pas négligeable : différents auteurs, comme par exemple Jules Verne (encore un Nantais) ont situé en mer ou sur des îles une partie de leur œuvre.

7. Le mercredi 3 août 2011, 17:44 par

Si La France n'a pas été une puissance maritime, comme "elle aurait dû être", cela tient à bien des raisons. Je vous laisse cherchez quand a été créé pour la première fois l'état-major naval... Pour créer une telle administration, il ne s'agit pas d'expliquer que les Trois façades maritimes ceci ou les anglais cela ont empêché les français, et les marins en particulier (qui n'ont jamais, ô grand jamais, aimé l'administration).

Le problème de la Marine, c'est qu'il faut du temps pour la construire. Je vous laisse imaginer l'histoire de France entre le temps qu'il faut pour avoir un effort continu, et le peu de temps nécessaire aux anglais, souvent, pour qu'ils cherchent à détruire notre puissance navale naissante.

Pis, du temps de la Marine à voile, notre période la plus compliquée sur le plan naval, il fallait avoir des ports favorables à la sortie et à la rentrée des escadres. C'est tout bête, mais si Tourville n'a pas pu exploiter la bataille de la Hougue, c'est tout simplement qu'il n'y avait pas de port français militaire sur la Manche. Cherbourg n'a été construit qu'au XIXe siècle. Donc, vous construisez une marine (complexe militaro-industriel, formation des cadres, écoles, etc...), vous gagnez... rien du tout car vous ne pouvez pas exploitez votre victoire et vous êtes dans une fâcheuse posture. L'ennemi se refait (les navires à voiles se remplaçaient plus rapidement que les hommes) et vient vous achever. De là, vous n'avez strictement rien gagné sur le plan stratégique, donc votre effort a été vain.

Je ne vous parle même pas du problème de la concentration, ou de "l'économie des forces" selon Foch, comme l'a relaté ce blog. Donc, tout le jeu de la Royale était de pouvoir joindre les navires des escadres de l'Atlantique et de la Méditerranée en un lieu. Allez donc réussir cela, les anglais, à budget et puissance navale constante vous guette et vous attaque -même sans déclaration de guerre.

D'un autre côté, cela suppose que la France souhaite combattre par escadre. Oui, c'est toute une histoire : il a fallu apprendre et reconnaître la supériorité stratégique de la guerre d'escadre sur la guerre de course.

La France en a construit des empires coloniaux, mais, quand vous perdiez sur mer, alors les autres puissances navales vous prenez vos îles et possessions !

Je m'étonne aussi de cette histoire de "tropisme continental". Ce n'est peut être qu'une histoire de spécificité : n'en déplaise aux terriens, pour construire une Armée efficace, le temps n'est pas la plus grande problématique. Alors que pour construire une marine efficace, il faut bien plusieurs décennies et échec.

De là, je ne peux que redire que le jeux des puissances maritimes a été de détourner la puissance terrestre tendant à l'hégémonie de la Mer grâce à des pièges continentaux. C'est toute l'histoire de la "grande stratégie anglaise". Si la France est menacée sur son sol alors elle réduit son effort naval puisque, en terme de stratégie navale, si on ne peut pouvait pas combattre (toujours du temps de la marine à voile) à armes presque égales la première marine dans des combats d'escadres, alors il ne valait mieux ne pas engager ses navires. A part des stratégies de harcèlement et de déni d'accès, la puissance navale inférieure ne peut pas espérer l'emporter si elle ne peut pas se concentre. Donc la Royale ne pouvait pas s'imposer dans le paysage français. En terme de stratégie terrestre, une fois qu'on est en guerre avec ses voisins contre son gré ou non, il faut bien poursuivre l'effort.

Une fois, au moins, la France a réussit à éviter les pièges continentaux et a pu se consacrer entièrement à la guerre navale : ce fût la guerre d'Indépendance américaine. Si l'affaire aurait pu être exploitée alors la Marine Royale aurait dominé les mers -une victoire navale non-exploitée, c'est la liberté d'accès aux sources de richesse du globe.

Pis, je le dis peut être trop tard, mais on ne cite pas l'importance fondamentale de la vision que l'on a de la richesse : quid du commerce ? des modes de vie ? Si l'on attend la richesse des canons catholiques et des terres, on a peu de chance de s'intéresser à la mer.

Sur Mers El-Kébir, il faut bien dire aussi que c'est, d'une certaine manière, la répétition d'Aboukir. Il n'y a vraiment pas de quoi être fier de ce côté là.

Sur le Sabordage, il est dû à un amiral imbécile qui a perdu de vu les intérêts supérieurs de la nation. Sur celui de 1707, il était plus logique et admissible. Il y a un navire anglais qui a été coulé en Manche : l'ex-Duguay Trouin. C'était en 1949, le navire avait été lancé en 1800 ou 1802. Ce n'est qu'un tout petit exemple qui me sert à évoquer le fait que, du temps de la marine à voiles, bien des navires ont été capturés à chaque bataille. Donc, il valait mieux les saborder plutôt que de les laisser prendre par l'ennemi.

Enfin, pour conclure, je ne peux que redire que les deux à trois façade maritime de la France, selon l'évolution des frontières ont été une grande servitude pour la France quand il fallait concentrer la Flotte. Que les difficultés inhérentes à la marine à voiles ont compliqué la vie de nos marins pour exploiter les succès navals. Que la construction administrative a été trop lacunaire en ce qui concerne la marine. Mais depuis l'apparition de la propulsion indépendante du vent et de la pacification de l'Europe, une autre France est née. Qui plus est, je situerait la maritimisation de la France en 1997, quand l'Armée s'est professionnalisée afin de pouvoir protéger les intérêts français partout dans le monde : c'est là la décision d'une nation maritime. Il nous manque un Grand Paris, voir un Grand Lille maritime. Il nous manque également un Ministère de la mer : un certain Hôtel est vacant. Virtuellement, si vous "donnez" à la Marine nationale toute la fonction garde-côtes et les troupes de Marine, alors c'est déjà la première force armée française.

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