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Compliqué, ou complexe ?

On ne cesse de rencontrer le mot complexe. Moi-même, je l'use fréquemment, même si j'essaye d'utiliser aussi le mot "compliqué". Or, la popularité de l'un aux dépens de l'autre appelle quelques commentaires. Car ce ne sont pas des synonymes.

source

1/ Une définition de "compliqué", trouvée tout en haut de la recherche "jumelles" : "Qui est difficile à appréhender, analyser et comprendre". Par exemple, la science astronomique est "compliquée" : elle nécessite beaucoup d'efforts, de connaissances, de formules avant d'être maîtrisée.

2/ Le même site donne cette définition de "complexe" : Qui comprend plusieurs éléments ayant de nombreux rapports entre eux.

3/ Vous en tirez immédiatement une première conclusion : les sens diffèrent, et le complexe n'est pas forcément compliqué. Mais le compliqué peut être complexe, et les connaissances modernes donnent le sentiment d'être de plus en plus compliquées ET complexes.

4/ Est-ce forcément vrai ? Je n'en sais rien. Mais en revanche, j'ai l'impression qu'il y a un glissement de sens : nous disons "complexe" pour exprimer que nous n'arrivons plus à saisir l'ensemble des interactions, des liens, des relations de causalité qui existent. Or, ce sentiment me semble de plus en plus vif, à mesure que nous sommes dans une société planétisée, c'est-à-dire réticulée. Le développement des réseaux et leur interconnexion "complexifie", au sens propre, le fonctionnement du mode. Mais dans le même temps, la multiplication des couches favorise des résiliences structurelles, que nous ne pouvons décrire (sinon après coup) mais dont nous bénéficions.

5/ Or, ce vécu va à l'encontre de notre mode de raisonnement occidental. En effet, depuis tout petit, nous utilisons une méthode hypothético-déductive. Autrement dit, nous partons du principe (c'est notre connu-inconnu, pour reprendre la terminologie de Žižek, sur laquelle je reviendrai prochainement) que la maîtrise de l'ensemble des éléments constitutifs nous permettra de maîtriser le tout. Or, si l'on est capable de calculer des valeurs ajoutées (celles qui font que le tout est plus important que la somme des parties, que l'observation scientifique a permis de remarquer) j'ai l'impression que dans un monde complexe, cette valeur ajoutée est structurellement augmentée, mais que nous sommes incapable de la calculer.

6/ Je sais, pour beaucoup d'entre vous, ce que je dis est d'une banalité déconcertante et a déjà été dit par d'autres (en mieux). M'enfin je préfère essayer d'accoucher moi-même quelques linéaments......

réf : ce blog qui traite (autrement) ce sujet

NB : j'ouvre une nouvelle catégorie "planétisation", qui est un concept que j'utilise de façon récurrente, et qui a besoin d'être regroupé (d'abord pour moi).

O. Kempf

Commentaires

1. Le mercredi 10 août 2011, 21:56 par yves cadiou

En français, il n’y a pas d’exacts synonymes : deux mots n’ont jamais le même sens. La trop habituelle « chasse aux répétitions » dans les rédactions scolaires appauvrit la langue en faisant croire que deux mots sont interchangeables alors qu’ils sont seulement voisins. C’est précisément leur différence qui est intéressante.

Pour ma part, la différence que je fais depuis longtemps entre « complexe » et « compliqué », c’est le caractère contingent de la complication : est « compliqué » ce qui a été complexifié par une action extérieure, volontaire ou non. Cette différence est plus visible avec les mots « complexité » et « complication » : dans les relations humaines, de quelqu’un qui veut qu’un litige ne trouve pas de solution, on dit qu’il « fait des complications », on ne dit pas qu’il « fait des complexités ». Autre exemple : après une opération chirurgicale, il arrive qu’il y ait des complications. La science astronomique est complexe, elle n’est pas à proprement parler compliquée.

Voyons aussi les matheux, qui s’amusent à manipuler des « nombres complexes » avec un incompréhensible intérêt et une déconcertante résistance à la migraine : il est clair que ces gens-là sont compliqués mais pas complexés. Extrait de la page « nombre complexe » de wikipedia : « La branche de l'analyse complexe concerne l'étude des fonctions dérivables au sens complexe, appelées fonctions holomorphes. » Aspirine, merci.

Quant à l’idée selon laquelle « la maîtrise de l'ensemble des éléments constitutifs nous permettra de maîtriser le tout », la MRT dont on parlait l’autre jour est faite pour sortir de cette situation ingérable : avec la MRT, chacun est tenu de maîtriser seulement son propre niveau, sans avoir la connaissance détaillée des autres éléments constitutifs mais seulement un aperçu.

Le monde n’est pas plus complexe aujourd’hui que par le passé : ce qui a évolué c’est la conscience que nous avons de sa complexité. Chacun de nous vit dans un village de cinq cents personnes qu’il connaît plus ou moins, c’est comme ça depuis cinq millions d’années (le troupeau, puis le village).

Ce qui est relativement récent, c’est que nous savons qu’il y a d’autres troupeaux et d’autres villages qui s’imbriquent avec le nôtre. Nous pouvons en avoir un aperçu utile mais nous savons qu'ils sont au-delà de notre entendement dans toute leur complexité.

2. Le mercredi 10 août 2011, 21:56 par Boris Friak

Une des causes, à mon sens, de notre difficulté à prendre conscience des complexités, est que le système de formation privilégie très fortement la connaissance du compliqué au détriment du complexe.

Une des raisons est bien évidemment le profil des professeurs, le plus souvent spécialistes d'un sujet compliqué mais dénués de la capacité de compréhension interdisciplinaire.

3. Le mercredi 10 août 2011, 21:56 par Stéphane Dossé

Le problème vient de la pensée cartésienne (trop mise à l'honneur en France) qui n'est pas pertinente pour comprendre les systèmes complexes : http://pourconvaincre.blogspot.com/...
Essayer de comprendre un problème théorique ou opérationnel complexe,avec un mécanisme cartésien, le rend compliqué...
Je te conseille, comme à tes lecteurs, à nouveau la lecture de la méthode d'Edgar Morin (6 x 300 pages ?)
Par ailleurs, il existe de nombreuses études sur le comportement des réseaux (informatiques ou sociaux) qui permettent d'essayer de comprendre.

égéa: Morin sur la pensée complexe, oui, je l'ai vu, il faut que je le lise.

4. Le mercredi 10 août 2011, 21:56 par AGERON Pierre

Sur la complexité, Voir la définition très éclairante de P. Pigeon : "la tendance à l’intensification des interactions partielles entre plusieurs groupes de paramètres (systèmes), et à plusieurs échelles"
in « Catastrophes dites naturelles, risques et développement durable : Utilisations géographiques de la courbe de Farmer », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Volume 10 Numéro 1 | avril 2010, mis en ligne le 26 avril 2010, Consulté le 11 août 2011. URL : http://vertigo.revues.org/9491 ; DOI : 10.4000/vertigo.9491

5. Le mercredi 10 août 2011, 21:56 par Jean-Pierre Gambotti

Lors de la visite du président Obama en Afghanistan les officiers de l’ISAF ont voulu imager la complexité, les simplistes n’y ont vu que du compliqué, "un plat de spaghettis" ont ajouté les rieurs.
Ainsi à trop enseigner Descartes et galvauder son "Discours sur la méthode pour bien conduire sa raison et chercher sa vérité dans les sciences", on a réduit notre capacité à comprendre le monde à la linéarité, à l’analyse et la synthèse. Ou plutôt on a réduit notre monde, pour le comprendre, aux possibilités que nous offre ce double outil ! La linéarité n’existe pas dans le monde réel et l’approche cartésienne ne nous permet que de résoudre les phénomènes de petite taille, de simples segments de notre monde monstrueux régi par le chaos.

La vérité n’est pas dans le simple et même les hommes des principes de la guerre ne nous ont jamais incités à "raisonner" les guerres avec Descartes, mais à les comprendre pour mieux les "penser". Pour Foch, ses principes, selon sa métaphore bucolique, "ne sont que des feux de pâtres sur la colline, pour guider le voyageur égaré". Lecteur de Clausewitz et polytechnicien je ne doute pas qu’il ait pressenti que la guerre, comme la marche du monde, ressortissait à un vrai phénomène complexe. C'est-à-dire aux systèmes, par essence complexes (cf. plexus), entrelacements de fonctions et de réseaux en co-influence, lieux de relations croisées, de réactions, interactions, rétroactions, d’amplification des micro-causes et de l’importance cardinale des données initiales.


Alors compliqué ou complexe ? Compliqué, c’est être dans la linéarité, le simplisme, c’est se situer dans une posture intellectuelle première pour tenter de comprendre un monde qui n’existe pas, ou résoudre des problèmes dans un monde que nous avons réduit à nos limites. Complexe, c’est être dans la non-linéarité, le monde réel, le monde du hasard, de l’incertitude, des frictions, le monde-système. C’est se colleter avec la guerre sur des théâtres considérés comme des systèmes de systèmes, une guerre dans laquelle l’incision d’une fleur de pavot dans l’Helmand pourrait être considérée comme la cause possible d’une offensive taliban dans la vallée voisine, la chute du régime de Kaboul, ou des tensions politiques avec l’Iran…


Compliqué n’appartient pas au glossaire stratégique ou géopolitique. Pas plus que spaghettis d’ailleurs…
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

égéa : vous exprimez ce dont j'avais l'intuition. Et ce n'est pas seulement vrai dans les affaires de la stratégie, mais aussi dans les organisations humaines. Le management est compliqué, le commandement complexe ?

Quant à l’illustration, la voici.

((http://www.wired.com/dangerroom/2010/08/u-s-officer-in-afghanistan-mows-down-powerpoint-rangers/powerpoint-spaghetti-2/))

6. Le mercredi 10 août 2011, 21:56 par

Un exemple de complexe et de compliqué?

J’avais, il y a quelques temps, souligné que l’annonce du retrait des alliés allait rendre la position des nos troupes plus délicates en Afghanistan.
En effet, et ce n’est là qu’un épiphénomène. La population qui comprend que nous allons la laisser seule, face aux extrémistes et autres talibans, à tout intérêt à coopérer avec les futurs maîtres du pays, et à leur donner des gages de soumission et de coopération… Désormais pour sauver leur peau la frange de population dite « ouverte et favorable » devra se soumettre ou mourir. Les talibans sont désormais comme des « poissons dans l’eau », nous avons beaucoup, beaucoup de soucis à nous faire. Ces morts et blessés (73 morts au moment où j’écris) risquent de n’être que l’avant garde d’autres morts et blessés pour un résultat désormais acquis. Celui du retour de l’Afghanistan dans l’état où nous l’avons trouvé ! Sommes-nous encore capable de gagner une seule des guerres dans lesquelles nous nous engageons ? La question n’est pas si iconoclaste que cela et demande une réflexion approfondie. Nos pays désormais englués dans une crise financière et morale sans précédent doivent se poser le problème de la défense de leurs idéaux fondamentaux. Le risque de retrait frileux dans notre pré carré n’a jamais été aussi prégnant. Suis-je hors sujet? la situation paraît si compliquée qu'elle finit par être complexe, n'est-il pas?

égéa : mais non, pas de hors-sujet...

7. Le mercredi 10 août 2011, 21:56 par oodbae

A force de compliquer un problème, on le rend complexe. Permettez moi de vous proposer cette contrepétrie qui met en exergue la similitude de ces deux mots, mais non leur équivalence.

j'ai compliqué une ex-relation d'affaires[bien prononcer la liaison une_ex : une-n'ex]

Cordialement,
Oodbae

égéa : lol

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