1/ E. Todd n'aime pas Nicolas Sarkozy. C'est son droit. Il consacre 300 pages à nous expliquer pourquoi. Ça a des allures d'Alain Badiou (que je n'ai jamais lu), avec ce côté radical et extrême et offensé et ému et scandalisé et dénonciateur qui marque son personnage et certifie qu'il est du bon camp.
2/ En fait, Emmanuel Todd a comme voulu laver l'affront d'avoir pu laisser penser qu'un jour, il était chiraquien (c'était en 1995 et il s'était fait piquer l'idée de "fracture sociale"). Non, jamais, au grand jamais, c'est un authentique homme de gauche, il nous le répète. Nous en sommes tout assurés.
3/ Passons sur quelques (nombreuses) pages, au sens propre 'passables'. Deux choses retiennent véritablement l'attention. La première, lorsqu’il explique que la démocratie est foncièrement athée, et que la laïcité n'est pas du tout cette tolérance bon enfant qu'elle est devenue : non, elle hait la religion. Mais comme la religion catholique, à l'en croire, a disparu ou tout comme, la laïcité n'a plus personne à qui s'opposer et donc qui lui permette d'exister, ce qui pose un vrai problème démocratique. Du coup, les débats cours sur l'islam sont en fait la renaissance de la haine de la religion, moyen permettant à la démocratie d'exister.
4/ On passera bien sûr le côté un peu extrême de la thèse : le lecteur y reconnaîtra toutefois quelques réminiscences d'un René Girard (bouc émissaire fondateur de la société) et d'un Carl Schmitt (c'est l'ennemi qui fait la politique). J'y vois l'intérêt d'expliquer les discours actuels sur l'islam, avec une théorie éloignée du choc des civilisation ou du krypto-racisme habituels, et pour tout dire, stimulante, même si on peut en discuter les détails (!).
5/ L'autre chose à retenir est ce passage conclusif absolument hallucinant et halluciné où Emmanuel Todd nous explique que pour sauver la démocratie, la gauche doit s'efforcer de supprimer le suffrage universel. La proposition est intéressante, il faut en convenir : heureusement qu'elle n'intervient qu'à la page 278....
6/ Quiconque d'autre qu' E. Todd aurait fait sérieusement cette proposition, eut-il été publié en livre de poche sans faire de tintamarre médiatique dénonçant cette menace contre les fondements les plus sacrés de notre liberté ?
Bref, un livre que vous pouvez ne pas lire. Et on regrette le Todd de l'invention de la France ou d'après l'empire, autrement plus stimulants.
O. Kempf
1 De -
Vous pouvez nous expliquer rapidement comment E. Todd arrive à proposer la fin du suffrage universel pour sauver la démocratie ?
Pour l'explication du non-tintamarre, c'est peut-être que personne de suffisamment influent médiatiquement n'a lu ce livre en entier pour le voir ...
D'où ma question : la démocratie est-elle une caravane abandonnée au fond d'un bois ?
égéa : parce que désormais, "le suffrage universel semble désormais produire de l'incertitude plutôt que des choix rationnels". Sinon, on est dans un système oligarchique, où l'opinion ne cesse de se faire manipuler, avec des risques populistes et ethniques... Regardant à nouveau le livre, je précise juste une chose : la suppression du SU n'est qu'un des scénarios envisagés, non une recommandation. Et il précise même que c'est une menace... Ceci explique probablement le non-tintamarre.
Je suis décidément très méchant, injuste, partial et je ne rends pas compte de toute la démonstration. C'est vrai, j'assume.
2 De -
Mais pourquoi désormais ? Le suffrage universel a toujours produit de l'incertitude, sans pour autant avoir l'exclusive de cette production. La monarchie aussi sait produire de l'incertitude, plus encore quand il y a un souverain dans sa minorité ou qu'il a quelques problemes psychologiques (tout rapprochement avec d'anciennes provinces romaines d'Afrique du Nord, entre Carthage et Alexandrie d'Egypte est purement fortuit).
Quand en 427 av. J.-C. l'Assemblee des Athéniens ordonne le massacre de toute la population mâle de Mytilène alors en révolte et l'asservissement des autres habitants (apres le procès des responsables ...), elle se dédit le lendemain et il faut toute la célérité des rameurs d'un second navire pour rattrapper la première trière qui était porteuse de l'ordre (qui avait pris la mer la veille). On voit que l'incertitude du suffrage universel n'est pas propre au XXIe siècle, pas plus que les choix irrationnels (Thucydides, Guerre du Péloponnèse, III, 36-49).
égéa : oui, mais là, Todd est en colère : contre Sarko, contre le SU, contre les socialistes, ..... et pour lui, ça change tout. Un livre d'humeur, quoi.
3 De Jean-Pierre Gambotti -
Je ne lirai pas Olivier Todd. Pourtant sa vision jéromeboshéenne du monde me séduirait si sa pensée n’était pas portée par la haine. En l’occurrence la haine de Nicolas Sarkozy. Quand un intellectuel place le débat dans ces repères, il n’y a plus d’idées, juste de l’invective. Au cours d’émissions de deuxième partie de soirée du service public, chacun a pu entendre Olivier Todd tenir un discours tellement excessif sur le Président de la République que même les participants les moins sarkozystes étaient outrés.
Comment le lecteur à la recherche de vérité peut-il apprécier des thèses excrétées d’une haine aussi primaire ? Comment le démocrate peut-il accepter d’être méprisé au travers du mépris qu’Olivier Todd porte au Président d la République ?
Quand une telle haine gouverne l’intellectuel, sa pensée est insignifiante. Mais je dois à la vérité de dire que ma perversité pourrait l’emporter. Si je trouve du Todd un jour dans un vide grenier, peut-être l’achèterai-je, après un sérieux marchandage évidemment. Je ne céderai pas à mes turpitudes à n’importe quel prix.
Jean-Pierre Gambotti
égéa : oui, il s'est fourvoyé. Et le dire ne signifie pas qu'on est pour le PR. C'est dommage, parce qu'il a sortie de bons bouquins, j'insiste là-dessus.
4 De Yves -
Il est important de distinguer l'agressivité, qui est une pulsion de vie, de la haine, qui est une force de dépersonnalisation (Marie-Claude Defores)
Olivier Todd est seulement agressif pour mieux réveiller nos consciences et nous remettre en question.
La haine est bien loin de cet esprit scientifique et novateur.
Il faut lire et argumenter son desaccord c'est un peu çà la democratie....
égéa : vous avez peut-être raison... Oui pour la distinction entre haine et agressivité. IL reste que s'il y a quelques bonnes choses, le ton est quand même très excessif et dessert son objet. AMHA....
5 De Jean-Pierre Gambotti -
Deux mots,
-excuses d’abord pour cette confusion de prénom, mais j’étais plutôt un lecteur d’Olivier et je vois dans ce lapsus un acte inconscient pour refuser le discours d’Emmanuel !
- réaction ensuite au distinguo d’Yves, je persiste c’est bien de la haine qui traversait l’écran dans cette émission de Taddei. Mais je ne résiste pas à la perversité de rappeler la définition d’agressivité ( cf vulgaris-medical.com) :
« Si, dans le langage courant, l'agressivité est synonyme de violence, brutalité, voire hostilité pour son côté péjoratif, ce terme peut également être synonyme de combativité, pugnacité, mordant, pour désigner un individu tourné vers l'extérieur essayant de s'affirmer.
En psychanalyse, l'agressivité traduit une volonté inconsciente de destruction pour compenser une frustration. Pour Freud, il s'agit d'un instinct de destruction qui, allié à la libido, constitue le sadisme.
Biologiquement l'agressivité semble nécessaire au maintien et à la satisfaction des besoins vitaux.
Un individu agressif est soit démonstratif (spectaculaire), soit ironique au travers de paroles, de mimiques, de médisances, d'insultes.
Dans le domaine des psychoses, l'agressivité fait partie de certains syndromes psychiatriques tels que l'intoxication par l'alcool (aiguë ou chronique), les toxicomanies, certaines épilepsies, etc.
Traitement
C'est essentiellement celui de la cause quand elle est connue. La psychothérapie et vise à renforcer l'hygiène mentale du patient, à le valoriser. Une grande patience et une attitude de compréhension sont nécessaires de façon à faire aboutir la thérapie. »
Jean-Pierre Gambotti