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Fin de Kadhafi : premières leçons

Ainsi que je l'annonçais dès jeudi, nous voici donc au terme de la campagne de Libye. Elle amène d'ores et déjà quelques explications et aperçus.

source

1/ Cette fin était inéluctable, pour plusieurs raisons :

  • nous avons été un peu aveuglé par l'expérience irakienne et afghane, et avons cru, une fois encore, que nous entrions dans une de ces guerres longues et non maîtrisables. C'était oublier que les facteurs étaient différents.
  • en effet, il s'agissait de s'opposer à un pouvoir en place, avec donc une configuration plus classique (conventionnelle).
  • surtout, ce pouvoir s'est très vite claquemuré dans Tripoli qui est devenu le centre de gravité, à la fois physique et politique, du colonel.
  • Celui-ci n'a jamais utilisé la défensive pour contre-attaquer, ainsi que nous l’enseigne Clausewitz (voir ici et billets précédents).
  • Sa seule chance de succès, à partir du moment où il ne pourrait prendre l’initiative sur le terrain, consistait donc à échanger du temps oriental contre du temps occidental : et donc, à miner la cohésion des alliés (leur centre de gravité) par des palabres orientales qui lui auraient permis, en juin, d'organiser une séparation du pays. Il n'a pas su le faire, ce fut sa perte.
  • dans le même temps, les alliés ont combiné blocus naval, attrition aérienne, et troupes au sol locales et fermement décidées à se battre : certes, il a fallu les former et les organiser, les armer et les planifier, rôle des "conseillers" et autres forces spéciales qui, bien sûr, n'ont jamais, au grand jamais, été envoyées sur place : celui qui dira que des troupes françaises ou anglaises ont posé leur rangers en Cyrénaïque ou Tripolitaine ou djebel Nefoussa risquent, horreur, d’être en contradiction avec la 1973 : donc, ça n'a pas eu lieu. Seuls les médias occidentaux et les belles âmes qui s'y épanchent régulièrement y ont cru .
  • on assista donc à une manœuvre patiente mais régulière d'élargissement de l'étau puis de multiplication des théâtres pour converger, de points décisifs en points décisifs (Bréga, Misrata, djebel Nefoussa, ..) vers le CDG qui est logiquement tombé : du très classique, pour une guerre finalement pas si longue : cinq mois, ce n'est rien ! Que tous ceux qui ont sérieusement parlé d’enlisement aillent se cacher, a tête couverte de cendres, marqués de la honte et du ridicule.

2/ Quid des vainqueurs et des vaincus, hors le CNT et Kadhafi ?

  • vainqueurs : France (cela se sait-il ? voir ici) et UK, au premier chef, mais aussi Italie et Norvège. Également, Qatar et EAU.
  • plutôt bien, mais mitigé : États-Unis (merci Mme Clinton, dommage Bob Gates), OTAN (qui a finalement su transformer en succès, nolens volens, une affaire mal partie), et Ligue arabe.
  • perdants : Allemagne et Turquie; Union africaine, pays émergents (Chine, Russie, Brésil).
  • même plus perdant car pour perdre, il faut un peu jouer : l'UE. L'UE passe, impair, et perd !

3/ Et après ?

  • on n'est sûr que d'une chose : il y aura un grand désordre, un peu à l'image de ce qui se passe en Tunisie : car si Kadhafi était maléfique, il avait su malgré tout "équilibrer" le système libyen, et rien, mais rien du tout, ne garantit qu'on trouvera rapidement un nouvel équilibre.
  • au contraire, on peut être très inquiet : je ne crois pas beaucoup à la menace islamiste agitée ici ou là, ou à la contagion à AQMI. Mais je pense en revanche que beaucoup de forces centrifuges vont s'exercer et que la Libye va rester, longtemps, un problème.
  • en fait, la "solution" actuelle n'est que passagère, et ne marque que la fin d'un épisode : certes, les Occidentaux y étaient beaucoup mêlés. Mais il serait sage qu'ils s'abstiennent de trop intervenir dans l'après Kadhafi. Pour le coup, les exemples irakiens et afghans doivent rester à l'esprit.

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 22 août 2011, 21:58 par Christophe Richard

Un petit commentaire au sujet de cette guerre vue sous l'angle de "la guerre au sein des populations".

La guerre au sein des population est restée une "guerre au milieu des populations" et n'a pas évoluée en "guerre entre les populations".

Kadhafi a utilisé la population civile comme bouclier contre les frappes aériennes (avec des tentatives d'exploitation victimaire par des mises en scènes) et contre une partie de ses opposants grâce à des otages. Pourtant, c'est ce combat au milieu des populations qui semble lui être finalement fatal, la libération des villes de l'ouest se faisant selon une séquence soulèvement(après infiltration de combattants)/jonction avec des colonnes d'insurgés.

Il reste à voir comment se passera l'après-guerre, mais en tous cas il ne profitera pas à Kadhafi semble-t-il.

Bien cordialement.

2. Le lundi 22 août 2011, 21:58 par Jean-Pierre Gambotti

Permettez-moi d’ajouter à la liste des experts en peau de lapin, que dans ma grande candeur j’espère voir prendre le chemin de Canossa, les contempteurs de la stratégie aérienne. Pourraient-ils enfin descendre de leur cheval, méditer les principes de la guerre et comprendre enfin qu’une stratégie est contingente et qu’elle organise la confrontation entre les centres de gravité des parties en conflit. Délivrer de l’énergie par la troisième dimension est une stratégie appropriée à condition que le centre de gravité adverse présente des vulnérabilités critiques à l’arme aérienne dans ce conflit précis. Est-ce si douloureux de devoir apprendre quelques rudiments de la stratégie avant de commenter les guerres et de faire l’opinion publique?
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

3. Le lundi 22 août 2011, 21:58 par Boris Friak

Au paragraphe "et après ?" on peut ajouter la question de l'emploi des travailleurs étrangers en Libye et la reprise ou non des transferts monétaires vers la Tunisie, l'Egypte, le Mali, etc.

La Libye était un moteur économique régional et peut le redevenir. Pour le moment l'absence de ces transferts est un facteur d'affaiblissement des révolutions arabes.

4. Le lundi 22 août 2011, 21:58 par

Ne me réclamant d’aucune expertise, mais défendant ma liberté de parole et d’écrit au nom de la liberté d’expression et me méfiant autant des experts en peau de lapin que des experts tout court, et au risque de me voir excommunié, tout en partageant l’agacement de Jean-Pierre Gambotti, j’ose avancer quelques réflexions.

Force est de constater que notre outil militaire, continue à être plus adapté à un combat de moyenne intensité face à des forces somme toutes relativement classiques, qu'à un combat anti-insurrectionnel ou anti terroristes (cf. Afghanistan). Il est démontré que cet outil reste toujours aussi utile 20 décennies après la fin de la guerre froide. De mémoire, l’exemple libyen est unique sur le plan tactique, une coalition otanienne renforcée par des éléments extérieurs vient en appui de ce qu’il faut bien appeler un soulèvement populaire et je partage l’essentiel du point de vue d’EGEA. Il faudra attendre les retex pour juger de la réalité des tactiques et des moyens employés par les forces kadhafiste mais je doute de leurs réelles coordination et organisation.

Les forces aériennes et singulièrement françaises y compris l'Alat ont mené, après avoir éliminé une aviation libyenne quasiment inexistante une tactique d'usure et de déblayage au devant et en appui de forces autochtones plus ou moins encadrées par des forces spéciales. Il y donc eu un appui aérien en "appui" des combattants au sol.

La marine a joué un rôle d’appui côtier dans l'usage traditionnel de la marine du 19° et 20° siècle. Aucune perte du coté allié mais le « zéro mort » n’a aucune signification puisqu’on ne comptabilise ni les victimes « insurgés » ni kadhafistes, ni civiles. Malgré l’opinion d’un éminent spécialiste qui relevait que 4 rafales de l’armée de l’air avaient remplacé à eux seuls les moyens aériens du CDG, je continue à croire qu’un porte-avions en permanence sur zone permet une souplesse d’action remarquable. Notre DRM est un outil qui est désormais rodé et certains spécialistes qui la composent ont démontré leur professionnalisme. Au-dessous d'un certain seuil le qualitatif ne peut remplacer le quantitatif, mais le qualitatif permet de frapper juste et fort. Il n’y a pas de stocks de munitions temps de paix et temps de guerre, nous sommes en guerre permanente, en conséquence ces stocks doivent être gérés et complétés de manière réaliste.. La MCO est une priorité stratégique. Enfin, la qualité des hommes qui composent nos armées modernes est le meilleur atout de l'occident.

5. Le lundi 22 août 2011, 21:58 par

Bonjour.
Articles intéressant (comme toujours) tout comme l'ensemble des commentaires.

@O.Kempf : concernant votre bilan sur les vainqueurs de cette guerre, le bilan est-il si mitigé qu çela pour les Etats-Unis d'Amérique quand ceux-ci sont félicités de manière importante comme le dit Florent de Saint-Victor dans le lien que vous citez ?

@Roland PIETRINI :
"De mémoire, l’exemple libyen est unique sur le plan tactique, une coalition otanienne renforcée par des éléments extérieurs vient en appui de ce qu’il faut bien appeler un soulèvement populaire".
=> l'offensive contre les talibans en 2001 ne se rapproche-t-il pas d'une certaine manière de ce modèle avec l'appui aérien et des FS anglo-américaines à l'Alliance du nord ?

"Notre DRM est un outil qui est désormais rodé et certains spécialistes qui la composent ont démontré leur professionnalisme"
=> Pourriez vous m'indiquez vos sources sur ce sujet, ça m'interesse ? Merci d'avance.

égéa : certes, il y a beaucoup de satisfecit US, mais à la mode américaine, comme toujours. Pas innocent que le NYT écrive un article pour expliquer que, "pour une fois", les Américains n'ont pas tout fait et que la majorité des frappes a été française. Je constate que la position "en retrait" était certes une bonne stratégie (et de ce point de vue, couronnée de succès) : toutefois, les US n'apparaissent pas comme les premiers vainqueurs, ceux qui ont mené les affaires, à la différence de l'habitude.

6. Le lundi 22 août 2011, 21:58 par

Pour répondre à AFS, je lui dirais que ce serait bien volontiers que je pourrais échanger en aparté sur le sujet, certainement pas en citant mes sources que je ne mets pas en avant. Mais pour avoir connu l’avant DRM, et la nébuleuse du renseignement à la française où se côtoyait de nombreux organismes appartenant aux différentes armées : FAS, Fatac B2, EMAT BRRI, EMA2, EMM, CERM, SGDN, MMFL, CRA 2°CA, DGSE, et j’en oublie, par conséquence l'inefficacité du système - pour avoir connu les balbutiements de la DRM et sa création rendue nécessaire par les multiple déconvenues du renseignement militaire notamment lors de la guerre du golf - pour avoir participer en qualité d’expert et de témoin à la réalisation de certains films ( l’Armée de l’ombre, les missions de Potsdam,) avec quelques responsables de la DRM, dont certain que j’ai connu directement sur le terrain - pour connaître l’importance et le temps nécessaire qu’il faut pour former certains spécialistes des écoutes, « grandes oreilles, 44°RT etc..) et certains spécialistes de l’interprétation photo et de la recherche du renseignement que je fus, (MMFL, 13°RDP.. etc.)- pour avoir moi-même mesuré la nécessité et la difficulté de certains apprentissages: J’affirme que l’outil DRM et que la filière rens. dont celle formée à Saumur pour l’armée de terre est cohérente, pérenne et efficace.. Sans vouloir faire de prosélytisme vous trouverez sur mon blog les coordonnées de mon livre qui aborde le sujet car c'est en connaissant le passé que l'on arrive à comprendre parfois mieux le présent.

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