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Lybie : deuxièmes leçons (locales et régionales)

On commence à y voir un peu plus clair et à dessiner quelques analyses supplémentaires (depuis ici et ici) sur l'affaire de Libye. Désolé si c'est long, mais je ne me contente pas des 140 signes de twitter, ni des arguments you tube que prônent certains. Mon côté "vieille école", sans doute. Qui n'aime ni le zinc ni le cuivre....

source

1/ Tout d'abord, on sent bien qu'il y a plusieurs factions dans le CNT. Avez-vous remarquez que nous n'avons pas encore obtenu de vrai portrait des membres de cet organisation ? certes, certains étaient clandestins en Tripolitaine, mais depuis quelques jours, on pourrait savoir. Il y a des lignes politiques, mais aussi géographiques : donc, de géopolitique intérieure.

  • On voit bien que si les benghazistes dominent politiquement le CNT, militairement, ils ne sont pas aux avant-postes. Ce n'est pas un hasard s'ils n'ont pas dépassé Brega pendant quatre mois, et s'ils n'ont fait qu'approvisionner Misrata (et encore, ils n'ont probablement servi que de relais à de l'armement venu d'ailleurs : Qatar, ....)
  • Mais l'essentiel des combats à été mené par trois factions de Tripolitaine : ceux de Misrata, ceux du djebel Nefoussa (des Berbères), et ceux de Tripoli même, qu'on dit être menés par un leader islamiste.
  • Conclusion partielle : les Tripolitains n'ont accepté de se rendre qu'à des Tripolitains.

2/ Un cocktail explosif, et menacé d'éclatement, donc ? peut-être; mais pas sûr. Tout d'abord, s'il y a des islamistes, ils ne sont pas en position de force (à l'instar de ce qu'on observe dans le reste des révoltes arabes) : autrement dit, malgré beaucoup de fantasmes, ils participeront au pouvoir mais ne devraient pas le diriger. Après, on peut craindre un système d'étouffement progressif, type prise de pouvoir communiste version coup de Prague en 48... mais malgré la propagande d'AQ, il n'y a pas de Komintern islamiste, et pas d'équivalent URSS....... Bref, c'est possible (d'autant que les kadhafistes vont désormais soutenir les islamistes) mais pas probable.

3/ Et puis surtout, Kadhafi est en train de rendre, involontairement, un fier service à la rébellion : en n'étant pas capturé, en laissant croire qu'il contrôle encore des unités combattantes, il permet la perpétuation de l'engagement de l'OTAN, mais aussi l’unité du CNT, qui bénéficie donc d'une certaine période pour gérer une transition politique (facilitée de plus, comme le remarque F Heisbourg ds le NYT, par le fait que la faiblesse des moyens alliés est allée de pair avec la non destruction des infrastructures vitales : pas de syndrome d'anéantissement à l'irakienne).

4/ Concernant l'environnement régional, on doit tout d'abord constater l'hostilité du nouveau pouvoir envers l'Algérie, alors même que celle-ci ne goûtait pas Kadhafi : la permanence de cette défiance cache quelque chose de plus profond.

  • il y a des raisons purement algériennes : fin de règne de Bouteflika, peur réelle des islamistes, répulsion devant toutes ces évolutions environnantes (Tunisie, Libye, évolution au Maroc) qui affaiblissent non seulement un système autoritaire, mais aussi le discours constitutif de la nation algérienne très enraciné dans l'histoire de l'indépendance.
  • A noter également le sentiment d'un certain "encerclement" avec des régimes différents sinon hostiles, et au sud une bande sahélienne mal contrôlée ..., et une zone au sud-ouest (Mauritanie, Sahara occidental) difficile...

5/ Autres pays arabes et du Moyen Orient :

  • La Tunisie doit observer avec un certain soulagement la fin de la guerre : cela devrait permettre un retour au calme et la fin des tensions sécuritaires au sud-est, qui compliquaient une situation déjà très difficile.
  • L’Égypte parait visiblement plus préoccupée de ce qui se passe dans le Sinaï et des relations avec Israël.
  • on le verra dans un prochain billet, la fin des opérations en Libye permettra d'accentuer la pression diplomatique sur la Syrie (voir ici)
  • Le petit Qatar et les Emirats tirent leur épingle du jeu.
  • Quant au Yémen, la situation est toujours confuse, mais elle semble s'aplanir, même si aucune solution politique ne se dégage encore : tout peut à nouveau dégénérer.
  • L'Iran, pragmatique, salue la révolution du "peuple musulman de Libye", ne reconnaît toujours pas le CNT mais accepte de le rencontrer.

6/ Le CNT annonce 50.000 morts : qui a dit que la guerre n'était pas sanglante ? Mais cela confirme ce que nous écrivions, avec AGS, dans "les guerres low cost", quand nous démontrions qu'il y avait de nouvelles gammes de la guerre.

  • contre un adversaire qui n'a jamais manœuvré et qui ne s'est jamais opposé (sauf au sol, là où les combats étaient symétriques), après les dix premiers jours, il y a donc eu une répartition classique du travail : aux occidentaux les frappes technologiques (blocus naval, frappe aériennes par avion, hélico, drone, missiles, envoi de forces spéciales..) : aux "indigènes" mal formés, mal équipés, mal préparés, les assauts de contact et la conquête du terrain.
  • A la guerre, le coût n'est pas que financier, il est aussi humain. Si les occidentaux ont payé avec de l'argent, les rebelles ont payés avec des pertes humaines.
  • Ceci rappelle la division du travail de la mondialisation : aux occidentaux, le développement technologiques, au tiers-monde les ateliers de production utilisant le faible coût du travail. Sauf que cette division s'est érodée et à provoqué l'émergence (BRIC etc...), et l'affaiblissement des pays développés. En sera-t-il de même en matière militaire ?

O. Kempf

Réf :

Commentaires

1. Le lundi 29 août 2011, 20:42 par yves cadiou

Excepté en ce qui concerne l’excellence de nos militaires, qui est avérée, cette affaire libyenne doit susciter la méfiance ou du moins la prudence quant aux conclusions qu’on en tire parce que les informations qu’on nous sert sont douteuses.

Qui a vu les 50 000 morts annoncés par le CNT ? Cinquante mille ! Quelque chose comme deux cent cinquante cadavres, deux cents fois, ça ne passe pourtant pas inaperçu.

Nous sommes typiquement dans la situation dont parlait votre fiche de lecture en juin dernier : n’oublions pas que notre intervention a été initiée par « le seigneur et maître des faussaires ».


égéa : oui, vous avez raison, il n'y a probablement pas 50.000 morts... mais soyez sûr qu'il y en a plus de 1000, qui est normalement le seuil à partir duquel on parle de "guerre". Après, j'entends déjà les critiques sur la manipulation médiatique, la propagande pour justifier le conflit et les positions tenues, ... Qu'expliquent-elles ?

2. Le lundi 29 août 2011, 20:42 par

merci pour cette analyse..

3. Le lundi 29 août 2011, 20:42 par Christophe Richard

Pour la question de la division du travail, je pense qu'elle répond a une logique d'optimisation politique et militaire.
1-Guerre "zéro mort" pour la coalition qui en a les moyens (même si je me garde bien de minimiser les risques pris par le personnel engagé au dessus de la Libye... Mais cette guerre sans mort à déplorer facilite les relations avec l'opinion... Ceux qui se sont opposés à l'intervention n'ayant que le coût... financier à agiter, le reste (risques de l'après guerre et autres spéculations restant du domaine de la spéculation justement).
2-Révolution, évènement fondateur de l'histoire libyenne qu'il faut légitimer par le prix du sang pour les Libyens. L'aide de la coalition affaiblit d'autant moins politiquement les insurgés que seul leur sang a coulé.

Concernant les aptitudes militaires du front est, je voudrais juste rappeler qu'ils ont connu à BREGA une bataille d'attrition particulièrement difficile, menée dans une forme classique (blindés, artillerie, champs de mines...) sans l'appui d'un soulèvement de la population dans le dos de leurs adversaires.
Paradoxalement, je crois que l'armée de l'est est la seule force armée au sens classique de la révolution, les forces de l'ouest restant avant tout des forces de guérilla, qui ont conquis des villes dont ils avaient préalablement organisé le soulèvement.

Bien cordialement.

égéa : merci pour vos précisions. Il reste que dans la légende dorée qui va justement inspirer cette "révolution libyenne", les faits d'armes auront plus eu lieu à l'ouest qu'à l'est...

4. Le lundi 29 août 2011, 20:42 par

J'en profite pour vous signaler un portrait d'un leader islamiste important, Abd al-Hakim Belhaj, chef de la brigade qui a pris d'assaut le camp retranché de Qadhafi.

http://mideast.foreignpolicy.com/po...

égéa : oui, Belhaj est très souvent cité, et on n'avait pas de photos de lui jusqu'à ce portrait... Le public français pense inéluctablement au Belhadj algérien (avec un "d")

5. Le lundi 29 août 2011, 20:42 par yves cadiou

Pour égéa (commentaire n°1) : il faut relativiser ce chiffre de mille morts. Dans un pays de six millions d’habitants où le taux de mortalité habituel est de 0,34 % (soit 20400 décès par an) mille morts en six mois, ça ressemble moins au bilan d'une guerre qu'à une statistique de la sécurité routière ou des accidents domestiques.

Quoi qu’il en soit personne n’a vu les cinquante mille morts annoncés par le CNT, ni même vu le centième de ce nombre : il ne s’agit que de chiffres affirmés et non avérés qui font écho au « bain de sang » promis par Kadhafi, menace probablement destinée à faire peur aux rebelles mais qui a servi de prétexte à l'intervention étrangère.

Souvenons-nous de l’un des enseignements de la Guerre du Golfe en 1991 : c’est seulement trois ans plus tard que la presse a reconnu, du bout des lèvres, qu’elle nous avait servi des infos bidonnées. C’est donc en 2014 que nous, le public, saurons ce qui s’est réellement passé en Libye en 2011 et que nous pourrons réellement analyser l’épisode.

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Pour Christophe Richard (commentaire n° 3) : ceux qui se sont opposés à l’intervention n’agitaient pas le coût financier mais l’erreur politique que cette intervention constitue.

6. Le lundi 29 août 2011, 20:42 par Christophe Richard

Pour Yves Cadiou.

Erreur politique?
N'avez-vous pas remarqué qu'il se passe des choses de l'autre côté de notre chère mer Méditerranée?
Que vaut-il mieux faire, chercher à accompagner un mouvement de fond afin d'acquérir de l'influence sur les évènements, ou se contenter d'observer en attendant de devenir le bouc émissaire commode des illusions perdues?
Les enjeux en Libye sont immenses, et d'abord d'aider à faire émerger un Etat, là où n’existait qu'une "machine de guerre" (pour parler comme Deleuze). Mais l'échec n'est pas encore écrit que je sache, l'erreur politique reste donc encore du domaine de la spéculation.

Bien cordialement.

7. Le lundi 29 août 2011, 20:42 par yves cadiou

Erreur politique. L’erreur, c’est d’abord de ne pas avoir de politique.
Le rôle de la France n’est pas de prendre parti dans les conflits tribaux africains. C’est pourtant ce mauvais rôle que nos décideurs viennent de nous faire tenir, s’appuyant sur de fausses informations sans pendre la précaution élémentaire de les vérifier, décidant trop vite pour tenter de faire oublier qu’ils avaient complètement loupé le printemps arabe. Il faut maintenant que l'on nous explique en vertu de quelle cohérence dans notre politique étrangère nous n'intervenons pas en Syrie.

Pour l'intervention en Libye les réticences allemande, russe, turque, constituaient pourtant des indices sérieux que la situation n’était pas si simple et qu’il fallait y réfléchir à deux fois avant de soutenir des rebelles en peau de lapin. Ceux-ci ont mis six mois pour aller jusqu’à Tripoli en dépit de notre appui-feu massif, ils n’ont pas encore capturé ni même localisé Kadhafi, ils vont maintenant se quereller entre eux indéfiniment et ils ne nous sauront peut-être même pas gré de notre soutien.

Le rôle de la France, au lieu de prendre parti dans les conflits tribaux africains ou arabes, c’est le cas échéant d’intervenir en protection des populations réellement menacées (et pas seulement menacées en paroles), en partenariat avec nos partenaires naturels comme ce fut le cas d’EUFOR Tchad/RCA et en prenant la peine d’imaginer ce qui se passera après (c’est-à-dire, pour la Libye, qu’avant de foncer tête baissée il fallait imaginer ce qui se passe à partir de maintenant).

Oui, cette intervention en Libye est une erreur politique. Sans doute inévitable dans la mesure où les partis politiques présentent à nos suffrages des gens incompétents sélectionnés seulement au regard de leur capacité à jouer des coudes pour obtenir l’investiture du parti.

Nous aurons certainement l’occasion de reparler de l’erreur géopolitique que fut cette intervention en Libye, heureusement toutefois parfaitement exécutée par une armée dont on apprend à l’instant qu’elle en sera récompensée par une nouvelle réduction de son budget. C’est ce qu’on appelle « tirer l’échelle » pour les successeurs. Non contents de ne pas avoir de politique étrangère, nous n’avons pas non plus de politique militaire.

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