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Emeutes anglaises : expectative

Vous avez peut-être été surpris de ne pas me lire plus tôt sur le sujet des émeutes anglaises, qui ont débuté voici déjà une semaine. C'est que j'avais du mal à les analyser et à en donner une lecture géopolitique. Et pour tout vous dire, je demeure encore dans l'expectative.

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1/ Voici pour commencer le témoignage que François N. m'a envoyé il y trois jours. Merci à lui, et surtout à la pertinence de ses observations, car depuis la lecture des journaux ne m'a pas appris grand chose de plus :

  • Les mots « riots », « looting », « set alight » etc étaient dans toutes les bouches au bureau aujourd’hui et hier.
  • Les gens sont plus attentifs au infos, internet, twitter, etc que d’habitude, les médias ne parlent que de ça (la crise financière n’est pas au cœur des préoccupations à Londres ces jours-ci, ce qui en soit est étonnant)
  • Les hélicoptères des médias survolent les zones de violences.
  • Il a fallu 3 jours à la police pour créer un rapport de force dissuasif : 16 000 policiers en tenue dans les rues. J’en ai vu pas mal ce soir, n’étant pourtant pas allé dans les endroits pressentis pour être chauds.
  • Beaucoup de gens ont fini le travail tôt aujourd’hui. Beaucoup ont télétravaillé (très courant ici).
  • Le PM est rentré de vacances, le maire de Londres aussi, le Parlement est rappelé. No news de la famille Royale.
  • Les journaux sont remplis des histoires personnelles des gens qui ont perdu leur boutique ou leur maison
  • Les quartiers riches ont été touchés, notamment l’ouest de Londres (Ealing). J’ai une amie qui y vit qui fanfaronnait dimanche soir « au moins ici on est tranquilles ». 24 heures après, la moitié des magasins de sa rue était cassée, des voitures brûlées. Une autre amie, un autre endroit, d’autres magasins cassés. Les gens restent chez eux et regardent la télé.
  • 600 arrestations, plus de 110 déférés pour le moment, juste pour Londres. A priori, la plupart des « méchants » sont des opportunistes.
  • Un fait m’a marqué : hormis une attaque contre un commissariat, il n’y a à ma connaissance aucune attaque contre une infrastructure publique. Aucun bâtiment public, aucune gare, aucune station de métro… juste éventuellement celles qui étaient « sur la route ».
  • Beaucoup d’anglais doutent de l’efficacité de leur police. Un ami connaisseur de la France m’a dit « on devrait s’inspirer des CRS ». Sur Twitter, il semble que ça soit un sentiment qui revient régulièrement.
  • De nombreux groupes de gens se sont rassemblés avec des balais pour nettoyer spontanément les zones. Twitter et facebook leur a servi à se rassembler, aussi.
  • La dénonciation est largement encouragée, les portraits issus des caméras de vidéosurveillance sont diffusés dans tous les journaux.
  • L’inquiétude principale maintenant est la capacité de Londres a accueillir les JO. Les conséquences pour les assurances seront énormes. Il sera intéressant de voir si on perçoit une hausse du racisme ou pas.
  • Je suis très étonné de la facilité des dégradations. Même avec 400 arrêtés, il y en a encore eu pour mettre le feu ailleurs. On en est à 600 et on n’est pas sûr d’avoir arrêté tout le monde. Il n’y a pas eu de volonté terroriste, à ce que je sache, pas d’organisation, pas de coordination, rien. Juste de l’opportunisme. Et la police a été totalement dépassée pendant 48h. Le temps probablement d’obtenir les renforts, jusque du Pays de Galle.
  • Au UK, les gens écoutent les conseils de la police et des politiques. Les rues étaient vides ce soir, absolument anormal pour une journée ensoleillée d’août. Il n’y avait que des touristes. La stratégie de la police a payé : on gèle la ville. Malgré tout, tous les transports fonctionnent.
  • Politiquement, il semble que la situation soit plus favorable à Cameron qu’à Clegg. Une autre épreuve pour la coalition.

2/ Mais je demeure dans l'expectative : en effet, deux phénomènes me frappent. Le premier tient au fait que ces émeutes se déroulent dans des zones qui avaient justement bénéficié d'un habitat mixte, mélangeant propriétaires et HLM, gens insérés et populations en marge sociale. Autrement dit, on est assez loin des émeutes françaises de 2005 qui avaient frappé des espaces géographiques où se concentraient toutes sortes de ségrégation (sociale, professionnelle, ethnique, ...). Or, cette mixité a été présentée comme une solution à nos ségrégations qui sont d'abord géographiques. Il semble que ça ne suffise pas.

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3/ Le deuxième phénomène a été la contagion non seulement à l'ensemble de la couronne londonienne, mais aussi au reste du pays. Or, aucun témoignage ne signale de révolte communautaire, qui constituait pourtant un trait dominant du système social anglais, même si les pouvoirs publics avaient cherché à le gommer depuis quelques années. Au contraire, les arrestations font part de blancs, de noirs, de métis, d'asiatiques, indifféremment appréhendés.... Ce qui signifie que la grille de lecture habituelle (immigrés versus laïcité, pour caricaturer les positions idéologiques) ne fonctionne pas.

4/ Alors ? alors je note un trait partagé, celui du pillage, c'est-à-dire d'une consommation primaire. Mais aussi une forme d’absence de lien social, de règle partagée. Cela fait-il pour autant une analyse géopolitique ? j'en doute.

5/ Enfin, ce mouvement me semble fort différent du printemps arabe ou des différentes formes de revendication que j'ai signalées précédemment, qui venaient me semble-t-il des classes moyennes. Ici, ce sont des classes "inférieures" qui se sont révoltées, même si ce n'a pas pris la forme du mouvement ouvrier chanté autrefois par les marxistes. En fait, la révolte s'exprime non par une revendication politique, mais par une "revendication" de consommation : signe, en quelque sorte, du triomphe du libéralisme, et de la fin de l'histoire....? Fukuyama n'avait peut-être pas tort. Mais pas comme il le croyait.

O. Kempf

Commentaires

1. Le vendredi 12 août 2011, 19:38 par Midship

quelques jours plus tard, ma réflexion avance très lentement également.

Il me semble que la volonté de vivre ensemble, et l'accord sur les valeurs partagées (le Contrat Social, donc), sont très forts au Royaume Uni. Une des preuves de cette force est d'ailleurs le fait que les étrangers y vivant y adhèrent souvent.
Les britanniques sont contre les violences, est-il utile de le préciser. Néanmoins une poignée (fait-elle 2000 doigts) de gens a commis des délits ces derniers jours. Encore une fois, ces actions me semblent commises particulièrement par opportunisme, sans doute par bêtise, la croyance de ne pas avoir à faire face aux conséquences renforçant leur "courage". Dans la foulée, un cocktail molotov dans un magasin, l'écran plasma, et un caillou ou deux sur les policiers et hop, je rentre ...

Une poignée, donc, de bêtes. D'idiots. D'hors-du-monde. La piste de réflexion la plus utile, à mon avis, contient deux voies. La première : comment, alors que nous vantons les mérites de la liberté des échanges, de la communication, de la circulation, bref le libéralisme, ne pas nous désarmer contre les menaces internes ou externes ? Défense et sécurité ne sont pourtant pas des gros mots au UK. Ca rejoint peut être les articles lus dernièrement qui disaient "il faut que nos services intérieurs passent dans l'après 11 septembre, arrêtent leur fixette sur Oussama & friends, et reviennent un peu aux bons vieux RG d'antan, au gendarme et sa tournée du matin, au renseignement intérieur, donc".
La deuxième voie est celle de l'éducation. On parle souvent en France du civisme sous l'angle "intégration laïcité etc" (je vous rejoins sur ce passage). On oublie peut être un peu vite le civisme "individuel" (désolé pour le vulgaire paradoxe), le "tu ne cracheras pas sur le conducteur du bus, tu ne voleras pas le téléphone dans le magasin, tu ne casseras pas l'iphone de ton voisin, tu ne mettras pas le feu dans la ville". La pauvreté de l'éducation, la baisse des exigences, le laxisme ambiant (je pense chez nous au bac et ses 90% de réussite)... peut être une cause des violences, non ?

Le premier inculpé était ... assistant dans une école. Ça ne s'invente pas.

Cette crise, c'est celle du droit commun. Nous venons de vivre 10 ans où sous couvert d'exception, nous ne nous soucions pas des bases, du commun, du normal. Résultat, ça dérive.

Mais ces réflexions ne doivent pas être lues comme définitives. Un évènement comme celui-ci demande en effet du temps pour être traité.

égéa : excellent; la crise, celle du droit commun. Je partage tout à fait.

2. Le vendredi 12 août 2011, 19:38 par

Nietzsche nous rappelle que "Le préjugé foncier est de croire que l'ordre la clarté la méthode doivent tenir à l'être vrai des choses, alors qu'au contraire, le désordre, le chaos, l'imprévu, n'apparaissent que dans un monde faux ou insuffisamment connu: C'est là un préjugé moral, qui vient de ce que l'homme sincère, digne de confiance, est un homme d'ordre de principes, et a coutume d'être somme toute, un être prévisible et pédantesque. Mais il est tout à fait impossible de démontrer que "l'en soi" des choses se comporte selon cette définition du fonctionnaire modèle"

Et oui, il faut intégrer le fait que l’analyse ne puisse constamment se référer à la logique. Il faut constater qu’un certain nombre d’humains n’ont pas nos références et se sont construits selon une théorie simple celle du chaos. Le désordre, la violence, la confusion obéissent à des règles qui ne sont pas linéaires, mais chaotiques, sans références cartésiennes et logiques. Ainsi pourquoi ne se saisir dans un magasin d’un écran plat, le geste n’est pas plus répréhensible que celui de voler une orange. Les biens appartiennent à ceux qui se les approprient.. Un monde déterminé a-t-il autant de légitimité qu’un monde arbitraire. Or l’image qu’offre notre monde n’est-il pas celui justement de l’arbitraire. Le système boursier n’est-il pas celui du chaos ou de l’arbitraire ?? La guerre en Afghanistan obéit à quelle logique objective.. Et allonger l’âge de la retraite sans garantir à nos seniors la possibilité de travailler après 60 ans a-t-elle un sens ? Est-ce que notre société qui fabrique des bacheliers incultes et forcément destinés à un avenir de supplétif démontre un réel déterminisme social ?

égéa : un monde faux ou insuffisamment connu : je m'aperçois que cela renvoie à la fois au billet sur le complexe, et ceux sur les surprises stratégiques. Pour le reste, oui, il y a beaucoup d'illogismes... mais attention, le chaos n'est pas l'anarchie. J'y reviendrai un de ces jours.

3. Le vendredi 12 août 2011, 19:38 par

Oui puisque naturellement au début de toute chose est le chaos d'où émerge un certain ordre, et l'on voit bien que la pensée ne s'organise qu'en ordonnant son propre chaos. En tout cas la mienne. sourire

4. Le vendredi 12 août 2011, 19:38 par yves cadiou

Il faut d’abord rappeler trois données. 1 Ce qui est spectaculaire n’est pas nécessairement significatif. 2 La pyromanie est une psychopathie très répandue. 3 les flics, et même les flics anglais, sont des gens normaux : leurs vacances d’été, ils préfèrent les prendre en été.

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3 En sous-effectif estival, la police britannique s’est laissé surprendre par une catégorie de population qui ne part pas en vacances et qui, de plus, peut désormais se rassembler très vite grâce aux moyens actuels de communication.
Je fais la comparaison avec mars 2006, où j’étais par hasard à Paris lors des manifestations anti-CPE. Ces manifs étaient programmées et n’étaient pas spontanées ni improvisées comme les récentes émeutes anglaises.
La veille de la manif la police du quartier passait chez les commerçants pour leur enjoindre de fermer leurs rideaux de fer et faisait signer un papier où le commerçant reconnaissait avoir été averti.
Le jour du rassemblement, on remarquait beaucoup de « djeunes à capuche » mais surtout porteurs de cache-nez. Cet accessoire autour du cou, prêt à être mis en place d’un seul geste pour cacher le visage permettait de supposer qu’ils étaient là pour commettre des larcins ou des dégradations.
Sur tous les chemins d’accès à la manif les sacs étaient fouillés par des renforts de police (y compris le cabas de la ménagère du coin qui revenait de ses courses : égalité des citoyens devant l’administration).
Un tel dispositif est difficile à mettre en place dans le cas de rassemblements qui sont à la fois estivaux et non programmés.
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2 et 1, pyromanie et impressionnisme : j’ai eu par ailleurs à connaître des banlieues où des voitures sont brûlées les nuits de pleine lune. Il suffit d’un ou deux pyromanes lunatiques pour brûler quinze ou trente voitures. Si les pouvoirs publics négligent d’évacuer rapidement les carcasses, le spectacle résiduel est impressionnant. Si l’on ajoute à cela les pétards et fusées d’artifices qui sont tirés à chaque fois qu’une fête en donne l’occasion, le citoyen-lambda qui regarde trop la télévision s’inquiète. A cet égard les anciens combattants, qui en ont vu d’autres, sont des éléments stabilisateurs. Mais il est facile de croire, ou de faire croire, qu’on est au bord de la guerre civile.

Encore une fois je conclus à l’excès d’émotivité de nos sociétés.

« No news de la famille Royale », c’est beaucoup mieux qu’un Président qui bondit sur chaque fait divers. Le plus à craindre finalement dans nos pays qui sont en paix depuis soixante six ans, ce sont les réactions excessives de décideurs politiques à grande émotivité et à courte vue. La solution facile et rassurante, mais dangereuse, du « yaka envoyer l’armée » n’est malheureusement jamais loin.

égéa : et d'ailleurs, elle a été évoquée poru els affaires anglaises...

5. Le vendredi 12 août 2011, 19:38 par Boris Friak

Osons ?

1) "il faut plus d'énergie criminelle pour fonder une banque que pour en dévaliser une" est une phrase qui choquait les bons citoyens avant que certaines pratiques du système financier et bancaire ne soient révélées à l'occasion de la crise financière de 2008...

Un pillage commis devant les caméras de télévision est forcément plus spectaculaire qu'un pillage commis depuis une tour de verre et d'acier.

2) le recours à l'armée pour des opérations de maintien de l'ordre (cf. Belfast / Ulster) ou la substitution aux services publics (exemple : grève des pompiers) n'est pas si rare au RU même si les résultats furent mitigés.

3) il faudrait distinguer les pillages (ciblés ?? opportunités ??) pour s'approprier des biens de ceux servant à se procurer des projectiles (bouteilles, conserves, etc.).

4) peut-on voir des analogies avec certains jeux vidéo ?

5) quelle est l'influence de l'alcool et des stupéfiants ?

6) un appel à témoins n'est pas un appel à "dénonciation". Si on ne veut pas / sait pas exploiter les images de vidéo surveillance il est complètement inutile de mettre des caméras.

égéa : oui, il y a une différence entre dénonciation et délation. Je crois qu'on en a déjà parlé sur égéa....

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