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Laïcité espagnole

J'ai été un peu agacé du ramdam médiatique occasionné par la manif de "quelques milliers" (comprendre : ils étaient plus de deux mille mais moins de trois mille) laïcs contre les JMJ en Espagne, alors que dans le même temps, un million de personnes étaient là. Il y a des obsessions médiatiques assez pesantes. Et pourtant, cela amène à avoir quelques considérations sur le cas espagnol.....

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1/ En effet, les médias français partent d'un double principe très "français" : 1/ "il n'y a plus personne dans les églises" (effectivement, il y en a un million dans les rues) 2/ "la laïcité française que le monde nous envie". Bref, des "connus inconnus", comme je vous en entretiendrai bientôt. Les choses sont évidemment plus compliquées. Et si le procès du communautarisme à la mode anglo-saxonne et protestante a souvent été fait, on s'est finalement peu penché sur les expériences laïques des autres pays "catholiques". Du coup, cet examen permet, par comparaison, de mieux comprendre le modèle français de laïcité.

2/ Bien sûr, la marche de "laïcs" espagnols était -est- très politisée : en effet, dans ces périodes de récession prononcée, avec un grand développement du chômage et un gouvernement Zapaterro déconsidéré qui annonce des législatives anticipées, la gauche espagnole saisit toutes les occasions pour mobiliser son électorat sur la question des valeurs, comme souvent dans ces cas-là. Surtout que les indignados (voir billet et billet) ne semblent pas constituer un soutien direct au PSOE, loin s'en faut.

3/ Dans le même temps, l"église espagnole n'a pas hésité à jouer, ces dernières années, un rôle politique, intervenant dans le débat public, avec ou sans succès. Mais cette présence très importante explique aussi l'utilisation, par la gauche, du thème de la laïcité. Il faut bien voir en effet que le courant laïciste est d'autant plus fort que l'église joue un rôle important, et peu discret. Or, l'Espagne n'a pas mené le chemin parcouru par la France au début du XX° siècle : avez vous d'ailleurs remarqué à quel point, en France, la posture politique laïque (symbolisée par le parti radical) a perdu son influence, à mesure de la discrétion de l’église de France.

4/ Ce qui pose la question des rapports entre l’église et la société, mais aussi entre l'église et l'Etat. La séparation, très achevée en France, ne l'est pas autant en Espagne. A cause bien sûr de l'histoire espagnole au XX° siècle, conjuguant expérience franquiste puis retour à la démocratie sous les auspices d'une monarchie constitutionnelle : un "policy mix" original, qui tient compte de l'identité du pays. C'est aussi pourquoi la discrétion initiale de l'église espagnole, sous la démocratie, a joué en sa faveur, malgré ses liens avec le régime du caudillo, et que ses prises de position dans le débat politique récent remettent en cause, d'une certaine façon, le compromis trouvé en 1976.

5/ Une dernière observation à propos de l'Espagne : parcourant les billets que j'ai publié sur ce pays, je m'aperçois qu'au début, j'évoquai surtout la question des séparatismes qui menaçaient l'unité espagnole. Depuis quelques mois, je traite de sujets plus nationaux. Pas sûr que ce soit le signe d'un reflux du séparatisme.... mais qui sait !

6/ Revenons dès lors en France : la laïcité y est globalement acceptée tant par la droite que par la gauche. C'est en fait un sujet de consensus national. Dès lors, le renouveau du débat sur la laïcité se tourne non pas contre le catholicisme, mais contre l'islam : la question n'est pas celle de la séparation de l' église et de l'Etat (puisqu'il n'y a pas d'église musulmane, ce qui est d'ailleurs une source majeure de difficulté) mais de la séparation de la vie sociale et de la religion privée. Autrement dit, un même mot cache des réalités fort différentes.

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 21 août 2011, 19:27 par Christophe Richard

Encore un exemple qui conforte la synthèse de Carl Schmitt sur le rapport du politique et de la figure de l'ennemi...
En politique, ce sont nos ennemis qui nous rendent fort.

Pour la question du renouveau du débat français sur la laïcité, convenons que dans notre démocratie il y a une frontière floue (si tant est seulement qu'il y ait une frontière) entre le social et le politique.

Bien cordialement

égéa : n'est-ce pas le cas de toutes les démocraties? Qu'est-ce d'ailleurs que "le social" ?

2. Le dimanche 21 août 2011, 19:27 par fcourvoisier

lire"ça" en 2011... !!!!!!!

ne pas être d'"avant-garde", passe encore mais vouloir revenir en arrière, "est-ce bien raisonnable"?
les DIZAINES de milliers(ben oui ...!) de manifestants pour la Laïcité(=l'intérêt de tout le monde)étaient bien courageux,car la police ,en "service commandé"(comme il faut dire), tapait sur les "nonJMJ" à tour de bras ... mais le Progrès ne s'arrêtera pas ,

égéa : où voyez-vous que je veuille revenir en arrière ? je sens dans votre commentaire beaucoup d'émotion, de fougue, de passion ! mais de grâce, gardez la raison.... votre foi dans le Progrès (puisque vous lui mettez une majuscule c'est que vous le déifiez quelque peu) est tout à fait respectable, comme toutes les religions.

3. Le dimanche 21 août 2011, 19:27 par Boris Friak

L'analyse du financement public à consentir à l'occasion d'une visite du pape (de l'organisation des jeux olympiques, du sauvetage des banques, des subventions du spectacle vivant ou des modes de financement des routes, voies ferrées et aéroports) peut aussi être simplement et sainement faite en essayant d'imaginer ce qu'est et ce que sera le rôle de l'Etat.

Les mouvements actuels d'opposition à la corruption (Inde) ou de lutte contre les conflits d'intérêts (France) pourraient aboutir à des décisions démocratiques en matière de financements publics et permettre une perte relative d'influence des groupes de pression.

4. Le dimanche 21 août 2011, 19:27 par br

Intéressant de constater combien le sujet reste explosif (Cf le 2ème commentaire, qui affiche sa foi (sic!) indéfectible dans le Progrès)
Je ne suis pas d'accord avec vous quand vous écrivez "la question n'est pas celle de la séparation de l' église et de l'Etat (puisqu'il n'y a pas d'église musulmane, ce qui est d'ailleurs une source majeure de difficulté) mais de la séparation de la vie sociale et de la religion privée" pour conclure ensuite que le mot - laïcité - cache des réalités forts différentes.
Je pense plutôt que la question de la séparation de la vie sociale et de la religion privée n'est que le prolongement logique de la question de la séparation de l'église et de l'Etat. L'impact de la religion musulmane dans la vie sociale de certains de ses fidèles est tel qu'il heurte de plein fouet les valeurs laïques de la République, de la même manière qu'heurtent les pratiques les plus extrêmes des autres religions. Après, tout n'est qu'une question de nombre.
De la même manière, je ne partage que partiellement votre point de vue quand vous décrivez la perte d'influence de la posture laïque en politique. C'était sans doute vrai il y a encore dix ans, mais on assiste aujourd'hui à un véritable retour en force de ces positions. Même le FN "nouvelle version" se veut le plus fervent défenseur de la laïcité après avoir pourtant longtemps capté l'électorat de ceux qui la combattait. On se souvient également de la loi sur la burqa qui a occupé l'actualité pendant plusieurs semaines. On imagine mal que les échéances de 2012 laisse de côté cette question.

égéa : Pour la première objection, d'accord avec vous. Pas pour la seconde : le "radical socialisme" sauce ancienne a disparu, n'en déplaise à JM Baylet, candidat à la primaire socialiste.... Après, qu'il y ait des resucées, des rejets (au sens botanique), je l'admets et le constate, comme dans le deuxième commentaire. Pour le reste, c'est très instrumentalisé par les uns et les autres et sous couvert de laïcité, on fait de l'anti islam.

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