Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Clausewitz (VI,8) : Types de résistance (2/3)

Suite de ma lecture de Clausewitz.

clausewitz_portrait.jpg

Il est surtout question de l'attente dans la gestion de la défense : impossible de lire ces lignes sans penser aux opérations Libyennes, et à la position stratégique de Kadhafi.

1/ "Les avantages d'une défense plus intense sont-ils gratuits ? En aucune façon : les sacrifices exigés pour se les procurer augmentent dans la même proportion" (289). A lire cette phrase, on a l'impression que CVC suggère une "loi de proportionnalité" entre l'attaque et la défense : mais à tout bien considérer, elle semble induite par la notion d'ascension aux extrêmes. Surtout, elle indique que contrairement à ce qu'on pourrait croire, la défense est non seulement active, (alors qu'on la perçoit intuitivement passive, puisque c'est l'autre qui a l’initiative), mais elle exige des efforts. Le statique n'est pas l'immobilisme, en quelque sorte. C'est probablement cette confusion qui est à l'origine de batailles défensives perdues (Metz, 1870 ? je ne connais rien à l'histoire des batailles, mais ça y fait penser).

2/ Clausewitz semble ensuite indiquer le rapport du temps au déroulement de la bataille. En effet, "la région envahie en paiera le prix (...) Nous laissons à l'ennemi l'avantage de l'initiative et le choix du moment". Mais Clausewitz ajoute qq chose que je ne comprends pas : "le temps que nous gagnons à mesure qu'il diffère sa décision, c'est nous qui le payons". CVC explique peut-être sa pensée quelques lignes plus loin : "Le défenseur cherche à se renforcer aux dépens de l'avenir, il emprunte comme quiconque vit au-dessus de ses moyens" (290).

3/ Il poursuite : "le but de l'attaque, c'est de s'emparer du théâtre de guerre (...). Tant que l'assaillant s'est dérobé à la bataille que nous voulons lui livrer, l'objectif de la défense est rempli". Ainsi, "dans les trois phases de la défense qui se jouent près des frontières, l'absence même de décision est déjà un succès de la défense". Impossible de lire ces lignes sans penser aux opérations actuelles en Libye. A ceci près que Kadhafi recule inexorablement, et n'est plus "près de ses frontières". Mais pour le défenseur, "il nous faudra bien au bout du compte prendre l'initiative de l'action" (ce que personne ne croit Kadhafi capable de faire).

4/ En effet, "Tant que le défenseur prend des forces avec chaque jour qui passe et que s'affaiblit l'assaillant en parallèle, l'absence de décision favorise le premier; à mesure que se font sentir les pertes consenties par le défenseur, l'inéluctable tournant va survenir où c'est au défenseur qu'il incombe d'agir et de décider, après quoi tout l'avantage de l'attente est épuisé". En revanche, "quand l'offensive est en bout de course, l'armée ennemie s'est épuisée par ses propres efforts, ce qui donne un autre poids à nos armes" (292). Ce qui vient confirmer le principe de CVC : la défense n'est victorieuse que si elle est la combinaison de l'attente et de la contre-attaque.

5/ Le maître le résume ensuite : "Deux démarches s'offrent à la défense pour emporter la décision : l'assaillant périra par les armes du défenseur ou sous l'effet de ses propres efforts. Le premier type prédominera dans les trois premières phases de la défense, le second dans la dernière".

O. Kempf

Commentaires

1. Le jeudi 11 août 2011, 21:00 par Jean-Pierre Gambotti

Tout lecteur de Clausewitz sait que le major Bystrzonowski a renoncé à la traduction en français de "De la guerre" en raison de trop grandes difficultés et que le baron Neuens et le colonel de Vatry n'ont proposé que des versions approximatives et incomplètes. Ces difficultés de traduction perdurent et à la formule " Clausewitz si souvent cité, si peu lu", on pourrait ajouter "et si laborieusement traduit"! Cette remarque n’est pas anecdotique, ainsi Benoit Durieux dans son "Clausewitz en France", consacre une partie de son ouvrage à comparer les différentes traductions des concepts clausewitziens importants pour mieux en cerner le sens.

Pour ce chapitre VIII, que vous relisez à notre profit dans l’édition présentée par Gérard Chaliand, traduction de Laurent Murawiec (Collection Tempus), je voudrais souligner une déficience grave au regard du "clausewitzisme", la traduction de point culminant- der Kulminationspunkt, the point of culmination ou culminating point- par "inéluctable tournant" chez Chaliand, traduction peut-être linguistiquement correcte mais stratégiquement indigente. Car Clausewitz voulant marquer ce moment où l’assaillant est en bout de course, épuisé par ses propres efforts, cet instant où le défenseur se doit de "porter le coup fulgurant de la vengeance" en profitant du renversement du rapport de forces , ce moment clé, le kairos des Grecs, Clausewitz a choisi de le nommer très justement "le point culminant". Et ce concept sera consolidé dans la suite de son œuvre, notamment dans ses études et réflexions sur l’offensive. D'ailleurs pour les stratèges américains le raisonnement sur le point culminant est resté majeur dans la conception de la bataille.

Dommage que pour une faiblesse de traduction, peut-être liée à une expertise limitée dans la méthodologie des opérations, le couple Chaliand/Murowiec mutile quelque peu la puissante idée de Clausewitz d’unifier conceptuellement l’offensive et la défensive par cette théorie originale du point culminant.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

égéa : merci de la précision. C'est l'intérêt de cette lecture en commun, elle permet à chacun d'apporter ses lumières.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.egeablog.net/index.php?trackback/1111

Fil des commentaires de ce billet