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L'Europe, passager clandestin de la sécurité européenne (1/2)

1/ Cela fait désormais des années qu'en matière de défense l'Europe joue au passager clandestin (free rider). Il s'agit là d'une formule de la théorie économique, illustrant un cas d'aléas moral, où l'un des acteurs ne joue pas le jeu collectif du groupe où il est partie. Cela est souvent le cas des plus faibles, qui font le calcul économique suivant : un moindre effort de ma part n'affectera pas la performance collective, puisqu'elle est surtout portée par les gros, et je bénéficierai donc des avantages de cette performance de groupe; dans le même temps, le moindre effort que je fournis permet de maximiser en plus mon avantage individuel.

source (malheureusement, les passagers clandestins sont moins affriolants que Martine Carol : son soft power est très convaincant, elle!)

2/ On a surtout vu cet effet avec l'Alliance Atlantique. Rappelons d'abord que ce traité est un contrat : les Européens échangent de la "sécurité" (la garantie fournie par les Américains) contre leur suivisme des orientations américaines. Ainsi, contrairement à ce que beaucoup croient, ce n'est pas un jeu à sens unique, ce n'est pas "uniquement à l’avantage des Américains", comme c'est trop souvent perçu et affirmé en France.

3/ Toutefois, et cela fait une éternité que cela dure, les Européens "payent" moins que les Américains : ils s'en plaignaient déjà au moment de la guerre froide (l'expression du "burden sharing" est apparue dans les années 1960), ils s'en sont plaint après la chute du mur (souvenez-vous de Kagan), et ils continuent (souvenez vous de Robert Gates en juin, cf. Billet et billet). Cela étant, les chiffres sont là : collectivement, quelques soient les engagements pris lors des sommets successifs, les Européens ne payent plus pour leur défense et sont largement en-dessous des 2% du PIB. C'est d'autant plus vrai que, à tort ou à raison, le besoin de sécurité américaine est moins prégnant Ce désinvestissement peut aussi s'observer sur les théâtres d'opération, et l'extension des caveats en Afghanistan est le signe de ce moins-disant permanent européen.

4/ C'est à cette aune qu'il faut considérer l'évolution américaine : d'une part le recentrage sur le Pacifique,d 'autre part la crise qui va toucher aussi le budget de défense, voici les deux facteurs qui poussent les Américains à un moindre investissement en Europe. Sans même parler des difficultés politiques internes du pays qui poussent à jouer profil bas à l'extérieur.

5/ Ainsi s'explique l'attitude américaine dans Unified Protector (OUP, qui n'est pas l'ouvroir de littérature potentielle). En n'apparaissant pas en première ligne, en laissant Français et Anglais mener la danse, en assumant un "Winning from the behind", les Américains ont voulu adresser un message clair : nous ne serons pas toujours en première ligne. Ils poursuivent la ligne initiée dès la fin du mandat de GW Bush, appelant à plus d'Europe en matière de défense (je me souviens d'une déclaration de Victoria Nulland, que j'avais signalé à l'époque : « La nouvelle ligne américaine : oui à l’Europe de la défense », RDN, avril 2008). Autrement dit, on a assisté à une opération "Berlin plus" à l'initiative des Américains !!!!!!!

6/ L’Europe ne l'a pas compris, et n'a pas réagi en conséquence. La Turquie a joué perso, soutenant Misrata (qui demeure la ville où demeurent le plus de descendants turcs du temps de l'empire ottoman). L'Allemagne s'est refusé à tout, et la Pologne a rejoint très tardivement. Autrement dit, on a laissé un axe franco-britannique jouer des muscles, aidé qui plus est par la Norvège non UE, alors que des pays UE importants ne faisaient pas partie d'OUP. Le syndrome du passager clandestin, encore et toujours, était à l’œuvre.

7/ Or, ce n'était pas une opération OTAN, c'était en fait une opération européenne appuyée par l'OTAN : cela, l'Europe n'a pas su le saisir, ni le comprendre. Alors même que cette opération se jouait évidemment dans le voisinage stratégique de l'Europe, dans sa zone d'intérêt. Et qu'elle avait donc intérêt, collectivement, à s'investir.

Mais ce n'est pas tout : En plus de cette décorrélation majeure (celle de l'espace euro-atlantique) s'ajoute une décorrélation interne à l'Europe, rendue plus visible par la crise . (à suivre)

Réf :

  • pour le plaisir, pour ceux qui n'ont pas encore eu le plaisir de le lire, un petit impromptu en alexandrin à la manière de....
  • plus sérieusement, relire mon billet sur la déflation stratégique européenne

O. Kempf

Commentaires

1. Le samedi 15 octobre 2011, 19:27 par yves cadiou

Cher Olivier Kempf, votre billet me laisse perplexe, je vous dis pourquoi : c’est que, lorsqu’on dit « l’Europe » il faut préciser de quoi l’on parle. S’agit-il de cette notion géographique aux contours aussi mal définis d’un côté que de l’autre ? S’agit-il des Etats qui sont souverains sur une parcelle plus ou moins petite de cette zone géographique ? S’agit-il de ce conglomérat de Nations disparates qu’on appelle « l’Europe des 27 » ? S’agit-il des coûteuses institutions produites et entretenues par ce conglomérat, institutions dont la seule mission est économique mais qui cherchent continuellement à usurper une légitimité politique ? Probablement parlez-vous de cette dernière en parlant de sécurité, en évoquant l’OTAN, la guerre froide et les fameux 2% du PIB qui sont ou devraient être les budgets militaires.
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Dans ce cas il est parfaitement conforme aux traités européens (du moins tels que je les ai compris) que ces institutions soient des « passagers clandestins » dans un domaine qui ne les concerne pas : le reproche que vous semblez leur faire est sans objet. La défense est l’affaire des Etats et non l’affaire d’une union économique : celle-ci doit limiter ses ambitions dans le domaine de la défense à la création d’un marché commun de l’armement, ce qu’elle a depuis longtemps oublié de faire en préférant s’occuper de ce qui ne la regardait pas. Les institutions européennes ne sont pas (ne devraient pas être et elles le sont déjà trop) une autorité supranationale. Ces institutions savent (voir le discours de M. Barroso que vous nous avez signalé) qu’à trop vouloir jouer hors-jeu elles risquent d’être brutalement remises à leur place par les Peuples qui en ont un peu marre de se faire toujours forcer la main. Plus que passager clandestin, c’est « profil bas » et c’est très bien ainsi.

égéa : cher Yves, le passager clandestin, c'est l'attitude des Etats européens (donc pas l'UE, contrairement à ce que vous me faites dire) qui profitent de l'Alliance Atlantique sans assumer de dépense de défense recommandées par la même alliance, recommandation votée à l'unanimité à longueur de sommets. Je devine que vous trouverez que c'est bien joué, face à ces Américains etc... Moi, je ne juge pas, je ne fais que constater, analyser, diagnostiquer....

Après, sur la question de la PSDC (acceptée par le traité de Lisbonne, ratifiée par nos parlementaires, donc validée démocratiquement, même s'il est possible que la majorité parlementaire en question soit renvoyée à la prochaine échéance électorale, peut-être pour manifester le mécontentement que vous signalez et qui est, au moins, le vôtre propre), c'est un autre sujet : mais il n'a pas échappé à votre perspicacité que cet article, étiqueté 1/2, laissait entrevoir une suite qui va, peut-être, répondre à vos inquiétudes. Peut-être seulement.

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